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Travailler plus pour maintenir l’emploi

4 Le temps des marchés en Allemagne : le cas de la semaine de jours chez Volkswagen

4.5 La généralisation : confirmation du partage du travail et systématisation de la flexibilité temporelle

4.5.7 Travailler plus pour maintenir l’emploi

La généralisation de la règle d’organisation se fait dans la douleur. Dans l’exemple analysé, il serait illusoire de croire que les gains seuls ont permis aux parties en présence d’aboutir à un accord. Il y a bien eu quelques pertes : les salariés ont consenti à travailler plus du fait du rallongement de la durée du travail. Mais, en travaillant plus, ils ont incontestablement contribué au maintien de l’emploi. On est bien en présence « d’un sacrifice », comme le dit un responsable syndical, pour maintenir l’emploi. Cette garantie de l’emploi est un « prix » à payer pour les salariés. La perte salariale doit être désormais considérée comme proportionnelle à la réduction de la durée du travail. On constate ici que l’ajustement entre le temps et le salaire passe par l’intensification du travail.

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En effet, déjà le rallongement effectif du temps de travail à 30 heures est obtenu par la suppression d’une partie des pauses payées. Au regard de cette dégradation du travail pour les salariés, comportant certes une nouvelle autonomie dans la gestion du temps, un responsable syndical du site de Hanovre pense qu’on ne peut pas aller plus loin dans le partage du travail et surtout des salaires :

« Nous, chez VW, nous avons l’impression que les collègues ne sont plus prêts, pour l’instant, à accepter des pertes salariales effectives supplémentaires par rapport à leurs revenus » (un responsable du CE de Hanovre, IG Metall).

Résumons donc brièvement les traits de l’arrangement VW « généralisé ». La solution Volkswagen propose désormais une réduction de la durée du travail à 28,8 heures (30 heures de travail effectif) réparties sur 5 jours. Les salariés perdent, par le rallongement de la durée de travail, environ 2 % de leur salaire annuel brut comparé à la période suivant le premier accord. Le partage du travail, bien que maintenu, s’est transformé : la semaine de 4 jours est terminée et la flexibilité du temps de travail croît dans l’entreprise. La modulation – annualisation est devenue, avec le compte-épargne-temps, une manière flexible et individuelle de gérer le temps de travail. Dans les négociations, nous avons vu une forte pression de la direction pour imposer le travail de week-end. Les publications patronales par rapport à la renégociation de cet accord sont sans ambiguïté. Si, pour la phase d’expérimentation en 1993, le livre de l’accord, publié par la direction de VW, s’intitule (Hartz, 1994) : « Chaque emploi a un visage, la solution Volkswagen », en 1995 pour la phase de généralisation, le nouveau livre s’intitule (Hartz, 1996) : « L’entreprise qui respire : chaque emploi a un client – Maintien de l’emploi chez Volkswagen ».82

La fin de la semaine de 4 jours accrédite la thèse de l’avènement du temps des marchés : d’abord, dans les sites de l’entreprise où la réduction de la durée du travail pose problème.

La modulation – annualisation est née sans aucune intervention du législateur ou de la branche. Elle est née de la nécessité de répondre aux besoins des sites en situation de pénurie d’emploi relative. Mais par sa diffusion interne à l’entreprise, elle s’applique maintenant à l’ensemble des sites. La généralisation de la variabilité de la durée du travail est effective partout. En effet, l’usine qui « respire » est en réalité une formalisation de la politique de la direction de VW, sous la forme d’une cascade de mesures de flexibilité temporelle basées sur la situation des commandes, comme le déclare le directeur du travail, représentant de la direction :

« La base pour la semaine Volkswagen, dans l’entreprise qui respire, est la situation des commandes. » (Hartz, 1996)83

82. Traduit par nos soins.

83. Traduit par nos soins.

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Cette « respiration » de l’usine est assurée par un « poumon à 5 niveaux » : - extension de la durée journalière du travail selon l’état des commandes, - introduction d’équipes supplémentaires (de nuit par exemple),

- extension de la semaine de 4 jours à 5 jours, - extension à la semaine de 6 jours avec samedi, - mutation des salariés à d’autres postes ou sites.

Ces mesures, applicables dans l’ordre de prirorités, définissent le recours à la flexibilité temporelle dans le cadre du partage du travail. Pour autant, en 1996, le partage du travail semble rester « légitime » dans l’entreprise et à l’extérieur. Plusieurs enquêtes semblent au moins en témoigner. Une enquête effectuée par FORSA sur 1 001 personnes choisies de manière représentative en Allemagne montre que 51 % des interrogés pensent qu’une réduction de la durée du travail avec perte salariale est capable de maintenir l’emploi ; 29 % sont convaincus que ce n’est pas utile et 20 % ne savent pas si c’est utile (cité dans Hartz, 1996, p. 102). Une enquête effectuée par l’université d’Erlangen auprès du personnel de trois sites (Wolfsburg, Emden et Braunschweig) sur 2 600 salariés montre, en juin 1995, un niveau de satisfaction comparable : 48,6 % se montrent « contents » ou « très contents » du premier accord obtenu, 34,7 % sont « contents et mécontents » selon l’aspect et 16,6 % sont

« mécontents ou très mécontents » de l’accord (op. cit.). Signalons toutefois que seuls 6,2 % disent que la perte salariale a été facile à gérer. Il semble, par ailleurs, que plus le revenu est élevé, plus il semble difficile d’accepter la perte salariale (op. cit.). Ce qui peut faire réfléchir sur les conditions concrètes de la mise en œuvre d’une solidarité autour du partage du travail. Que retenir de la généralisation de la règle d’organisation chez VW ?

Premièrement, au regard du premier accord, les termes de l’échange entre employeurs et salariés changent. Dans la phase d’expérimentation entre 1993 et 1995, le maintien de l’emploi s’échange principalement contre la perte salariale et la réduction de la durée du travail. La variabilité de la durée hebdomadaire fait l’objet d’une expérimentation limitée dans son ampleur. Dans la phase de la généralisation à partir de 1996, le maintien de l’emploi s’échange contre la flexibilité du salarié enrôlé dans une augmentation de la disponibilité pour l’entreprise. Dans les deux cas, l’emploi sert de monnaie d’échange entre employeur et salariés.

Deuxièmement, le temps de travail qui est négocié n’est plus le même. Dans le premier accord, il s’agissait bien d’une réduction de la durée du travail. Dans le second, il s’agit de la flexibilité temporelle. Tous les ingrédients de l’ordre temporel tourné vers la production sont présents : l’augmentation de la durée du travail (28,8 heures à 30 heures) et surtout la variation au cours de l’année, en fonction des impératifs de production ; l’étalement des périodes de travail de 4 à 5 jours, voire de 5 à 6 jours et l’extension potentielle du travail en équipes successives. Ce type de résultat n’a rien de surprenant au regard des négociations menées dans d’autres pays comme la France. La différence porte surtout sur l’échelle et

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l’ampleur du changement, sur le type d’expérimentation et de généralisation des solutions trouvées et sur les manières de parvenir à des accords. le système social de référence n’est pas le même. Dans le cas de VW, l’entreprise doit compter avec les représentants syndicaux de la branche. Dans le cas des situations étudiées en France, on observe l’importance du travail du législateur pour expérimenter et pour généraliser un nouveau schème de la négociation.

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