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1 Problématique et méthodologie

1.2 Le contexte théorique de l’accès à la justice

1.2.2 L’accès à la justice dans la doctrine

1.2.2.1 L’approche traditionnelle de l’accès à la justice

D’un point de vue historique, l’accès à la justice est un concept axé sur le système de justice officiel (les cours, les tribunaux, les avocats et les juges) et sur ses procédures. Ce faisant, l’accès à la justice « has traditionally been characterized as the ability to obtain

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 148 Ibid à la p 55.

legal representation and make use of all of the formal processes of the court system »149. William E. Conklin, quant à lui, parle d’un premier modèle d’accès à la justice, qui imprègnerait encore fortement le discours juridique, basé sur un pur procéduralisme et n’étant pas lié à un critère de justice de fond.150 De manière générale, la conception de

l’accès à la justice se limite à cette conception de la justice traditionnelle qui donne accès à un lieu de gestion du conflit qui applique les normes juridiques et laissent peu de place à une réelle participation de la part des justiciables. L’approche institutionnelle de l’accès à la justice repose sur une conception basée sur un cadre normatif juridique, en rapport avec des règles, des principes et des processus juridiques.

At its most basic level, “access to justice” is synonymous with “access to the legal system”, although one might also view the “legal system” instrumentally as simply what the law is and how it is enforced and processed – activities that may have little to do with justice, fairness, or equity. In this respect, access to justice means simply (but not in-significantly) making it easier for people to use the legal system or making the legal system more “accessible” (e.g., through more legal aid or more expeditious proceedings). Indeed, the core aspects of access to justice have been identified as “reasonable and effective access to courts of law and the opportunity to obtain legal services from qualified professionnals.151

Cette approche correspond à un accès à la justice traditionnelle dans lequel le juge dira le droit à la suite de l’audition des parties, et selon la normativité juridique. Le professeur Farrow précise à cet effet : « [t]o date, the major focus of thought and reform related to access to justice has been procedural. Access to justice has been equated largely with access to lawyers and courts. The more legal process we provide—through lower legal fees, more lawyers, and faster and more accessible court hearings—the more we are improving access to justice.152 Farrow poursuit en se demandant si ces réformes

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149 Diana J. Lowe, « Access to Justice : Responding to Public Needs Within a Culture of Proportionality », dans Pierre Noreau, dir, Révolutionner la justice : constats, mutations et perspectives. Les journées

Maximilien-Caron 2009, Montréal, Thémis, 2010, 83 à la p 85.

150 William E. Conklin, « Whiter Justice ? The Common Problematic of Five Models of « Access to Justice », (2001) 19 Windsor .B. Access Jus 297.

151 Patricia Hughes, « Law Commissions and Access to Justice : What Justice Should We Be Talking About? » (2008) 46:4 Osgoode Hall L.J. 773 aux pp 777 et 778 [Hughes, « Law Commissions »]. (Notons que Hughes elle-même n'adopte pas cette approche traditionnelle de l’accès à la justice orientée sur les processus.)

procédurales « ultimately improve access to justice or simply provide access to the tools or processes of law »153.

Ceci dit, selon certains auteurs, les tribunaux ne constituent pas le seul moyen pour résoudre les conflits. Selon, l’honorable Thomas A. Cromwell, juge à la Cour suprême du Canada, l’accès à la justice ne consiste pas simplement au fait « d’avoir accès aux litiges ou même comme simplement le fait d’avoir accès aux avocats, juges et tribunaux, quoique ceux-ci bien entendu, soient des éléments de ce qui est requis par l’accès à la justice. »154 Il précise que l’accès à la justice comprend « un ensemble de services extrajudiciaires, dont l’accès aux connaissances relatives au droit et au processus juridique ainsi que les services de règlement de différends, aussi bien officiels qu’officieux, notamment ceux disponibles par la voie des tribunaux »155. Dans une perspective qui remet davantage en question l’accès traditionnel à la justice, André-Jean Arnaud décrit l’accès à la justice comme « une théorie critique vis-à-vis du centralisme juridique de la première acception, cherchant à élargir le champ d’investigation et s’attachant notamment à l’amélioration du règlement des litiges et des transactions en dehors des cours et tribunaux »156.

