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II.4 Les travaux de thèse de S Peillon

II.5. Typologie des groupements d’entreprises

Nous avons vu à travers les différents travaux présentés ci-dessus qu’il avait été

nécessaire de construire une typologie de réseaux d’entreprises (GECOPεE II). Cette typologie a pour but de permettre pour un réseau, non seulement, de sélectionner les outils de diagnostic adéquats pour évaluer sa performance, mais aussi, de servir de base pour le pilotage de sa trajectoire organisationnelle. Elle permet d’un autre coté de préconiser des modes de coordination privilégiés entre deux entreprises d’un même groupement. C’est une typologie basée sur les modes de coordination entre les différentes entreprises du réseau qui a finalement été retenue (Burlat et al. 2003). Cette typologie est basée sur les deux paramètres présentés plus haut : la complémentarité des activités et la similarité des compétences.

II.5.1. Analyse par les activités et les compétences

Coordonner des activés complémentaires

Des activités sont qualifiées de complémentaires si elles correspondent à différentes phases successives d’un processus de production, ou bien si elles constituent des étapes très interconnectées d’un même processus (comme par exemple les étapes de εarketing et de Recherche et Développement dans le cadre d’un processus d’innovation). δa coordination de

ces activités complémentaires constitue un problème de "design organisationnel", c’est-à-dire

4 Free rider ou "passager clandestin", est un acteur qui profite d’un bien collectif issu d’une action politique d’un

groupe social sans en supporter les coûts d’organisation. δe free-riding est le fait d’acquérir les compétences du partenaire-concurrent tout en protégeant les siennes.

un problème pour lequel les relations à mettre en place entre les activités pour assurer l’efficacité du système sont connues d’avance, et pour lequel les coûts entraînés par une

mauvaise coordination sont très élevés (Milgrom et al. 1997). δe cas de la gestion d’un projet

est un exemple de problème de design organisationnel : les méthodes de coordination (comité de direction, chef de projet, outils opérationnels de type PERT, …) sont bien connues, et le

coût d’un retard dû à une mauvaise coordination est en général élevé (Burlat et al. 2003a). Les

activités complémentaires nécessitent donc une étape préalable de planification ex ante de leur coordination. Cela signifie en particulier que l’on ne peut pas les coordonner par un simple mécanisme de prix et d’échange sur un marché. Par exemple, dans le cas d’un processus de production, il faut planifier à l’avance les quantités à fabriquer, et synchroniser les dates d’arrivée des sous-ensembles aux postes d’assemblage. Il faut également coordonner les spécifications de chaque sous-ensemble (en terme de dimension par exemple, mais aussi de fonctionnalités) pour que l’assemblage soit possible. δes exemples des architectures industrielles actuelles du secteur automobile montrent que cette coordination peut très bien s’effectuer dans un cadre de coopération inter-firmes, c’est-à-dire sans regrouper toutes ces activités au sein de la même entreprise (εonateri 2001). C’est en effet la configuration

retenue par les constructeurs lorsqu’ils s’entourent de fournisseurs de premier rang, eux-

mêmes assistés de fournisseurs de second rang. Dans ce cas, la synchronisation temporelle entre le donneur d’ordres et son fournisseur sera par exemple assurée par des mécanismes de livraison synchrone ou même de production synchrone supportés par des systèmes kanban (Benyoucef et al. 2001). Ces activités, bien que fortement complémentaires sont donc coordonnées ici par des mécanismes de coopération au sein d’un réseau de deux ou plusieurs entreprises.

Des compétences similaires

Pour préciser ce qui doit être coordonné par une direction hiérarchique à l’intérieur d’une entreprise, il convient à présent de s’intéresser aux compétences requises pour réaliser

ces activités. Par compétence, nous entendrons ici l’aptitude à assurer la mise en œuvre

coordonnée de ressources, de manière à atteindre les objectifs de l’entreprise (Sanchez et al. 1996). Il existe un large panel de définitions de la compétence dans la littérature. Pour résumer et synthétiser les différents points de vue nous donnons ici une définition de X.

Boucher (Boucher 1999) : "Nous considérons qu’une compétence est une aptitude sans cesse

reconstruite d’un acteur, à mobiliser de manière efficiente un certain nombre de ressources immatérielles qu’il a intériorisées (connaissances, aptitudes psychologiques et sociales,…) et de ressources matérielles de son environnement (outils, instruments, sources d’informations, etc…), pour répondre aux objectifs et au contexte propres à une situation professionnelle."

