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L’adolescent et le jeune adulte

Chapitre 3 Addictions comportementales

1. Troubles des conduites alimentaires

Les derniers résultats de l’Etude de SanTé sur l’Environnement, la Biosurveillance, l’Activité physique et la Nutrition (ESTEBAN, 2015) montrent qu’en France, l’obésité a tendance à se stabiliser alors que la maigreur a tendance à augmenter chez les filles âgées de 11 à 14 ans.

Les troubles des conduites alimentaires (TCA) se caractérisent par de graves perturbations du comportement alimentaire. Au-delà de l’aspect nutritionnel et physiologique de l’alimentation, ce domaine rentre dans un aspect purement psychopathologique. En somme, l’anorexie et la boulimie sont des pathologies qui surviennent majoritairement durant l’adolescence, toutefois ils existent des formes pré-pubères et tardives qui sont plus rares. Plusieurs auteurs se sont intéressés à comprendre l’origine des troubles des conduites alimentaires et notamment les facteurs de risque pouvant précipiter l’apparition de ce trouble. L’ensemble de la littérature s’accorde sur l’existence d’une vulnérabilité génétique chez les personnes présentant un TCA ainsi que le fait d’être apparentés à des individus avec

TCA. Jeammet (2007) considère que l’origine de ces troubles est multifactorielle mais que les facteurs de vulnérabilité liés à la personnalité sont prédominants, tels que : une héritabilité génétique, un trouble de l’attachement et du développement parfois accentué par des traumatismes et des événements de vie aux conséquences négatives. Certains auteurs mettent en avant également l’existence de désordre alimentaire antérieur (anorexie infantile et surpoids) durant l’enfance, et une vulnérabilité psychique à l’adolescence pouvant expliquer l’apparition de TCA (Battaglia & Gierski, 2014). Concernant les comorbidités associées aux troubles des conduites alimentaires, la littérature met en avant : le fait de présenter une faible estime de soi, un niveau de perfectionnisme élevé, des difficultés d’autonomisation et de gestion de la colère liées à une incapacité à réguler ses affects négatifs. Des éléments familiaux ont également été pris en compte pour tenter d’expliquer le développement des TCA et leur maintien dans le temps. La structure familiale constitue un des repères explicatifs du trouble. Minuchin, Rosman, et Baker (1978) décrivent dans ce sens quatre caractéristiques de structure familiale favorisant et pérennisant les troubles somatiques et alimentaires. La première caractéristique est l’enchevêtrement qui se définit par une intrusion permanente des espaces psychiques et psychoaffectifs. La deuxième caractéristique est la surprotection, c’est-à-dire l’attention excessive accordée au bien être de l’autre. L’absence de résolution de conflit, qui comprend l’évitement des conflits ou le conflit permanent, constitue un des autres critères familiaux concernant l’apparition et le maintien des TCA. Enfin, le dernier critère est la rigidité, qui correspond à une absence de capacité d’adaptation aux modifications internes. La présence de ces critères vont intensifier le sentiment d’appartenance à la structure familiale et vont inhiber les processus d’individuation et de différenciation. La qualité des liens d’attachement constitue également un élément familial expliquant l’apparition des TCA. En reprenant la théorie de l’attachement de Bowlby (1969) et les trois modèles généraux de l’attachement nous trouvons, ici, une autre explication au développement des TCA. C’est dans le type « insecure » que s’inscrivent le développement et le maintien des TCA (as cited in Battaglia & Gierski, 2014). Dans ce contexte-là, les auteurs observent une pauvreté de la qualité des

soins parentaux, un manque d’empathie, une instabilité des comportements émotionnels, un comportement maternel intrusif lié à un manque de protection affective, ainsi qu’une absence de soutien émotionnel.

De manière plus globale et pour rejoindre les modèles déjà utilisés pour expliquer les addictions en général, nous pouvons retenir que le développement de troubles des conduites alimentaires peut s’inscrire dans un modèle dit environnemental, pour rejoindre les modèles familiaux, qui situe la genèse des troubles à l’extérieur des personnes (ici, dysfonctionnement familial par exemple). D’autre part, le modèle dispositionnel définit que ce sont les caractéristiques de l’individu qui déterminent l’apparition d’une conduite addictive avec la présence d’une vulnérabilité innée ou acquise.

Enfin, le modèle transactionnel, multifactoriel et intégratif souligne que le développement de troubles addictifs s’inscrit dans une interaction permanente entre les caractéristiques personnelles de l’individu ainsi que celle de son environnement. C’est dans ce modèle que cette recherche et les questionnements qui en découlent s’inscrivent.

