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Le travail sur la dynamique ne modifie pas la posture

L’INDIVIDUALISME AFFAIBLI COMME POSITIONNEMENT METHODOLOGIQUE

3. L’INDIVIDUALISME AFFAIBLI DU COMPTABLE

3.6. Le travail sur la dynamique ne modifie pas la posture

La régularité comportementale sous-tendue par le raisonnement conventionnaliste n’exclut en rien son évolution ; le conformisme prêté aux convenants n’en fait pas pour autant les automates ou les stéréotypes de l’école

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holiste ; aussi, certains facteurs comme l’intention stratégique ou la dissidence de certains membres par exemple peuvent contribuer de proche en proche à remettre en cause la conviction dans une adoption généralisée et déboucher à terme sur un changement du dispositif collectif. Ce thème de la dynamique nous est d’ailleurs assez cher puisque nous y avons consacré un chapitre de l’ouvrage collectif (Vers une

théorie sur la dynamique des conventions). Nous y exposons notre analyse du

processus par lequel les conventions sont amenées à passer d’un état à un autre. La dynamique conventionnaliste apparaît de ce point de vue, comme un mécanisme socialement construit, répondant à des influences et des courants profonds.

On pourrait alors considérer qu’en la matière le chercheur doit adapter sa posture méthodologique selon qu’il étudie le moment de la construction. Ainsi l’étude du temps spécifique de la genèse d’une convention relèverait d’un individualisme méthodologique fort alors qu’une fois instituée, la convention devenue « objet collectif », assouplirait le positionnement en autorisant un glissement sur l’axe méthodologique en direction du holisme. Ce point de vue s’appuie sur le constat que la genèse ex nihilo d’un comportement collectif trouve parfois ses origines dans les agissements d’un groupe restreint d’individus animés par une volonté particulière. Une approche conventionnaliste strictement stratégique et individualiste serait alors plus appropriée en recentrant l’analyse sur ces comportements isolés.

Nous sommes enclins à écarter cette argumentation pour deux raisons. D’abord, parce qu’une telle posture laisse entendre que seuls les individus sont à l’origine d’un changement dans les cadres auxquels leurs conduites se réfèrent. Nous avons montré que d’autres facteurs (n’impliquant pas des actes isolés) pouvaient potentiellement déclencher un processus dynamique : le contact10 et la discordance11 (la seconde partie nous permettra d’expliciter et de replacer dans leur contexte ces deux notions). L’individualisme méthodologique fort est donc ici inévitablement réducteur.

Ensuite, parce que l’approche sociologique des conventions, contrairement à la perspective stratégique, ne s’est pas fixé pour objectif d’étudier le comportement de quelques acteurs mais plutôt d’analyser la façon dont les cadres collectifs permettent la coordination entre les membres de toute une population. Nous précisons toutefois qu’à ce jour, les études menées par l’école des conventions sur leur dynamique ne se sont pas focalisées sur le comportement des acteurs ayant joué un rôle dans le changement des conduites, mais plutôt sur la manière dont ces actes ont impacté les cadres

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Nous appelons « contact » la situation au cours de laquelle deux populations d’individus sont amenées à se rapprocher pour des causes diverses (invasion, annexion d’un pays, fusions d’entreprises, ou plus simplement obtention d’informations …) plusieurs conventions peuvent entrer en contact ; chacune devient alors l’alternative de l’autre dans un enchaînement de frictions aux issues diverses (le concept sera explicité dans la seconde partie).

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La dissonance se définit comme une inadéquation du discours délivré par la convention face aux transformations contextuelles. Le concept sera explicité dans le chapitre 6.

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communs de coordination. La nuance est notable : d’un côté, le point d’analyse est l’individu, de l’autre il s’agit de l’objet collectif.