Pour des raisons d’efficacité, les entreprises ont tendance à se centrer sur les activités qui requièrent un noyau de compétences (core competencies) et externalisent les autres activités (Thoben et al. 2001), ce qui définit leur métier de base. En effet, regrouper au sein d’une même entreprise des compétences métiers trop variées est coûteux en terme de management : cela induit des coûts de savoir-faire (production, utilisation et maintenance du savoir-faire)

bien identifiés par la théorie des coûts de transaction (Williamson 1985). Ainsi, la proximité5

de compétences est un argument qui milite pour une coordination hiérarchique, tandis que

l’éloignement des compétences incite à une coordination par le marché6

.

5

Pour notre part, des compétences seront qualifiées de proches si elles correspondent aux mêmes métiers (Plasturgie, εécanique, Electricité, …)

6 G. B. Richardson analysait les "activités similaires", c’est à dire les activités requérant des compétences

εodélisation des liens de coopération et des trajectoires d’évolution des réseaux 68 II.5.2. Typologie des réseaux selon une analyse par activités et compétences

δes modes de coordination industriels peuvent donc s’analyser selon deux critères : la complémentarité des activités et la similarité des compétences. Quand des activités sont complémentaires et font appel à des compétences similaires, la forme de coordination la plus efficace de ces activités semble être la direction hiérarchique au sein d’une firme. En revanche, quand des activités sont complémentaires et que les compétences sont non similaires, le mode de coordination le plus fréquent est la coopération inter-firmes (firme- réseau ou réseau de firmes). Ce type de coopération inter-firmes est nommé "Réseau Proactif" (Burlat et al. 2003), car les entreprises travaillent ensemble le long de la chaîne de valeur pour anticiper les besoins du marché, et ajouter de la valeur au service ou produit final. Ce type de réseau présente donc une forte valeur ajoutée et souvent un haut degré d’innovation. δes autres cas sont généralement coordonnés par le marché. δ’approche de G. B. Richardson est toutefois complétée en distinguant le cas d’une coordination par des réseaux qualifiés de

"Réactif"7 : cela correspond à des activités non complémentaires impliquant des compétences

similaires (Burlat et al. 2003). Nous avons par exemple observé des réseaux d’achat qui

correspondent à cette situation. Ces réseaux réactifs sont souvent formés pour répondre à des motivations relatives à une réduction de coût par l’atteinte d’une taille optimale (Peillon, 2001). Parmi ces types de réseaux, qui visent à apporter une réponse collective aux contraintes et changements de l’environnement économique, on peut par exemple citer le partage de ressources (investissement de machines en commun) ou la centralisation de fonction (centrale d’achat, embauche d’un qualiticien).

δe tableau suivant résume l’analyse exposée ci-dessus :

Activités non complémentaires

Activités complémentaires Compétences non

similaires MARCHE RESEAU PROACTIF

Compétences

similaires RESEAU REACTIF FIRME

Tableau II-1 : Typologie des réseaux selon une analyse par activités et compétences

Cette approche basée sur les activités et les compétences nous a permis de construire un plan d’analyse des modes de coordination selon les axes εarché vs Firme et Réseaux Proactifs vs Réseaux Réactifs :

7

Dans les travaux précédents (Peillon 2001, Burlat 2003) ce type de réseau était nommé "Réseau Défensif". Cependant après une réflexion collective nous avons nommé ce type de réseau "Réactif" plutôt que "Défensif", car des caractéristiques de réactivités sont plus aptes à refléter les objectifs visés par les entreprises travaillant dans ce type de réseau.

Figure II-1 : Référentiel des modes de coordination selon les activités et les compétences

Cette typologie permet donc de préconiser des modes de coordination privilégiés entre deux entreprises d’un même réseau. Ainsi, deux entreprises ayant des activités complémentaires et des compétences similaires auront intérêt à mettre en place entre elles des liens de type Réseau Proactif. Nous donnons dans ce qui suit deux exemples de deux réseaux l’un Réactif et l’autre Proactif. Ces exemples sont tirés d’une étude de terrain et de cas industriel observés (Burlat et al. 2003).

Cas d’un Réseau Réactif

Cet exemple concerne un réseau d’achat de quatre entreprises du secteur de la

métallurgie, toutes issues du métier de la tôlerie. δe dirigeant de l’une des entreprises de ce

réseau estime que pour une PεE, il est difficile de mener une politique d’achat rentable si elle n’est pas en position de négocier. Individuellement, elle n’en a pas les moyens. Et en général, c’est le dirigeant qui s’en occupe sans avoir vraiment le temps de le faire bien. δa seule solution, c’est de se regrouper pour rémunérer un professionnel de haut niveau, capable de développer une vraie stratégie de négociation. Ce point de vue témoigne du caractère Réactif de cette alliance qui vise à réduire les coûts et à atteindre une taille critique suffisante pour rétablir un équilibre dans la relation avec les fournisseurs.

