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3. Marges de manœuvre et contraintes

3.2 Contraintes

3.2.5 Le Tribunal administratif fédéral

Le TAF représente une autre forme de contrainte caractérisant le processus de décision sur les demandes d’asile. En représentant l’instance de recours, il a le pouvoir de confirmer voire de casser les décisions prononcées par le SEM. Nous qualifions le TAF de contrainte car celui-ci limite la marge de manœuvre des spécialistes asile en cassant les décisions négatives qui présentent une « violation du droit fédéral, notamment pour abus ou excès dans l’exercice du pouvoir d’appréciation » ou un « établissement inexact ou incomplet de l’état de fait pertinent » (LAsi art. 106 al. 1). Nous pouvons constater que les spécialistes asile essaient de faire en sorte que la décision ne fasse pas l’objet d’un recours ou, au cas où, qu’elle ne soit pas cassée. À ce propos, un professionnel affirme :

« On a cette expression pour dire qu’il faut ‘bétonner’ notre décision, ça veut dire qu’il n’y a plus de failles, qu’on a mis du béton partout, qu’elle n’est pas cassable. » (Professionnel 7, Centrale)

L’usage de l’expression « bétonner » suggère le fait que le TAF représente une contrainte non négligeable pour le spécialiste asile, lequel se trouve obligé à bien étayer sa décision, en la motivant de manière adéquate, en respectant les dispositions juridiques et la pratique, puis en évitant les vices de forme ou de procédure. À la lumière de cet élément, un collaborateur (P3, Centrale) affirme percevoir le TAF comme un « contrôle qualité ». De plus, certains spécialistes asile remarquent qu’il représente également un instrument fondamental pour l’uniformisation des pratiques au niveau national:

« [Le TAF] je trouve que c’est essentiel. Parce que parfois on se trompe, parfois il y a des erreurs, et ça permet de rétablir ces erreurs. Et aussi pour la cohésion du système, pour avoir une approche uniforme, ça donne les lignes qui sont importantes. Pour moi, c’est une chance vraiment, […] d’avoir donné à l’instance suprême du pays cette fonction. » (Professionnel 11, CEP)

Ces constats mettent en évidence le rôle ambivalent joué par le TAF : si, d’une part, il contraint les professionnels à bien étayer leurs décisions, d’autre part, il représente un deuxième « filet de sécurité ». Bien que ces deux dimensions semblent aller dans deux directions différentes, elles apparaissent comme complémentaires aux yeux des collaborateurs. Ainsi, nombreux sont ceux qui affirment que le TAF renforce leur sentiment de sécurité en ce qu’il représente un autre regard sur la décision et permet de corriger d’éventuelles erreurs :

« Pour moi, c’est très important qu’il y ait cette deuxième instance qui va reprendre le dossier avec un autre regard et avec un autre pouvoir d’appréciation. Ça reste quand même aussi un peu une sécurité, où on se dit ‘si tout d’un coup on est passé complètement à côté de quelque chose, eux [les requérants] ils ont toujours cette possibilité de recours’. » (Professionnel 12, CEP)

« C’est tellement compliqué ce travail et les conséquences sont tellement énormes, que tu dois avoir quelqu’un qui fasse le ‘filet de sécurité’. […] Beaucoup de personnes changent pendant les années, tu peux entrer dans la routine, tu peux ne plus voir certaines choses, et ça c’est très dangereux. Et donc il y a le TAF, qui est le ‘filet de sécurité’. » (Professionnel 10, Centrale)

« Moi je trouve que c’est bien, ça nous prive du pouvoir absolu sur le requérant. » (Professionnel 7, Centrale)

Ces extraits montrent que les collaborateurs sont conscients que les décisions qu’ils prennent ne sont pas infaillibles. De manière générale, nous avons pu constater une véritable prise de conscience des spécialistes asile quant à la possibilité de faire une erreur, ce qui remet une nouvelle fois en question la possibilité de faire un « tri » objectif entre « vrais » et « faux » réfugiés. Les interviewés apprécient le TAF, aussi bien en tant que garant du respect de la pratique en matière d’asile, que comme « filet de sécurité » au cas où une erreur d’appréciation

devrait se présenter. Cependant, plusieurs spécialistes asile ont souligné, à plusieurs reprises,

que l’existence d’une deuxième instance n’enlèverait pas leur sentiment de responsabilité sur la décision.

