• Aucun résultat trouvé

L E CHANGEMENT : LES PROCESSUS , LES COMPETENCES ET LES RESSOURCES

2. Des compétences aux processus

2.1. Types de compétences

Les compétences sont au départ très souvent perçues comme la capacité et l’habileté d'un individu ou d'un groupe à exercer une activité [Hoffmann, 1999] [Rowe, 1995]. C'est avec cette vision que l’entreprise opère généralement une codification des compétences. Cette

Direction

Processus 1 Processus 2 Assistance A

Assistance B

Assistance C

Expert A

Expert B

Expert C

Pilote 1 Pilote 2

codification se construit généralement à partir du référentiel des compétences professionnelles et des métiers et se structure autour de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être [Harzallah, 2000].

Sans vouloir nous immiscer sur le terrain des services de gestion des ressources humaines de plus en plus spécialisés dans la gestion des compétences, disons que les compétences sont généralement transcrites dans l’entreprise sous une forme très résumée et statique [CNPF, 1998] [De Nanteuil, 1998], qu'elles se limitent fréquemment aux seules compétences individuelles et, bien que renseignant généralement assez précisément les connaissances générales et techniques requises pour une activité donnée, qu’elles décrivent en revanche plus difficilement le savoir-être à détenir par l’individu en charge de la réalisation de cette activité.

Font notamment partie de ce savoir-être la capacité de l’individu à faire des propositions, d'exprimer sa disponibilité, de faire circuler l'information, de s'intégrer à un groupe ou encore d'accepter des critiques.

Les compétences individuelles ne sont toutefois, nous l’avons dit, pas les seules compétences détenues par l’entreprise. Ne serait ce que parce que l’individu dans une organisation industrielle est de moins en moins compétent tout seul. Sa capacité à créer et renouveler ses compétences est en effet très liée à son environnement (banque de données, réseaux, collègues experts) [Le Boterf, 1998]. Le positionnement de cet individu au sein d’un groupe est ainsi à l’origine de la stimulation de plusieurs moteurs, tant internes comme l’image de soi qui mobilisera l’énergie pour élaborer une nouvelle compétence, qu’externes à travers par exemple la construction de nouvelles compétences, désignées par compétences collectives, résultant de la coopération et de la synergie s'établissant entre les compétences individuelles existant dans le groupe. Bien qu’élaborées à partir des aptitudes et capacités de chaque membre d’un groupe, elles intègrent également une dynamique de groupe qui leur est propre [Nordhaug, 1996]. Leur développement tient au caractère répétitif des phénomènes d’élaboration partagée, de communication efficace, de collaboration efficiente et du partage des connaissances. Bien que difficiles à définir de façon opératoire, on s’attend à ce que ces compétences collectives soient décrites comme une combinaison spécifique de compétences individuelles plus ou moins critiques (ou rares) [Le Boterf, 2000].

En allant au-delà de cette distinction entre compétence individuelle et collective, il est possible de distinguer dans les deux cas différents formes de compétences, chacune d’elle correspondant à la "mobilisation et l’activation de savoirs dans une situation et un contexte donnés" [Le Boterf, 2000] :

- les savoirs théoriques (savoir comprendre, savoir interpréter) - les savoirs procéduraux (savoir comment procéder)

- les savoir-faire procéduraux (savoir procéder, savoir opérer) - les savoir-faire expérientiels (savoir faire, savoir se conduire) - les savoir-faire sociaux (savoir se comporter, savoir se conduire)

- les savoir-faire cognitifs (savoir traiter de l’information, savoir raisonner, savoir nommer ce que l’on fait, savoir apprendre).

