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Turbulence et physique statistique hors-´equilibre

1.2 La physique statistique

1.2.3 Turbulence et physique statistique hors-´equilibre

Le succ`es de la physique statistique `a r´eduire un probl`eme poss´edant un grand nombre de degr´es de libert´es `a des probl`emes simples a donc rapidement int´eress´e les physiciens de la turbulence. Les ingr´edients ´etant sensiblement identiques, avec un grand nombre de degr´es de libert´e, des fluctuations microscopiques importantes et une grande sensibilit´e aux conditions initiales, les syst`emes turbulents ressemblent beaucoup aux mod`eles de la th´eorie cin´etique des gaz. Il serait d’ailleurs avantageux de pouvoir oublier les degr´es de libert´e microscopiques de l’´ecoulement pour en d´eduire des comportements globaux pertinents sur la base d’arguments statistiques. Ce point de vue se heurte toutefois au point de vue « m´ecanique » de la turbu-lence, qui aimerait expliquer les diff´erentes structures spatiales instationnaires observ´ees dans les ´ecoulements turbulents, ainsi que leur ´evolution temporelle : tourbillons, couches limites, bouff´ees turbulentes [102,103,104] paraissent difficiles `a d´ecrire d’un point de vue purement thermodynamique.

Au del`a de ces consid´erations m´ecaniques, il peut paraˆıtre d´elicat de d´eriver une m´eca-nique statistique d’un syst`eme soumis a priori `a des interactions non locales (dues au terme de pression, p et au terme d’advection) et qui poss`ede une hi´erarchie dans les ´echelles, qui tombe-rait donc dans la d´efinition des syst`emes interagissant `a longue port´ee. De plus, les syst`emes turbulents sont, contrairement `a un gaz dans une boˆıte ou `a un syst`eme de spins, essentielle-ment hors-´equilibre : sans injection d’´energie, les ´ecouleessentielle-ments turbulents (ferm´es) `a viscosit´e non-nulle d´eclinent jusqu’`a l’´etat d’´equilibre du fluide au repos. Il faut donc a priori effec-tuer une statistique hors de l’´equilibre pour un syst`eme poss´edant des interactions `a longue port´ee pour d´ecrire le cas le plus simple de turbulence, homog`ene et isotrope, poss´edant des propri´et´es statistiques stationnaires. Les ´ecoulements exp´erimentaux ne respectent cependant qu’exceptionnellement tous ces crit`eres, ceux-ci ´etant souvent soit inhomog`enes (c’est le cas de notre ´ecoulement), soit instationnaires (c’est le cas des exp´eriences en d´eclin).

La description statistique des ´ecoulements turbulents doit donc passer tr`es certainement par une approche hors-´equilibre. Celle-ci, qui trouve ses fondements dans les travaux de R. Brown, A. Einstein, M. Smoluchowski, M. Planck et A. Fokker, et notamment sur l’´etude du mouvement Brownien, effectue non plus des moyennes temporelles et spatiales pour obtenir des grandeurs statistiques, mais suppose des moyennes d’ensemble permettant de d´ecrire un comportement moyen de tels syst`emes pour un tr`es grand nombre de r´ealisations ind´epen-dantes. Un tel formalisme permet alors d’introduire des coordonn´ees spatiales et temporelles dans la description de syst`emes poss´edant un faible nombre de degr´es de libert´e, initialement hors de l’´equilibre : une telle description en termes de processus stochastiques, qui seront d´e-taill´ees dans le chapitre 4, va donner des r`egles permettant de d´eterminer la mani`ere dont le syst`eme retourne vers l’´equilibre. Dans ce cadre, nous tenterons d’utiliser de tels outils pour d´ecrire l’´evolution des grandeurs macroscopiques globales de l’´ecoulement, afin de voir si ce dernier, qui est continuellement pouss´e loin de l’´equilibre, poss`ede des grandeurs stationnaires qui respectent ou violent les principes fondamentaux de la physique statistique `a l’´equilibre et hors de l’´equilibre thermodynamique.

Il est ´egalement possible d’effectuer directement une m´ecanique statistique hors ´equilibre du d´etail « microscopique » des ´ecoulements turbulents. En effet, R. Robert et J. Somme-ria [105,106], puis P.-H. Chavanis [107] ont d´evelopp´e au d´ebut des ann´ees 1990 une th´eorie permettant de d´ecrire l’´evolution d’un champ continu de vorticit´e w(x, y) dans les ´ecoulements `

a deux dimensions, dans la limite de viscosit´e et de for¸cage nuls. L’introduction de la m´eca-nique statistique vient alors de l’introduction d’une probabilit´e de r´ealisation de la vorticit´e

1.3. Conclusion 21 locale p(w, x, y) dans la description de la turbulence, plutˆot que de directement regarder la quantit´e w(x, y). Leur th´eorie s’appuie ensuite sur un principe de maximisation de production

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Sm de l’entropie de m´elange Sm, suivant `a la fois les conventions utilis´ees par G.W. Paltridge sur la production d’entropie hors de l’´equilibre, et celles de Shannon pour la d´efinition mˆeme de l’entropie Sm :

