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Troisième période : Devenir praticien-chercheur La conversion réflexive à la pratique professionnelle et la difficile distanciation lors d’une

Conclusion du premier chapitre

C HAPITRE 2 I TINÉRAIRE D ’ UNE RECHERCHE COMMANDÉE , IMPLIQUÉE ET SALARIÉE U N TRACEUR DE LA LÉGITIMATION DES

3. Troisième période : Devenir praticien-chercheur La conversion réflexive à la pratique professionnelle et la difficile distanciation lors d’une

participation-observante (début 2017 - avril 2019)

La troisième période de recherche, qui s’étend du début de l’année 2017 à la fin de la finalisation de l’écriture de la thèse, en avril 2019, correspond à une nouvelle étape dans le partenariat entre le chercheur et l’entreprise. Après la fin de la convention de recherche CIFRE, un nouveau contrat lie les parties autour d’activités strictement opérationnelles. Ce changement de statut s’accompagne d’un paradoxe : je n’ai plus formellement dans l’entreprise d’attribution de recherche, mais m’affirme toujours davantage comme chercheur. Si les nouvelles modalités partenariales permettent une observation renouvelée des scènes et coulisses de l’activité des experts en ville durable, utiles à la perspective ethnographique, l’absence de sortie du terrain

transforme l’exercice d’équilibriste dans les dernières étapes de formalisation d’un travail de recherche impliqué. Dans ces conditions, la problématisation d’une question de recherche, l’organisation des données de terrain ainsi que le processus d’écriture constituent les premiers enjeux méthodologiques et scientifiques à expliciter. Nous conclurons sur l’affirmation de choix théoriques, disciplinaires et de épistémologiques quant au positionnement entre recherche urbaine et pratique professionnelle de l’urbanisme.

3.1 : Changement de poste, changement de statut : le praticien-chercheur, un relais utile à la compréhension de l’activité des experts en ville durable

Mon nouveau contrat de travail avec Alpha, de droit commun, ne présentait plus de spécificités relatives à des missions de recherche. J’étais explicitement recruté pour mes compétences de praticien, jugées adéquates (ou en voie de le devenir) avec l’activité d’études et de conseils en ville durable exercée à la DSC. La prise progressive de ce nouveau poste de travail opérationnel, d’abord les premiers jours de chaque semaine, puis une semaine sur deux, transforma considérablement mon rapport au terrain, au commanditaire et au financeur, et à la nature des données collectées sur cette période pour la recherche

Les missions réalisées en tant que praticien sur cette dernière période complétèrent, pour le chercheur, la fenêtre d’observation ouverte jusqu’ici sur les scènes et les coulisses de la fabrique de la ville durable par les ingénieristes dédiés d’Alpha. Comme dans les périodes précédentes, je consacrais une large part de mon temps de travail à la réponse à des appels d’offres d’urbanisme environnemental, et à la collaboration technique et méthodologique avec d’autres équipes d’Alpha dans le cadre de leurs prestations. La nouveauté résidait dans ma participation, seul ou en équipe, à la réalisation de prestations facturées à des clients publics ou privés, dont la durée variait entre quelques jours de travail, à plusieurs mois. Extrait sélectif de missions ponctuelles : une prestation récurrente de conseil pour un industriel francilien dans le secteur de l’eau, au cours de laquelle je devais relever, pour le siège, des informations sur la mise en œuvre d’un plan d’actions de RSE, afin de faciliter le suivi et la communication sur celui-ci. Une autre mission de conseil, dite « stratégique », pour guider un important aménageur francilien sur les possibilités de développement d’une agriculture de proximité sur son territoire d’intervention ; la mission devait alimenter la rédaction d’une candidature pour un Programme Investissements d’Avenir (PIA). En raison de ma spécialisation progressive de praticien autour des études d’urbanisme, et afin de renforcer celle-ci, je négociai d’intervenir toujours davantage sur des missions d’AMO Développement Durable de projets urbains dans différents contextes (renouvellement urbain, extension urbaine) et stades d’avancement. Je devins ainsi la cheville ouvrière pour plusieurs prestations de diagnostic territorial, élaboration de charte d’objectifs et de stratégie environnementale, dans le cadre d’une labellisation ÉcoQuartier ou d’autres méthodologies standardisées de conduite de projet. Enfin, je diversifiai mes interventions en dehors de l’urbanisme opérationnel, vers la planification territoriale environnementaliste, au cours de missions d’intégration des aspects énergie-climat dans les documents de planification urbaine (Plan Local d’urbanisme Intercommunal, PLUI). Pour ces diverses missions, outre la rédaction des rapports et livrables constitutifs du back-office, j’assumais de façon croissante