Les activités non complémentaires de chacune de ces entreprises ont permis de dépasser les risques liés à l’alliance : caractère stratégique de la fonction achat, fuite d’informations sur les

Compétences Non Similaires Compétences Similaires (Culture métier) Activités Non Complémentaires Activités Complémentaires Zone de coordination par le marché Zone de coordination par un Réseau Proactif Zone de coordination par un Réseau Réactif Zone de coordination par une

εodélisation des liens de coopération et des trajectoires d’évolution des réseaux 70

conditions d’achat, concurrence déloyale, risque d’opportunisme. δ’analyse du réseau a montré que le partage d’une culture métier et l’existence de besoins matières analogues (compétences similaires) ont facilité la mise en place progressive de la structure commune. La compétence attendue d’un acheteur a été définie de façon coopérative en distinguant puis en rationalisant la fonction approvisionnement propre à chacune des entreprises (Burlat et al. 2003).

Cas d’un Réseau Proactif

Cet exemple est celui d’un réseau créé avec l’objectif initial de promouvoir un système d’échanges de données qui s’appuie sur des solutions technologiques adaptées passant par un effort de standardisation des documents et des informations requises pour chaque chantier. Il regroupe plusieurs entreprises et acteurs travaillant dans le domaine du bâtiment : architectes, bureaux d’études, la Direction Régionale de l’Equipement, des maîtres d’ouvrage.

δ’échange de données informatisées (EDI) est mal adapté au BTP car elle nécessite un effort de formalisation qui s’avère incompatible avec la faible durée des liens créés. δes partenaires ont donc mené des réflexions sur la standardisation des échanges via Internet, et ont recherché les possibilités de travail collaboratif leur permettant une meilleure coordination pour tous les processus liés à l’acte de construire, de l’élaboration d’une réponse commune à un appel d’offres, jusqu’aux processus de suivi de chantiers. Les partenaires disposent pour cela de compétences non similaires (mécanique, électricité, tôlerie, études et conceptions, administrations…) et réalisent les activités complémentaires du processus de construction

(fabriquer, étudier, gérer…). δes résultats espérés sont une diminution des charges de

chantier, un gain en productivité et surtout l’accès à de nouvelles parts de marché pour les PεE du secteur face aux gros donneurs d’ordres (Burlat et al. 2003).

II.6. Discussions

Bien sûr une telle typologie est une modélisation restrictive des groupements d’entreprises, de la diversité de la coopération inter-entreprises, et des facteurs incitant les firmes à coopérer. La complémentarité des activés et la similarité des compétences ne sont pas les seuls facteurs influant les relations inter-entreprises dans un réseau. Dans les cas pratiques d’autres facteurs internes ou externes aux entreprises peuvent avoir un poids plus au moins important dans l’explication de la coopération entre deux entreprises (Benali et al. 2005). La typologie présentée dans le tableau II-1 n’est pas un cadre destiné à déterminer de façon absolue les relations à construire dans le cadre de coopération inter-entreprises. C’est plutôt une méthode pour détecter des relations potentielles entre les entreprises d’un réseau. δa typologie proposée représente donc une base pour identifier des liens potentiels entre les entreprises d’un réseau.

La coopération inter-entreprises n’est bien sûr pas exempte de risques et d’inconvénients, et

de certains conflits dont les conséquences peuvent être importantes, non seulement pour l’alliance mais aussi pour les entreprises impliquées (εenguzzato-Boulard et al. 2003). Parfois des caractéristiques organisationnelles différentes peuvent prendre le pas sur les concepts de complémentarité des activités et de similarité des compétences. Ainsi certaines firmes, de part leurs particularités, peuvent être réticentes à l’idée de nouer des alliances et à transformer des coopérations ponctuelles en coopérations plus stables et plus structurées. Tout comme l’environnement de l’entreprise peut changer, sa structure interne peut évoluer dans le temps en gardant les mêmes compétences et les mêmes familles de produits. Un

changement interne (par exemple le départ en retraite d’un dirigeant, ou un changement de site de production …) peut influer sur les coopérations de l’entreprise avec ses partenaires de manière négative ou positive. Ces changements sont des facteurs qui jouent sur des paramètres comme la confiance ou la proximité entre deux entreprises, qui sont des paramètres jouant un rôle important dans une relation inter-entreprises. Ils peuvent, au-delà des deux concepts de complémentarité des activités et de similarité des compétences, accélérer, freiner ou détruire une démarche de coopération.

Dans ce qui suit nous allons discuter et intégrer ces facteurs qui peuvent influencer la coopération inter-entreprises. Nous appellerons ces facteurs "Paramètres Contingents". Un

certain nombre de paramètres contingents ont été identifiés dans la littérature et ont fait l’objet

d’études pratiques sur le terrain.