Ainsi, l’utilisation d’une conduite addictive comme stratégie pour faire face à une situation stressante peut à la fois apaiser les tensions et aussi devenir à son tour une source de stress (Boujut & Bruchon- Schweitzer, 2010). Dans leur étude portant sur une population d’étudiants, Boujut et Bruchon- Schweitzer (2010) montrent que les prédicteurs des TCA sont le coping centré sur les émotions, le niveau de l’indice de masse corporelle, l’image du corps et la manière de s’adapter face au stress universitaire. Les classifications internationales s’accordent sur le fait que les TCA ne sont pas secondaires à une autre pathologique. Dans la nouvelle classification du DSM-5 (2013), les TCA sont abordés dans la catégorie « Troubles du comportement alimentaire et autres troubles non spécifiés ». Trois modifications sont apportées depuis le DSM IV: la première concerne le retrait de l’aménorrhée comme critère diagnostique ; la seconde porte sur la fréquence minimale des crises de boulimie identifiées à une fois par semaine ; et enfin, la dernière modification est la reconnaissance de

l’hyperphagie et du binge eating au sein des troubles du comportement alimentaire. Enfin, bien que fréquemment attribué à l’anorexie mentale et à la boulimie, nous verrons qu’il existe d’autres formes de TCA ainsi que des formes subcliniques ne remplissant pas tous les symptômes considérés par les classifications internationales.

1.1 Définitions et caractéristiques cliniques 1.1.1 Anorexie mentale

L’anorexie mentale (anorexia nervosa) se définit par un refus de maintenir le poids corporel à une valeur minimum normale (DSM-5 2013). Pour poser un diagnostic, le sujet doit présenter un ensemble de symptômes tels que : refus de maintenir le poids corporel au niveau ou au-dessus d’un poids minimum normal pour l’âge et pour la taille, peur intense de prendre du poids ou de devenir gros, alors que le poids est inférieur à la normale, altération de la perception du poids ou de la forme de son propre corps (influence excessive du poids ou de la forme corporelle sur l’estime de soi, ou déni de la gravité de la maigreur).

Deux types d’anorexie mentale existent : le premier est le type restrictif qui souligne l’absence de comportement compensatoire pour pallier les crises de boulimies (prise de laxatifs, vomissements provoqués), le sujet présentant une anorexie de type restrictive se restreint de s’alimenter. Au contraire, le sujet présentant une anorexie de type purgatif a recours aux vomissements provoqués et à la prise de purgatifs (laxatifs, diurétiques, lavements).

La survenue du trouble pour être associée à l’interaction de plusieurs facteurs tels que : une séparation, les transformations corporelles, les maltraitances et abus sexuels. L’anorexie se caractérise par trois symptômes saillants (Laségue, 1873), tout d’abord : l’anorexie qui est le symptôme dominant et se caractérise par une restriction alimentaire volontaire pour perdre un excès de poids réel ou imaginaire. S’en suit l’amaigrissement qui donne un aspect cachectique aux corps des patients. Enfin, l’aménorrhée, l’absence de flux menstruel chez une femme qui est liée à une perte de la masse

corporelle et musculaire. D’autres symptômes peuvent accompagner les trois décrits précédemment. Nous relevons, la potomanie qui correspond à un besoin très fréquent, voire permanent, d’intégrer de très grandes quantités de liquide. Le mérycisme fait également partie des autres symptômes, qui se caractérise par la régurgitation puis d’une remastication des aliments qui viennent d’être avalés. Par ailleurs, un déni des troubles constitue l’un des traits majeurs de l’anorexie. Il se caractérise par la négation des troubles et le refus de soins. Ce qui rend la prise en charge difficile. D’autres parts, on relève une perturbation de l’image du corps (dysmorphophobie) (Zanetti, Santonastaso, Sgaravatti, Degortes, & Favaro, 2013), une hyperactivité physique et intellectuelle, un certain perfectionnisme et enfin, la personne souffrant d’anorexie peut tendre vers un ascétisme (Varescon, 2009).