certaines fonctions de front-office : échanges avec les clients, animation de réunions avec des partenaires, etc. En marge de ces fonctions commerciales et productives, je tentais de participer aux tâches de développement de la DSC ou du pôle « Projet urbain » auquel j’étais rattaché : rédaction de note de positionnement sur un sujet jugé d’importance (santé en ville, ville intelligente, etc.), participation à diverses réunions, montage de partenariats, etc.

Une partie de ces expériences vécues en tant que praticien continua de fait à alimenter la collecte d’informations du chercheur, pour compléter la mosaïque de données déjà existantes. Un nouveau carnet de terrain électronique, tenu le plus souvent hors du lieu de travail, permit de consigner certaines scènes ou coulisses de l’activité vécues au cours de la semaine, réflexions sur la problématisation de la thèse à partir des informations, ou encore sur le statut et le contexte de mon implication dans cette période de l’enquête. À mesure que s’accroissait la diversité des missions, de mes responsabilités et de mon autonomie, ce nouveau poste me permit de découvrir et de consigner, à la marge et de façon sélective, d’autres aspects de l’activité, invisibles jusqu’ici même en observation-participante.

3.2 : Statut de l’enquête et processus de problématisation et d’écriture de la recherche : d’une impossible distanciation entre recherche et activité professionnelle à une conciliation

Ces notes et leur analyse complètent ainsi le dispositif de connaissance sur l’objet d’étude et l’objectivation du rôle tenu par l’enquêteur. Au vu du rôle toujours plus assumé de praticien lors des interactions liées au poste opérationnel, mais aussi de la réflexivité croissante au cours et après ces expériences de travail, les catégories d’observation-participante, de participation- observante et même le statut d’enquêteur paraissent bien indistinctes et peu opératoires. Cette situation donne lieu à des difficultés méthodologiques particulières pour le chercheur : problématiser et écrire sa recherche.

3.2.1 : Problématiser les résultats d’une enquête embarquée sans sortir du terrain : mission impossible ?

Dans la dernière période de recherche, le premier enjeu méthodologique à surmonter concernait la gestion du volume de données accumulées au fil des années. Le tri et l’organisation des informations pour mener la démonstration sont des passages obligés dans toute recherche, et ces opérations conduisent nécessairement à des sacrifices : plutôt que de tenter de donner à voir la réalité, exercice impossible, il faut accepter de choisir et d’ordonner les traces qui rendront compte de fragments de cette réalité, rendus intelligibles par le chercheur (Ouvrard, 2016). Dans une enquête ethnographique, après l’engagement, le processus de distanciation doit contribuer à ces opérations (Cefaï, 2003). Dans mon cas, ce douloureux mais nécessaire processus était rendu plus complexe par le fait que je ne suis pas sorti du terrain. Continuant de participer régulièrement aux scènes et coulisses des activités qui informent l’objet d’étude, je pouvais continuer à produire des données nouvelles, qu’il aurait été possible d'analyser, trier, classer et problématiser sans fin, à l'image du remplissage d’un puit sans fond.

Outre la production de nouvelles données, à laquelle je pensais pouvoir m’astreindre en cessant de tenir un carnet de terrain en 2018, la présence ininterrompue du chercheur sur le terrain transforme son interprétation du matériau accumulé jusqu’alors. Les mêmes faits et gestes observés prennent un sens différent à mesure qu’il décrypte plus précisément le monde social dans lequel ils s’inscrivent. Le chercheur embarqué peut ainsi également vivre une expérience digne de celle de Sisyphe : chaque jour problématiser les résultats de sa recherche à partir d’une interprétation, et devoir recommencer le lendemain, à mesure qu’un nouvel élément de connaissance lui apparaît. Enfin, la présence ininterrompue sur le terrain génère les risques déjà évoqués de conversion du chercheur aux catégories indigènes. Le sentiment d’embourbement dans ce rapport aux données fut le plus saillant en 2017, lorsque l’organisation du temps de travail prévoyait une présence hebdomadaire, en début de semaine, dans l’entreprise. Pour pallier cela, j’aménageai progressivement ma temporalité de travail salarié une semaine sur deux, et bénéficiai sur l’ensemble de la période d’une série de congés de plusieurs mois (non- consécutifs) pour me ménager un climat propice à la distanciation et la problématisation.

