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La productivité, l’emploi et la question sociale posent de nouveaux défis au temps Les rapports entre temps et travail ne peuvent pas être abordés avec une perspective qui

2 Du temps au marché : la nécessité d’élargir le questionnement sur le travail

2.3 La productivité, l’emploi et la question sociale posent de nouveaux défis au temps Les rapports entre temps et travail ne peuvent pas être abordés avec une perspective qui

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2.3 La productivité, l’emploi et la question sociale posent de nouveaux défis au temps

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travail prime sur le temps. Elle formate les temps de travail et les temps privés. Il s’agit donc moins d’une construction de normes temporelles du travail, que d’une imposition des normes temporelles qui s’effectue sans beaucoup de résistance, par la pression économique et par l’intériorisation des normes, celle-ci porterait sur les multiples facettes qu’utilise le taylorisme pour influer sur le temps de travail et s’imposer aux individus. Si l’on pouvait résumer ce type de critique de la mesure du travail par le temps, elle porterait essentiellement sur une mise en cause pratique des protections dont le temps, et aussi le temps du chronomètre, abrite encore l’individu. La tendance à la mise en cause de l’étalon-temps présenterait plus de risques que d’avantages pour le salarié.

2.3.2 L’emploi comme nouvel équivalent général ?

Une autre mise en cause du rapport entre temps et travail nous est fournie par l’irruption de l’emploi dans la relation salariale. On peut montrer que celle-ci est aussi liée à la question de la productivité. Nos recherches antérieures ont, jusqu’à un certain point, confirmé le déplacement du temps de travail vers le temps de l’emploi. Il s’agissait de rendre compte du fait que beaucoup d’accords d’entreprise sur le temps de travail avaient comme

« inspiration » la protection de l’emploi ou alors la création de l’emploi.

Nous partageons l’idée avancée par Bélanger et Thuderoz (1998), par Lallement (1999) et par Groux (2001), selon laquelle se construit aujourd’hui un nouveau rapport au travail à cause de l’emploi par le moyen de la négociation collective. Bélanger et Thuderoz (1998) montrent un mouvement dans lequel le compromis antérieur portant sur l’association du travail effectif et des salaires se déplacerait vers un nouveau compromis entre la productivité et l’emploi qu’ils appellent une recodification du lien d’emploi. La thèse de Bélanger et Thuderoz (1998) s’appuie sur l’articulation entre temps et argent qui pourrait s’analyser par le lien entre travail et emploi.

Cette position indique que dans la relation plus classique entre temps et salaire s’introduisent les enjeux du travail et de l’emploi, qui sont par nature difficilement quantifiables. La thèse de la gouvernance par l’emploi (Lallement, 1999) parle de celui-ci comme valeur, au cœur des relations économiques, comme un objet de l’échange social et politique. Pour Groux (2003) l’influence toujours plus poussée de la productivité s’exerce sur les relations professionnelles, et l’interrogation sur la productivité n’a de sens que si elle renvoie à l’emploi et à la défense de l’emploi.

Notre point de vue est bien que l’emploi joue un rôle clé au sein du nouveau paradigme de la négociation collective. Il y a, nous semble-t-il, aujourd’hui, une interrogation à partir de l’emploi sur la fragilité de l’ancien paradigme du salaire comme équivalent général dans des

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relations professionnelles. L’emploi semble être un des arguments majeurs pour conclure des accords. Certes, le salaire est toujours ce qui intéresse le salarié pour subsister et pour permettre l’existence sociale. En revanche, de plus en plus, l’emploi semble conditionner l’accès au salaire et à la stabilité des trajectoires, notamment dans le contexte d’une baisse des revenus causée par la sécurité sociale. Dans le contexte d’un chômage de masse durable, les solidarités autour de l’emploi, sur un territoire donné, jouent un rôle de plus en plus important. Sinon comment comprendre que des salariés se passent d’une partie de leurs revenus tarifaires pour obtenir un emploi ?

