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Transparence rime avec concurrence pour Bruxelles

LA DEFENSE DE LA NEUTRALITE D’INTERNET POUR GARANTIE D’UN MARCHE CONCURRENTIEL

Paragraphe 2. La transparence, solution à une neutralité impossible ?

A. Transparence rime avec concurrence pour Bruxelles

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Le 5 juillet 2012, le Conseil National des Droits de l’Homme de l’ONU vo- tait une motion afin de reconnaître que « les droits de l’homme reconnus hors

ligne doivent être protégés en ligne quelque soit le pays où le média est utilisé »83.

L’accès à Internet devenait ainsi aux yeux des Nations Unies un droit fondamental. Le débat sur la NN laisse toutefois planer un doute : que peut-on appeler Internet ? Cette interrogation renvoie directement à la question de la transparence, sur la-

quelle tend à se cristalliser le débat en Europe.

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En 2009, à l’occasion de l’examen du « paquet télécoms », ensemble de cinq directives européennes, Bruxelles tranche pour une approche concurrence – transparence. En matière de gestion du trafic sur Internet, les propositions initiales de la Commission reposent en effet sur deux principes : la transparence du FAI à l’égard des pratiques mises en œuvre et la concurrence entre fournisseurs. Rappe- lons que le principe qui prévaut à Bruxelles est celui de la préservation du libre jeu de la concurrence. Dans cette approche, si un opérateur décide d’adopter des pra- tiques discriminatoires, par exemple en ralentissant certains protocoles ou en ralentissant l’accès à certains contenus ou applications, les abonnés sont libres de se tourner vers un autre FAI s’ils sont insatisfaits de cette pratique. Le « paquet

télécoms » est finalement adopté en novembre 2009 sans toutefois que le principe

de neutralité des réseaux n’y figure explicitement84. Les propositions de Bruxelles

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81 Cette position avait été développée par plusieurs acteurs lors d’une conférence organisée par le

CNNum à la Cantine, le 16 avril 2013.

82 Laurent CHEMLA, « La neutralité en mode debug », Ecrans.fr, 14 mars 2013,

[http://www.ecrans.fr/BBS-La-neutralite-en-mode-debug,16078.html].

83 Talia RALPH, « L’accès à Internet devient un droit fondamental », JOL Press, 18 juil. 2012,

[http://www.jolpress.com/article/acces-internet-devient-un-droit-fondamental-conseil-droits-homme- organisation-nations-unies-809120.html].

84 Deux dispositions finales tendent toutefois à limiter les conséquences négatives des atteintes à la

neutralité des réseaux. L’article 8 (4) (g) de la directive « cadre » prévoit que les autorités réglemen- taires nationales doivent soutenir la capacité des internautes à accéder à l’information et à la diffuser, ainsi qu’à utiliser des applications et des services de leur choix. L’article 22 (3) de la directive « service

visant à assurer la transparence des pratiques de gestion de trafic sont adoptées aux articles 20 (1) (2), 21 (3) (c) et (d) de la directive dite « service universel »85.

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Dans une tribune publiée par Libération le 16 janvier 201386, Neelie

Kroes87 réaffirmait son attachement à une régulation de la NN par la transparence

et un contrôle effectif de l’utilisateur final : « Mon principe de base consiste à dire

que les consommateurs devraient être libres de faire de vrais choix quant à leur abonnement Internet et à leur activité en ligne »88. Une liberté qui ne vient toute-

fois pas sans prix puisque d’après la Commissaire européenne, rien ne s’oppose à ce que les opérateurs de télécommunication proposent à leurs abonnés des offres Internet différenciées : à des prix variables et attribués à différentes qualités de services et différents accès aux services les plus « gourmands » en bande passante. Neelie Kroes précise en outre que « doivent figurer les vitesses effectives dans des

conditions normales et toute restriction imposée au trafic, ainsi qu'une option réaliste permettant de passer à un service “complet”, dépourvu de telles restric- tions ». En définitive, la Commissaire considère que la mise en place d'offres de ce

type serait de nature à « stimuler l'innovation et les investissements des fournis-

seurs Internet ». Longtemps restée hésitante au sujet d’une potentielle régulation

sur le sujet, Neelie Kroes faisait ainsi part de son orientation en s’exprimant pour une différenciation de l’offre sous réserve d’une lisibilité totale pour le consomma- teur ; autrement dit, la transparence comme solution à une neutralité impossible.