Comme le soulignent Fresia, Bozzini et Sala, le TAF joue un rôle clé dans la construction de l’asile en Suisse, car il « détermine la jurisprudence en la matière et contribue à faire évoluer les pratiques de manière significative » (2013 : 11). En effet, comme nous l’avons déjà mentionné, les directives internes au SEM relatives à la pratique à suivre pour les différents pays sont régulièrement mises à jour au gré de l'évolution de la jurisprudence du TAF. Celle-ci représente alors une contrainte à laquelle les spécialistes asile se voient confrontés au moment de statuer sur un cas d'espèce. Cependant, un collaborateur (P2, Centrale) remarque qu’ils sont censés suivre surtout les arrêts de principe, car « des fois […] en fonction des juges et des cours, il peut y avoir certaines différences sur les petites thématiques, où il n’y a pas forcément toujours une pratique commune ». Cette constatation est intéressante sur plusieurs aspects. Premièrement, elle révèle une marge de manœuvre également au sein de l’instance de recours, ce qui met à nouveau en évidence le caractère situationnel des décisions en matière d’asile. Deuxièmement, elle nous invite à la réflexion quant aux constats de l’auteur Valluy à propos de

la jurisprudence en matière d’asile. Selon lui, « elle se réduit[…] à pouvoir trouver un précédent

à l’appui de toute position de jugement pour peu que l’on se donne les moyens d’aller fouiller dans la montagne des décisions antérieures, montagne dans laquelle chacun, quelle que soit la position à défendre, peut trouver ce qui lui convient et son contraire » (2009 : 105). Nous nous demandons alors si la jurisprudence, en plus de constituer une contrainte, ne soit pas également un moyen utilisé par les professionnels pour justifier et objectiver une décision envisagée, quelle qu’elle soit.

En toute dernière réflexion, il s’agit également de considérer que si de manière générale, les

contrainte absolue. En effet, un spécialiste asile (P5, Centrale) a affirmé que dans certaines situations « il faut provoquer le TAF », afin de voir comment il réagirait face à une certaine décision. Cette technique, qui mériterait d’être approfondie au sein de futures recherches, montre comment la pratique en matière d’asile est en constante évolution et dépend des actions et des stratégies de différents acteurs.

Sixième Partie

CONCLUSION ET

CONCLUSION

Au travers de cette étude, le processus décisionnel sur les demandes d’asile ressort dans toute sa complexité. Nous avons essayé de répondre à la question de recherche initiale qui portait sur le déroulement de ce processus, en partant du point de vue des spécialistes asile, de manière à identifier les raisonnements et les enjeux qui découlent de la procédure de détermination du statut de réfugié. Le focus a été mis sur le processus d’évaluation de la vraisemblance, ainsi que sur les marges de manœuvre et les contraintes caractérisant un parcours décisionnel long et complexe, qui prend vie par la déposition d’une demande d’asile et aboutit (du moins en première instance) à l'arrêt d’une décision à son égard.

