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2 Cadre théorique : la typologie des cinq vagues de Roderick A Macdonald

2.1 La typologie des cinq vagues et les barrières à l’accès à la justice

La première vague – l’accès aux avocats et aux tribunaux

La première vague de réflexion sur l’accès à la justice (entre 1960 et 1970) consiste à faciliter l’accès aux avocats et aux tribunaux. Les questions de coûts, de délais et de la complexité du système juridique constituent les préoccupations majeures de cette réflexion. L’implantation, par exemple, d’un système d’aide juridique pour les personnes démunies fait partie de cette première vague. Il permet ainsi aux personnes moins nanties de profiter des services d’un avocat.

La deuxième vague – remaniement de la conception institutionnelle

La deuxième vague (entre 1970 et 1980) vise l’amélioration de la structure des tribunaux et des systèmes d’aide juridique. Certaines questions comme la véritable performance des !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

212 Macdonald, « Accessibilité », supra note 210 à la p 478. 213 Rapport Macdonald, supra note 17 à la p 7.

tribunaux, leurs procédures et leur organisation sont alors examinées par les chercheurs. Ces recherches mènent à l’amélioration des procédures d’arrestation et de détention préalable au procès, à la création des cours de petites créances, à la permission des recours collectifs, à la modification des règles concernant la communication et l’interrogatoire préalable et à la permission des honoraires conditionnels. Ces changements dans la structure du système des tribunaux et de justice en général ont pour but d’accélérer les poursuites, de réduire leur coût ou d’accroître leur disponibilité à ceux qui cherchent à intenter une action en justice. Les gouvernements mettent également au point diverses institutions judiciaires ou non judiciaires pour traiter certains recours civils. L’instauration par exemple de la Commission des droits de la personne (1975), de la Régie du logement (1980) et du Tribunal des droits de la personne (1990) représente des exemples d’organismes qui ont été créés dans l’espoir de traiter les différends civils plus efficacement.

La troisième vague – la démystification de la loi

La troisième vague (entre 1980 et 1990) correspond à la démystification du droit. Celle-ci peut se faire par exemple, par la vulgarisation de textes juridiques et l’instauration de programmes d’information et d’éducation juridiques auprès du grand public. Il s’agit de l’accès au droit et à la justice par la connaissance. Cette vague comporte un aspect pédagogique. Des organismes comme, SOQUIJ214, Éducaloi215 et les Centres de justice de proximité216 font partie intégrante de cette conception enrichie de l’accès à la justice. Par ailleurs, le mouvement des modes alternatifs de résolution des conflits prend son !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

214 Mission de SOQUIJ : « Nous analysons, organisons, enrichissons et diffusons le droit au Québec et cette valeur ajoutée nous permet d’accompagner les professionnels dans leurs recherches de solutions, ainsi que l'ensemble de la population dans sa compréhension du droit. » En ligne : http://soquij.qc.ca/fr/a-propos. 215 Mission d’Éducaloi : « Éducaloi est un organisme de bienfaisance enregistré québécois dont la mission est d'informer le public sur la loi, sur ses droits et sur ses obligations. Pour y parvenir, il s’investit dans trois champs d’action principaux: l’information juridique, l’éducation juridique et le développement d’une expertise en communication claire et efficace du droit. Il met à la disposition de tous de l'information juridique de qualité, rédigée dans un langage simple et accessible. » En ligne : https://www.educaloi.qc.ca/a-propos-educaloi/propos-deducaloi-organisation.

216 Mission des Centres de justice de proximité : « Promouvoir l’accès à la justice en favorisant la participation des citoyennes et des citoyens, par des services d’information juridique gratuits, de soutien et d’orientation, offerts en complémentarité avec les ressources existantes. » En ligne : http://www.justicedeproximite.qc.ca/a-propos/organismes/.

essor dans cette vague à la suite d’une théorisation initiale des divers processus juridiques dans la littérature américaine des années 1950.217 Parmi les multiples formes de processus théorisés, Macdonald précise qu’on peut noter la médiation obligatoire sanctionnée par un tribunal, l’arbitrage consensuel dans les réclamations contractuelles, le renvoi à des experts dans des conflits de construction, et ainsi de suite.218 Les assemblées législatives

commencent alors à imaginer des institutions et des techniques innovatrices de règlements des conflits. L’idée de « déjudiciarisation » de la justice civile fait son entrée.

