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Trois expérimentations participatives réalisées à

São Paulo qui définissent

de nouvelles formes

d’environnement

Cintia okamura

CETESB – Companhia Ambiental do Estado de São Paulo, cintiaokamura@hotmail.com

introduCtion

Un chaos créatif, ainsi surnomme-t-on parfois la ville de São Paulo, une méga-lopole de plus de onze millions d’habitants, dont l’urbanisation rapide et désor-donnée a fait exploser les inégalités sociales et environnementales de tous ordres. Pour comprendre et transformer cette réalité, une conception large de l’environ-nement intégrant l’être humain est nécessaire, ce qui souligne le besoin urgent d’abandonner la conception purement objective de l’environnement réduit à une nature bio-physique. Cet article présente trois expérimentations participatives animées par l’auteur et réalisées dans la ville de São Paulo dont chacune affronte à sa manière ce défi en proposant une approche singulière de l’environnement et de la participation.

l’environnementCommeConnexiondeproblèmes

La première expérimentation participative concerne le Forum de l’Agenda 21 mis en place depuis 2005 dans la grande région est de la ville de São Paulo. Le forum a comme objectif de faire travailler ensemble les trois secteurs: gou-vernement, secteur privé, société civile, pour construire un nouveau modèle de développement durable. Il travaille dans la perspective d’une conception large de l´environnement, c’est-à-dire une conception capable de dépasser le conflit entre la nature dans son contexte biophysique et la «société humaine» comme l’indique Patrick howarD [2005] :

« Les idéaux épistémologiques de clarté, détachement et objectivité ont rendu silen-cieuse la voix de la Nature. Depuis plus de 300 ans, nous avons tenté de séparer nos personnes des processus organiques et des rythmes du monde naturel. Mal-heureusement, nos enfants ont appris leurs leçons. Nous avons besoin d’une autre manière de connaître nos lieux et le monde. Comment réactiver les articulations et les relations complexes des choses ? »

Il aborde l’environnement en le considérant comme une connexion de problèmes, au premier rang desquels il place l’antagonisme entre le droit au logement et la protection de l’environnement. En effet, les favelas, les occupations irrégulières qui prolifèrent dans la cité, s’installent dans les zones qui n’intéressent pas le marché immobilier, principalement les zones naturelles protégées. Par exemple, il y a des occupations irrégulières autour du réservoir d’eau de Guarapiranga, une importante ressource qui fourni de l’eau à 5,6 millions de personnes. Là vivent il-légalement plus de 700 000 personnes sans aucune infrastructure qui détériorent l’environnement et la qualité de l’eau de la réserve.

Le processus participatif que nous impulsons tente de favoriser un dialogue entre les porte-parole des logiques en conflit — c´est-à-dire les responsables administratifs, les militants pour le logement, les défenseurs de l’environnement, entre autres — pour réintégrer l’environnement naturel dans le mode de vie des populations précaires. Le processus dialogique permet une réinterprétation de l’espace et la promotion de nouvelles pratiques. Par exemple, les occupants irré-guliers (les habitants des favelas) qui s’approprient leur milieu de vie élargi aux espaces naturels.

l’ambianCe : une approChesensible delenvironnement

Le deuxième exemple concerne le groupe de travail installé en 2010, dénommé

GT Ambiances et Parcs Linéaires, afin de formuler une nouvelle politique publique

à São Paulo avec la participation populaire, ayant pour objet la mise en place et la gestion des parcs linéaires. Les parcs linéaires correspondent à de longs territoires situés en bordure de cours d’eau urbains, pouvant générer un espace public avec des équipements urbains. Ils présentent en effet un fort potentiel en terme éco-logique (restauration de l’environnement : assainissement de l’eau, espaces verts, etc.), mais également en termes social et urbain (possibilité d’appropriation par divers groupes et communautés, création d’espaces publics, aménités urbaines offrant des lieux de convivialité, développement d’infrastructures de loisirs, etc). Une des principales critiques qui sont faites aux parcs linéaires est le manque d’implication de la population dans leur conception. La population du secteur ne s’approprie pas les parcs linéaires C’est pourquoi dès qu’un parc est bâti, il est dégradé par cette même population.

109 Ce groupe de travail a utilisé la notion d’ambiance [Augoyard 1998, Thibaud, 2002], c’est à dire l’expérience et la perception sensible de l’environnement, par un individu ou un groupe d’individus. L’ambiance (ambiência) est une notion qui fonctionne plutôt à une échelle micro tandis que l’environnement, surtout dans la conception large qui nous est la plus familière (ambiente) telle que l’exprime le géographe [Milton Santos, 1982]), fonctionne souvent à une échelle macro. L’ambiance (ambiência) traduit l’expérience vécue d’une immersion multisenso-rielle d’un individu ou groupe d’individus dans son environnement. C’est une perception synthétique de l’énorme complexité des sensations et composantes de l’expérience vécue. En revanche la conception large de l’environnement

(am-biente) exprime « la manière dont s’organise l’existence humaine sur la planète

dans une vision systémique, parce qu’elle considère l’espace avec toutes ses inter-relations naturel, construit, social et culturel ». A priori tout semble opposer ces deux notions pourtant elles ne sont pas séparées car l’ambiance est un des modes de perception de l’environnement. C’est l’environnement vécu, ressenti, par un individu ou groupe d’individus. Dans le groupe de travail l’ambiance (ambiência) est devenue un mode d’accès à l’environnement large (ambiente) ce qui dessine une conception composite de l’environnement articulant l’ambiance sensible et la conception large de l’environnement.

