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Travail social : vers une ouverture à soi, aux autres et au monde

On constate dans plusieurs domaines scientifiques une certaine tendance réductionniste qui semble difficilement rendre compte de certaines dimensions de l’existence humaine dans leur complexité (Bitbol, 2014 ; Morin, 1999). Pour ce qui semble échapper à cette méthodologie réductionniste, nous pensons évidemment à l’expérience humaine en tant que phénomène complexe, mais aussi à l’expérience subjective de la conscience, à la relation intersubjective (au sens phénoménologique) ainsi qu’à l’expérience de sens qui en découle.

« L’intelligence qui ne sait que séparer brise le complexe du monde en fragments disjoints, fractionne les problèmes, unidimensionnalise le multidimensionnel. Elle atrophie les possibilités de compréhension et de réflexion, éliminant aussi les chances d’un jugement correctif ou d’une vue à long terme. Son insuffisance pour traiter nos problèmes les plus graves constitue un des problèmes les plus graves que nous affrontons » (Morin, 1999, p.14-15).

Animé par un désir d’objectivité et d’exactitude méthodologique fondé sur un positivisme et un réductionnisme à prétention explicative, souvent considéré comme leur seul outil de connaissance valable, une importante partie des connaissances et réflexions contemporaines semble négliger la complexité de l’existence (Morin 1990 ; Morin, 1999). De toute évidence, la pratique de la PC en Occident est loin d’échapper à cette analyse.

1.4.1 Aspects subjectifs, relationnels et contextuels de l’existence humaine

Il nous apparait que les arguments neurologiques et comportementaux, essentiellement issus et caractérisés par les paradigmes positiviste, individualiste et réductionniste, peuvent conduire à une compréhension limitée de la pratique de PC et à certains risques quant à son utilisation. En plus d’être une forme d’appropriation culturelle, les arguments neurologiques et comportementaux semblent entrer en contradiction avec certaines valeurs liées aux fondements de la PC. L’importance accordée aux phénomènes d’interconnexion (entre individus et phénomènes), d’impermanence et d’absence de « soi véritable » est généralement

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exclue des réflexions scientifiques portant sur la PC. Selon Kabat-Zinn (2011), le programme de « réduction du stress basé sur la pleine conscience (MBSR) a été développé comme l'un des moyens les plus habiles possible pour amener le Dharma3 dans les cadres traditionnels » (Kabat-Zinn, 2011). Il serait pertinent de chercher à comprendre l’état actuel de cette entreprise en cherchant à identifier les aspects subjectifs (absence de soi véritable), relationnels (ouverture à l’autre) et contextuels (interconnexion et systémique), entendus comme « Dharma universel», qui ne semblent pas être considérés par la recherche et l’application de cette pratique.

Une analyse critique et structurelle de la PC conduit vers une certaine méfiance quant à la place occupée par cette pratique en Occident. Utilisée par l’occident en vue de diminuer le stress ou encore d’augmenter le bien-être ou la performance, en plus d’être fondée sur une «psychologisation» des problèmes sociaux, cette approche pourrait se voir dénuée de son essence même. Plusieurs auteurs (Kabat-Zin, 2011 ; Hick, 2011 ; Segal, 2002), s’entendent pour dire que diminuer le stress, ou encore augmenter le bien-être ou la performance, doit être entendu comme de simples effets secondaires d’une pratique qui est en réalité beaucoup plus complexe. Visant une compréhension multifactorielle de l’existence humaine, nous croyons que le travail social, notamment par le biais des approches structurelle et systémique, peut rendre compte de cette complexité.

1.4.2 Une ouverture sur la complexité de l’existence humaine

Les aspects de la PC qui semblent négligés par les approches réductionnistes pourraient s’avérer être une aide précieuse pour la compréhension moderne de l’existence humaine ainsi que le développement de changements sociaux significatifs. Le travail social semble tout indiqué pour ouvrir un dialogue sur la complexité de cette pratique.

« Social work may be the best location from which to examine the relationship between mindfulness and social change, specifically because social work values a dialectical approach to the inner and outer world. The mindful and social justice approach

3 Les enseignements du Bouddha sont souvent appelés le «Dharma». Ce signifie notamment la vérité en lien avec les perspectives et les pratiques pouvant conduire à la fin de la souffrance (Fonsdale, s.d.).

represents a social work model of practice that equally acknowledges, values, and quite effectively unites the biopsychological and social justice domains. Mindful and social justice approaches may assist workers in simultaneously addressing individual, community, and social justice issues. Additionally, a radical-mindful approach to practice may assist social workers in articulating these processes, and thus in better reflecting on our practice » (Hick et Furlotte, 2009, p.6).

La pratique de PC offre des outils concrets soutenant une analyse critique et structurelle de la condition humaine, notamment de la justice sociale (Hick et Furlotte, 2009). La description essentiellement systémique de l’existence de toute chose (phénomène d’interconnexion) et l’importance accordée au fait de cultiver une attention ou une présence soutenue ainsi qu’une ouverture et une acceptation radicale de la réalité en sont des exemples. Ces outils peuvent s’avérer inestimables pour le travailleur social qui s’intéresse tant aux aspects individuels et sociaux qui caractérisent la condition humaine et qui souhaite rendre compte des dimensions social et individuel des iniquités sociales. La pratique de la PC permet de développer un regard lucide sur la complexité de l’existence, c’est-à-dire sur le lien entre l’expérience vécue et les structures sociales élargies souvent caractérisé par des rapports oppressifs, tout en permettant d’éviter une culpabilité paralysante pouvant résulter de cette prise de conscience (Hick et Furlotte, 2009).

Si « la perspective de l’utilitarisme et le primat de la rationalité conduisent à nier une dimension particulièrement essentielle de l’être humain » (De Gaulejac, 2005, p. 304), la PC propose la possibilité que l’existence humaine puisse comporter des dimensions d’un ordre qui échappent à la pensée objective. Comme « il convient de considérer l’individu non comme une ressource, mais comme un sujet » (De Gaulejac, 2005, p. 304), la PC vise à apprendre à être sujet. Par une ascèse constante, cette pratique nous rapproche de nos racines profondément humaines et cette humanité grandissante nous permet de prendre des décisions justes (Midal, 2014, p.12), de nous approprier nos actions et de les déterminer. « La méditation4 n’étant pas un outil, non seulement elle ne sert à rien, mais surtout elle nous libère du règne de l’utilité […] la méditation préserve l’humanité qui est en chacun de nous » (Midal, 2014, p.67).

4 Bien que les distinctions entre méditation et PC seront présentées dans le prochain chapitre, nous croyons légitime des les entendre ici comme synonyme.

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