Largement critiquée par les associations de défense des internautes89, moins dé-

battue chez les FAI90, la position de Neelie Kroes avait toutefois le mérite de faire

avancer le débat.

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Cependant, l’hésitation de la Commissaire européenne se fait à nouveau sentir dans une déclaration en date du 30 mai 2013. Lors d’un discours à la Com- mission, Neelie Kroes soutient l’importance de « montrer aux citoyens que l'Union

européenne est pertinente pour leur vie ». À ce titre elle ajoute : « Je veux que vous puissiez dire que vous avez sauvé leur droit à un internet ouvert, en garan- tissant la neutralité du net »91. Un changement radical de position, bien que la

Commissaire en charge de la société numérique ne se soit point exprimée sur son intervention antérieure visant à considérer la transparence comme garantie d’un Internet « ouvert ». Sur Twitter, Neelie Kroes confirmait ce retournement en dé-

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universel » habilite les régulateurs nationaux à garantir que la qualité de service des connexions Inter-

net des abonnés soit protégée de toute dégradation excessive occasionnée par des pratiques de gestion de trafic. Lors du vote final, les parlementaires européens obtiennent de la Commission une déclaration politique relative à la NN. La Commission y déclare son attachement «au caractère ouvert et neutre

d’Internet » et prend acte de la volonté des législateurs nationaux de faire de ce principe un objectif

politique.

85 Directive dite « Service Universel », 2009/136/CE Du Parlement Européen et du Conseil du 25 no-

vembre 2009.

86 Neelie KROES, op. cit.

87 Commissaire Européenne en charge de la société numérique. 88 Neelie KROES, op.cit.

89 Guillaume CHAMPEAU, « 80 organisations européennes inquiètes pour la neutralité du net », Nume- rama, 18 avr 2013, [http://www.numerama.com/magazine/25725-80-organisations-europeennes-

inquietes-pour-la-neutralite-du-net.html].

90 Dahlia Kownator, porte parole de l’ACN, affirmait que la question du financement du réseau se po-

sant, il est normal de se diriger vers la contribution des FCA, et donc à la mise en place d’offres différenciées [http://www.zdnet.fr/actualites/neutralite-du-net-les-offres-differenciees-bientot-la- regle-39786385.htm].

91 Neelie KROES, « Speech: The politics of the completing the telecoms single market », 30 mai 2013,

clarant : « Je veux que l'internet ouvert soit inscrit dans le marbre » avant de twit- ter à nouveau : « Bloquer et brider les services ou applications sur Internet nous

cause à tous préjudice. Il n'y a pas de raison d'être anticoncurrentiel comme ce- la ». À un an d’une nouvelle composition de la Commission, les déclarations de

Neelie Kroes doivent-elles s’interpréter comme un retournement de situation déci- sif de Bruxelles en faveur de la NN ou comme une déclaration purement

politique92 ? Lors d’une conférence parlementaire en date du 4 mai, la Commis-

saire laissait encore planer le doute sur ses réelles convictions en réitérant ses premiers propos : « Pour moi, une plateforme ouverte est basée sur la concur-

rence, la transparence d'innovation, et le choix. Et c'est aussi sur ça que sera basée notre proposition »93. Évoquant la possibilité pour les FAI d’intégrer des

services gérés au sein de leurs offres HD/THD, Neelie Kroes ne semble pas tran- cher la question assez fermement pour qu’il soit possible de juger de la position de

Bruxelles sur la NN, si ce n’est sur la transparence.

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B. Transparence et offres différenciées :