La notion d’ambiance a été aussi utilisée comme un outil participatif pour articu-ler les partenaires et sensibiliser la population. Dans un premier temps, ce GT a dû faire dialoguer les différents départements du secrétariat de l’environnement de São Paulo, responsable du Programme des parcs linéaires et les différents institutions concernées comme l’habitation, l’agence de l’eau, le département des licences, la fiscalisation, les parcs et les espaces verts, l’éducation environnemen-tale, la planification, etc. L’ambiance a montré son pouvoir d’articulation. Elle a permis à ces différents départements de discuter et travailler ensemble sur les parcs linéaires.

La deuxième étape a été l’installation d’un forum participatif appelé « Forum des Ambiances » dans l’un des sites pilotes de ce GT. Dans cette instance locale, la notion d’ambiance a favorisé la démarche participative car cette notion média-trice circule entre les mondes des experts, des politiques et des habitants. Diffé-rents ateliers ont été réalisés avec la population où l’approche méthodologique s’est concentrée sur la lecture collective de la zone d’intervention en cherchant à mettre en évidence les différentes perceptions du parc dans le contexte social et environnemental dans lequel elle opère. Pour caractériser ce contexte, plu-sieurs cartes ont été utilisées, sur lesquelles les groupes ont montré les aspects qui leur semblaient agréables ou désagréables, et cela a permis de formuler des propositions plus consensuelles. Ainsi la notion d’ambiance peut contribuer à enrichir l’action publique en favorisant l’implication des habitants et l’intégration de leurs préoccupations dans les politiques urbaines. Elle permet de comprendre Trois expérimentations participatives réalisées à Sao Paulo...

les significations que les gens accordent à l’environnement afin d’intégrer ces significations dans les politiques publiques.

l’environnementComme unmilieu devieàléChelle

delhabitant

Le troisième exemple est celui d’un séminaire international « Interface urbaines : réflexions pour la construction de nouvelles approches de l’environnement » consacré à l’eau dans la ville, qui s’est tenu à São Paulo en décembre 2013. Réu-nissant pour la première fois l’université, les administrations, la population et les artistes, il visait à mettre en discussion les différents points de vue afin de contri-buer à la réflexion et la construction de nouvelles approches pour construire les politiques environnementales en utilisant davantage la sensibilité des parties prenantes et les approches artistiques

Ce processus participatif visait à favoriser l’expression publique des émotions. « Nous devons retrouver des relations amicales avec l’eau » cette expression forte a orienté les débats de ce séminaire, en favorisant l’expression publique des récits de vie, des paroles singulières d’habitants chargées d’émotions. Cette circulation des affects (re)noue les liens des habitants avec leur territoire et ses éléments naturels comme les cours d’eau. Les interventions des habitants et de leurs porte-parole traduisent ainsi le refus des dichotomies, des séparations entre nature, société, politique entre aménagement, environnement, social et culture.

« Il faut refaire du politique de la citoyenneté avec le parc linéaire. La construction du bien commun dans le parc linéaire… il faut penser d’une autre façon la civilisation. Notre modèle est en faillite. Qu’est devenue l’eau proche affective affectueuse ? … Le Pinheiros (une petite rivière) est contaminé dès sa source et il est utilisé pour faire l’électricité. La machine hydraulique utilise l’eau sans la respecter. L’eau est valorisée mais pas aimé… Importance de l’eau, cette matière sensible qui se trouvait dans la ville. Elle a été mise à distance et elle est devenue polluée. L’eau canalisée, l’eau du robinet est loin de l’eau du paysage »

Cette tonalité singulière des propos échangés par les participants a permis de transformer l’environnement en un milieu de vie amical et familier à l’échelle de l’habitant.

ConClusions

Ainsi ces trois expérimentations participatives animées par l’auteur ont affronté à leur manière les défis qui se posaient dans ce chaos créatif qui anime la cité de São Paulo, en proposant des alternatives pour comprendre et transformer cette

111 réalité, en utilisant une approche singulière de l’environnement et de la participa-tion. Le tableau qui suit résume cette situaparticipa-tion.

Expérimentation participative Redéfinition de l’environnement Approche participative

Forum de l’Agenda 21 Une connexion de

problèmes Conflit : le droit au logement versus la protection de l’environnement Un dialogue entre les porte-parole des logiques en conflit pour réintégrer l’environnement naturel dans le mode de vie des populations précaires GT « Ambiances et Parcs Linéaires L’ambiance : une approche sensible de l’environnement L’ambiance comme moyen d’accès à l’environnement élargi L’ambiance comme un outil participatif pour légitimer le point de vue de la population Séminaire International Interfaces Urbaines L’environnement comme un milieu de vie à l’échelle de l’habitant L’expression publique des émotions pour transformer l’environnement en un milieu de vie amical et familier à l’échelle de l’habitant Bibliographie

auGoyarD, J.-F., 1998, Éléments pour une théorie des ambiances architecturales et urbaines, in Cahiers de la Recherche Architecturale, no 42-43, PUF, automne, p. 13-23.

howarD, P., 2005, Nurturing Sense of Place Through the Literature of the Bioregion, in Reconstruction, 5. 3 (Summer 2005). http://www.reconstruction.ws/053/howard.shtml.

santos, M., 1982, Pensando o espaço do homem. São Paulo, Editora Hucitec.

thiBauD (J-P), 2002, L’horizon des ambiances urbaines, in Communications, De Gruyter, p.185-201.

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