La quatrième vague – le droit préventif

La quatrième vague (entre 1990 et 2000) porte sur le droit préventif. Elle reflète la reconnaissance que le véritable accès à la justice doit englober de multiples dimensions des modes alternatifs de résolution des conflits. Un nouveau point de vue est proposé aussi en vertu duquel ces derniers ne sont pas seulement des moyens pour régler des conflits, mais ils peuvent être aussi utilisés afin d’aider les citoyens à éviter des conflits. Par ailleurs, la participation du public à l’intérieur des comités parlementaires et des audiences d’organismes administratifs relativement à l’élaboration des normes législatives ou règlementaires est reconnue. Par exemple, des intervenants rémunérés par des ONG font partie des consultations en matière de politique gouvernementale. Les réflexions portant sur l’accès à la justice au courant de cette vague se penchent également sur les préoccupations reliées à l’activité législative d’organismes non publics comme par exemple, les règlements édictés par des organisations de normes privées. Cette vague vient déconstruire en quelque sorte la notion d’accès à la justice traditionnelle. En effet, il n’est plus seulement question ici de regarder les problèmes objectifs rencontrés dans le système de justice, mais plus particulièrement de réexaminer les fondements du système juridique. Est-ce que notre société accorde une égalité d’accès aux institutions de création et d’administration des lois? À quel point l’éducation juridique et les barreaux favorisent l’accès? Sommes-nous certains que l’accès inégal n’est pas lié directement à des

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217 Macdonald, « L’accès à la justice aujourd’hui », supra note 65 à la p 27. 218 Ibid.

inégalités du pouvoir dans la société? Selon Macdonald, l’accès à la justice impliquerait nécessairement l’accès aux institutions de la création des lois.

La cinquième vague – l’accès proactif à la justice

La cinquième vague (depuis 2000) s’intéresse à l’accès proactif à la justice. Cette approche s’intéresse à l’amélioration de l’accès aux institutions officielles et non officielles de création et d’administration de la loi. « Dans une démocratie libérale, le véritable accès à la justice exige que chacun ait un droit égal de participer à chaque institution où le droit est débattu, créé, trouvé, organisé, administré, interprété et appliqué. »219 Macdonald parle de faire de la place pour le « living law of everyday human activity »220. L’objectif est de permettre aux citoyens de participer au « law-

making » et au « law-applying » afin que le droit soit un reflet plus juste de la justice qui ressort du droit de tous les jours. Cette vague rejoint la notion de la justice participative. Roderick A. Macdonald complète sa réflexion sur l’accès à la justice en identifiant quatre sortes de barrières à l’accès à la justice : 1) les barrières physiques et matérielles, 2) les barrières objectives, 3) les barrières subjectives et 4) les barrières sociologiques et psychologiques.221 La notion de barrières fournit une synthèse raisonnable des problèmes d’accès à la justice.

Les barrières physiques et matérielles

La forme la plus élémentaire de l’accès à la justice est l’accès matériel aux installations officielles de droit et de justice (plus particulièrement les institutions de différends civils, les bureaux d’aide juridique, les bureaux d’enregistrement et les agences administratives). L’accès à ces points de service est souvent difficile parce que rarement décentralisés au- delà des villes et même si c’est le cas ils ne sont pas toujours situés aux endroits les plus accessibles. Pas plus qu’ils ne sont ouverts aux heures qui conviennent le mieux à ceux !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

219 Ibid à la p 28.

220 Macdonald, « Access to Justice », supra note 161 à la p 319.

qui ont des emplois réguliers de jour. Qui plus est, ils ne se sont souvent pas adaptés pour ceux qui ont des handicaps physiques ou qui ont des facultés intellectuelles diminuées. Sans aide, ces personnes ne sont que des participants passifs dans un système compliqué qui leur demeure inaccessible.