De nombreuses autres approches ont cependant été proposées dans la littérature avec l'objectif d'aller au-delà de cette vision limitant les compétences de l’entreprise, ou de toute forme d’organisation, à celles de ses individus ou des groupes auxquels ceux-ci participent. C'est d'ailleurs autour de ce terme d'organisation que s'articulent bon nombre d'approches de modélisation et/ou de codification de compétences. Toutes ces approches ont en commun de souligner que les compétences d'une l'entreprise ne s'arrêtent pas aux "classiques"

compétences individuelles et collectives, mais incluent également des compétences organisationnelles, souvent très liées aux types d'interactions que les individus ou les groupes d’individus ont avec leur environnement. Guy Le Boterf par exemple introduit la notion de

"double équipement", l'un attaché à l'individu ou groupe d'individus, l'autre à son environnement, et qui, lorsqu'ils sont combinés, révèlent les compétences organisationnelles réellement créatrices de performance pour l'entreprise. Les compétences organisationnelles se définissent donc, non pas comme ce qu’un individu ou un groupe d’individus sait faire, non pas non plus comme "ce que l’entreprise possède", mais comme "ce que l’entreprise sait faire" [Dejoux, 2001]. La démarche classique consistant à opérer un découpage en tâches élémentaires liées à des activités de base fait bien souvent occulter les liants qui existent entre ces activités, ou en d'autres termes, les éléments qui "font que l’ensemble marche". La description des compétences organisationnelles n’en est que plus difficile. Nordhaug [Nordhaug, 1993,1996] illustre (figure II.8) comment s’opère l’articulation entre ces trois types de compétences pouvant exister dans l’entreprise.

A intégrer dans le système de

knowledge

management Les compétences

organisationnelles

Les capacités organisationnelles

Les compétences d’une équipe Les connaissances

organisationnelles

Le code génétique De l’organisation

Les capacités d’une équipe Les connaissances

d’une équipe

Le code génétique d’une équipe Compétences

organisationnelles En puissance

CAPITAL IMMATER

IEL

Les compétences individuelles

Les capacités individuelles Les connaissances

individuelles

Les aptitudes individuelles

Figure II.8. Les trois niveaux du concept de compétence (d’après [Nordhaug, 1996] p33) Enfin, pour terminer ce tour d’horizon des types de compétences de l’entreprise, évoquons enfin les compétences dites stratégiques de l’entreprise, correspondant aux compétences organisationnelles à gérer en priorité par l’entreprise et qui font référence à ce qui concourt pour l’entreprise à maintenir son avantage concurrentiel et son savoir-faire stratégique [Castelnau et al., 2001]. Cette analyse se concrétise le plus souvent par l’étude du positionnement de l’entreprise sur le marché, sur l’observation des points de dissociation de son flux principal, ainsi que sur l’évaluation de sa capacité à maîtriser la répétabilité de ses processus.

Au final, les différentes compétences présentes dans l’entreprise, i.e. individuelles, collectives, et stratégiques, peuvent être représentées (figure II.9) à l’ aide d’une pyramide décrivant, sur le modèle de celle de Maslow, la hiérarchisation des compétences et leur niveau de traitement correspondant dans une gestion des connaissances [Dejoux, 1997].

Gestion des compétences virtuelles Organisation en pole de compétences Gestion de compétences d’entreprises partagées au sein de structures en réseau Gestion en externe des compétences stratégiques

d’entreprise

Gestion en interne des compétences stratégiques d’entreprise

Gestion des compétences collectives

Gestion des compétences individuelles

Niveau d’analyse

GRH Management Stratégie Interne StratégieExterne Configuration organisationnelle

Figure II.9. La pyramide de gestion des compétences (d’après [Dejoux, 1997]) 2.2. Codification des compétences

Si l’entreprise parvient généralement à cerner les différents types de compétences qu’elle serait susceptible de gérer, en revanche elle rencontre généralement de sérieuses difficultés lorsqu’il s’agit de les codifier en vue de les exploiter. Notre expérience industrielle permet en effet de mesurer le fossé important qui existe entre, d’une part ce que cette codification devrait inclure et, d’autre part, ce qu’elle inclut réellement dans la plupart des entreprises pourtant très impliquées dans la gestion de leurs compétences. Tout au plus peut-on appréhender les compétences à travers les procédures de fonctionnement nominal et des modes opératoires que l’entreprise est généralement à même de délivrer. Et, même dans ce cas, il paraît difficile de parvenir à matérialiser les mécanismes associés à l'exploitation de ce type de compétences. Cette codification est d’ailleurs d’autant plus difficile à réaliser qu’elle doit s’appliquer aussi bien à des compétences installées dans l’entreprise qu’à des compétences que cette entreprise doit révéler ou acquérir dans le cas de l’intégration d’un nouveau processus ou dans le cas d’une importante réorganisation de processus. Il est difficile, voire impossible, dans ces conditions, d’espérer pouvoir disposer d’une codification susceptible de pouvoir s’appliquer à l’ensemble des compétences de l’entreprise, qu’il s’agisse de ses compétences individuelles, collectives, organisationnelles et/ou stratégiques [Siebenborn et al., 2003]. Les codifications existantes, même incomplètes, permettent cependant de dresser un certain nombre de caractéristiques communes à toute compétence, individuelle, collective organisationnelle et/ou stratégique, qu’une formalisation des processus devrait pouvoir intégrer pour rendre possible un pilotage des changements menés sur ces processus.