Concernant l’évaluation de la vraisemblance, qui faisait notamment l’objet de la première sous-question de recherche, nous avons pu constater qu’elle représente une des tâches centrales du processus décisionnel. En effet, le requérant d’asile doit faire face à une « épreuve bureaucratique », où son discours est « soumis à une évaluation minutieuse » (D’HALLUIN-MABILLOT 2012 : 30). Si, lors des entretiens, les spécialistes asile ont souhaité véhiculer, du moins en partie, un sentiment de confiance à l’égard des demandeurs, une analyse approfondie de leurs discours a permis d’entrevoir des sentiments de méfiance et de suspicion à l’égard des requérants d’asile et de leurs histoires. En effet, les spécialistes asile semblent constamment à la recherche d’éléments de repère pour essayer de vérifier la parole des demandeurs et d’objectiver leurs jugements. Ainsi, au-delà d’un récit détaillé, cohérent et exempt de contradictions, les professionnels valorisent les éléments qui peuvent être vérifiés à travers des informations factuelles et considérées comme objectives. Nous avons également constaté une certaine importance conférée aux moyens de preuve et aux avis d’experts, lesquels permettent, dans certains cas, d’objectiver la parole des requérants. Le « doute radical » (PROBST 2011 : 69) sur la véracité des récits transparaît également dans les exigences plutôt élevées en termes de vraisemblance. En effet, les demandeurs semblent devoir produire un récit en mesure de répondre à des injonctions parfois contradictoires : connaître les dates mais ne pas donner l’idée de les avoir apprises par cœur, se montrer cohérents tout en restant spontanés, et rendre les motifs d’asile vraisemblables sur la base des seules déclarations, tout en fournissant une preuve de la qualité de réfugié, « si elle est possible et raisonnablement exigible » (MAR, C5 : 5). Or, malgré les efforts d’objectivation à travers des éléments externes au récit, les demandes d’asile sont souvent évaluées sur la seule base des déclarations des requérants. Ainsi, c’est dans ce contexte que ressort l’importance et le caractère central des auditions, lesquelles représentent l’instrument de base à l'établissement des faits. Cette recherche a permis de mettre en évidence le caractère délicat et sensible de la rencontre avec le demandeur, laquelle semble pouvoir orienter en large partie l'issue de la demande d’asile. Les auditions, comme l’examen de la vraisemblance, représentent une tâche complexe et délicate, susceptible d’être conditionnée par de nombreux biais ayant le pouvoir d’infléchir le résultat de la décision.

Les marges de manœuvre et les contraintes caractérisant le processus de décision font l’objet de la deuxième sous-question de recherche de ce travail. L’analyse des données recueillies a ainsi permis d’identifier une certaine marge de liberté des collaborateurs à plusieurs étapes du processus décisionnel, concernant la détermination de l’âge du requérant, la manière de conduire l’audition, l’évaluation de la vraisemblance des faits allégués, l’examen du renvoi et, de manière plus générale, le degré d’approfondissement de l’instruction du dossier. Dès lors, bien que les décisions en matière d’asile soient influencées par plusieurs acteurs et objets

internes et externes à l’institution ainsi que par un contexte politique plus large, les spécialistes asile représentent une figure clé, susceptible de pouvoir orienter, du moins en partie, les résultats des décisions. Dès lors, ces « street-level bureaucrats » (LIPSKY 1980), loin d’être des rouages élémentaires d’une bureaucratie rationnelle (LASCOUMES et LE BOURHIS 1996 : 56), s’engagent dans un processus d’interprétation des lois et des procédures qui exigent, du moins en partie, « the exercise of individual discretion about meaning, significance and relevance of policy in order to translate it into practice » (EVANS et HARRIS 2004 : 888). Nous avons également constaté que le pouvoir d’appréciation dont

disposent les spécialistes asile découle, entre autres, du caractère humain de la décision que

les professionnels sont appelés à prononcer, laquelle « cannot be programmed and for which machines cannot substitute » (LIPSKY 1980 : 161). Dès lors, nous avons constaté que les « caractéristiques sociales » (SPIRE 2008a : 65) des professionnels peuvent avoir une influence et un impact sur leurs pratiques. Cela a été relevé de manière particulière en relation à l’évaluation de la vraisemblance. En effet, comme le souligne un collaborateur (P8, Centrale), « selon la sensibilité que tu as, selon le type de personne que tu es, selon les principes et les valeurs que tu as, ça peut changer complètement ». En marge de cette sensibilité, une certaine liberté existe car, comme le souligne Dubois, « un règlement juridique, aussi complet et précis soit-il, ne peut jamais être exempt d’incertitudes dans son application ni empêcher totalement les marges de manœuvre et d’appréciation de ceux qui l’appliquent » (2009 : 32). En effet, nous avons remarqué que les professionnels exercent leur pouvoir d’appréciation tout en restant, de manière générale, dans les limites du cadre légal, lequel permet (ou même exige) un engagement proactif du professionnel dans son interprétation et dans son application dans la pratique.