Les barrières objectives

Les trois plus importantes barrières objectives à l’accès à la justice sont les coûts, les délais et la complexité de l’affaire.222 Évidemment, lorsque le coût pour obtenir justice est au-delà des moyens des citoyens, l’accès à la justice devient une impossibilité. Ces coûts financiers peuvent être les coûts institutionnels imposés par les gouvernements, les coûts pour les services d’un avocat et les coûts pour établir adéquatement la preuve (enquêtes, honoraires de témoins experts). Les longs délais d’attente pour la tenue d’un procès sont aussi un obstacle important à l’accès à la justice. Ils sont souvent dus à une accumulation de dossiers pour les tribunaux. Cela signifie toutefois pour les justiciables la nécessité d’attendre l’indemnisation pour des accidents de travail, les chèques de pension et un possible retour au travail. Du point de vue de la complexité, plus l’affaire se rapporte à des règles de droit complexes plus les procès risquent d’être longs et coûteux. Il existe donc souvent une corrélation entre, d’une part, le coût et les délais et, d’autre part, le niveau de complexité de l’affaire. L’accessibilité à la justice est d’autant plus réduite lorsque les personnes agissent seules devant les tribunaux parce que la complexité des procédures et des règles de droit provoquent des sentiments d’impuissance et d’injustice.

Les barrières subjectives

Les barrières subjectives proviennent le plus souvent des connaissances et des perceptions qu’ont les citoyens du système de justice. Les systèmes sociaux et les institutions de l’État démocratique sont censés répondre aux besoins de la majorité.223 !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

222 Rapport Macdonald, supra note 16; Macdonald, « L’accès à la justice aujourd’hui », supra note 65. 223 Macdonald, « L’accès à la justice aujourd’hui », supra note 65 à la p 35.

Ces derniers sont méfiants d’un système qui semble accessible à un profil sociodémographique type. Au Canada, ces utilisateurs majoritaires ont historiquement été des citoyens de race blanche, de sexe masculin, d’âge moyen, de classes moyennes et supérieures, anglophones ou francophones. 224 Tout profil sociodémographique

s’éloignant un tant soi peut du profil type provoque l’apparition de barrières à l’accès. Les barrières subjectives reposent donc dans l’attitude et la perception subjective des individus face au système judiciaire. Elles s’intéressent à la conscience des individus. Le sujet de droit est au centre de l’analyse. C’est la relation entre le sujet de droit et le système de justice qui retient l’attention. L’analyse de l’efficacité du système en tant que tel est une préoccupation de moindre niveau.

Les barrières sociologiques et psychologiques

Les barrières sociologiques et psychologiques s’intéressent aux citoyens et aux groupes sociaux qui sont plus vulnérables que d’autres d’être exclus de l’accès à la justice.225 Ces

barrières proviennent donc des perceptions subjectives de ceux qui sont exclus, mais aussi de la marginalisation sociale qui est imposée à ces groupes par les membres du courant sociétal dominant. L’accès à la justice n’est pas distinct des autres enjeux sociaux. Il est possible de constater que les groupes marginalisés dans le cadre de l’accès à la justice sont les mêmes que pour d’autres domaines, tels que les utilisateurs du système de soins de santé. Le plus souvent les problèmes d’accès à la justice sont des problèmes de perception et de formulation. Les problèmes d’absence d’accès qui peuvent être formulés comme étant un reflet d’obstacles surgissent uniquement quand un problème a déjà été perçu comme problème juridique et qu’un engagement a été pris de le régler par l’entremise du système officiel de justice. Pour plusieurs, c’est précisément la caractérisation d’un problème comme problème juridique qui est le principal obstacle à l’accès.226

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224 Macdonald, « La justice », supra note 107 à la p 51; Macdonald, « L’accès à la justice aujourd’hui »,

supra note 65 à la p 35. Voir aussi : Constance Backhouse, « Qu’est-ce que l’accès à la justice ? », dans

Julia Bass, William A. Bogart et Frederick H. Zemans, dir, L’accès à la justice pour le nouveau siècle : les

voies du progrès, Toronto, Barreau du Haut-Canada, 2005, 137 à la p 138.

225 Macdonald, « L’accès à la justice aujourd’hui », supra note 65 à la p 35. 226 Ibid à la p 36.