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en rien son adoption par les groupes concernés. Le temps nous dira ce qu’il en est justement advenu34.

De la même façon, le principe de prudence comptable qui dicte d’enregistrer les charges latentes et de rejeter les produits de même nature, est une convention qui admet une alternative, le principe de réciprocité, en vertu duquel les charges et les produits latents doivent être comptablement traités de façon identique. En fait la liste est très longue puisque toute convention admet au moins une alternative.

En examinant les cinq propositions à respecter pour adopter légitimement une approche conventionnaliste, il a justement été avancé qu’en l’absence d’alternative, il n’était plus possible d’évoquer une situation d’incertitude, l’individu n’ayant pas de choix. Dans ces conditions, on ne peut véritablement parler de convention mais plutôt d’obligation. Nous dirons alors que l’alternative est un dispositif délivrant un discours non compatible avec celui de la convention en place et remettant en cause la légitimité de ce dernier. Le professionnel, selon le contexte, peut alors progressivement douter de l’adoption généralisée de la convention, de moins en moins convaincu de sa cohérence et de sa pertinence.

Ce faisant, le convenant dubitatif va renvoyer aux autres un message les informant sur son incertitude quant à la légitimité de la convention existante. Le doute peut alors se répandre et favoriser de la sorte l’émergence d’une règle comportementale plus convaincante. Ainsi, l’alternative engendre le doute qui lui-même modifie l’aptitude à convaincre d’une convention supposée acquise.

Pour revenir à notre sujet, il ne faudrait pas se méprendre cependant sur le caractère « réactif » de la technique comptable et surestimer l’impact des alternatives. La comptabilité n'a pas réagi à toutes les impulsions extérieures et seules les inventions « utiles » qui ont su convaincre toute une population ont été adoptées. Rappelons que les outils d'une information comptable très sophistiquée, offerts très tôt par L. Pacioli, ne seront utilisés qu'au XXème siècle. Ainsi, lorsque l’auteur propose une classification de type « actif stable », « actif circulant », il s’agit bien d’une

alternative face aux conventions de présentation en vigueur à l’époque ; mais

l’innovation est prématurée et ne correspond pas à un besoin fort ; en conséquence, l’alternative en question sera sans effet et les praticiens ne la retiendront pas (Bac-Charry, 1994).

Toute proposition s’inscrivant dans une approche qui diffère de la convention en place, si elle peut être qualifiée d’alternative, n’est donc pas forcement apte à engendrer un état de doute.

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Sur ce sujet, on suivra avec intérêt les travaux de S. Benabdellah (sous la direction de R. Teller) portant précisément sur la dynamique de la convention « coût historique ».

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Nous rajouterons que le mécanisme d’autorenforcement de la convention fait d’elle un

équilibre évolutionnairement stable. Un équilibre évolutionnairement stable est « une

forme de comportement telle que, si elle est suivie au sein d’une population, un tout petit groupe qui en dévie réussit moins bien que ceux qui la suivent (Sudgen, p. 1986, 91) ». En conséquence, « une telle situation, reprennent R. Boyer et A. Orléan (1991, p. 240), résiste à toute stratégie déviante pour peu que celle-ci ne soit suivie que par un faible nombre d’individus, d’où le terme d’évolutionnairement stable : une

mutation qui n’affecterait que quelques individus ne saurait renverser le comportement

dominant ».

En d’autres termes, pour qu’une alternative émerge, le doute qui l’accompagne ne doit pas se limiter à quelques esprits critiques, mais envahir une portion suffisamment grande de la population pour amener ses membres à s’interroger quant à une adhésion durable et généralisée de la convention.

Ainsi, l’évolution d’une convention comptable est-elle directement liée à l’émergence d’une proposition alternative, diffusant un discours que d’aucuns jugeront plus cohérent, plus pertinent pour résoudre un même problème d’incertitude. Toutefois, cohérence et pertinence sont des termes qui renvoient à la raison sinon à une certaine rationalité. Or dans le domaine collectif, la raison n’explique pas les pratiques de façon absolue. Les individus rationalisent en effet leurs comportements en se référant à une conduite qu’ils considèrent comme « normale », c’est-à-dire celle qu’ils imaginent être la plus répandue et la plus acceptée. Aussi, l’alternative ne constituera véritablement une menace pour la convention établie que si elle amène la population à douter de son adoption généralisée.

S’il est admis que c’est l’existence même de l’alternative qui engendre éventuellement le doute et la remise en cause de la convention, l’analyse de ses sources apparaît alors incontournable. Après avoir défini la nature de l’alternative comptable, il importe maintenant de connaître les facteurs qui favorisent son émergence même si ceux-ci ne sont pas toujours identifiables avec précision. Il est en effet malaisé, du point de vue qui nous occupe, d’adopter un raisonnement linéaire ; au sein du système conventionnaliste, il est difficile d’imaginer une cause unique justifiant une série de conséquences.

Nous avons relevé globalement deux catégories de facteurs d’alternatives : les facteurs exogènes (1.1.) et les facteurs endogènes (1.2.).

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1.1. Les facteurs exogènes

Les facteurs exogènes peuvent être définis comme des agents extérieurs à la convention qui concourent à la production d’une alternative. En d’autres termes, les causes à l’origine de l’alternative sont étrangères aux déterminants de la convention établie. Ainsi qu’il apparaît sur le schéma, deux facteurs peuvent être relevés : le

contact et la réglementation publique.

Alternative (C2)