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Diplômes, trajectoires et profils des experts en durabilité : une transformation des compétences dans la société d’ingénierie

Conclusion du quatrième chapitre

C HAPITRE 5 L ES EXPERTS AU CŒUR DE TRANSFORMATIONS NÉGOCIÉES DU TERRITOIRE D ’ ACTIVITÉS D ’ UNE SOCIÉTÉ

1. Diplômes, trajectoires et profils des experts en durabilité : une transformation des compétences dans la société d’ingénierie

Nous avons vu dans le chapitre 3 comment les rhétoriques des Présidence vis-à-vis de la DIV/DSC lui attribuent une fonction de transformation de l’image des expertises détenues dans l’entreprise. Dans le chapitre 4, nous avons présenté comment la DIV réinterprète, renouvelle ou fait émerger, grâce au mot d’ordre de durabilité, des expertises qui alimentent et se différencient des pratiques professionnelles de l’ingénierie traditionnelle. Une hypothèse

commune se dessine derrière ces situations. Alpha serait une « boîte d’ingénieurs »2, d’où la

trace permanente des savoirs et compétences détenus par ce groupe vis-à-vis de la durabilité, comme en témoigne l’importance de l’ingénierie environnementale. En se diversifiant vis-à-vis de ces profils, la DIV disposerait des moyens humains pour réaliser la transformation souhaitée de l’entreprise, notamment vers le conseil. L’enquête a permis d’interroger cette représentation, en analysant les représentations des politiques de recrutement, les formations de certains professionnels et leurs parcours d’entrée et de sortie dans l’entreprise. Si ces éléments ne peuvent rendre compte ici des dynamiques d’apprentissage « sur le tas », et donc les

mécanismes d’acquisition de savoirs informels pourtant essentiels aux pratiques d’ingénierie3,

ils permettent toutefois d’objectiver certains traits saillants de l’image des expertises qu’Alpha revendique détenir, et vouloir transformer, au travers de ses experts en durabilité. En quoi les diplômes et les trajectoires d’entrée et de sortie dans l’entreprise du groupe d’experts et les

autres professionnels de l’entreprise se distinguent-ils ? Lesquelles de ces caractéristiques

peuvent expliquer la différence de compétences et de posture entre les différents groupes ?

2 Le terme revient à de nombreuses reprises au cours de l’enquête dans des moments informels, de la part de

professionnels en dehors des métiers traditionnels.

1.1 : Alpha, une « boîte d’ingénieurs » ?

La méthode employée ici consiste à croiser une analyse des CV des ingénieristes et des experts avec des éléments issus des entretiens et de l’observation. Le corpus des CV analysés

concerne les profils de 48 cadres présents dans quatre équipes à Alpha4. Une mise en perspective

est réalisée avec certaines caractéristiques du profil de 45 managers et experts qui n’ont pas été

analysés extensivement5. Les principales caractéristiques et résultats de l’analyse du corpus de

CV sont présentées dans le tableau de synthèse ci-après, que la présente section s’attachera à expliquer et rendre vivants, notamment au travers de la mise en récit de parcours professionnels fictifs.

4 Notre matériau principal est constitué des CV élaborés par les professionnels eux-mêmes, et déposés dans une

base de données interne à laquelle nous avons eu accès en janvier 2018. Cette base de données comprend toutefois des CV de professionnels ayant déjà quitté l’entreprise à cette date. Les échantillons ont été constitués sur la base des CV disponibles : ils ne reflètent donc pas fidèlement le contour (nombre, profils) des professionnels présents à la date de collecte. Les postes occupés par les professionnels correspondent au statut d’« ingénieur » (0 à 5 ans d’expérience en moyenne) et de « chef de projet » (5 à 10 ans d’expérience) : ces profils sont directement concernés par la production des prestations et par l’activité commerciale de réponse aux appels d’offres. Les professionnels des équipes À et B appartiennent à deux agences multi-métiers (ingénierie et études techniques) de deux régions distinctes, tandis que le dernier échantillon (C) porte sur une équipe spécialisée sur l’hydraulique fluviale, exerçant depuis le siège d’Alpha en région francilienne sur l’ensemble du territoire national.

