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Chapitre 2 : Cadre théorique

2.1 La théorie historico-culturelle de l’activité

2.1.3 Troisième génération

C’est à Engeström que nous devons la 3e génération de la théorie de l’activité. Lektorsky (2009) soutient que malgré le fait qu’il se base sur les idées principales de Vygotsky (1978) et qu’il s’inspire des postulats de Leont’ev, Engeström propose des idées essentiellement originales : nouvelle conception de l’activité, nouvelle compréhension de ses structures et idées pouvant être utilisées pour résoudre de nouveaux problèmes. À l’instar de Leont’ev, pour Engeström, l’activité est d’abord un processus collectif.

Engeström (1987) a tenté d'explorer les dimensions de l'activité, dans le but de donner un sens plus large à la théorie de l’activité. Il a créé une représentation complexe et systémique de l'activité collective qui apporte les aspects de production, de distribution, d’échange et de consommation. Les éléments importants qu’il propose sont également la division du

travail, la communauté, les règles et l’objet (Figure 6). Par cette représentation de l’activité, qu’il considère comme l’unité minimale d’analyse, il délimite plus clairement les niveaux sociétal et collectif du processus d’apprentissage (Kagawa & Moro, 2009). Cette représentation lui permet également d’analyser les relations systémiques et dynamiques d’un système d’activité.

Figure 6 : Structure d’un système d’activité humain (adaptation d’Engeström, 2001, p.135)

S’appuyant sur la collectivité comme caractéristique principale de l’activité, Engeström propose un nouveau modèle d’activité qui non seulement inclut la médiation par les outils, mais qui devrait être « interpréter comme le reflet de points de vue, de traditions et d’intérêts multiples ainsi que d’interactions entre participants » (Traduction libre, Lektorsky, 2009, p.79).

Ce modèle permet l'analyse de relations au sein du triangle lui-même :

Un premier sous-triangle est celui créé par le sujet, les outils et l'objet. C’est celui de la production. Engeström (1999) souligne que, selon la perspective marxiste, il n'y a pas d'activités sans la composante de production dans un système. Les actions individuelles sont également souvent en tension avec l'activité totale du système. Le sous-triangle de production crée les objets en fonction d'un certain but, d'un certain besoin. Le produit est créé par la communauté selon la division du travail. Il est échangé entre les individus en fonction des règles établies dans cette communauté. Ultimement, il va satisfaire un besoin individuel et être consommé. Selon cette perspective marxiste, la production est le point de départ et la consommation l'étape finale de la circulation de l'objet au sein du système d'activité. (Barma, 2008b, p.159)

Engeström, à l’instar de Shchedrovistky (1995), interprète ainsi l’activité collective comme un système, mais il soutient que ce système doit être mis en relation avec minimalement un autre système d’activité. « Dans ce cadre, au minimum deux systèmes d’activité, à la culture et aux traditions radicalement différentes, interagissent sur la base d’un objet partagé. Il s’agit non pas de considérer l’évolution d’un système ou de l’autre […], mais de prendre en compte cette diversité pour étudier les situations de dialogue, de perspectives et de positions multiples, ou de réseaux entre des systèmes d’activités » (Legras, 2007, p.12). C’est ce que Vygotsky (1978) identifie comme la zone proximale de développement (ZPD). Pour lui, elle représente « la distance entre le niveau actuel de développement tel que déterminé par une résolution de problème, effectuée individuellement, et le niveau de développement potentiel tel que déterminé par une résolution de problème en étant guidé ou en collaborant avec un pair plus compétent » (Traduction libre, Vygotsky, 1978, p.86). En d’autres mots, c’est cet équilibre abstrait entre ce qui est accessible et ce qui ne l’est pas qui caractérise la notion de ZPD. C’est dans cet espace, au carrefour du familier et du non- familier, que siègent les meilleures possibilités d’apprentissage.

La Figure 7 illustre de quelle façon ces deux systèmes d’activité peuvent être identifiés et leur interconnexion analysée. Ci-dessous, l’activité potentiellement partagée représente la façon dont les sujets s’engagent dans une activité médiée par des artefacts (objet-orienté) en incluant la dimension socioinstitutionnelle de cette activité, c’est-à-dire la division du travail, les règles et les membres de la communauté qui y participent. L’objet propre à chacune des activités se déplace à partir d’un état initial (Object 1) vers un objet dont le sens est collectivement construit par ses acteurs (Object 2). Ce dernier objet est potentiellement partagé entre ces deux systèmes d’activités, ce qui signifie qu’il est conjointement construit par ceux-ci (Object 3). L’objet de l’activité (Object 3) « est une cible mouvante, non réductible à des buts conscients à court terme » (Traduction libre, Engeström, 2001, p. 136). Au sein de chacun des systèmes d’activité, les sujets ont pour objectif de réussir d’atteindre leur but (objet-orienté). Leurs actions sont médiées par des outils, des règles, des divisions du travail et des communautés de pratiques.

Figure 7 : Deux systèmes d’activité comme modèle minimal pour la 3e génération de la CHAT (Engeström, 2001, p.136)

De manière à résumer son propos, Engeström (2001) énonce les cinq principes fondamentaux de la CHAT (Tableau 7). Alors que nous avons déjà évoqué les trois premiers, les deux derniers principes nous mènent à ce qu’Engeström nomme « expansive learning ».

