• Aucun résultat trouvé

1.4 Bibliothèques universitaires et Learning center

1.4.3 Transposition du Learning center aux bibliothèques universitaires

La mise en place de nouvelles formes de bibliothèques en tenant compte des évolutions citées ci-dessus de l’enseignement supérieur est actuellement restreinte au sein des universités. L’enjeu du changement ne se situe pas au même niveau que dans le cas des bibliothèques municipales analysé dans la partie précédente. En effet si les bibliothèques municipales ont toujours eu des missions au service de la cité, les bibliothèques universitaires ont exclusivement joué un rôle de mise à disposition de la communauté étudiante et professorale d’outils d’apprentissage, principalement constitués de supports écrits (livres, revues…). Néanmoins, nous observons depuis quelques années que d’autres formes de bibliothèques sont également proposées. La « bibliothèque troisième lieu » parait être un modèle novateur pour Florence Roche car ayant des fonctions sociales essentielles pour une bibliothèque : « le besoin d’une vie sociale et d’un second foyer ne s’est jamais imposé comme une évidence dans les BU, longtemps centrées sur la valeur des collections qu’elles détenaient. Or, plus que jamais, les étudiants […] ressentent la nécessité d’un point de repère sur le campus, stable, central, identifié. D’un lieu fédérateur, partagé par tous. La bibliothèque constitue sans aucun doute la seule structure capable d’endosser cette fonction »135. Par contre la one-room library qui propose un espace ouvert et décloisonné, est perçu comme une utopie de bibliothèque non applicable aux bibliothèques universitaires car ne répondant pas aux pratiques de lectures usitées. En revanche, un grand intérêt est porté au concept de Learning center pouvant modifier la BU. L’innovation est de rapprocher la bibliothèque de l’université grâce à la capacité de la bibliothèque à s’associer à d’autres services de l’université pour former un

133 ROCHE, Florence et SABY, Frédéric. L’avenir des bibliothèques universitaires. Op. cit., p.20 134 Ibid., p.147

135

44

ensemble unique au service des étudiants ; l’innovation est principalement de promouvoir la fonction d’apprentissage (learning) avec les enseignants (lieu de cours)136

.

Le modèle du Learning center pour les bibliothèques universitaires françaises s’appuie sur le rapport de Suzanne Jouguelet137, remis à la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche en décembre 2009. Le rapport met en avant deux atouts : l’exigence de performance et l’amélioration du service rendu dans les bibliothèques. Les enjeux sont économiques et l’intérêt réside dans la concentration des moyens permettant une forte optimisation des services. Le rapport d’études de la conférence des présidents d’université tire les mêmes conclusions : « il importe de repenser l’offre de services documentaires, de l’intégrer dans une vision globale de services… dans un contexte européen et mondial où la compétition entre établissements est désormais la règle »138. Le concept de Learning center commence à se répandre en France dans quelques universités. Suzanne Jouguelet estime que le contexte y est favorable. Elle cite plusieurs raisons telles que l’existence du plan « Réussir en licence », la politique d’extension des horaires d’ouverture, le développement des enquêtes de satisfaction auprès des publics dans les universités. Le rapport montre des réalisations et des projets en France qui s’inspirent des Learning center. Elle reconnait toutefois qu’il existe clairement des limites matérielles et culturelles mais la comparaison avec l’étranger permet justement une ouverture et un changement des mentalités. Les principaux exemples de réalisations et de projets à dimension expérimentale au moment de la rédaction du premier rapport en 2009 sont au nombre de 3 : la rénovation de la bibliothèque universitaire de sciences à l’Université Paul Sabatier de Toulouse, le projet de learning centre Innovation et pôles de compétitivité de l’Université de Lille 1 et le projet de learning centre Archéologie de l’Université Lille 3. Les projets présentés dans le rapport de la caisse des dépôts en 2011 sont au nombre de 6 et ne reprennent pas les projets cités précédemment. Nous pouvons ajouter les projets en cours en 2012 de l’université Sorbonne.

Un projet de recherche du laboratoire GERiiCO de Lille 3 en 2013 vise à questionner les évolutions en cours dans les bibliothèques, et plus spécifiquement les nouveaux modèles de bibliothèques que sont les Learning center. Cette recherche se propose d’étudier les projets

136 Ibid., p. 53

137

JOUGUELET, Suzanne. Les Learning centres : un modèle international de bibliothèque intégrée à

l’enseignement et à la recherche : rapport à Madame la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Op. cit.

138

45

Lille 1 et Lille 3 cités ci-dessus, et dont l’ouverture est prévue respectivement en 2014 et 2015, puis les réalisations de l’ESSEC à Paris qui a ouvert un Learning center depuis 2008, celui de L’université de Versailles Saint Quentin en Yvelines ouvert en janvier 2013 et enfin le Learning center INPT (Polytechnique) de Toulouse. Les projets des bibliothèques sont, à l’état actuel, à des stades d’avancement différents. Les exercices de transposition sont rendus complexes par les situations locales et les politiques universitaires nationales différentes d’un pays à l’autre : « Si beaucoup des préoccupations des learning centers sont celles des BU aujourd’hui, force est de constater qu’un long chemin reste encore à parcourir pour accomplir dans nos établissements le vœu de Graham Bullpitt »139. En décembre 2012, Alain Fernex alors enseignant chercheur en sciences de l’éducation et vice-président du CEVU140

de l’université Pierre-Mendès-France est également mitigé sur l’introduction du concept de

Learning center en France : « je trouve que la notion de Learning center peine à trouver sa

place dans le système français »141. En 2010, lors d’une intervention à l’Université, la Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, intervient également en faveur du

Learning center. Elle préconise de construire des bibliothèques dont ont besoin les étudiants.

