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Tularémie ganglionnaire sévère au cours d’un traitement par un anticorps monoclonal anti-TNF alpha humain recombinant :

4 CAS CLINIQUES :

2. Tularémie ganglionnaire sévère au cours d’un traitement par un anticorps monoclonal anti-TNF alpha humain recombinant :

Adalimumab (Humira®) [200] :

Un homme de 58 ans consultait pour un placard inflammatoire de la jambe gauche dans un contexte d’altération de l’état général associant hyperthermie, sueurs nocturnes et amaigrissement de 7 kg en 12 jours. Il avait pour principal antécédent une polyarthrite rhumatoïde traitée par méthotrexate depuis plusieurs années, associé à de l’Adalimumab (Humira®) depuis un an. Avant l’instauration du traitement par Adalimumab, une bithérapie par rifampicine et isoniazide avait été administrée pendant six mois en raison d’une intradermo-réaction (IDR) à la tuberculine phlycténulaire et d’images radiologiques pulmonaires interprétées comme séquellaires de tuberculose.

Le patient avait le souvenir d’une morsure de tique sur une jambe, le côté n’étant pas précisé, quelques semaines avant la survenue de ce nouveau tableau clinique. À l’examen clinique, il existait dans la région prétibiale gauche un placard inflammatoire de 10 cm de grand axe, avec une zone centrale nécrotique et croûteuse de 1 cm de diamètre. Une adénopathie inguinale homolatérale peu inflammatoire de 3 cm était constatée.

L’Adalimumab était interrompu et une antibiothérapie par Amoxicilline (6 g/j) était instaurée, remplacée pour cause d’inefficacité au quatrième jour par de la

l’adénopathie persistait sous Ceftriaxone et une seconde adénopathie crurale gauche, était notée.

Une antibiothérapie par Doxycycline à 200 mg/j était instaurée le jour même pour traiter une possible infection d’inoculation par des bactéries intracellulaires. La recherche de mycobactéries sur tubages gastriques trois jours de suite était négative à l’examen direct et en culture. Une cytoponction ganglionnaire montrait un aspect d’adénite nécrotique, sans argument pour un lymphome, avec une recherche de mycobactéries négative à l’examen direct et en culture. Un examen tomodensitométrique thoraco-abdominopelvien confirmait les adénopathies cliniquement palpées, associées à une adénopathie iliofémorale de 3 cm.

L’adénopathie inguinale évoluait défavorablement malgré l’antibiothérapie par doxycycline, augmentant rapidement de taille jusqu’à 12 cm, se ramollissant et se fistulisant à la peau. Une exérèse chirurgicale était alors réalisée. L’analyse histologique révélait une lymphadénite granulomateuse, épithélioïde et gigantocellulaire avec nécrose, évoquant en priorité une infection à mycobactéries, sans argument pour un lymphome (Figure 27). La coloration de Ziehl-Neelsen était négative. Les examens bactériologiques et mycobactériologiques directs et en culture sur milieux solide et liquide restaient négatifs. Les sérologies de Bartonella, Yersinia et Pasteurella étaient négatives. Les sérologies de borréliose de Lyme et de brucellose étaient faiblement positives. La sérologie de tularémie, réalisée par technique d’agglutination, était positive au taux très significatif de 1 sur 1280. Deux techniques de PCR

et Ftul4), réalisées a posteriori sur un bloc du ganglion prélevé inclus en paraffine, étaient fortement positives. Le diagnostic de tularémie secondaire à une morsure de tique était retenu. Le traitement par Doxycycline était poursuivi pendant six semaines. Une guérison complète était obtenue, sans récidive après un an de recul.

L’Adalimumab est un anticorps monoclonal anti-TNF alpha humain recombinant, indiqué dans la polyarthrite rhumatoïde échappant aux traitements de fond conventionnels, en association au Méthotrexate. Le traitement par des anticorps monoclonaux, en raison de l’effet inhibiteur puissant qu’ils exercent sur les fonctions macrophagiques, prédispose à un risque accru d’infections par des germes à multiplication intracellulaire et en particulier le bacille de Koch [201].

L’Adalimumab a pu favoriser l’évolution vers une tularémie ganglionnaire sévère, comme le suggère l’implication du TNF alpha à tous les stades de réponse immunitaire contre Francisella tularensis. La réponse immunitaire intervenant pendant la période d’incubation (trois à cinq jours) se fait exclusivement par les macrophages activés qui phagocytent les bactéries et sécrètent du TNF alpha et de l’interféron (IFN) gamma [202]. Plusieurs observations chez l’animal ont démontré un renforcement de la résistance de l’hôte vis-à-vis de l’infection après administration de TNF alpha recombinant. La neutralisation de cette cytokine par des anticorps ciblés contre le TNF alpha augmente la virulence de Francisella tularensis [203] et réduit la dose létale minimale de l’inoculum [202]. En période d’invasion, les bactéries gagnent les ganglions lymphatiques qui drainent le territoire d’inoculation et s’y multiplient. À ce stade, une réaction immunitaire à médiation cellulaire de type Th1 se produit chez l’hôte, conférant un pouvoir immunogène durable, dans laquelle le TNF alpha joue également un rôle central. Ainsi, chez la souris, l’administration d’anti-TNF alpha pendant les premiers jours de l’infection empêche le déclenchement de cette réponse immunitaire cellulaire contre Francisella

tularensis [204]. À un stade plus avancé, des modèles in vitro objectivent entre

j14 et j35 une élévation des titres de TNF alpha, sécrété par les lymphocytes Th1 spécifiques. Cette augmentation est directement corrélée à l’efficacité de la réponse immunitaire [205]. Il a été démontré in vivo chez la souris que les lymphocytes CD4 et CD8 mémoire contrôlent la prolifération intramacrophagique de Francisella tularensis par la sécrétion de TNF alpha et d’IFN gamma [206, 207]. Histologiquement, cette période est caractérisée par la

ayant phagocyté les bactéries. Le rôle du TNF alpha dans la formation du granulome est essentiel, comme l’atteste sa réduction chez les souris déficientes en TNF alpha [208]. Par ailleurs, il est probable que le Méthotrexate a contribué aussi à diminuer la réponse contre Francisella tularensis car il inhibe l’immunité cellulaire en diminuant la taille et la réactivité des cellules T activées par promotion des mécanismes d’apoptose [209]. Il diminue la production des cytokines inflammatoires, comme TNF alpha, IFN gamma, IL-1, et la capacité d’adhésion et de phagocytose des neutrophiles et des macrophages [210].

En conclusion, l’Adalimumab peut aboutir à des formes ganglionnaires sévères de tularémie qui miment le développement d’adénite granulomateuse au cours d’une tuberculose ganglionnaire (granulome tuberculoïde).