L’effectif de chaque échantillon ne permet pas une analyse statistique – ni même quantitative – robuste. Nous analysons les tendances de ces échantillons de façon qualitative, au regard d’autres données de l’enquête. Nos résultats mériteront d’être interrogés à l’aune d’enquêtes futures portant sur des échantillons plus vastes.

5 Le terme d’« expert » fait ici référence à l’une des trois voies de carrière possible à Alpha, distinguée de la

« direction de projet », et de la « direction d’un centre de profit », c’est-à-dire aux fonctions des « managers ». Nous avons ici assimilé ces deux profils en raison de leur expérience importante. Selon une chargée de recrutement, la voie de l’expertise « nécessite de travailler sur des sujets techniques bien précis pendant une dizaine d'années. On peut devenir expert électro mécanique, expert pompage, expert génie civil, expert hydrogéologie. » [Entretien, Anaëlle, Chargée de recrutement DRH, 2016]

Tableau 4. Synthèse du corpus d’analyse des Curriculum Vitæ (CV) à Alpha

1.1.1 : Une vue d’ensemble : cadres et non-cadres à Alpha

L’analyse des corpus des CV des métiers traditionnels (ingénierie de maîtrise d’œuvre et d’études techniques, ingénierie et études hydrauliques) fait d’abord ressortir une proportion variable de professionnels titulaires au moins d’un diplôme bac+5, lié à une spécialisation technique (génie civil, hydraulique, aménagement du territoire). Comme l’indique le tableau suivant, cette proportion dépasse toujours la moitié des effectifs (Agence À), jusqu’à constituer la totalité de l’effectif (équipe hydraulique).

Bagage scolaire /

formation initiale Genre

Spécialisation "métier" dominante et secondaire Trajectoires typiques de recrutement Récit de parcours professionnel Corpus A : Agence A (N = 7) + Très faiblement féminisé Corpus B : Agence B ( N = 13) + Paritaire H/F Corpus C : Equipe Hydraulique Fluviale (N = 8) ++ Fortement féminisée Spécialisation AMO études hydraulique et

hydrologie et études réglementaires

- recrutement d'ingénieurs d'études juniors diplômés

d'écoles d'ingénieurs spécialisées après stages recherche/pro à l'étranger Annabelle V, 29 ans, cheffe de projet d'études hydraulique Corpus D : Equipe développement durable (DIV/DSC) (N = 20) +++ Paritaire H/F

"Ville et territoires durables", (environnement, énergie,

déchets, aménagement, biodiversité...) "Innovation", "conseil" et

"prospective" Uniquement AMO (Conseil,

Etudes amont)

- Recrutement consultant junior diplômé de grande école après

stages - Recrutement profils expérimentés passé par l'international et/ou bureaux de

conseil concurrents - Jules H, 26 ans, consultant junior en durabilité - Juliette M, responsable de pôle aménagement urbain durable Corpus P : Managers et Experts (N = 45) ++ Très faiblement féminisé

Ingénierie de maîtrise d'œuvre et d'études techniques (VRD,

hydraulique urbaine, études réglementaires d'aménagement)

- recrutement d'ingénieurs d'études juniors diplômés

d'écoles d'ingénieurs spécialisées après stages pro.

- recrutement profils expérimentés (exploitation, BET

concurrents)

/

George K., 34 ans, chef de projet VRD

Tableau 5. Analyse des formations initiales des échantillons des métiers traditionnels d’ingénierie à Alpha

Cette proportion peut être comprise comme un reflet des pratiques dominantes de recrutement et d’évolution de carrière dans Alpha. La comptabilité des ressources humaines de l’entreprise distingue les salariés ayant ou non le statut de cadre. L’activité exercée dans l’entreprise (production des prestations, encadrement managérial, travail commercial) se traduit par la présence d’une majorité de cadres, appuyés par des techniciens :

« C'est beaucoup quand même [hésitations] par rapport au Groupe, par rapport à la composition banale d'une entreprise, 60 % de cadres, c'est énorme. Mais effectivement ce n'est pas une boîte de consulting comme Euro RSCG, je ne sais pas, où tu n'as que des Bac+5. On a 40 % de techniciens. » [Entretien, Anaëlle, Chargée de recrutement, 2016]

