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Les régulations en chantier : quel avenir pour les négociations collectives ?

4 Le temps des marchés en Allemagne : le cas de la semaine de jours chez Volkswagen

4.3 Les régulations en chantier : quel avenir pour les négociations collectives ?

Une règle d’organisation qui a été fondée en 1993 a subi des changements importants, non seulement au niveau de l’équilibre entre temps, travail, emploi, salaire et marché mais aussi à propos des manières de produire les accords. L’intérêt n’est pas tant de considérer cet exemple comme généralisable ou exemplaire d’un secteur économique ou d’un pays, mais plutôt d’apprendre d’un cas particulier en avance sur son temps, et peu comparable à d’autres entreprises en Allemagne ou ailleurs : il a attiré l’attention sur une semaine comprimée avec une durée du travail réduite, mais aussi du fait de l’introduction de dispositifs assurant la variabilité de la durée du travail, jusque-là sans comparaison.

4.3.1 Le rôle de l’accord chez VW pour le débat sur les temporalités

L’accord chez VW a non seulement donné lieu à des recherches portant sur la flexibilité du temps de travail en Allemagne, telles que nous les avons présentées rapidement au premier chapitre. Il a aussi initié un débat sur l’usage des temps sociaux, consécutivement à une forte réduction de la durée du travail : n’oublions pas que sur certains sites, pendant une période donnée, il s’agissait réellement d’une semaine de 4 jours.

Ces recherches ont d’une part permis d’instruire le débat sur le temps de travail en Allemagne entre ceux qui prônent le rallongement de la durée du travail et une orientation davantage centrée sur les exigences des marchés des produits, et les autres qui voudraient augmenter l’emploi, l’autonomie temporelle des salariés, la conciliation entre la vie au travail et la vie privée.

Ces recherches ont d’autre part mis au centre la question de la gestion du temps de travail comme une affaire des entreprises elles-mêmes, soit sous la forme de

69. Thoemmes, 2000, 2001.

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temps, soit sous d’autres formes qui permettent l’échange entre les besoins des individus au travail et des besoins de la production (Eberling et al., 2004). Nous voudrions réaffirmer le caractère de « catalyseur » qu’a eu l’accord de la semaine de 4 jours chez Volkswagen pour cette discussion de l’usage des temps par les individus et par l’entreprise70.

Cependant notre propos ici ne vise pas à analyser la règle d’organisation du point de vue des usages du temps, mais du point de vue de sa construction qui est un échange et qui s’est modifiée au cours de son histoire. Le prolongement récent de cette histoire nous préoccupe en particulier en comparaison avec la situation française que nous venons d’analyser au cours du chapitre précédent. Ce qui frappe c’est la proximité des problèmes posés par la négociation de ces accords. Toutes les dimensions de nos analyses du temps de travail en France semblent ici réunies au sein d’une entreprise.

4.3.2 Les régulations intermédiaires : de la France à l’Allemagne

Les phases du travail d’organisation se sont déroulées avec un type de régulation particulier qui a lui-même subi des changements au cours de la période des 10 ans. Le premier objectif est de mettre à l’épreuve la conceptualisation en tant que « régulations intermédiaires ».

Nous avons exposé au chapitre 3 cette formalisation autour de la question du mandatement en France. Nous la reprenons ici, pour la discuter plus largement et surtout pour montrer la modification que cette forme de régulation a subie récemment : nous parlerons d’une

« régulation extraterritoriale ».

À l’image du mandatement qui décrit l’irruption d’un niveau (régional ou départemental) dans les discussions entre la règle légale (État) et l’entreprise, VW a pour tradition de combiner dans les négociations un niveau global (l’accord de branche) et un niveau local (l’accord d’entreprise ou d’établissement).

Nous avons tenté de montrer que c’est précisément l’interaction entre la direction régionale de l’organisation syndicale et l’entreprise qui constitue l’originalité de l’accord VW. La convention collective « maison », comme forme hybride entre la négociation d’entreprise et la négociation territoriale, régionale et de branche, était le « moteur » de la solution trouvée en 1993.

L’échange « flexibilité contre réduction de la durée du travail » a été alors diffusé et accompagné par ce qu’on a appelé ensuite « des clauses d’ouverture » (Öffnungsklauseln) dans les conventions collectives sectorielles existantes en Allemagne, permettant aux établissements et aux entreprises de prendre une part plus importante dans la régulation

70. Selon HEIDLING E. (2005, p. 21) une autre nouveauté de cette « convention collective pour l’avenir » est le contexte pour le développement régional explicite dans les accords d’entreprise visant au « renforcement et au développement des fournisseurs dans la région ». L’innovation tarifaire vient du lien direct entre la régulation des relations de travail interne à l’entreprise et l’environnement externe régional.

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sociale. Il ne s’agissait pas là d’une dérégulation simple des relations professionnels, mais d’une autre régulation sociale qui avait créé un niveau intermédiaire, dans ce cas

« hybride », associant l’entreprise à la branche : les deux niveaux ont coproduit effectivement des accords. Ce que nous avions trouvé de commun, rapprochant les deux pays – la France et l’Allemagne –, porte sur l’intérêt réciproque des systèmes sociaux de créer des régulations intermédiaires (Thoemmes, 2001 ; Labit et Thoemmes, 2003). La comparaison internationale pouvait être menée grâce à la création de concepts de type universaliste permettant la traduction pour comparer des formations sociales très différentes.

4.3.3 Le secteur de l’automobile : dérégulation ou re- régulation ?

Nous voudrions d’abord situer notre analyse dans le contexte des recherches menées dans le secteur de l’automobile en Allemagne. Haipeter et Lehndorff (2005) proposent une synthèse de la négociation dans le secteur automobile au cours de la dernière décennie en s’appuyant sur un grand nombre d’exemples. Ils argumentent contre la thèse simple de la décentralisation des décisions en mettant en relief une autre articulation des régulations impliquant notamment des régulations qu’on pourrait qualifier d’« infra-établissement ». Les organisations syndicales et les comités d’entreprise endossent de nouveaux rôles dans la mise en place d’une flexibilité contrôlée (op. cit., p. 140). L’action des acteurs syndicaux de l’entreprise se situerait entre deux difficultés : d’une part l’érosion externe du pouvoir syndical – illustrée par le déclin du nombre d’adhérents, ainsi que par l’accroissement des territoires non couverts par l’action syndicale –, d’autre part l’érosion interne accompagnant le déplacement de la régulation du secteur vers l’entreprise.

Les entreprises du secteur automobile ont adopté une approche beaucoup plus liée à une réorganisation des processus de production qui s’avère être « orientée vers le marché », en combinant décentralisation « opérationnelle » et centralisation « stratégique ». Les unités décentralisées travaillent de manière autonome dans un marché donné, mais sous les conditions définies de manière centrale par des objectifs de coût. Ces conditions varient en fonction de la demande des marchés de produits et des attentes des marchés financiers (op.

cit.).

La coordination de formes d’action centralisée et décentralisée sous l’égide des marchés des produits et des marchés financiers caractérise les nouvelles approches des entreprises du secteur automobile. Il y aurait donc un déplacement des régulations des établissements vers les ateliers et vers les individus. Il s’agirait non pas d’une décentralisation des relations professionnelles, mais bien d’un déplacement de la régulation vers le niveau de l’établissement. Les différentes formes de transfert visant le salarié et son entourage direct à propos de la gestion de la flexibilité temporelle seraient donc davantage médiatisées par le

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