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Troisième partie : analyse du discours télévisuel à propos du cerveau et

L’analyse sera menée de manière à vérifier les deux hypothèses de recherche présentées en introduction. Dans un premier chapitre, on envisagera l’hypothèse de la confrontation d’acteurs institutionnels. On traitera ensuite dans un deuxième chapitre l’hypothèse de la rationalité scientifique comme matrice culturelle. Un dernier chapitre constituera la conclusion générale de cette recherche. Il fera apparaître les apports et les limites de la démarche, envisagera les prolongements possibles de ce travail, et tentera d’en tirer les conséquences théoriques.

8. Iconographie

Les images ont été délibérément intégrées au texte, et non reportées en annexes comme c’est parfois le cas. Leur présence est abondante, surtout dans la partie correspondant à l’analyse du corpus. La plupart du temps, elles représentent des séquences extraites des émissions du corpus et ont été numérisées à l’Inathèque de France. Elles relèvent du droit de citation au même titre que n’importe quelle citation extraite d’un texte. Disposées horizontalement suivant le sens de lecture gauche -- > droite, et généralement accompagnées d’un relevé de leur bande son, elles ne rendent bien sûr qu’imparfaitement compte des séquences vidéo dont elles sont extraites : si le mouvement s’en absente, le lecteur aura au moins accès à une représentation des plans les plus significatifs. Le choix d’une impression en noir et blanc, ainsi que celui d’un format réduit relève de contraintes techniques : étant donné leur nombre important, ces images transforment l’impression de chaque exemplaire de cette thèse en une opération au long cours nécessitant de nombreuses heures d’attente dans un face à face tendu avec l’imprimante. Loin d’avoir une fonction simplement illustrative, l’ambition est qu’elles s’intègrent pleinement à la logique argumentative de l’ensemble de ce travail. C’est pourquoi leur présence n’est pas moins légitime que celle des citations proposées ou des arguments avancés.

PREMIERE PARTIE

Cadre théorique

La sémiotique pour structurer l’analyse du discours télévisuel à propos de

science

CHAPITRE I

LA SEMIOTIQUE DE CHARLES S. PEIRCE : DUNE PHILOSOPHIE

DE LA CONNAISSANCE A UNE THEORIE DE LA

COMMUNICATION

1. Pourquoi présenter la sémiotique ?

Un rapport récent de la 71e section du CNU (CNU 71e section — Bilan 1996, p. 16) rappelle que les sciences de l’information et de la communication constituent un champ « résolument interdisciplinaire ». Il continue en précisant que « les méthodes mises en œuvre par les études qui en relèvent peuvent être diverses mais chaque étude doit reposer sur une (des) méthodologie (s) bien identifiée (s) ». En effet, le domaine étant varié, les entrées possibles nombreuses, les concepts de communication ou d’information prendront un sens extrêmement différent en fonction des disciplines d’origine ou de l’ensemble des postulats (quand il ne s’agit pas de présupposés) qui organisent toute activité intellectuelle. Le conseil donné par ce rapport (définir ses méthodes) est donc particulièrement avisé, et il conviendrait même d’aller plus loin en définissant préalablement et le plus précisément possible les orientations philosophiques et théoriques qui fondent les recherches inscrites dans cette interdiscipline. Pour utiliser une expression aujourd’hui quelque peu passée de mode : avant de parler il convient de dire d’où l’on parle. On fait donc ici notre l’affirmation de Karl R. Popper (1978, p. 18) selon laquelle « Toute connaissance — y compris nos observations — est imprégnée de théorie ». Cette affirmation du caractère éminemment déductif de toute connaissance pouvant être étendue à l’ensemble des activités de recherche, on la supposera valide même dans le cas de la revue de la littérature qui consiste en une observation

raisonnée de théories dans le but d’élaborer une problématique. C’est dans cette optique que la revue de la littérature est ici précédée d’un chapitre exposant la théorie qui a « imprégné » l’ensemble des réflexions et des observations de cette thèse.

