• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3. Démarche de recherche

4.2 Comprendre le trauma

4.2.2 Effet des Traumas complexes

4.2.2.1 Trauma et Stress

Dans certains contextes, notamment à un niveau d’immaturité sur le plan du développement physiologique (cerveau) et psychologique (capacité de régulation émotionnelle) ainsi que dans des situations de détresse extrême (agression sexuelle, zone de guerre, etc.), l’organisme n’arriverait pas à maintenir son activité physiologique et psychologique à un stade de fonctionnement normal (Lupien, 2010 ; Van der Kolk, 2014). Les réactions liées au stress peuvent donc devenir très néfastes pour l’individu. Suite aux expériences traumatiques, les capacités d’homéostasie et de régulation, notamment au niveau émotionnel, peuvent être directement affectées (Van der Kolk, 2014). Par exemple, les individus traumatisés auraient tendance à générer du cortisol de manière importante et anormale pendant un certain temps suite au traumatisme, ce qui les piège dans un niveau de stress continu et toxique sur le plan physiologique (Van der Kolk, 2014, p.73). Dans le même ordre d’idée, les personnes traumatisées demeureraient dans un état de méfiance quasi constant face à leur environnement. À cet égard, tout se passe comme si les réactions physiologiques normale et nécessaire face aux dangers (hypothalamus qui déclenche l’hypophyse et les glandes surrénales, activité du système immunitaire, du rythme cardiaque et des muscles ainsi que de l’amygdale) s’activaient de manière spontanée et régulière même en absence apparente de danger (Godbout, Cyr et Collin-Vézina, 2018, p.46 à 48).

Étant à des stades de développement précoce, les enfants sont particulièrement vulnérables aux effets du stress toxique. Le développement des circuits neuronaux et du système endocrinien peut être affecté par les expériences d’adversité subies dans l’enfance (Godbout et al., 2018b, p.68).

« Le cerveau des enfants est aussi très vulnérable au stress, car c’est un cerveau qui est en développement. Il a aussi été démontré que le stress a la capacité de retarder le développement de certaines parties ou fonctions du cerveau » (Lupien, 2010, p.17).

Cette vulnérabilité est d’autant plus importante puisque les réponses habituelles au danger (attaques et fuites) sont souvent inappropriées si ce danger est généré par les figures qui

doivent assurer leur sécurité. Les conséquences négatives des traumas sur les plans physiologiques et psychologiques sont par le fait même largement augmentées lorsqu’ils proviennent du milieu familial (Van der Kolk, 2014, p. 218 à 311). Chez les enfants, les chercheurs ont aussi observé (dans certains cas) une diminution du taux de cortisol, ce qui pourrait signifier que les symptômes des enfants victimes de traumas complexes se manifestent de deux manières. Les enfants peuvent devenir extrêmement réactifs à leur environnement, ou encore apathiques, c’est-à-dire insensibles à leur environnement, notamment au danger (Godbout et al., 2018b, p.68).

Dans le même ordre d’idée, le champ d’étude portant sur les ACE semble avoir rigoureusement montré que les événements d’adversité subis dans l’enfance génèrent un stress toxique (notamment mesuré par un niveau de cortisol élevé) qui affecte gravement la santé physique (modifications génétiques, système immunitaire affaibli et des altérations de la fonction cérébrale) et mentale (enjeux émotionnels et relationnels, abus de substance et instabilité au niveau du fonctionnement) (Centers for Disease Control and Prevention, 2015). L’idée principale est que les traumatismes subis dans l’enfance semblent être associés à de nombreux problèmes individuels et sociaux. Sur le plan psychologique, la dépression, les troubles d’utilisation de substances, le trouble de personnalité limite, ainsi que plusieurs autres enjeux de santé mentale semblent être corrélés aux mauvais traitements subis dans l’enfance (Van der Kolk, 2014). Nous verrons que l’état de stress et de méfiance lié au traumatisme ainsi que les enjeux psychologiques qui en découlent sont généralement associés à différentes formes d’EE. Sur un plan existentiel, le stress toxique peut amener l’individu à dénier une partie de lui-même qui pourrait éventuellement se manifester de façon pathologique.

4.2.2.2 Le déni de soi

La majorité des individus sont habités par des souvenirs douloureux et des blessures non résolus, issus de leur enfance, qui génèrent différents types de tension à l’âge adulte (Miller, 1996 ; Miller 2008 ; Miller 2013). Si elles ne sont pas traitées adéquatement, ces marques du passé peuvent avoir de très graves conséquences sur l’équilibre psychologique et le bien-être de l’individu (Miller, 1996 ; Miller 2008 ; Miller 2013). La perte du contact avec une certaine partie de soi-même, notamment liée au fait d’avoir appris à réprimer ses émotions

74

et ses souvenirs durant l’enfance, fait partie de ces conséquences. Il est facile d’imaginer comment la cruauté et la violence parentale (insultes, coups, abus sexuel, etc.) peuvent conduire l’enfant à se dissocier d’une partie de lui-même pour ne pas ressentir la souffrance multidimensionnelle causée par de tel traitement. Or, les mauvais traitements peuvent être beaucoup plus sinueux et souvent même se présenter comme des formes d’éducation (Miller, 1996). À titre d’exemple, les enfants soumis à des parents autoritaires ou trop exigeants apprendront à mettre de côté leurs propres désirs afin de satisfaire ceux de leurs parents. Certains enfants deviendront rapidement très doués à cet effet et perdront ainsi progressivement le sentiment que leurs désirs, besoins et émotions sont dignes d’être reconnus et entendus (Miller, 1996). De grands efforts pour dénier une partie de soi-même afin de satisfaire les attentes de l’entourage sont donc mis en place parallèlement à un ensemble de mécanismes d’adaptations à cet environnement toxique (Miller, 1996 ; Miller 2008 ; Miller 2013).

Cette déconnexion d’une partie de sa propre expérience peut avoir pour effet un sentiment de vide et d’ennui persistant qui pourra se développer sous la forme de troubles de santé mentale spécifique (trouble de l’humeur, trouble de personnalité, trouble de l’utilisation des substances, etc.) (Miller, 2013, p.191).

« Les émotions réprimées dans l’enfance - par exemple la peur et la colère – restent emmagasinées dans notre corps et peuvent provoquer chez l’adulte des troubles plus ou moins graves. On peut souffrir de dépression, d’accès de panique, présenter des réactions violentes envers ses enfants, sans avoir conscience des véritables causes de son désespoir, de sa peur ou de sa fureur » (Miller, 2008 p.125).

Notons que les adultes ayant appris à refouler leurs émotions et à réprimer leurs désirs et leurs besoins pourront avoir tendance, plus ou moins consciemment, à transmettre ses mécanismes d’adaptation à leurs propres enfants, perpétuant ainsi le cycle du déni de soi (Miller, 1996).