Tableau 7 : Les cinq principes fondamentaux de la CHAT selon Engeström (2001), dans Barma (2008b).

Principes Explications

1. Le système d’activité est l’unité principale d’analyse

Principe fondamental consistant à focaliser la recherche sur l’objet même de l’activité. L’objet donne un sens à long terme à l’activité.

2. Le système d’activité est le reflet de points de vue multiples

(multivoicedness)

Principe qui consiste à distinguer les notions d’action et d’activité : les systèmes d’activité ne sont pas juste des actions individuelles, mais ils constituent aussi des formations systémiques. L’activité implique certes des actions individuelles, mais elle ne peut se réduire à leur somme.

3. Le système d’activité est facteur de son historicité (aspect historico-culturel)

« Les systèmes d’activités se forment et se

transforment durant de longues périodes de temps » (Barma, 2008b, p.161).

4. Rôle central des contradictions comme moteur du changement et du développement

Le développement ne peut se réaliser qu’à travers des contradictions et leur résolution.

expansives (expansives transformations) dans les systèmes d’activité

l'objet et le motif de l'activité sont reconceptualisés pour adopter un horizon radicalement plus large de possibilités que dans le précédent.

La majorité des théories traditionnelles de l'apprentissage sont axées sur les processus où un sujet individuel acquiert des connaissances ou des compétences identifiables et relativement stables. Par exemple, « il existerait un enseignant compétent qui sait ce qu’il a à apprendre de façon à correspondre à ce qu’on attend de lui » (Barma, 2008b, p. 163). Toutefois, le problème vient du fait que dans les organisations de travail, les personnes et organisations « apprennent quelque chose qui n’est pas stable, qui, de plus, est peu défini dans le temps » (Barma, 2008b, p.163).

Selon Engeström (2002; 2001), les travaux de Bateson (1972), au regard des niveaux d’apprentissage, constituent un lègue important pour comprendre de quelle façon une innovation se produit dans un contexte en mouvement. Il distingue trois niveaux : Learning I, Learning II et Learning III.

Le premier niveau (Learning I) réfère à un savoir tacite. À ce niveau, le sujet se contente de se conformer aux règles du milieu notamment lorsqu’il prépare ses cours. Ce type de savoir « n’est efficace que pour construire des objets dont la structure ne se modifie pas, dont le dynamisme suit des règles que le hasard ou d’autres personnes ne viennent pas perturber » (Van der Maren, 1996, p. 46). Or, en contexte scolaire, un tel type de savoir est inopérant. Il s’agit essentiellement du conditionnement, voire du renforcement positif de la situation actuelle. Selon Bateson (1972), rapporté par Barma (2008b), ce mode d’apprentissage est répandu dans nos systèmes d’éducation.

Le deuxième niveau (Learning II) peut être lié au savoir qui réfléchit la pratique, qui permet sa transmission et les ajustements nécessaires aux conditions particulières de son exercice, mais qui ne permet pas de la mettre en doute ni de la révolutionner. Autrement dit, un enseignant apprend les règles qui régissent son enseignement, il apprend à les contourner où à utiliser le système de sorte qu’il peut ajuster son enseignement, sans toutefois le remettre en question.

Dans le cadre des travaux d’Engeström (1987; 2007; 2011), le troisième niveau d’apprentissage (Learning III), celui qu’il nomme expansive learning ou « apprentissage expansif » (Barma, 2008b), est le plus important. Engeström décrit l'apprentissage expansif comme « un processus dans lequel un système d'activité, par exemple une organisation du travail, résout ses contradictions internes en construisant et en implantant un nouveau mode de fonctionnement » (Traduction libre, Engeström, 2007, p. 24).

L’apprentissage expansif c’est également « cette nouvelle façon d’apprendre qui se manifeste alors que les enseignants négocient de nouvelles façons de faire au sein d’un système d’activité se déplaçant à travers des zones proximales de développement » (Barma, 2008c, p.14). Comme mentionné, les travaux de Lev Vygotsky (1896-1934) sur la ZPD laissent un héritage fécond à la théorie de l’apprentissage expansif (Engeström & Sannino, 2010). En d’autres mots, ceci implique la création de nouvelles connaissances ainsi que de nouvelles pratiques pour une activité émergente. Ainsi, par apprentissage expansif, nous référons à la capacité du sujet collectif (les enseignants), dans un système d’activité, à interpréter et à développer la définition de l’objet, voire à l’enrichir.

Confronté à un problème, qui peut notamment être déclenché par l’introduction d’un nouvel outil ou encore par une modification des règles, le sujet collectif doit prendre ses distances avec la situation initiale. Pour résoudre ce problème, le sujet ne doit pas s’arrêter aux informations qu’il possède, mais doit élargir son analyse sur le contexte dans lequel prend place l’apprentissage. Pour paraphraser Laferrière et al. (2011, p.162), pensons à la communauté sous toutes ses coutures, par exemple la classe, l’école, la commission scolaire, la communauté locale et la société. Il en vient ainsi à remettre en question le sens du contexte, pour identifier les contraintes internes et externes afin de s’en libérer (Daniels & Warmington, 2007) et, pour paraphraser Barma (2008b), de permettre l’innovation.