Notons aussi l’implication des salariés en faveur de l’augmentation de leur productivité de travail. La rationalisation des activités, en s’appuyant sur les savoirs mobilisés, constitue la base de l’augmentation de la productivité. Le lien d’emploi devient donc le lien de travail en ce sens que la modification des conditions de l’activité semble être la condition du maintien de l’emploi. Par la productivité et par l’emploi, le travail revient dans la relation dont il avait été apparemment exclu dans de nombreux accords collectifs. Nous trouvons ici une limite importante de la négociation. Alors que dans les accords d’entreprise, la référence explicite à l’activité de travail semble très souvent absente, l’arrangement global intègre le travail d’une manière ou d’une autre, en définissant l’enveloppe temporelle, et en fixant le nombre d’emplois créés.

2.3.3 Précarité et accès des jeunes au travail : des temporalités sociales non négociables ?

Le temps de la vie sociale dépasse largement celui du travail. Il échappe encore aujourd’hui très largement à la négociation collective. Rappelons que la catégorie historique du salariat a émergé très lentement avec un arsenal de protections qui l’avaient accompagnée (Castel, 1995). On avait pensé que la question sociale du XIXe siècle avait trouvé une issue autour d’un certain nombre de mécanismes de prévention de l’exclusion sociale, et d’intégration par le travail. Néanmoins depuis le début des années 1980, la question sociale fait un retour par la précarité du travail et par le chômage. En effet, certaines catégories sociales, en particulier les jeunes, se trouvent dans des situations de précarité diverses qui sont rarement prises en compte par la négociation collective.

Ces formes de travail et d’activité peuvent être distinguées (Nicole-Drancourt et Roulleau-Berger, 2001) : le travail intérimaire et le contrat à durée déterminée ; le statut intermédiaire des emplois et des temps, les statuts nés de la solidarité (RMI), le statut des intermittents du spectacle ; le travail au noir ; les formes d’économie informelle, les activités associatives, culturelles et sportives.

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Selon la qualification et le diplôme, trois types de trajectoires de jeunes peuvent être construites qui échappent tous à l’emprise de la négociation collective (op. cit.) : la carrière d’assignation à la précarité, dans laquelle le travail est vécu comme une contrainte sans pour autant entraîner la révolte ; la carrière d’adaptation à la précarité des jeunes de milieux populaires et des classes moyennes se caractérisant par une succession de situations, sans anticipation sur le but de la formation et s’engageant faiblement dans le travail précaire, mais fortement dans des activités ; et enfin des carrières de résistance à la précarité des jeunes issus de classes populaires et moyennes mettant à distance l’emploi stable. La situation précaire cache différentes formes d’engagement dans des espaces d’activité divers (op. cit.).

Ces formes de précarité constituent peut-être l’illustration la plus visible pour observer que la négociation collective n’a pas prise sur ces temporalités et sur ces trajectoires.

L’entreprise n’est plus capable d’intégrer les jeunes par le travail, parce qu’elle n’est plus capable d’assurer une trajectoire stable aux jeunes passant par des étapes différentes de parcours professionnel, en conférant un travail intéressant. Ou alors les formes de travail existant sont récusées pour d’autres raisons. Les trajectoires des précaires montrent donc la nécessité analytique de déplacer le regard de la négociation d’entreprise pour retrouver un débat sur les temporalités au sein de la société.

Le marché fait aujourd’hui figure d’un dépassement possible de l’entreprise par différentes politiques sociales agissant sur le marché du travail. N’est-ce pas là aussi une opportunité de retrouver les capacités d’intégration que les entreprises semblent avoir perdues ? Le champ de l’étude des « marchés transitionnels du travail » tente de situer ce débat autour des possibilités d’intégration des jeunes et des chômeurs, présentant essentiellement le défi d’une réforme du marché du travail en s’intéressant à la gestion des risques et à l’efficacité des dispositifs (Gazier, 1999).

C’est bien l’action sur les marchés qui semble être aujourd’hui la clé de la réussite d’intégration des jeunes. Cette intégration menée par les politiques publiques ou par la négociation collective fournit l’exemple d’un domaine sur lequel les décideurs peuvent intervenir. La question non résolue est celle du succès durable de ce type d’intervention sur le marché du travail.

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