Sm= Z

V

p(x, y, w) ln p(x, y, w) (1.31)

Les r´esultats pr´edits par de telles th´eories permettent de pr´evoir un ph´enom`ene bien connu en turbulence `a deux dimensions : la formation de grandes structures, que ce soit en m´et´eorologie (cyclones, tache rouge de Jupiter), dans des exp´eriences en films minces [108, 109], dans les couches de m´etaux liquides forc´es [110] ou en simulation num´erique [111]. Cette th´eorie permet donc de retrouver des structures ch`eres aux m´ecaniciens de la turbulence sur la base d’argu-ments statistiques. Elle trouve aujourd’hui un ´echo dans les activit´es du laboratoire de Saclay, en collaboration avec l’´ecole Centrale de Lyon, sur le plan th´eorique [112, 113,114,115], et visent `a ´etendre les r´esultats obtenus pour deux dimensions au cas des ´ecoulements axisym´e-triques, th´eorie que nous reverrons par la suite. Cette th´eorie a notamment permis d’expliciter des ´etats d’´equilibre des ´ecoulements turbulents axisym´etriques dont la morphologie ressemble `

a celle des ´etats stationnaires exp´erimentaux, et permet donc ainsi de d´eterminer les valeurs statistiques de l’´ecoulement aux grandes ´echelles, toujours sur la base d’arguments statistiques.

1.3 Conclusion

Peu de probl`emes de la physique classique r´esistent autant `a l’examen des physiciens que celui de la turbulence : malgr´e une formulation explicite, contrainte par les ´equations de Navier-Stokes pour les fluides newtoniens, les chercheurs se retrouvent confront´es `a des champs de vitesses impr´evisibles et formant des structures `a toutes les ´echelles, sous la forme de nombreux degr´es de libert´e. Les propri´et´es macroscopiques — accessibles aux exp´erimentateurs — des ´ecoulements pleinement turbulents sont soigneusement « cach´ees » dans la simple formulation de ces ´equations.

La classe des ´ecoulements de von K´arm´an permet dans ces conditions d’obtenir un ´ecou-lement `a tr`es haut nombre de Reynolds dans un dispositif exp´erimental simple et compact. Celle-ci, n´ee des ´etudes portant initialement sur des disques lisses, a vu son int´erˆet grandir as-sez r´ecemment par l’introduction d’un for¸cage inertiel, se traduisant par l’apparition de pales sur les disques. La turbulence stationnaire produite dans le cylindre a plusieurs fois montr´e son int´erˆet, permettant l’observation de structures intermittentes, l’´etude de la s´eparation entre particules et l’alignement de la vorticit´e avec les directions principales de cisaillement, aussi appel´e « vortex stretching », et derni`erement l’observation d’un effet dynamo lorsque le fluide utilis´e est conducteur. C’est cette richesse de l’´ecoulement qui nous a motiv´es `a poursuivre l’´etude de l’´ecoulement de von K´arm´an au sein du laboratoire de Saclay.

Les ´etats stationnaires de l’´ecoulement de von K´arm´an poss`edent `a bien des niveaux des points communs avec les syst`emes thermodynamiques : derri`ere l’apparent d´esordre microsco-pique, les nombreux degr´es de libert´e, et la grande sensibilit´e aux petites perturbations, les grandeurs globales de l’´ecoulement poss`edent des propri´et´es statistiques robustes permettant d’expliciter des ´etats stationnaires hors ´equilibre de l’´ecoulement aux « grandes ´echelles ». Le comportement des grandeurs globales de l’´ecoulement peut ˆetre caract´eris´e par l’utilisation d’outils d´evelopp´es dans le domaine des processus stochastiques et des transitions de phase : l’´ecoulement dans son ensemble se comporte parfois comme une « boˆıte noire » poss´edant un faible nombre de degr´es de libert´e apparents.

Le chapitre 2 va d´efinir les montages exp´erimentaux utilis´es durant cette th`ese, pour in-sister sur les sym´etries fondamentales de l’´ecoulement, les principales grandeurs observ´ees et