1.2.2.2 L’approche citoyenne de l’accès à la justice

Le professeur Roberge propose une conception plus large de l’accès à la justice. Selon lui, « l’accès à la justice est l’action de rendre accessible une forme de justice qui doit être perçue comme une forme de justice par celui ou celle à qui elle est destinée et qui répond à ses motivations et attentes de justice ».157 Cette conception de l’accès à la

justice ne se limite pas aux règles juridiques pour résoudre un conflit, mais rend compte de la perception du justiciable ainsi que de ses attentes et de ses besoins. Le professeur Roberge parle de « l’accès contextuel à la justice »158. Suivant ce sens, l’accès à la justice !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

153 Ibid.

154 L’honorable Thomas A. Cromwell, « Access to Justice : Towards a Collaborative and Strategic Approach », Viscount Bennett Memorial Lecture, (2012) 63 UNBLJ 38 à la p 39. Traduction tirée de :

Rapport Cromwell, supra note 2 à la p 31.

155 Ibid.

156 Balate, « accès à la justice », supra note 105.

157 Roberge, « La justice participative », supra note 131 à la p 23. 158 Ibid, à la p 87.

permet donc un accès à une justice qui balance les intérêts, qui a recours à l’équité et qui n’est pas prédéterminée par des règles.159 Cette conception de l’accès à la justice présuppose alors une internormativité. Tel que le souligne Louise Lalonde, « la contextualisation du différend permettra par la conjonction des normativités, une vision élargie du droit et la reconnaissance d’une véritable internormativité ».160

Le professeur Macdonald va plus loin en affirmant que l’accès à la justice veut surtout dire que les citoyens doivent être capables de trouver la justice dans leurs activités humaines quotidiennes, autrement dit dans le droit vivant.161 Selon lui, la société, et non

le droit, constitue le lieu où réside vraiment la justice. Abondant dans le même sens, la juge Deschamps souligne qu’ « [u]n réel accès à la justice se doit d’être pragmatique et d’appliquer les principes de justice dans notre vie quotidienne »162. Elle poursuit en précisant que « la justice est meilleure lorsque la personne qui est la première touchée a un rôle : en fait, elle a la responsabilité de participer à la recherche de solutions et de moyens de prévention »163. Tel que le souligne la professeure Martine Valois, « […] l’accès à la justice passe dorénavant par une réappropriation par les justiciables de la gestion de leurs conflits »164.

Ab Currie a qualifié d’accès à la justice communautaire, cette conception de l’accès à la justice qui suppose de donner aux particuliers les moyens de jouer un rôle plus actif dans la recherche de solutions à leurs problèmes de justice.165 En ce sens, le professeur Jerold Auerbach souligne qu’une justice non institutionnalisée et non professionnalisée est la

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159 Emmanuelle Jouanet, « Présentation critique » dans Martti Koskenniem, La politique du droit

international, Éditions Pedone, Paris, 2007 à la p 24.

160 Lalonde, « Les modes de PRD », supra note 47 à la p 29.

161 Roderick A. Macdonald, « Access to Justice and Law Reform #2 », (2001) 19 Windsor Yearb. Access

Justice 317 à la p 319 [Macdonald, « Access to Justice »].

162 Deschamps, « L’accès à la justice », supra note 108 à la p 255. 163 Ibid à la p 252.

164 Martine Valois, « La mission de justice dans l’état moderne » dans Pierre P Tremblay, dir,

L’administration contemporaine de l'État : Une perspective canadienne et québécoise, Québec, Presses de

l'Université du Québec, 2012 à la p 210.

165 Ab Currie, « Surfer sur la troisième vague – Notes sur l’avenir de l’accès à la justice» dans Élargir nos

horizons, redéfinir l'accès à la justice au Canada. Compte rendu du symposium organisé par le ministère de la Justice du Canada tenu le 31 mars 2000 à Ottawa, Ottawa, Ministère de la Justice du Canada, 2000 à

plus belle expression d’une communauté harmonieuse.166 L’accès à la justice devient donc un volet important de cette évolution vers un système de justice davantage centré sur la collectivité et sur les citoyens.

En somme, cette notion d’accès à la justice « revêt divers sens, d’un sens littéral à un sens plus symbolique, en passant par un sens plus social à cet accès ».167 La doctrine juridique n’a ainsi guère trouvé de consensus quant à la signification de l’expression « accès à la justice ». Cette situation est attribuable en partie au fait que, sur le terrain, les problèmes d’accès à la justice ont eux-mêmes changé au cours des années. Les besoins d’une population plus diversifiée, la mondialisation et la nouvelle évolution de l’affect dans les relations personnelles sont caractéristiques de ces changements. Il semble que se profile la nécessité de considérer autrement la justice afin de s’assurer de l’efficience des modes mis en place pour pallier aux insuffisances des modes traditionnels. Tel que le souligne le professeur Farrow, « it is clear that an accessible justice system must be one that understands and can embrace the importance of social context for those who use it, particularly for the increasingly diverse communities that the system is designed to serve »168.