3.2.2 : Processus d’écriture de recherche et statut salarié et embarqué : peut-on (et doit-on) tout dire d’un terrain ?

Les modalités d’écriture de la thèse constituent le deuxième enjeu méthodologique d’importance sur la dernière période. Dans mon cas, le processus d’écriture fut pris en tension entre des enjeux relatifs à la confidentialité des informations recueillies, l’impératif de restitution aux acteurs, et la perspective professionnelle de poursuite de carrière en tant que praticien, dans l’entreprise et le milieu professionnel enquêté. Concernant la nature des phénomènes observés au cours de l’enquête, une grande prudence s’imposait. Le « droit à l’enquête » en sciences sociales n’a en effet rien d’une évidence : il peut même conduire, dans certaines situations, à de véritables conflits judiciarisés entre le commanditaire, le terrain ou financeur et le chercheur (Laurens, Neyrat et Boe, 2010). Mon implication dans les activités de

l’Association des Doctorants CIFRE en Sciences Humaines et Sociales (ADCIFRE SHS22)

m’avait permis de constater que de tels cas n’étaient pas rares dans les contextes de collaborations doctorales en CIFRE, la subordination juridique du statut salarié ayant de puissant effets (Perrin-Joly, 2010). L’actualité législative au moment de la rédaction de la thèse renforçait encore les problématiques de protection du « secret des affaires » des entreprises françaises, non sans créer des interrogations et critiques dans le milieu de la recherche en SHS,

sur la possibilité de mener des enquêtes dans ces conditions23. Enfin, l’incohérence entre les

dispositions contenues dans mes contrats de travail successifs et la convention CIFRE ne

22 Voir https://adcifreshs.wordpress.com/ (page consultée le 14.08.2018).

23 Les débats et controverses autour de la proposition de loi portant « sur la protection des savoir-faire et des

informations commerciales non divulgués (secrets d'affaires) contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites », étudiée à l’Assemblée nationale le 27 mars 2018, ont mis en visibilité la tension entre « liberté d’information » d’un côté, et « protection des informations » de l’autre. Autour du premier principe s’est fédéré un mouvement regroupant, entre autres, journalistes, organisations non-gouvernementales et chercheurs. Voir par exemple une tribune sur Médiapart (https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/200318/la-loi- sur-le-secret-des-affaires-est-un-danger-pour-nos-libertes-fondamentales, lien consulté le 14.08.2018) et une émission sur France Culture ( https://www.franceculture.fr/emissions/la-bulle-economique/secret-des-affaires- pourquoi-la-future-loi-inquiete, page consultée le 14.08.2018).

permettait pas de régler le dilemme d’un point de vue juridique24. Décidé à ne pas me censurer dans la problématisation et l’écriture des résultats, soutenu en ce sens par mon directeur de thèse, nous convenions avec l’entreprise du principe d’anonymisation pour gérer cette tension. Par ailleurs, mettant à profit une ficelle du métier de chercheur (Becker, 2002), je mis en place des jets d’écriture et relectures successifs afin de tester, d’ajuster et de préciser le registre acceptable vis-à-vis des contraintes académiques et professionnelles.