En conclusion

A la réflexion, il nous semble possible d’envisager individualisme et holisme méthodologiques non pas comme des valeurs discrètes mais plutôt continues. Un spectre de postures s’étalant entre deux extrêmes :

OBJET DE RECHERCHE : L’INDIVIDU LES CADRES COMMUNS INDIVIDUALISME HOLISME METHODOLOGIQUE METHODOLOGIQUE POSITIONNEMENT DEGRE

D’INTENTIONNALITE : FORT FAIBLE

D’un côté, un individualisme fort marqué par le jeu d’un acteur rationnel, souverain, autonome et doté d’une intentionnalité élevée dans ses comportements. Les relations qu’il entretient avec son environnement sont guidées par la logique marchande et les structures sociales ne représentent qu’un ensemble de contraintes avec lesquelles il doit composer. Lui seul est l’objet de la recherche et la convention n’est qu’un acte de coopération, nécessaire autant que réfléchi. Le processus de coordination est à ce point prévisible qu’il est possible d’en tirer une modélisation mathématique. De l’autre, un holisme dur qui « surdétermine » le comportement de l’individu pour en faire une marionnette dont les conventions tiendraient les fils.

S’il nous semble impossible de s’approprier les deux méthodologies au sein d’un même protocole, il est tout à fait envisageable d’imaginer entre ces deux pôles nombre de positions intermédiaires selon le degré d’intentionnalité reconnu à la personne et la nature de l’objet de recherche défini. Au sein des sciences de gestion, les terrains de recherche sont nombreux et fort dissemblables. On peut difficilement comparer par exemple les conventions qui trament une agence bancaire locale avec celles qui fondent un système comptable national. L’échelle d’observation n’est pas la même. Les dispositifs non plus. Si le terrain diffère, le regard du chercheur aussi. Chacun se

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« construit » une représentation du monde. Les uns mettent en scène des acteurs libres alors que d’autres imaginent des masses d’êtres englués dans le social. Ces divergences sont consubstantielles aux sciences humaines, nous semble-t-il.

Pour ces raisons, l’honnêteté intellectuelle qui préside à toute démarche scientifique nous dicte de cerner et d’annoncer préalablement la position du curseur sur l’axe méthodologique. Nous en prenons conscience. Nous espérons à présent avoir comblé cette carence en nous réclamant clairement d’un « individualisme méthodologique affaibli ». L’homme de notre recherche est un être humain calculateur mais immergé dans un bain social et dépendant des autres par nécessité autant que par affectivité. Ses actes sont guidés par sa raison profonde tout autant que par le regard des autres. Certes, il conserve une marge de calcul mais celle-ci est largement amoindrie par les structures qui le dominent.

Pour autant nous ne basculons pas dans un holisme conventionnaliste qui priverait l’individu de toute liberté. Calcul et liberté n’ont pas le même sens. Un individu

dispensé de calcul n’est pas un être privé de liberté. Première raison d’ordre interne :

c’est parce que la collectivité donne naissance à des règles de conduite volontairement suivies que les personnes peuvent échapper à des calculs fastidieux ou impossibles ; cet évitement leur permet d’évoluer sans appréhension et, paradoxalement, d’être libres. Perd sa liberté, l’agent qui se trouve dans une situation d’interdépendance et ne peut résoudre un problème d’indétermination avec sa seule rationalité, aucun choix n’étant plus logique qu’un autre. Est libre celui qui a intégré les choix collectifs pour coordonner ses actes avec ceux des autres.

Seconde raison, d’ordre externe cette fois-ci. Nous l’avons précisé dans nos travaux, chaque convention s’exerce au sein d’une zone d’influence qui lui est propre. Ce principe de territorialité des conventions permet de saisir les différences comportementales observables en cas de transfert d’un milieu à un autre. Aussi, un individu a généralement la liberté de sortir d’un espace pour en rejoindre un autre régit par une convention différente. Ce n'est pas le fait de référer à une convention qui inhibe la liberté, c'est celui de ne pas pouvoir référer à plusieurs (Gomez, 1999). En somme, plus il y a de conventions et plus il y a de liberté.

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CHAPITRE 3

ORIENTATIONS EPISTEMOLOGIQUES ET METHODES DE