La plupart des nations européennes ont fait passer leur système éducatif d’une logique de qualification à une logique de compétences, ou, en d’autres termes, d’une logique d’acquisition à une logique de reconnaissance [De Virville, 1996]. Cette logique de compétences s’inscrit, d’une part, dans une volonté d’apporter à chaque acteur de l’entreprise une meilleure reconnaissance de sa formation initiale acquise, et d’autre part, dans celle de lui

donner les moyens de faire évoluer ses compétences tout au long de sa vie professionnelle en fonction des évolutions techniques ou économiques de son environnement [Eurydice, 2001]

[Colardyn, 1999]. Cela a bien sûr amené l’entreprise à s’interroger sur la manière d’évaluer les compétences, initiales ou acquises, de ses collaborateurs.

Le bilan de compétences correspond à l’une des premières formalisations des compétences réalisées dans ce but et visant à évaluer les "savoir-faire opérationnels" détenus par l’entreprise [Levy-Leboyer, 1995]. Défini par la loi (loi du 31 décembre 1991 sur la formation professionnelle), c’est un bilan évolutif qui permet à un individu de faire le point sur ses acquis et de s’auto-évaluer dans une perspective de changement d'activité professionnelle dans ou hors de l’entreprise. La codification établie permet ainsi d’appréhender les savoirs, les savoir-faire, les pouvoir-faire, les savoir-être, les comportements ainsi que des capacités détenues par l’individu à un instant donné.

Le bilan de carrière, autre codification possible des compétences, se distingue quant à lui du bilan de compétences par la nature et l'origine de la démarche, les conditions et les modalités de réalisation et surtout par l'utilisation qui en est faite. Son rôle est avant tout de positionner l’individu par rapport à un emploi ou à des emplois possibles dans l’entreprise. Le bilan de carrière s'inscrit donc plutôt dans le cadre d’une recherche d'adéquation entre hommes et postes et vise, à la différence du bilan de compétences, à répondre simultanément à un besoin d'évolution des collaborateurs et un besoin d'optimisation des ressources internes de l'entreprise.

Une autre manière de codifier les compétences consiste également à construire un portefeuille des compétences, celui-ci correspondant à "un dossier personnel comportant un ensemble de pièces pouvant servir de preuves des compétences sociales et professionnelles, acquises ou potentielles, de son titulaire et de la démarche qui aboutit à sa réalisation" [Aubret, 1992].

Cette codification prend généralement la forme d’un tableau récapitulatif des expériences (situations de travail, formations, occasions diverses d’apprentissage) ou d’une liste de compétences (sous forme de verbes d’action comme décider, gérer, communiquer, etc.). Elle couvre un objectif de reconnaissance personnelle pour une démarche d’auto-évaluation ou d’auto-orientation, un objectif de reconnaissance institutionnelle pour une démarche d'admission ou d'équivalence auprès d'organismes de formation, et enfin, un objectif de reconnaissance professionnelle pour une démarche d'emploi ou de promotion ou pour établir un plan de carrière.

Enfin, une autre formalisation des compétences généralement utilisée est celle obtenue par la construction d’arbres de compétences [Authier et al., 1992] [Giget, 1998] permettant de faire le lien entre les individus (ceux qui possèdent les compétences), les entreprises (qui demandent des compétences) et les formateurs (qui transforment les compétences). La schématique de l’arbre permet de représenter dans le tronc les compétences les plus fréquentes et dans les branches ou feuilles les compétences métiers ou plus rares de l’entité.