Un dernier facteur contribua au dénouement des tensions liées à l’écriture : l’inadéquation entre la temporalité de l’organisation, et celle de la recherche. Après avoir subi, dans la première période de recherche, la soumission du chercheur à la temporalité de court terme de l’entreprise, le mouvement s’inversa progressivement. Le départ et remplacement progressif des managers, tuteurs et collègues au cours des cinq ans de collaboration joua enfin en la faveur du chercheur. D’une part, l’absence de tuteur et les attentes limitées vis-à-vis du mémoire final ont circonscrit de fait les ingérences possibles dans le processus d’écriture, et les éventuelles demandes de censure. D’autre part, cette temporalité longue permit de dépasser les peurs réciproques du début et de mieux appréhender les enjeux de confidentialité et de rayonnement de l’entreprise, ce qui contribua à établir un climat de confiance accru entre les partenaires pour la finalisation de la rédaction. Ceci se concrétisa notamment par des présentations régulières de l’avancée de ma rédaction et des échanges sur la problématique scientifique, entre janvier et février 2019. En mars 2019, un nouveau changement organisationnel dans l’équipe d’experts transforma de nouveau ces conditions et le degré de confiance entre les partenaires de la recherche. Demeurant l’un des derniers salariés à avoir connu l’organisation depuis 2013, et le seul à avoir suivi le processus de recherche, je disposais de moyens d’actions accrus pour cerner les limites des phénomènes à décrire ou à taire. Ce témoignage montre qu’une stratégie de recherche ethnographique peut être déployée malgré – ou grâce à – l’inadéquation de la temporalité des modes de financement de la recherche partenariale (comme la CIFRE) avec celle propre à la mise en place d’une telle enquête. Cette stratégie repose ici sur l’acceptation voire la quête, de la part du chercheur, d’un devenir professionnel de praticien-chercheur aux côtés des professionnels de l’entreprise enquêtée, au-delà de la présente recherche.

3.3 : Théorisation et choix épistémologiques : des instruments d’émancipation et d’affirmation du chercheur

Jusqu’ici, les enjeux méthodologiques de la recherche concernaient essentiellement le positionnement du doctorant (praticien salarié ou enquêteur) vis-à-vis des injonctions portées par le commanditaire, l’employeur ou le terrain. Pour autant, l’exercice d’équilibrisme face à ces enjeux procède également de la tension, voire des contradictions, entre ces premières injonctions et celles portées par le milieu académique, dans le cadre de la réalisation du

24 D’un côté, une clause type obligeant d’un côté le salarié à « porter la discrétion la plus absolue sur tout ce qui

a trait à l’activité de la Société (…) dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions » ; de l’autre, une convention type du CNRS qui régule le périmètre de la recherche et précise l’obligation de publication scientifique et notamment celle du mémoire de thèse, sans que l’entreprise ne puisse s’y opposer.

doctorat. Les tribulations de positionnements théorique et épistémologique de la thèse renseignent sur ces tensions et leur progressive résolution.

3.3.1 : La socialisation au milieu académique et la mise en œuvre de recherches collaboratives : démarches de connaissance et d’affirmation du chercheur

D’abord nettement immergé et acculturé au milieu professionnel étudié, j’équilibrai progressivement cette socialisation en me rapprochant de la communauté doctorale et académique. En écho à la démarche d’enquête, je construisis progressivement un parcours de légitimation de ma posture dans le milieu académique, rythmé par les différents rites de passage : organisation de colloque et de séminaires de recherche, réalisation de communications et d’articles, pratique de l’enseignement. Ces expériences ont façonné la présente recherche à différents titres. La socialisation progressive aux exigences académiques permit la construction de stratégies argumentatives vis-à-vis de l’employeur ou des salariés de l’entreprise. Mon affirmation progressive en tant que chercheur, sommé de prouver la scientificité de ma recherche ou l’intérêt des SHS en entreprise, fut un atout considérable dans l’enrôlement des

managers, au cours de la stratégie de changement de terrain, d’externe vers interne25. Plus

globalement, la socialisation scientifique, notamment au cours du colloque de l’ADCIFRE

SHS26 en 2015, contribua nettement au tournant ethnographique et à la prise de conscience de

la nécessité d’une démarche réflexive. Ensuite, la rencontre en 2014 de Nicolas Bataille, doctorant en études urbaines réalisant une recherche dans des conditions très similaires aux miennes, conduisit à une intense expérience de recherche collaborative : échanges informels autour de nos terrains de thèse, communications et publications scientifiques à deux voix, partage d’enseignement puis fondation d’un collectif de jeunes chercheurs autour de l’ingénierie, le Groupe de Recherche sur l’Ingénierie en Aménagement et Urbanisme

(GRINGAU)27. Les activités de ce collectif de recherche, impliquant régulièrement une dizaine

de doctorants puis des chercheurs confirmés, entre 2016 et 2018, permirent de présenter des résultats intermédiaires, de croiser des pistes de recherche, recommandations de lecture, d’exposer des données de terrain et de contribuer aux débats sur la définition des notions d’ingénierie et d’ingénieurs. La thèse actuelle est ainsi redevable de ces échanges et collaborations diverses.