Ces techniciens semblent surtout être présents dans les équipes exerçant une activité de maîtrise d’œuvre. La méthode de collecte de notre corpus, basée sur la comptabilité des cadres, a exclu les techniciens de l’effectif. Mais l’entretien avec la chargée de recrutement permet d’estimer leur profil. Dotés d’un bagage scolaire inférieur aux ingénieurs (bac professionnel, BTS, IUT ou Licence professionnelle), les techniciens d’étude, projeteurs et dessinateurs travaillent sous la responsabilité des ingénieurs d’étude. Dans le cadre des schémas directeur

Spécialisation "métier" dominante et secondaire Proportion et nombre de diplômes d'ingénieur ou de formation universitaire équivalente sur le total

Exemples de diplômes d'ingénieur ou de formation universitaire équivalente (en italique : diplôme de "grande école" )

Corpus A : Agence A (N = 7) Plus de la moitié (4 diplômes Bac +5 / 7 membres)

° 1 ingénieur ENGEES de Strasbourg (Spécialité : Gestion durable de l’eau en milieu urbain) ° 1 ingénieur Génie Civil École Nationale Supérieure des Arts et Industries de Strasbourg (spécialité hydraulique),

° 1 ingénieur Génie Civil INSA Strasbourg (spécialité : aménagement du territoire) ° 1 diplôme Faculté des Sciences de Nice, (Spécialité : Maîtrise des Sciences de la Terre)

Corpus B: Agence B ( N = 13)

Environ deux tiers

(8 diplômes Bac+5 / 13 membres)

° 3 ingénieurs de l'Ecole Nationale Supérieure de l’Eau, de l’Energie et de l’Environnement (Ense3) (Grenoble INP)

(Spécialité : Hydraulique Ouvrages et Environnement)

° 2 ingénieurs de Polytech Montpellier (spécialité : génie de l'eau)

° 1 ingénieur Polytech’Orléans (Spécialité : Génie Civil – Aménagement du territoire)

° 1 Ingénieur Ecole Centrale de Paris

° 1 Maîtrise de Sciences et Techniques « Traitement des Eaux » Université de Limoges

Corpus C: Equipe Hydraulique Fluviale (N = 8) Ingénierie spécialisation hydraulique (études hydraulique et hydrologie, études réglementaires) Totalité (8 diplômes Bac+5 /8 membres)

° 1 Ingénieur - INP Grenoble

(Spécialité : Hydraulique, Ouvrage, environnement) ° 1 Ingénieur AgroParisTech – Paris

(spécialité : gestion de l’Environnement, de l’Eau et de l’Aménagement du Territoire) ° 1 Master Espaces, Dynamique des milieux et Risques à l’Université Paris Est Créteil (UPEC)

° 1 Ingénieur École Nationale Supérieure d’Agronomie et des Industries Alimentaires (ENSAIA)

Spécialité : Protection des cultures

° 1 diplômé Université Paul Sabatier - Toulouse

Master 2 Recherche H2SE, Hydrologie, Hydrochimie, Sol et Environnement ° 1 Ingénieur en Hydraulique et Mécanique des Fluides - ENSEEIHT

(Ecole Nationale Supérieure d’Electronique Electrotechnique Informatique Hydraulique et Télécommunication Toulouse)

Spécialité : Eau et Environnement ° 1 ingénieur Polytech Montpellier Spécialité : Sciences et Technologies de l’Eau °1 Ingénieur - Polytech’Nice Sophia Antipolis Spécialité : Génie de l’Eau

Ingénierie de maîtrise d'œuvre et d'études techniques (VRD, hydraulique urbaine, études réglementaires d'aménagement)

lors des études préliminaires, les techniciens d’étude sont chargés de la collecte de données, des visites de terrain pour établir le diagnostic. Les dessinateurs et projeteurs dessinent les pièces graphiques (plans, métrés, etc.) que conçoivent les ingénieurs d’étude. Ils peuvent cependant évoluer vers une prise d’autonomie sur le plan technique :