Toutefois, au cours de cette recherche, nous avons également essayé de mettre en évidence le fait que les spécialistes asile sont soumis à différentes contraintes, lesquelles limitent leur marge de manœuvre et, de manière parallèle, engendrent de nouveaux enjeux. Nous avons notamment discuté des conséquences réelles et potentielles des objectifs de « productivité »; des limites représentées par le contenu du dossier et par l’existence de lois et de directives relatives à la pratique. En effet, si elles demeurent interprétables, ces normes ont un caractère contraignant. De même, nous avons traité du caractère négocié de la décision, engendré par l’influence et le contrôle des supérieurs hiérarchiques; et, pour terminer, du rôle de l’instance de recours, qui, de manière plus ou moins directe, peut infléchir les pratiques des professionnels. Ainsi, nous pouvons conclure qu’une décision sur une demande d’asile ne relève ni de l’arbitraire, ni d’une simple application de la loi. Elle est le résultat d’« un processus de négociation dans lequel se croisent diverses interprétations de la loi, normes doctrinales intra-institutionnelles et convictions individuelles » (PROBST 2012 : 374). De surcroit, ce processus semble être caractérisé par un contrôle institutionnel important, exercé au travers d’exigences de productivité particulièrement élevées et d’une supervision constante des supérieurs hiérarchiques, deux phénomènes qui semblent avoir une influence non négligeable sur les pratiques des professionnels.

La présente étude a également permis de mettre en évidence que le processus décisionnel se caractérise par la coexistence de différents corpus de normes. En effet, les normes officielles (représentées, entre autres, par le manuel « Asile et retour ») sont accompagnées et affinées par des normes pratiques découlant de l’expérience des professionnels sur le terrain. En guise d’exemple, celles-ci consistent dans le développement de différentes techniques d’audition, dans l’habilité à identifier les éléments de vraisemblance et d’invraisemblance, ou dans la capacité à prendre conscience des biais pouvant influencer la crédibilité des récits exposés.

Comme ce travail repose en large partie sur les discours des spécialistes asile et non sur l’observation directe de leurs pratiques, il a été difficile de dégager des « normes de régulation plus implicites » régissant le cadre d’action des professionnels (FRESIA, BOZZINI et SALA 2013 : 11). Nous avons perçu une certaine réticence chez nos interlocuteurs à dévoiler des pratiques réglées par des normes contredisant les officielles. De plus, ceux-ci ont également eu tendance à mettre l’accent sur les attitudes, les comportements et les raisonnements « légitimes », et à dévoiler des aspects considérés plus « illégitimes » presque uniquement en relation aux pratiques de certains de leurs collègues. Malgré cela, à travers ce travail, nous sommes parvenus à dégager certaines normes pratiques qui, à défaut d’être formalisées par les lois et les procédures, s'appliquent directement sur le terrain (OLIVIER DE SARDAN 2008) et peuvent jouer un rôle non négligeable dans le processus décisionnel. À ce propos, nous avons constaté que les nationalités des demandeurs peuvent faire l’objet de catégorisations implicites de la part des professionnels, et avoir ainsi une certaine influence sur leurs pratiques (que ce soit dans la prise en compte des moyens de preuve ou, plus en général, relativement aux aprioris sur le plan de la crédibilité du récit). Nous avons également mis en évidence le rôle joué par l’impression personnelle du spécialiste asile dans le cadre de l’audition et de l’examen de la vraisemblance. Ce « ressenti » est très valorisé par nos interlocuteurs, à tel point que l’un d’entre eux a même déclaré adopter une attitude plus prudente et mener une analyse plus souple lors de décisions prises sans avoir rencontré personnellement le requérant. Une autre pratique que nous avons observé a été ce qu’un collaborateur appelle l’« asile light » pour désigner les cas où, au lieu d’appliquer le principe « in dubio pro refugio » et accorder la qualité de réfugié, certains spécialistes asile optent plutôt pour une admission provisoire, une décision qui permet de ne pas accorder l’asile tout en évitant de prononcer un renvoi dont il n’aurait pas la certitude que celui-ci puisse être exécuté. Pour terminer, nous avons constaté que dans certains cas « la dimension émotionnelle s’ajoute à l’approche rationnelle » (FASSIN et KOBELINSKY 2012 : 661) dans la prise de décision, en faisant place à des sentiments de compassion qui, comme l’ont souligné dans leur ouvrage Fresia, Bozzini et Sala, suggèrent une tendance à comprendre les persécutions contemporaines « de manière dépolitisée, avant tout à travers le prisme de la pitié » (2013 : 26).

