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Chapitre 3. Démarche de recherche

4.2 Comprendre le trauma

4.2.2 Effet des Traumas complexes

4.2.2.4 Régulation émotionnelle

Les expériences traumatiques peuvent affecter la capacité d’un individu à réguler ses émotions. Loin d’être le propre des individus survivants d’expériences traumatiques, les émotions difficiles et envahissantes ainsi que les enjeux liés à leur régulation semblent présents dans presque tous les troubles de santé mentale (Philippot, Bouvard, Baeyens et Dethier, 2015, p.111). La littérature scientifique en lien avec le trauma présente de

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nombreuses indications quant à la relation entre ce phénomène et la régulation émotionnelle (Seligowski, Lee, Bardeen, et Orcutt, 2015). À cet égard, Seligowski et al. (2015) ont mené une méta-analyse en vue de proposer une synthèse des données portant sur cette relation. 57 articles comprenant les critères de sélection ont été retenus pour l’analyse. Les chercheurs ont interrogé les relations entre les symptômes de stress post-traumatique et les comportements suivants : acceptation, EE, suppression de l’expression, rumination, suppression des pensées, inquiétude ainsi que la dérégulation générale des émotions9 (Seligowski et al., 2015, p.96). Leurs résultats suggèrent que ce dernier élément (dérégulation générale des émotions) est celui dont l’effet ressort le plus significativement, en plus de ne pas être modéré en fonction du type de traumatisme (Seligowski et al., 2015, p.96). Parmi les enjeux liés à la régulation émotionnelle, la dérégulation générale des émotions serait donc celle qui impacte le plus les survivants de trauma.

Le concept de dérégulation générale des émotions représente le fait d’avoir des difficultés importantes en lien avec les capacités à identifier et comprendre le déroulement et le fonctionnement d’une émotion, à accepter les émotions difficiles, à percevoir des stratégies adaptées de régulation émotionnelle, à poursuivre ses buts ainsi qu’à freiner les comportements impulsifs nuisibles (Seligowski et al., 2015, p.88). Bien qu’à différents degrés et de façon moins significative, presque tous les autres comportements associés à la régulation des émotions (à l’exception de la réévaluation) se sont avérés avoir un effet modéré. Seligowski et al. (2015) remarquent toutefois que plusieurs critiques ont été adressées à l’égard des études portantes sur la régulation émotionnelle, notamment quant au fait que ce concept est difficile à cerner et que ses composantes sont difficiles à distinguer puisqu’elles peuvent se chevaucher. Le fait de ne pas considérer les facteurs environnementaux qui influencent la régulation émotionnelle semble aussi être une limite importante (Seligowski et al., 2015, p.97).

Dans le même ordre d’idée, Poole, Dobson et Pusch (2018) ont tenté de démontrer que les ACE conduisaient vers des difficultés liées à la régulation des émotions et par conséquent à

des difficultés relationnelles et que celles-ci pourraient expliquer les effets néfastes des ACE. Ces chercheurs ont voulu clarifier la nature des relations entre les ACE et les difficultés interpersonnelles en démontrant la validité de leur hypothèse considérant la dérégulation des émotions comme principal mécanisme. Leurs résultats semblent en effet montrer que les problématiques relationnelles liées aux ACE sont délétères puisqu’elles affectent les aptitudes relationnelles et la santé mentale en compromettant la capacité à réguler les émotions (Pool et al., 2018). Environ 70 % des participants à l’étude (N=4006) ont rapporté avoir vécu au minimum un événement d’adversité et près de 20% en ont rapporté 4 ou plus. Comme dans les études précédentes, les événements d’adversité étaient significativement associés au développement de problématique relationnelle persistante à l’âge adulte (Poole et al., 2018, p. 127). Plus précisément, l’étude a montré que ce type de problématique semble davantage corrélé aux ACE liées aux abus et négligence de nature psychologique et émotionnelle (Poole et al., 2018, p.129). Selon les chercheurs, il est possible d’interpréter ces résultats à partir de la théorie de l’attachement selon laquelle les modes d’interaction entre les figures parentales et l’enfant contribuent au développement des capacités émotionnelles et relationnelles de ce dernier. Les chercheurs considèrent avoir démontré que les aptitudes relationnelles de l’adulte sont directement influencées par les ACE (Poole et al., 2018).

Nous voyons ainsi la place centrale des enjeux émotionnels dans le développement de la santé mentale et leurs liens directs avec l’expérience traumatique. Plus spécifiquement, nous souhaitons conclure cette courte section en soulignant que la de régulation des émotions est intimement lié à la capacité d’intégration.

« What this means, literally, is that emotion, emotional processes, emotional regulation, emotional relationships, emotional experiences, emotionally meaningful events, emotional development, and emotional well-being each involve integration. It isn’t even that emotion leads to integration. What I am suggesting is that emotion is integration. In this way, for example, an emotional experience is one that shifts our state of integration. Emotional development promotes integration. Emotional well-being reveals an integrated individual. We can increase integration in cases of emotionally meaningful events and when we feel emotionally well. Similarly, we can decrease integration when we are emotionally distraught or emotionally unwell. Emotion is the shifting in integrative states: Sometimes integration is enhanced, sometimes diminished. Herein we

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can see the verb nature of emotion: a shift in the state of integration» (Siegel, 2009b, p.418-419).

Comme nous le verrons de façon détaillée lors de la discussion, la capacité d’intégration est étroitement liée à la pratique de PC. Gardant à l’esprit qu’une régulation des émotions problématique, puisqu’affectée par une expérience traumatique, trouble la capacité de l’individu à intégrer la complexité de son expérience, nous verrons comment la pratique de PC, en tant que pratique d’intégration de l’expérience, peut grandement favoriser le bien-être (Siegel, 2009a).