« Soit sur la partie dessin, ils deviennent projeteurs contrôleurs avant, c'est-à-dire qu'ils sont en mesure de pouvoir avoir une valeur ajoutée sur la conception, ils ne sont pas les exécutants. Les ingénieurs au départ leur disent :’‘Voilà le plan, je le fais à la main. Tu le traduis sur Autocad ou sur Covadis’’. Quand ils deviennent projeteurs contrôleurs, ils ont une certaine autonomie, ils peuvent réaliser tout ou partie du plan eux-mêmes en se disant ‘‘Sur ce stockage, il nous faut tel…’’, bref […]. » [Entretien, Anaëlle, Chargée de recrutement, 2016]

Dans notre corpus, il semble que les professionnels n’ayant pas de diplôme initial de niveau Master (Bac+5) correspondent à des profils d’anciens dessinateurs et techniciens ayant évolué progressivement vers des responsabilités commerciales et gestionnaire (rédaction de DCE, suivi d'affaires), ce que sanctionne l’atteinte du statut de « chargé d’affaires ». Le point d’orgue de cette trajectoire ascendante pour les techniciens est l’atteinte du statut de cadre, qui valide une équivalence avec le niveau d’études Bac+5, pour des personnes le plus souvent recrutées à Bac+2 (Niveau IUT/BTS) ou +3 (niveau Licence). Si cette trajectoire concerne globalement peu de personnes dans l’entreprise, elle est nettement plus fréquente dans les équipes des agences À (3 professionnels sur 7) et B (4 sur 13), que dans celle dédiée aux études hydrauliques, où cette trajectoire n’apparaît pas dans les échantillons. On peut faire l’hypothèse que cette trajectoire est plus fréquente dans les agences d’ingénierie de maîtrise d’œuvre en raison de la valorisation des profils expérimentés mais peu diplômé initialement, dont la valeur tient à une expérience préalable dans les métiers de l’exploitation et les entreprises de travaux. Cette trajectoire d’ascension par l’expérience est aussi rare chez les 45 managers et experts, puisque seulement trois d’entre eux sont titulaires d’un diplôme initial inférieur à Bac+5 ; l’un d’eux reprendra d’ailleurs plus tard ses études pour obtenir un diplôme d’ingénieur.

1.1.2 : Deux profils types dans les métiers traditionnels d’Alpha : le « jeune diplômé » et l’« autodidacte »

L’analyse des diplômes dans les trois corpus (À, B, C) des équipes traditionnelles fait apparaître deux profils dominants. Un premier apparaît davantage représenté : il s’agit de la petite majorité de professionnels disposant d’un bagage scolaire correspondant au niveau Bac+5, avec un diplôme d’ingénieur décerné par des écoles polytechniques généralistes en région, et plus rarement, d’une formation technique supérieure universitaire. Souvent jeunes (23 à 28 ans), ils correspondent à un profil de « jeunes diplômés » ; diplômes dont la nature et la valeur sont globalement homogènes. Les écoles polytechniques de Grenoble, Montpellier et Strasbourg sont les plus représentées ; seule une personne dans l’agence B dispose d’un diplôme d’ingénieur d’une très grande école (Centrale Paris). L’équipe hydraulique (corpus C) se singularise par une possession de diplôme d’ingénieurs plus spécialisés sur cette thématique, et un plus haut niveau moyen de diplôme. Ceci s’incarne notamment avec le profil d’un géographe

formé à l’Université et qui poursuit son cursus par un doctorat en hydro-morphologie ; ainsi que par la possession d’un second diplôme, par plus de la moitié des professionnels de l’équipe, globalement dans la continuité disciplinaire du premier. Plusieurs profils suggèrent une acculturation forte à la recherche (1 doctorant et trois Master 2 recherche, des publications dans des revues scientifiques). Le second profil, plus minoritaire, correspond à un bagage scolaire initial moins élevé, et une trajectoire que l’on peut qualifier d’« autodidacte », en raison de la primauté de l’expérience sur le diplôme. Dans l’agence À, trois professionnels disposent ainsi d’une License professionnelle en protection de l’environnement spécialisée sur la gestion des eaux ; tandis que dans l’agence B, un quart des professionnels sont titulaires d'un diplôme au niveau maximum de licence (BTS travaux publics et génie civil, licence professionnelle Eau). Leur présence dans l’échantillon d’ingénieurs et de chefs de projet suggère que ces individus ont obtenu le statut de cadre à partir non de leur diplôme initial, mais grâce à leur expérience acquise dans l’entreprise ou au cours d’une carrière préalable en dehors.

