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Chapitre 1 : La problématique générale

1.4 Questionnement sur les pratiques d’enseignants

À la lumière de ce qui précède, plusieurs auteurs (Bourdieu, 2001; Habermas, 2001; Beitone, 2004; Legardez, 2006) nous mettent en garde sur les moyens d’intégrer les QSV dans les classes de façon à empêcher les contraintes de freiner leur mise en œuvre et à favoriser l’apprentissage chez l’élève. Le Tableau 6 présente différentes conditions à respecter pour favoriser l’enseignement des QSV.

Tableau 6 : Conditions proposées pour favoriser l’enseignement des QSV

Auteur (s) Condition Moyen Par Pour

(2004) qui s’appuie sur Bourdieu (2001, cité dans Beitone, 2004) climat propice de communication de parole, favoriser des règles de la prise de parole, développer la capacité d’écoute la perspective de la production de savoirs scientifiques ainsi que dans la perspective de participation à un débat démocratique Beitone (2004) qui s’appuie sur Habermas (2001, cité dans Beitone, 2004) Distinguer les débats éthiques et politiques des débats scientifiques S’assurer que l’élève distingue les débats de société (QSV) des débats scientifiques.

Enseignant

L’élève apprend à distinguer ces deux types de débats pour ne pas confondre croyance et savoir, apprentissage et endoctrinement Legardez (2006) Ne pas présenter les QSV comme des formes de savoirs neutralisés Identifier les différentes postures épistémologiques des acteurs Enseignant et élève

Éviter d’entrer dans des débats stériles qui seraient distants des élèves.

Legardez (2006) insiste sur le fait que les QSV doivent être étudiées de façon « pluri-, inter- ou transdisciplinaire » nécessitant une collaboration entre les différentes disciplines scolaires, ce qui représente un défi pour les enseignants qui, souvent issus d’un parcours monodisciplinaire, ne sont pas formés à une telle pratique (Urgelli, 2008). Aborder en classe des QSV favoriserait également l’intégration de questions complexes qui sont porteuses d’incertitudes. L’image des sciences qui domine, soit celle d’une quête méthodique et décontextualisée du réel, ne permet pas de reconnaître la part inévitable d’incertitudes et de polémiques dans les démarches scientifiques (Bader, 2001; Larochelle & Désautels, 2003). À cet égard, il semble que les enseignants s’engagent plus ou moins dans le traitement de ces questions en classe, en fonction de leur doute épistémologique, de leur conviction écologique ou éthique sur ces questions (Simonneaux & Legardez, 2011). Pourtant un curriculum scolaire permettant de développer chez l’élève une compréhension des concepts scientifiques de base, une idée de la nature et des limites des sciences, un raisonnement éthique, des compétences pour argumenter ainsi que des occasions pour appliquer ces habiletés dans des contextes nouveaux serait certainement une bonne préparation pour un futur engagement citoyen sur des questions socioscientifiques (Lewis & Leach, 2006), comme celles concernant les changements climatiques. Pour Sauvé (1997)

et Sabard (2002), le manque de formation des enseignants et l’absence d’accompagnement pédagogique ne leur permettraient pas de devenir à l’aise.

Les formations recrutent souvent les enseignants par discipline. Elles sont ponctuelles et disparates. Les approches peuvent être parcellaires, voire découpent tel ou tel aspect, secteur, champ de l’environnement, etc. Les formations à l’éducation relative à l’environnement attirent souvent ceux qui sont déjà motivés, qui font déjà. Les pratiques d’éducation relative à l’environnement sont ensuite isolées, peu formalisées donc peu transférées. Après la formation, les « formés » sont peu suivis et n’ont que peu de reconnaissance. Ils ont peu de moyens (logistiques, financiers, temps, accompagnement méthodologique, etc.) pour mettre en œuvre leurs nouvelles compétences (Sabard, 2002, p. 230).