Qu’en est-il des troubles associés à l’anorexie ? Dans l’ensemble les études montrent la prédominance de troubles de l’humeur (dépression, dysthymie) et de troubles anxieux (phobie sociale et trouble obsessionnel compulsif) (Bühren et al., 2014). De plus, une distinction serait faite entre l’anorexie de type purgatif qui présenterait plus de comorbidités psychiatriques, avec notamment présence d’auto- mutilation et d’idéation suicidaire ; et l’anorexie de type restrictif qui présenterait des symptômes de dépression et des signes psychopathologiques moindres (Bühren et al., 2014 ; Varescon, 2009). Par ailleurs, la population masculine est peu représentée dans les études sur les troubles des conduites alimentaires. L’anorexie mentale masculine est plus rare que chez la fille. Chez le garçon, le trouble peut s’installer soit dans une organisation psychopathologique spécifique telle qu’une psychose ou dans la prolongation d’une anorexie installée depuis la petite enfance (Despinoy, 2002 ; Marcelli & Braconnier, 2013). Une récente étude a évalué la fréquence des troubles alimentaires chez les jeunes hommes (Valls, Callahan, Rousseau, & Chabrol, 2014). L’étude portait sur un échantillon de 458 jeunes étudiants d’une université française, dont l’âge moyen était de 21 ans. Les résultats ont montré que 17% des participants présentaient des troubles des comportements alimentaires (dont les troubles cliniques et subcliniques). Aussi, 43% des participants souhaitaient prendre du poids tandis que 30%

d’entre eux souhaitaient en perdre. Les autres résultats de l’étude montraient que les participants présentant des TCA étaient plus susceptibles de rapporter une symptomatologie dépressive.

1.1.2 Boulimie

La boulimie (Bulimia nervosa) se caractérise par des épisodes répétés de crises de boulimie, caractérisée par l’absorption d’une grande quantité de nourriture en un temps limité, et par un sentiment de perte de contrôle sur le comportement alimentaire pendant la crise. De plus, afin de définir un diagnostic de boulimie, d’autres symptômes sont associés tels que : la présence de comportements compensatoires inappropriés et récurrents afin de prévenir une prise de poids éventuelle (prise de purgatifs, activités physiques excessives, jeûne, lavements). De plus, les crises de boulimie et les comportements compensatoires surviennent tous deux au moins deux fois par semaine pendant trois mois. Aussi, l’estime de soi est influencée de manière excessive par le poids et la forme corporelle. Enfin, le trouble ne survient pas exclusivement lors d’épisode d’anorexie mentale. Comme l’anorexie mentale, la boulimie se caractérise en deux type : le premier est de type avec vomissements ou prise de

purgatifs, le second est de type sans vomissements ni prises de purgatifs, dans ce dernier cas, le sujet

a recours à d’autres comportements compensatoires (DSM-5, 2013).

Au niveau des troubles psychopathologiques nous retrouvons dans toutes les études relevées, la présence de troubles anxieux et dépressifs et de manière plus isolé nous soulignons la présence de certains traits de personnalité tels que : l’impulsivité, l’inattention, un trouble déficit de l’attention/hyperactivité (Brown, Haedt-Matt, & Keel, 2011 ; Brownstone et al., 2013 ; Seitz et al., 2013). Aussi, les personnes souffrant de boulimie présentent une mauvaise estime de soi, renforcée par la dépression qui influence les cognitions de manière négative (Varescon, 2009). Par ailleurs, l’étude de Santangelo et al. (2014) met en avant que les personnes atteintes de boulimie présentent une instabilité émotionnelle, similaire aux personnes présentant un trouble de la personnalité borderline, et aux personnes souffrant d’un syndrome de stress post-traumatique.

Enfin, parmi les comorbidités, nous retrouvons également l’abus de substance (Carbaugh & Sias, 2010 ; Keski-Rahkonen et al., 2013 ; Varescon, 2009). La raison de cet abus relève notamment, pour les auteurs, des facteurs communs de la boulimie et des conduites addictives. Enfin, l’image de soi perturbée et une quête extrême de la minceur restent des facteurs de maintien de la maladie.

On peut souligner des aspects communs de l’anorexie et de la boulimie tels qu’une altération de la perception de la forme corporelle et du poids, ainsi qu’une estime de soi influencée par cette perception altérée (Schiltz & Brytek-Matera, 2009). En effet, l’image corporelle est une caractéristique multidimensionnelle, liée à différents facteurs psychologiques comme : l’anxiété d’anticipation, le sentiment d’inefficacité et de dépréciation de soi (Zanetti et al., 2013). D’autre part, dans leur étude, Schiltz et Brytek-Matera (2009) mettent en avant que les personnes souffrant d’anorexie et de boulimie présentent le même fonctionnement défensif, à savoir un fonctionnement relevant de la personnalité limite. Aussi, les auteurs soulignent le fait que les stratégies négatives, telles que : la fuite, les ruminations, la résignation et l’auto-accusation, sont davantage utilisées par les personnes souffrant de TCA plutôt que le groupe contrôle.