La formalisation ainsi obtenue se révèle donc très utile pour constituer un groupe projet ou, plus encore, pour identifier les compétences stratégiques de l’entreprise.

Le caractère volatil et éphémère des compétences a également mené les entreprises à imaginer des outils pour codifier, dans le but de les mémoriser, leurs compétences. L’enjeu est alors de faciliter le transfert des compétences afin de les rendre réutilisables dans le temps ou de les démultiplier. La formalisation de la compétence en connaissances, c'est-à-dire la codification de la compétence de façon à lui donner un caractère archivable et quantifiable, permet de répondre en partie à la double problématique qui se pose en entreprise relative à, d’une part, la constitution d’une mémoire collective et, d’autre part, la valorisation (au sens monétaire) de

ce qui s’apparente à une immobilisation immatérielle [Piolle, 2001]. La codification réalisée se structure autour de mémoires, qu’il s’agisse d'une mémoire d’individus ou d'une mémoire d’organisations, qui reposent elles-mêmes sur un assemblage de plusieurs autres mémoires.

L’ensemble peut se construire ainsi autour d’une structure arborescente, comme l’illustre la figure II.10 [Cambier, 2001], avec d’un coté un système de stockage des données (mémoire déclarative ou explicite) et de l’autre un système permettant d’exploiter ces informations (mémoire procédurale ou implicite).

Figure II.10. Les systèmes de mémoire (d’après [Cambier, 2001])

La formalisation de certaines de ces connaissances explicitables participe donc bien à une codification des compétences détenues par l’entreprise. Mais en partie seulement, car cette formalisation ne renseigne effectivement en rien sur la manière dont ces connaissances sont mises en œuvre par les individus dans leurs différentes activités. La compétence se distingue en cela de la connaissance que sa codification ne se résume pas seulement à une description, même détaillée, de connaissances, mais doit également, et surtout, intégrer la description de

"l’aptitude des personnes à mettre en œuvre, au-delà de leurs connaissances propres, les ressources physiques, les savoirs et les savoir-faire constitutifs des connaissances de l’entreprise dans des conditions de travail données : le poste de travail, un rôle bien défini, une mission spécifique" [Gründstein, 2002]. C’est cette "aptitude", plus que les connaissances, qu’il s’agirait de pouvoir codifier.

Sans avoir à détailler ici d’autres approches de formalisation des compétences jusqu’à présent proposées et qui, nous l’avons évoqué, touchent de près les approches existantes de formalisation des connaissances, nous nous rendons rapidement compte de la difficulté à délimiter clairement la notion de compétence, et plus exactement, de la difficulté à intégrer, de manière cohérente, tous les aspects susceptibles de décrire une compétence et pouvant être repris dans la formalisation d’un processus. De ce tour d’horizon rapide des codifications des compétences, nous retenons tout de même que :

- une compétence est une combinaison de ressources qu’il s’agirait de pouvoir décrire et qui incluent des savoirs (ensemble de connaissances généralement acquises lors d’une formation initiale), des savoir-faire (ensemble de méthodes et outils contribuant à la réussite d’une activité) et d’aptitudes (disposition naturelle ou acquise induisant un comportement);

Mémoire à long terme

Mémoire Procédurale

(implicite)

Mémoire Déclarative

(explicite)

Automatismes Habiletés Episodique Sémantique

Marcher …. Souvenirs vécus Savoir écrire,bricoler Concepts

- une compétence est inévitablement liée à une ou plusieurs activités, une compétence ne pouvant a priori être mesurée que dans le cadre d’une activité;

- la compétence est inévitablement liée à l’homme qui en restitue une partie dans le cadre de la réalisation d’une activité;

- une compétence se réfère, au-delà des connaissances qu’elle met en jeu, à la manière dont ces connaissances sont mises en œuvre;

- les compétences d’une même organisation s’établissent selon une certaine hiérarchie, avec un effet démultiplicateur à chaque niveau (individuel vers collectif et collectif vers organisationnel).