En outre, la pression constante liée à la réussite des élèves aux épreuves ministérielles (Sadler, Amirshokoohi, Kazempour & Allspaw 2006; Barma, Power & Daniel, 2010) agirait comme frein à l’innovation pédagogique (Engeström, 2008; Nocon, 2008). Tout compte fait, alors que nous démontrons la pertinence des QSV dans le contexte québécois d’enseignement scientifique et technologique, les enseignants sont peu ou pas enclins à s’engager dans cette pratique, préférant emprunter un terrain qui leur est connu.

1.4.2 Pratiques dites « dominantes » et « non dominantes »

Aux termes de ce qui précède, la mise en place du nouveau curriculum présente de nouveaux enjeux pour l’enseignement, notamment au sens où les pratiques attendues diffèrent de celles alors en place (Barma, 2008b). Avec le régime pédagogique instauré en 1982, les enseignants québécois de sciences avaient « l’habitude d’enseigner des programmes disciplinaires et non pas un programme scolaire intégrant plusieurs disciplines scientifiques » (Barma, 2010, p. 679). Or, depuis la réforme, ils sont confrontés à un enjeu de taille, celui d’intégrer plusieurs disciplines scolaires (astronomie, biologie, chimie, géologie, physique, technologie) au sein d’une nouvelle discipline : Science et technologie. De fait, avant l’implantation du nouveau programme, bien que la démarche scientifique fût introduite, les apprentissages étaient en quelque sorte morcelés disciplinairement (Maheux & Tamsé, 2008). On propose désormais une approche plus axée sur les processus, où les

en situation de faire appel aux sciences et technologies. Par conséquent, les enseignants du deuxième cycle du secondaire sont encouragés à s’éloigner d’un enseignement des sciences strictement disciplinaire (MELS, 2006) pour l’articuler autour de thématiques et de problématiques environnementales controversées, complexes, ouvertes et intégratives (p. ex : enseigner le cycle du carbone dans une thématique plus large, comme celle des changements climatiques).

La Figure 2, tirée du PFÉQ, montre comment il est possible d’articuler les concepts scientifiques et technologiques à la question des changements climatiques9.

Figure 2 : Concepts prescrits autour de la problématique des changements climatiques suggérée par le PFÉQ (Tirée de MELS, 2007, ch.6, p.49)

Pour y arriver, ils sont invités à considérer différentes ressources qui les entourent comme « les musées, les centres de recherche, les firmes d’ingénieurs, le milieu médical, les industries et entreprises locales ainsi que plusieurs autres ressources communautaires pour accroître et enrichir la culture scientifique » des élèves (MELS, 2006, p. 6). Ipso facto, les enseignants sont encouragés à solliciter l’apport des acteurs de la société dans leurs interventions didactiques.

Toutefois, pour plusieurs (Tobin, Tippins & Gallard, 1994; Osborne, 2003; Urgelli, 2008; Juuti et al., 2009), la pratique dominante demeure encore généralement un enseignement magistral, puisque mettre de l’avant de nouvelles SAÉ implique une surcharge de travail (Charland, Potvin & Riopel, 2009; Sharpe & Breunig, 2009; Paterson, 2010; Lacasse & Barma, 2012). Ainsi, l’engagement dans ce type de projet est plus souvent fondé sur un militantisme personnel ou encore un militantisme pédagogique (Barrère, 2002; Lacasse & Barma, 2012). De plus, l’introduction d’une nouvelle pratique en milieu scolaire s’accompagne généralement d’une restructuration des règles et de la division du travail au sein des écoles (Edwards, 2008), modifications qui peuvent générer un climat d’instabilité, non souhaité par les enseignants (Lacasse & Barma, 2012).

Selon les propos d’Andrew et Robottom (2001), rapportés par Charland et al. (2009), une intégration réussie de l’ERE dans l’enseignement scientifique ne sera possible que lorsque cette pratique ne sera plus dominante chez les enseignants de sciences. À la lumière de ses considérations épistémologiques et curriculaires, nous croyons avoir fait la démonstration qu’éduquer à l’environnement par le biais des QSV constitue une pratique non dominante à mettre en place.