1.1.3 Troubles des conduites alimentaires non spécifiés

Dans cette catégorie nous retrouvons d’une part le Binge Eating Disorder (BED : l’hyperphagie boulimique) caractérisé par des épisodes récurrents de crise de boulimie, en l’absence d’un recours régulier aux comportements compensatoires inappropriés (DSM IV-R 2000). En conséquence, les patients souffrent de surpoids ou d’obésité. Contrairement à la boulimie, le comportement alimentaire est mesuré en journée de suralimentation et non en nombre de crises par semaine. Les caractéristiques cliniques du BED sont de plusieurs ordres. Au niveau psychopathologique, le BED génère une forte détresse émotionnelle, de la honte, une distorsion de l’image corporelle, un retentissement sur le fonctionnement psychosocial et une faible estime de soi (Zanetti et al., 2013). De plus, au niveau des troubles associés nous pouvons souligner la survenue de dépression, de trouble de l’alcoolisation, de

consommation de substances, et de troubles anxieux. Par ailleurs, Gianini, White, et Masheb (2013) ont testé les liens entre le « manger pathologique », la régulation des émotions, et l’excès de repas en réponse aux émotions chez les personnes souffrant d’obésité avec hyperphagie boulimique. Les auteurs montrent qu’une absence de clarté des émotions, une difficulté à les reconnaitre et à les exprimer est associée à une suralimentation dans cette population. De plus, cette population connait des niveaux extrêmement élevés d’affects négatifs et présentent des troubles de l’adaptation par les expériences des BED. D’autre part, au sein de cette catégorie, nous retrouvons également le Nigth Eating Syndrom (NES : syndrome d’alimentation nocturne) qui se caractérise par une anorexie matinale, une alimentation nocturne et une insomnie (Varescon, 2009). L’obésité est également l’une des conséquences de ce trouble. Une humeur dépressive, un trouble du sommeil et une faible estime de soi y seraient associés.

De plus, l’étude de Calugi, Dalle Grave, et Marchesini (2009) met en avant que les personnes obèses, souffrant de NES obtenaient des scores significativement élevés de dépression à la Beck Depression

Inventory (BDI) et faisaient état d’un fort impact de leur poids sur leur qualité de vie au niveau de la

santé, la mobilité, la vie sexuelle, les activités de la vie quotidienne, et le rapport à la nourriture. De plus, les crises de boulimie seraient associées à une insatisfaction de l’image corporelle.

1.2 Comorbidités somatiques et anorexie

A notre connaissance, une étude propose d’interroger la présence simultanée de maladies somatiques indépendantes de l’anorexie et l’existence de l’anorexie elle-même. Erdur et al. (2012) ont comparé les patients atteints de maladies somatiques et d’anorexie avec les patients atteints seulement de maladies somatiques. Afin d’évaluer l’impact de la maladie somatique sur l’évolution de l’anorexie, les patients ont été suivis sur du long terme. Dans l’ensemble, les résultats montrent que sur 169 femmes hospitalisées pour anorexie, environ 24% présentaient des comorbidités somatiques. Celles- ci étaient en partie liées à l’anorexie pour environ 8% des participantes tandis que pour environ 15%,

les comorbidités somatiques étaient indépendantes de l’anorexie. Pour les deux sous-groupes, ce sont des maladies internes qui ont été observées. Concernant les comorbidités somatiques liées à l’anorexie, les auteurs relèvent une néphropathie, une insuffisance rénale, une tachycardie, un prolapsus valvulaire mitral et une gastrite alimentaire.

Les patientes anorexiques et présentant une comorbidité somatique étaient plus âgées au moment du traitement, présentaient un début d’anorexie plus tardif et une plus longue période d’hospitalisation. Enfin, la mortalité était significativement plus fréquente chez les patientes hospitalisée avec comorbidités somatiques. La mortalité a été également associée avec des fréquences plus élevées de la toxicomanie.

Cette étude est intéressante dans la démarche de mettre en parallèle l’existence d’anorexie et de comorbidités somatiques et d’évaluer son impact à long terme sur les traitements notamment, mais aussi sur la mortalité. Néanmoins, la méthode utilisée qui porte sur de l’analyse rétrospective à partir de dossiers médicaux comporte des limites.

Par ailleurs, cette étude montre que le cancer ne fait pas partie des maladies somatiques associées à l’anorexie, or, nous verrons, par la suite, que les traitements du cancer peuvent avoir un impact sur la prise alimentaire et sur les sensations nociceptives. Nous questionnerons la présence de troubles des conduites alimentaires dans le champ de l’oncologie.

Nous avons vu que les troubles des conduites alimentaires se développaient au cours de l’adolescence et été inclus dans les nouvelles classifications internationales sous le terme « addiction ». Par la suite nous verrons une autre forme d’addiction sans substance : l’addiction à internet.