La recherche en communication proposée porte certes sur un type particulier de discours (le discours télévisuel à propos de science), mais elle repose aussi sur un point de vue théorique qui organise ses hypothèses, à savoir le point de vue sémiotique. C’est pour cette raison qu’elle s’ouvre sur une réflexion sur les fondements philosophiques de la sémiotique et sur une présentation de la théorie de Charles S. Peirce, l’un de ses fondateurs. On tentera de montrer que cette théorie et les concepts philosophiques qui s’y rattachent constituent un apport majeur aux théories de la communication. Le travail de Peirce se situant de plus aux frontières de l’épistémologie et la sémiotique, l’étude de cet auteur se révèle intéressante pour aborder le discours sur la rationalité mais aussi le discours télévisuel à propos de science.

Considérée comme un monument de la pensée nord-américaine, parfois même qualifiée de « prodigieuse cathédrale » (Chateau, 1997), la théorie sémiotique de Charles S. Peirce a subit de multiples exégèses ou critiques de la part d’auteurs comme Umberto Eco (1970 ; 1972 ; 1980 ; 1992), Roman Jackobson (1973), Émile Benveniste (1974), René Thom (1974), Gérard Deledalle (1978 ; 1979 ; 1994), Éliseo Véron (1980 ; 1987), le Groupe µ (1992), ou Nicole Everaert- Desmedt (1990 ; 1994) pour ne citer que les plus connus. Comme tout temple de la connaissance, l’œuvre de Peirce a en effet suscité un large réseau d’interprètes. Mais qu’on ne craigne pas ici une revue complète de la littérature peircienne : l’ambition de ce chapitre, plus modeste, sera concentrée sur deux objectifs. Tout d’abord, il s’agit de tenter une présentation claire et synthétique de cette théorie considérée parfois comme obscure, contradictoire et d’un accès difficile. En soi, cet exercice d’écriture est déjà délicat : l’œuvre peircienne nécessite en effet une

reconstruction et une reproblématisation de tous les instants de par les conditions dans lesquelles elle nous est parvenue (les « Collected Papers » de l’édition américaine sont un recueil de fragments, Peirce n’ayant jamais finalisé son travail). Ensuite, l’enjeu est de faire apparaître en quoi cette théorie pourrait constituer l’un des socles philosophiques possibles pour les sciences de l’information et de la communication. Le déploiement contemporain de la pensée de Peirce à travers le champ de la théorie de la discursivité élaboré par Véron sera ensuite envisagé, en particulier dans sa complémentarité avec le projet de « l’archéologie du savoir » de Foucault.

2. Les limites à la compréhension contemporaine de Peirce

Tout acte de connaissance reposant sur la compréhension de ses propres limites, il convient de présenter clairement ce qui pose problème aujourd’hui lorsqu’on s’attaque au « monument » sémiotique. Chercher à interpréter Peirce impose en effet une attitude extrêmement modeste. Tout d’abord, un retour aux textes originaux serait nécessaire, bien que ces fragments, résultat d’une accumulation de notes non publiées 6, constituent parfois une source de difficultés même

pour des anglophones. Peirce avait par exemple pris l’habitude d’introduire des structures de phrases inspirées de la syntaxe germanique ou latine. Il utilisait ainsi la double négation ou de la double comparaison, comme le signale une de ses traductrices, Berthe Fouchier-Axelsen (Peirce, 1987, p. 8), sans doute sous l’influence de la lecture d’Aristote et de Kant dont il déclare connaître presque par cœur « La Critique » (Peirce, 1987, p. 34). Les nombreux néologismes utilisés par Peirce ont aussi contribué à forger à cet auteur une réputation d’écrivain illisible. Loin de constituer une coquetterie d’auteur ou une quelconque fascination nominaliste, cette utilisation de

6 On n’adoptera pas ici la convention bibliographique habituelle pour citer les écrits de Charles S. Peirce en référence

aux « Collected papers ». Cette dernière impose généralement un premier chiffre indiquant le volume, suivi d’un second chiffre indiquant le paragraphe, avec parfois des références au texte anglais suivies des références à sa traduction française. Des notations du genre « Anglais : 5.484 ; Français : 133-134 » semblent inutile pour qui ne dispose pas du texte anglais, sont difficiles à lire, et confèrent à toute critique de Charles S. Peirce un aspect quelque peu biblique. Les notes feront donc références exclusivement à l’édition française des Ecrits sur le signe de 1978 et à l’édition 1987 des Textes fondamentaux de sémiotique.

néologismes résultait en réalité d’une très stricte « morale terminologique » qui préconisait, entre autre (Peirce, 1978, p. 66), de

considérer comme nécessaire d’introduire de nouveaux systèmes d’expression quand de nouveaux liens importants entre les conceptions viennent à être établis ou quand ces systèmes peuvent, en quelque façon, servir positivement les fins de la recherche philosophique.