22 1. Introduction le principe physique de la mesure de ces grandeurs. Le chapitre 3 va dans un premier temps effectuer un rappel des hypoth`eses `a la base de la formulation des ensembles statistiques pour mettre en lumi`ere les cons´equences d’un ´eventuel non-respect de ces hypoth`eses, puis, dans un deuxi`eme temps, va d´etailler le formalisme des transitions de phase via l’exemple de la transition de phase du mod`ele d’Ising en champ moyen, qui permettra une approche th´eo-rique d’une transition observ´ee exp´erimentalement. Le chapitre4nous donnera quant `a lui un aper¸cu des diverses formulations de la m´ecanique statistique hors de l’´equilibre, pour expliciter ensuite quelques r´esultats dont nous pouvons tester la validit´e dans notre ´ecoulement turbu-lent hors-´equilibre. Le chapitre 5 va ensuite d´ecrire les principaux r´esultats exp´erimentaux obtenus en commande en vitesse grˆace `a l’installation (effectu´ee conjointement avec ´Eric Her-bert) de nouveaux instruments de mesure, les couplem`etres. Ces r´esultats, qui s’appuient sur ceux de Florent Ravelet [65], de Pierre-Philippe Cortet et d’´Eric Herbert [116, 117], tentent de fournir un cadre d’interpr´etation des r´egimes observ´es en exploitant le formalisme et les r´e-sultats de la th´eorie des transitions de phase et de la m´ecanique statistique hors de l’´equilibre thermodynamique. Ces derniers s’accompagnent ´egalement de r´esultats pr´eliminaires concer-nant un entraˆınement fractal de l’´ecoulement de von K´arm´an pour ´etudier l’influence d’une injection d’´energie `a de multiples ´echelles sur l’´ecoulement turbulent. Le chapitre 6 viendra quant `a lui compl´eter les r´esultats de Florent Ravelet et de Louis Mari´e [5,65], pour analyser le comportement observ´e de notre ´ecoulement par l’interm´ediaire de la PIV st´er´eoscopique et des couplem`etres, et `a la lumi`ere des r´esultats fondamentaux concernant l’in´equivalence d’ensemble. Le chapitre7va quant `a lui clore ce m´emoire par la description des r´esultats pr´e-liminaires des exp´eriences effectu´ees dans un ´ecoulement de von K´arm´an superfluide, SHREK, et leur interpr´etation, une nouvelle fois dans le cadre des transitions de phase.

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Chapitre 2

L’exp´erience VK2

Introduction

Les exp´eriences d’´ecoulements de von K´arm´an ne sont pas tout `a fait r´ecentes dans le laboratoire. En effet, ces derni`eres ont ´et´e d´evelopp´ees d`es 1998 afin d’´etudier l’´ecoulement hydrodynamique li´e `a la future construction de l’exp´erience VKS, pour « von K´arm´an so-dium » (d´esormais `a Cadarache). Cette premi`ere version a ´et´e ´etudi´ee par Javier Burguete, avant d’ˆetre confi´ee `a Louis Mari´e qui s’en est servi pour une grande partie de sa th`ese. Ce dernier effectuera un grand nombre d’am´eliorations sur ce qui deviendra l’exp´erience VKE, pour « von K´arm´an eau ». Il s’attaqua ensuite, vers la fin de sa th`ese, `a la construction d’un nouveau dispositif permettant une rotation globale de l’ensemble de l’exp´erience, qui sera ap-pel´e VKR, pour « von K´arm´an en rotation ». Louis participe aussi `a la construction de la premi`ere exp´erience contenant du sodium.

Un nouveau th´esard, Florent Ravelet, arrive en 2002, travaille ´egalement sur l’exp´erience VKS, et planche sur son ´evolution, VKS2. Lorsqu’il soutient sa th`ese, en 2005, deux nouveaux arrivants ont d´ej`a fait leur apparition : Pantxo Diribarne, ainsi que Romain Monchaux. C’est ce dernier qui va cr´eer l’exp´erience aujourd’hui utilis´ee dans cette th`ese, VK2 : elle est en effet construite `a partir de l’exp´erience en rotation, VKR, avec beaucoup de modifications, et certains ´el´ements de l’exp´erience initiale VKE.

Le montage initial, propos´e par Louis Mari´e, a donc bien ´evolu´e, afin de permettre une plus grande vari´et´e de mesures, ainsi qu’une plus grande rigueur au niveau de la construction m´ecanique : un syst`eme d’imagerie a ´et´e mis en place (toujours par Romain Monchaux et Pantxo Diribarne), et des couplem`etres ont ´et´e install´es conjointement avec ´Eric Herbert durant le d´ebut de cette th`ese. Enfin, pour rendre `a C´esar ce qui lui appartient, nous ne pouvons pas omettre le travail acharn´e de Vincent Padilla, qui a usin´e, d´emont´e, remont´e (parfois jusqu’`a la naus´ee), modifi´e et rafistol´e l’exp´erience sans mauvaise volont´e aucune depuis plus de dix ans. Son aide pr´ecieuse et son savoir-faire ont fait du montage ce qu’il est aujourd’hui, et qui fait donc l’objet de ce chapitre.

2.1 Le montage m´ecanique

Bien que la formulation du probl`eme de l’´ecoulement de von K´arm´an soit simple `a com-prendre, le montage exp´erimental actuel (visible sur la figure2.1, ainsi que ses plans de concep-tion, visibles sur la figure2.2) a requis quelques astuces de conception. Nous allons les d´etailler dans cette section.

24 2. L’exp´erience VK2

Figure 2.1 – Photographies de l’exp´erience VK2. `A gauche, d´etail des deux cuves contenant l’´ecoulement : la turbine du bas, les deux boucliers en cuivre et les deux serpentins servant au refroidissement sont bien visibles. Nous apercevons le boˆıtier ´electronique du couplem`etre du haut (bleu) en haut de l’image. `A droite, photographie du montage exp´erimental complet comprenant le syst`eme d’imagerie : les deux cam´eras (tout `a gauche, et tout `a droite de l’image), photographient la cuve sous deux angles distincts. Les deux chˆassis, celui des moteurs (vert et jaune) et celui de l’exp´erience (microcontrˆole gris) sont ´egalement bien visibles.