À la lumière de la synthèse que nous venons d’exposer, nous voulons désormais mettre en évidence plusieurs tensions qui ont émergé de nos résultats, afin de discuter des grands enjeux qui cristallisent le processus décisionnel sur les demandes d’asile. Premièrement, nous relevons une tension entre « un désir d’objectivité et la reconnaissance du rôle que joue la subjectivité à certaines étapes du processus » (GRANDJEAN-JORNOD, MEURY et ROUGET 2013 : 62). À ce propos, si nos interlocuteurs insistent à plusieurs reprises sur l’importance de travailler de manière neutre et objective, dans le même temps, ils ne véhiculent pas une idée d’« objectivité absolue » par rapport à la prise de décision. Ainsi, plusieurs d'entre eux reconnaissent l’incidence d’une part de subjectivité, surtout en ce qui concerne le déroulement de l’audition et l’évaluation de la vraisemblance. Donc, malgré un engagement constant dans des pratiques d’objectivation, les professionnels semblent reconnaître (certains plus explicitement que d’autres) leur pouvoir d’appréciation. Nous pouvons conclure que les propos de neutralité et d’objectivité rattachés au processus décisionnel se trouvent en partie remis en questions par le coté subjectif des professionnels pouvant entrer en jeu à certaines étapes du processus. De plus, nous souhaitons ajouter que les idéaux de transparence et de rationalité conférés à la prise de décision se trouvent être en tension avec les « opacities » (FRESIA et VON KAENEL 2016 : 108) engendrés par le processus de purification dont la décision finale fait l’objet.

Cette tension rejoint une deuxième, qui oppose la conscience du risque d’erreur à l’idée d’une « conviction » véhiculée par certains collaborateurs vis-à-vis de la décision à envisager. Ainsi, le fait de se montrer conscients de l'éventualité d'une erreur semble s’inscrire dans l’idée que nous venons d’exposer quant à la présence d’une certaine subjectivité pouvant biaiser le jugement. Cela transparaît également dans la conception des supérieurs hiérarchiques et du TAF comme des « filets de sécurité », laissant sous-entendre la possibilité de pouvoir tomber dans l’erreur. En revanche, particulièrement dans les cas faisant l’objet d’un renvoi, la plupart des collaborateurs affirment être pleinement convaincus de leur décision, une dynamique qui semblerait conférer une connotation objective au verdict prononcé. Nous pouvons nous rattacher ici aux constats de la recherche élaborée par Grandjean-Jornod, Meury et Rouget, qui met en évidence la tension entre la valorisation d’« un idéal d’infaillibilité et d’objectivité dans la prise de décision », de même que « la conscience que celui-ci est impossible à atteindre », une dynamique qui conduirait les professionnels à être « soulagés à l’idée de ne pas être entièrement seuls à décider du sort des requérants » (2013 : 58). Toutefois, nous pouvons imaginer que la mobilisation simultanée d’une idée de « conviction » et, parallèlement, de la possibilité de tomber dans l’erreur pourrait être expliquée, du moins en partie, par une prise de conscience des collaborateurs quant à la responsabilité de leur décision qui serait nuancée par le fardeau d'une preuve qui incombe toujours au demandeur. Ainsi, le sentiment de certitude face à la décision ne serait pas à comprendre en termes absolus, mais plutôt comme la « conviction » d’avoir pris la meilleure décision sur la base de