Ensuite, cette théorie a pour origine le contexte intellectuel nord américain entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, et pour être parfaitement comprise elle nécessiterait une analyse des discussions ou controverses dans lesquelles elle s’inscrit : par exemple l’ensemble des échanges avec Lady Welby que Peirce considère comme la cofondatrice de la sémiotique, ou encore une lecture attentive du mouvement philosophique pragmatiste que Peirce fonde avec son ami William James (Tiercelin, 1993, p. 27). Il faudrait aussi avoir une parfaite connaissance du champ des recherches en psychologie, discipline que Peirce affectionnait particulièrement et au sein de laquelle il fut particulièrement actif (Tiercelin, 1993, p. 32 à 37). De plus, Peirce était avant tout un scientifique (mathématicien, astronome, chimiste et physicien), et certains auteurs ont pu montrer les rapports étroits entre ses conceptions sémiotiques et son travail de recherche en sciences expérimentales (Bour, 1995). Et plus encore, il faudrait se transformer en logicien pour percevoir certains des fondements de la sémiotique, et comme le propose Gérard Deledalle (1994, p. 51 à 66) ou James Gasser (1994, p. 67 à 83), appréhender cet auteur à travers Aristote, Kant et les développements de la logique au XIXe siècle. Lire correctement la théorie peircienne, afin de prétendre en comprendre pleinement les enjeux, demanderait donc la reconstitution du réseau intense des débats existant il y a un siècle au sein d’un vaste ensemble disciplinaire à cheval entre sciences expérimentales et sciences humaines.

Mais en dehors de ce véritable défi que représente la lecture de Peirce, il importerait surtout de problématiser cette approche par des mises en relation aussi bien historiques que culturelles. Véron (1987) a ainsi présenté une mise en perspective de la sémiotique avec des travaux européens proches (Frege) ou au contraire en opposition (la linguistique saussurienne). Avec Habermas

(1991), on pourrait aussi aborder le versant épistémologique de la pensée peircienne, et la relier à l’héritage du positivisme comtien. Lire les scolastiques serait de plus nécessaire pour compléter les liens historiques, tant ces derniers furent une source d’inspiration importante pour Peirce. On ne pourrait alors qu’être à la fois fasciné et déstabilisé par cet auteur, dont l’œuvre est parfois considérée comme le dernier encyclopédisme du siècle.

Enfin, c’est à un état d’esprit particulier qu’il faut accepter de s’ouvrir pour appréhender cette œuvre. Voici par exemple ce que retient la philosophe Claudine Tiercelin (1993, p. 8) de la fréquentation de la pensée peircienne, et qui constitue un parfait préambule à son exposé :

Si l’on veut faire de la philosophie, il faut accepter de s’inscrire dans l’ordre des « raisons » (cf. 1.126). Est-ce à dire dans l’ordre de la « Raison », des certitudes absolues, fondationnelles ou dogmatiques ? Tout au contraire : on doit admettre le faillible, l’incertain, le vague, en un mot, accepter d’ouvrir sa pensée au laboratoire, lieu où chacun sait que les croyances les plus solides peuvent, du jour au lendemain, être remises en cause. Le style peircien en matière de connaissance est tout entier là : parier sur l’intelligence de chacun, sans compromission aucune, et lui demander de se mettre au travail, prêt à tout moment à jeter par-dessus bord ses croyances, s’il vient à découvrir, au contact de l’expérience et de la communauté du savoir, qu’elles sont fausses.

3. Une pensée des relations comme philosophie de la

connaissance

L’examen de quelques-unes des positions de la philosophie peircienne est un préalable nécessaire. On ne saurait en effet séparer la sémiotique d’une réflexion sur ce qui la fonde sans quoi son usage risque de se réduire à l’application d’une terminologie désincarnée et vidée de sa puissance théorique comme le signale Chateau (1997, p. 46).