Le corpus P, basé sur un échantillon de managers et d’experts, donne à voir des tendances similaires. Seulement 15% de ces professionnels expérimentés possèdent un diplôme des plus grandes écoles d’ingénieurs françaises ou suisse, parmi lesquelles celui des Mines (Paris, Nancy), et de l’École Centrale (surtout Paris). Les trois quarts de l’échantillon possède un diplôme d’ingénieur, ou plus minoritairement, de formations supérieures techniques à l’Université. Les diplômes les plus représentés sont décernés par l’École Spéciale des Travaux Publics (E.S.T.P.) à Cachan, l’École Nationale du Génie de l'Eau et de l'Environnement (E.N.G.E.E.S.) à Strasbourg, l’Institut National des Sciences Appliquées (I.N.S.À.) en région. Malgré l’âge moyen de l’échantillon d’experts et de manager, sensiblement supérieur à celui des autres équipes, ces trois diplômes se retrouvent fortement auprès des équipes À, B et C : on peut supposer que ces écoles constituent sur le temps long un vivier de profils adéquats avec les besoins de l’ingénierie en aménagement et construction. Les options ou spécialités les plus fréquentes ceux du génie civil énergétique ou hydraulique, de l’environnement et du traitement des déchets. On observe aussi quelques diplômes plus rares, en géophysique, topographie ou architecture par exemple. Un cinquième environ des managers sont titulaires d’un second diplôme, le plus souvent dans une spécialité complémentaire d’ingénierie, et plus rarement d’école de commerce ou de doctorat.

Concernant l’ensemble de l’échantillon des métiers traditionnels (À, B, C), la trajectoire d’entrée dans l’entreprise la plus courante peut expliquer l’importance des profils de « jeunes diplômés », disposant souvent de moins de trois ans d’expérience professionnelle. Le schéma le plus répandu est le suivant : le jeune professionnel réalise un ou plusieurs stages professionnels au cours de ses études (à Bac+5 ou +2/+3), en France comme à l’étranger (pays anglo-saxons ou Europe du Nord), dans le domaine de son futur métier (maîtrise d’œuvre, hydraulique, etc.), réalise son stage de fin d’année (six mois généralement) à Alpha ou d’autres filiales du Groupe, puis est titularisé en CDI (plus rarement en CDD). Pour un nombre important de professionnels, une première expérience d’un an ou deux dans des bureaux d’études concurrents est relevée. Quel que soit le niveau de diplôme, dans l’agence À la majorité des diplômes ont été décernés dans la région d’exercice de l’équipe, tandis que c’est seulement le cas d’un quart environ des diplômes dans l’agence B. On peut supposer que ce relatif ancrage

territorial des diplômés reflète une stratégie d’entrée dans le métier liée à la valorisation du capital social et professionnel (réseau) acquis pendant les études.

S’agissant des professionnels dont la fonction est de produire ou de piloter la production des prestations (ingénieur d’étude, chef de projet), leur profil correspond à la politique de recrutement décrite en entretien. Celle-ci s’établit selon un axe de spécialisation professionnelle, qui semble varier en fonction du métier exercé (maîtrise d’œuvre, études hydrauliques, études amont) et de la localisation géographique :

« On va recruter dans les trois écoles hydrauliciennes : ENSE3, ENGEES, ENSEEIHT. Après, tu as aussi Polytech Nice-Sophia Antipolis, Polytech Montpellier qui sont des écoles bien, qui sont très compétentes sur la partie hydraulique. » [Entretien, Anaëlle, Chargée de recrutement, 2016]