25 En octobre 2016, ayant préalablement enrôlé le directeur de thèse, j’organisai une réunion tripartite, pour jeter

les bases d’une stratégie argumentative pour expliquer à la tutrice l’impasse actuelle de la thèse avec le terrain externe, la nécessité de réorienter formellement le terrain en interne, et d’utiliser les outils de la démarche ethnographique. Une note du carnet de terrain restitue cette stratégie : « Je note pour moi-même les objectifs que je compte atteindre lors de la réunion tripartite cet après-midi (que mon directeur de thèse m’a conseillé d’enregistrer) : (…) valider l’utilisation des matériaux que j’ai choisis (observation participante, observation ethnographique) ; prouver à la tutrice que je suis bien engagé dans la dernière phase de la thèse, et que je pourrai rédiger très prochainement (…) ; prouver la scientificité de la démarche de SHS et d’observation de pratiques professionnelles ; donner suffisamment d’informations à la tutrice sur le contenu de ma démonstration sans pour autant la perdre dans la partie théorique » [Carnet de terrain, 26.10.2016]

26 Je participai en tant que co-organisateur, membre du comité scientifique et animateur de table ronde au colloque

« La recherche en funambule : établir une approche critique tout en étant engagé par et dans son terrain. Le cas des thèses CIFRE en sciences humaines et sociales », Université Rennes 2, 03-04/09/2015, organisé par l’Association des Doctorants CIFRE en Sciences Humaines et Sociales (ADCIFRE SHS).

3.3.2 : Du braconnage conceptuel à la construction d’un positionnement théorique circonstancié à l’enquête : la trajectoire d’affirmation d’un (jeune) chercheur

À l’instar de nombreux chercheurs français, j’ai au fur et à mesure de ma socialisation académique intériorisé l’enjeu d’inscrire mon travail dans les champs de savoirs universitaires existants ; et si possible, de répondre à l’exigence la plus élevée en cette matière, à savoir contribuer à ce débat de façon originale. Selon une certaine tradition sociologique, la distanciation du chercheur, par ses catégories d’analyse liées à des ancrages théoriques solidement assumés, des catégories de la pratique des acteurs – suspectées de « polluer » le chercheur dans une certaine mesure – serait un gage de la valeur scientifique de la thèse. Howard Becker a bien relevé dans ses conseils aux impétrants chercheurs ce que cette injonction à la « pureté théorique », symbolisée par le travail bibliographique, produit parfois d’inhibition voire de terreur chez les jeunes chercheurs (Becker, 2004). Il conseille au contraire de se servir de la littérature scientifique sans se laisser asservir (Becker, 2004, p.156), c’est-à-dire de braconner les concepts et notions à mesure de l’usage dont le chercheur peut avoir réellement besoin, notamment vis-à-vis de la singularité de son matériau et de la contingence de ses conditions de recherche, sans s’assujettir aux d’exigences d’affiliation théorique et conceptuelle à tout prix. Au fil de ma recherche, je me retrouvai donc à affronter le défi méthodologique de rechercher et trouver le bon positionnement théorique dans lequel inscrire mon parcours de recherche. Dans mon cas, l’appareillage théorique et conceptuel devait, dans la première période de recherche, permettre de rendre compte des fameuses ambiguïtés : le projet de recherche initial pointait la sociologie des réseaux comme approche susceptible de travailler les « points de passage obligé » que constituent les cahiers des charges des appels d’offres, et la sociologie des épreuves pour travailler les critiques et justifications des différents acteurs de la « chaîne de traduction » du développement durable dans la commande publique. Après le tournant ethnographique et malgré les changements induits en termes de posture de recherche, de matériau et de problématisation possibles, le directeur de thèse maintint dans nos échanges