Dès 1867, dans un article intitulé « D’une nouvelle liste de catégories » (Peirce, 1987, p. 21 à 41), Peirce pose les fondements de sa pensée, fondements qui structureront durablement la sémiotique. S’exprimant à travers un vocabulaire et des catégories difficiles à appréhender simplement aujourd’hui, Peirce y élabore une réflexion sur l’être et la substance pour répondre à un type de questionnement fondamental en philosophie : comment une connaissance synthétique est-elle

possible ? Comment réduire la diversité de nos impressions sensibles à l’unité ? Pour Peirce, disciple de Kant (Peirce, 1987 ; Tiercelin, 1993, p. 9), il s’agit donc de reposer certaines questions à propos de l’acte de connaissance même. Avant d’être une théorie de la signification, la sémiotique est en effet une philosophie de la connaissance.

Dans cet article, Peirce montre que construire une connaissance revient à formuler une proposition, ce qui revient à attribuer un prédicat à un sujet, c’est-à-dire à relier entre elles deux conceptions. Il écrit (Peirce, 1987, p. 22) : « L’unité à laquelle l’entendement réduit les impressions est l’unité d’une proposition. Cette unité est constituée par la liaison du prédicat et du sujet […]. La conception de l’être n’a donc aucun contenu en soi ». Connaître, ce n’est donc pas toucher du doigt l’hypothétique nature profonde du réel, mais cela revient à s’exprimer en termes de relations. Pour bien montrer le non sens que constituent les approches ontologiques, Peirce (1987, p. 22) compare les deux propositions suivantes : « le griffon n’est pas » et « le griffon est un quadrupède ailé ». Il est clair que le sens du verbe être est différent dans les deux cas : il renvoie au réel dans le premier cas, alors qu’il exprime une possibilité (ce que le griffon serait), dans le second cas. On reconnaîtra dans cette approche le raisonnement qui caractérise la sophistique dont Barbara Cassin (1993, p. 31) écrit :

Au lieu de l’ontologie, qui n’est plus qu’une possibilité discursive parmi d’autres, purement et simplement auto-légitimée, le sophiste propose dans ses « performances » (epideixeis) quelque chose comme une « logique », pour reprendre un terme de Novalis, où l’être, pour autant qu’il est, n’est jamais qu’un effet de dire.

A travers Peirce, c’est donc une nouvelle fois la remise en cause de l’ontologie qui sert de point de départ à une philosophie de la connaissance ancrée dans le langage comme représentation du réel. Les catégories que Peirce sera amené à proposer ensuite seront donc toutes basées sur une pensée des relations à l’œuvre au sein de la représentation.

Quittant le domaine de la métaphysique pour aborder des questions plus précises de méthode, Peirce publie ensuite en 1868 « De quelques conséquences de quatre incapacités », article qui est une remise en cause de la forme cartésienne du raisonnement ontologique. Fortement opposé à

Descartes, il récuse tout d’abord la méthode du doute universel qui ne lui semble pas applicable (Peirce, 1987, p. 68) :

Nous ne pouvons commencer par douter de tout. Nous devons commencer avec tous les préjugés que nous avons réellement lorsque nous abordons l’étude de la philosophie. Ce n’est pas par une maxime que nous pouvons nous défaire de ces préjugés, car ils sont d’une nature telle qu’il ne nous vient pas à l’esprit de pouvoir les mettre en doute. Ce scepticisme initial sera donc une pure illusion, et non le doute réel […].

Il n’est pas non plus question pour lui de s’abriter derrière l’illusion d’une réponse par le cogito pour fonder la sémiotique. Pour Peirce, l’esprit humain ne dispose d’aucun pouvoir d’introspection qui pourrait lui assurer la validité de ses connaissances. Il rejette en particulier toute notion d’intuition fondatrice (le cogito), comme origine ou prémisse de l’ensemble de nos connaissances. Il explique en particulier (Peirce, 1987, p. 44) que « nous ne pouvons pas toujours distinguer intuitivement une intuition d’une connaissance déterminée par une autre connaissance » Plus loin (Peirce, 1987, p 44 à 45) il affirme :

Rien ne prouve que nous soyons doués de cette faculté mais nous en avons le sentiment. Ce témoignage, toutefois, se fonde entièrement sur la supposition selon laquelle nous avons le pouvoir de distinguer dans ce sentiment si un sentiment donné est le résultat de l’éducation, d’associations passées, etc., ou s’il s’agit d’une connaissance intuitive. En d’autres termes, enfin, il se fonde sur la présupposition de cela même dont il veut témoigner.