En effet, le recrutement est très nettement orienté vers la possession d’un diplôme de Bac+5 d’ingénieur, ou plus rarement, d’une formation supérieure technique universitaire. Les diplômes d’ingénieurs sont majoritaires dans l’échantillon de nos différents corpus, bien qu’en proportion variable selon les équipes. Dans les agences opérationnelles À et B, les profils de « jeunes diplômés » côtoient plus fréquemment que dans l’agence hydraulique des professionnels dont le profil est celui de l’« autodidacte ». À l’opposé de l’important capital scolaire du groupe dominant, seuls deux professionnels ne disposent que d’un diplôme de niveau BTS maximum. Si les trajectoires ascendantes d’« autodidacte » avec un faible bagage universitaire sont possibles, elles semblent donc demeurer marginales. Dans l’agence À où s’exercent de multiples spécialités, l’expérience préalable dans des bureaux d’études en bâtiment, en exploitation (eau potable, assainissement), ou dans les services techniques de collectivité est la norme, pour les profils juniors comme plus expérimentés. Pour toutes les équipes des métiers traditionnels, une expérience préalable marquée dans le domaine public (syndicat technique, concessionnaire, collectivité, ministères, ingénierie publique) est très rare. Pour tous les profils également, la formation professionnelle continue vient compléter ce bagage scolaire et assurer

la mise à jour des savoirs et compétences une fois la formation initiale terminée6.

1.1.3 : Deux logiques en tension : recruter des spécialistes et des généralistes Ces différentes données sur le recrutement, le profil et la trajectoire des professionnels des métiers traditionnels prennent un sens particulier lorsqu’on les replace vis-à-vis des impératifs liés à l’activité d’ingénierie. La politique de recrutement et les profils existants semblent ainsi être le produit de deux logiques en tension : le recrutement de spécialistes et celui de généralistes.

6 Globalement, quasiment tous les ingénieristes des quatre corpus (métiers traditionnels À, B, C et

managers/experts P) reçoivent des formations au cours de leur parcours. Ces formations techniques ou juridiques sont le plus souvent orientées « métier » : elles concernent alors l'usage d'outils de modélisation ou de géomatique, les règles relatives aux marchés publics, ou les démarches de gestion de projet. Plus rarement, ces formations donnent lieu à des certifications professionnelles, comme par exemple le Certificat d'aptitude à travailler en espaces confinés dans le domaine de l'eau potable et de l'assainissement (CATEC), obtenu par plusieurs professionnels. Il semble que les profils suivent d'autant plus ces formations professionnelles que leur bagage universitaire initial est peu élevé (licence professionnelle, DUT, BTS).

La logique de spécialisation apparaît nettement avec les intitulés des spécialités de chaque diplôme, et la trajectoire de profils moins dotés en diplôme mais ayant une expérience préalable dans le même métier ou secteur, comme les entreprises de construction pour les maîtres

d’œuvre7. Cette logique offre des garanties d’opérationnalité pour l’entreprise, comme l’indique

notre enquêtée : « On a toujours besoin sur nos projets de gens qui sont hyper opérationnels tout de suite, c'est ce qui prime sur tous nos recrutements » [Entretien, Anaëlle, Chargée de recrutement, 2016]. Cette opérationnalité signifie que les recrutés prendront rapidement leur poste en conformité avec les impératifs industriels et marchands de l’activité. Ainsi, les trajectoires d’entrée dans le métier des plus jeunes (stages, notamment dans le Groupe) comme l’expérience préalable dans d’autres bureaux d’études concurrents fonctionnent comme autant de garanties d’employabilité pour ces professionnels. Le caractère de « spécialiste » semble qualifier le profil de jeunes professionnels formés à des sous champ-techniques particuliers de l’ingénierie en construction et aménagement, comme le génie civil, l’hydraulique, la mécanique. La valeur de la spécialisation des jeunes diplômés aux yeux de l’entreprise semble accompagner la réputation de certaines écoles d’ingénieur, dont la qualité de l’enseignement de certaines sous-spécialités d’ingénierie apparaît évidente aux yeux des recruteurs. Ainsi, la surreprésentation des écoles formant au génie civil (E.N.T.P.) et à l’hydraulique (E.N.G.E.E.S.

Strasbourg)8 apparaissent comme autant de garanties de compétences et de savoirs formels

estimés acquis par les jeunes diplômés. Plus globalement, la logique de spécialisation des profils traduit le besoin d’Alpha de maintenir et de développer les compétences pointues,