Afin de lancer la création d’un modèle nouveau de « bibliothèques du 21ème siècle » sur le modèle des Learning center anglo-saxons, elle prévoyait un plan national pour le renouveau des bibliothèques universitaires142. De nouvelles fonctions sont données à la bibliothèque universitaire : tutorat pédagogique, espaces de travail accessibles, individuels ou collectifs, et esthétiques, importance du numérique, ouverture plus large le soir, le week-end et les jours fériés, liens renforcés entre pédagogie et documentation et entre documentation et recherche.

Un exemple particulier de construction de Learning center en Europe nous permet de dresser un bilan de fonctionnement143. Il s’agit du Rolex Learning centre de Lausanne construit en 2010. Après deux ans de fonctionnement, un bilan mitigé met en évidence des échecs. Au- delà de mettre à la disposition de la communauté universitaire un lieu unique combinant tous les atouts pour un travail collaboratif, l’objectif principal du Rolex Learning centre n’est pas atteint, à savoir introduire de nouveaux usages et de nouveaux comportements d’apprentissage, fonction principale visée par le concept. La construction du bâtiment a été

139 ROCHE, Florence et SABY, Frédéric. L’avenir des bibliothèques universitaires. Op.cit, p.157 140 Conseil des études et de la vie universitaire

141

FERNEX, Alain. « Une politique documentaire de l’université ». BBF, 2013, n°1, p.6-10

142 PECRESSE, Valérie. Des bibliothèques universitaires ouvertes plus longtemps [en ligne]. Ministère de

l’enseignement supérieur et de la Recherche, 17 février 2010

143 VETTORUZZO, Céline. Le Learning centre de Lausanne : prototype de la bibliothèque du futur ? Op. cit.,

46

vivement critiquée, l’annonçant comme une vitrine prestigieuse pouvant concurrencer les autres écoles internationales. Mais l’enquête menée par Cécile Vettoruzzo, auteur d’un mémoire d’étude, auprès des usagers du Rolex learning centre, montre aussi la séduction qu’exerce le bâtiment144. Ces usagers apprécient particulièrement l’architecture de cette

bibliothèque universitaire. Toutefois les fonctions de relations entre les usagers favorisant les innovations ne se retrouvent pas dans le fonctionnement du centre. Les étudiants privilégient la bibliothèque lieu clos. Ils recherchent les fonctions historiques d’une bibliothèque, à savoir le silence et des espaces studieux même s’ils apprécient de pouvoir bénéficier d’espace de détente pour manger, dormir ou discuter. A ce titre, l’objectif de la convivialité du centre est une réussite même s’il a été surexploité au détriment des lieux d’études. Les bibliothécaires du centre n’ont pas réussi à développer des méthodes d’apprentissage en groupes ni des formations à la recherche documentaire pourtant objectif premier du concept de Learning

center décrit par Graham Bulpitt145, directeur des services d’information à l’université publique de Kingston à Londres et « père » fondateur de Learning center en Europe. De plus les différents services du « Rolex » fonctionnent de façon autonome alors que la bibliothèque devait être intégrée au centre. Il ne s’agit pas d’une réticence des professionnels du centre mais d’une organisation proposant des services distincts. Nous pouvons avancer que ce centre est une bibliothèque augmentée de services annexes indépendants. Le témoignage des bibliothécaires ayant répondues à l’enquête est révélateur : « le principe même de déambulation [dans le Learning centre] ne correspond pas aux missions même d’une bibliothèque. Il trouve à s’appliquer dans un musée, où l’usager parcourt des salles, sur un chemin d’exposition, mais en aucun cas dans un lieu de travail où le public est invité à rester »146. Ceux-ci pointent la très mauvaise fonctionnalité du bâtiment et des espaces de travail, et la rigidité et la contrainte du bâtiment. Il existe une différence entre la volonté d’un espace idéalisé et un espace « vivant » composant avec ses contraintes. Cécile Vettoruzzo conclut son enquête sur des remarques éclairantes de bibliothécaires : « Il n’a rien d’un Learning Center … [il n’est qu’une] bibliothèque du XIXe siècle coincée dans un bâtiment du XXIe siècle, un lieu plus étrange qu’innovant »147

. Elle avance que « en dépit de sa beauté et de son caractère fascinant, le Rolex Learning Center présente des lacunes importantes qui

144

Ibid.

145BULPITT, Graham. « Le modèle du Learning Centre ». In BISBROUCK, Marie-Françoise (sous la dir. De).

Bibliothèques d’aujourd’hui : à la conquête de nouveaux espaces Edition du Cercle de la Librairie, 2010. p.66

146 Ibid., p.56 147

47

altère sa fonctionnalité. En ce sens, s’il reste un prototype de la bibliothèque du futur, il n’en est pas l’archétype. Le modèle est plutôt à rechercher du côté des bibliothèques hollandaises, véritables cas d’école en matière de modernisation des bibliothèques ». Ce constat négatif du

49

Deuxième partie

Déconstruction du concept de Learning center

Nous avons vu dans la première partie du mémoire que le concept de Learning center est un modèle de bibliothèque qui commence à s’appliquer en France, particulièrement dans les bibliothèques universitaires. Nous montrerons que ce concept anglo-saxon est international. Nous étudierons le Learning center de l’université de Kingston en Angleterre. Enfin, afin de comprendre ce concept et de cerner ses fonctions, il est intéressant de le décortiquer, le déconstruire, puis d’en proposer une photographie et une carte conceptuelle à l’aide du décryptage de la communication institutionnelle à travers l’analyse de deux textes de référence sur le sujet traité.