Enfin, l’argument du cogito fait dériver la connaissance scientifique d’une prémisse individuelle, privée, ce qui est tout à fait injustifiable pour Peirce selon qui la science est avant tout l’exercice public de la raison. Les certitudes scientifiques, dans la mesure où elles sont possibles, ne peuvent résulter que d’un accord et d’une conviction partagée au sein de la communauté des chercheurs (Peirce, 1987, p. 68 et p. 99). Là encore, c’est la relation, prise ici au sens sociologique du terme, qui fonde la vérité d’une connaissance. Cette relation s’inscrit de plus dans le temps historique, la répétition des expériences et la correction des erreurs de jugement étant la garantie du savoir. Il écrit ainsi (Peirce, 1987, p. 99) :

Le réel, donc, est ce à quoi, tôt ou tard, l’information et le raisonnement aboutiraient finalement, et qui par conséquent est indépendant de mes fantaisies et des vôtres. Ainsi l’origine même de la conception de la réalité montre que cette conception implique essentiellement la notion d’une COMMUNAUTE, sans limite définie et capable d’une croissance indéfinie de connaissances.

On notera ici le caractère relativement utopique conféré par Peirce à la communauté et à ses capacités d’apprentissage liées finalement à la communication. Cette utopie n’est-elle pas justement une des caractéristiques de toute pensée de la communication ?

4. De la connaissance à la pensée comme signe

La sémiotique actuelle, en tant que théorie de la signification, peut (très schématiquement) recevoir deux acceptions. L’une est plutôt centrée sur le sujet pensant dans ses rapports avec les signes, ce qui la rapproche de disciplines récentes comme les sciences cognitives. L’autre, plus proche d’une conception sociologique, examine les modes de circulation des discours au sein des cultures ainsi que leur contexte historique. Ces deux dimensions d’analyse sont généralement présentes à des degrés divers dans les travaux d’inspiration sémiotique. Or ces deux dimensions de la sémiotique consistent, pour qui les met en œuvre, à penser sur la pensée des autres, que ces derniers soient considérés comme sujets ou comme communautés. Du point de vue d’une pensée du sujet, l’enjeu pour Peirce est à l’origine méthodologique autant que théorique : comment, par un processus d’abstraction inférer des règles qui soient vraies de tous les processus de signification en n’ayant pour tout outil, finalement, que sa propre pensée ? Du point de vue de sa dimension sociologique, la posture sémiotique, pour l’envisager d’un point de vue quelque peu métaphorique, n’est pas sans rappeler cet ancien art divinatoire qui consistait à obtenir des réponses à ses interrogations en observant des présages : vols d’oiseaux, entrailles d’animaux, paroles de la pythie renseignaient alors les hommes sur leur destinée. Penser une société à travers ses signes pour en déduire ce qui la structure ou la fait évoluer est l’ambition de toute sémiotique sociologique. Le fantasme à combattre serait alors celui qui consisterait à inférer les règles de l’organisation sociale à partir de la structure d’un corpus de signes, alors que ceux-ci ont été arrachés pour l’analyse à leurs contextes d’usage, à leurs pratiques, aux inventions dont ils sont la source. C’est cependant bien à partir d’un tel artefact qu’il s’agit de comprendre le fonctionnement

social. Mais, pour comprendre il faut préalablement décrire. Or décrire des signes revient bien à les identifier comme tels, à les interpréter, à les réécrire, à mettre en jeu des catégories de jugement (on revient alors à une problématique du sujet), et donc à ne jamais pouvoir prétendre en décrire quelque chose qui leur serait totalement propre.

Conformément au refus peircien de l’ontologie, toute perspective visant à décrire l’« essence », la nature propre d’un signe ou d’un acte de communication est donc à proscrire. Pour fonder la sémiotique tout en la pensant dans le cadre de sa philosophie de la connaissance, Peirce a envisagé