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GARDE-FOU DES LIBERTES FONDAMENTALES SUR INTERNET !

L ES MENACES SUR LA LIBERTE D ’ EXPRESSION !

C. La neutralité technique :

condition d’une liberté d’expression effective

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Dans son premier avis relatif à la NN, le CNNum constate à l’unanimité la nécessité de légiférer sur cette question. Dans le rapport accompagnant cet avis, le sujet de la liberté d’expression prévaut largement sur les aspects technico-

économiques du débat16 :

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« La liberté d’expression n’est pas suffisamment protégée dans la loi française face au développement des pratiques de filtrage, de blocage, de censure, de ralentissement [...]. Le principe de neutralité doit être re- connu comme un principe fondamental nécessaire à l’exercice de la liberté de communication et de la liberté d’expression et de l'inscrire dans la loi au plus haut niveau de la hiérarchie des normes »17

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Afin d’être préservée, la liberté d’expression des utilisateurs d’Internet pourrait ainsi bénéficier d’une loi garantissant la neutralité du réseau. En écho à la déclaration des droits de l’homme de 1789, le rapport proclame non sans humour :

« toutes les adresses IP naissent libres et égales en droit »18. Le CNNum décline

alors cette obligation de neutralité à l’encontre de tous les intermédiaires tech- niques, y compris des hébergeurs. Rappelons qu’en contrepartie d’un comportement passif vis-à-vis de l’information, ces derniers bénéficient, grâce à la

LCEN19, d’une déresponsabilisation par rapport aux paquets qu’ils stockent ou

acheminent. Or, ce statut particulier n’est pas sans soulever certaines interroga- tions : le cadre juridique qui leur est applicable demeure flou, notamment lorsqu’eux même décident par exemple de censurer les publications de leurs utili- sateurs quand celles-ci contreviennent aux exigences de leurs CGU (ou à leurs

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16 Le Conseil national du numérique a été saisi pour étudier l’effectivité du cadre juridique actuel dans le

but de protéger la liberté d’expression des internautes.

17 Conseil National du Numérique, « Rapport relatif à l’avis Net Neutralité N°2013-1” » 1er mars 2013. 18 Ibid.

19 Loi pour la confiance dans l'économie numérique, n° 2004-575, 21 juin 2004, Art 6.I.2. : L’article 6 I

2 dispose que l’hébergeur n’est responsable de la publication du contenu qu’il héberge que si ce dernier a une connaissance effective du caractère illicite et qu’il n’a pas agit « promptement » à partir du mo- ment où il en avait connaissance.

politiques). La problématique ainsi posée est celle de la légitimité et l’opportunité de la suppression d’un contenu par un hébergeur sans recours à une autorité judi- ciaire : il n’est alors pas rare de voir dénoncé l’essor de « polices privées ». Cette situation est d’autant plus inquiétante qu’elle a trait à la liberté d’expression. Evo- quant ce statut des hébergeurs, Laurent Chemla résume ainsi la situation : « alors

que la loi les déresponsabilise quand ils ne censurent pas, elle ne les condamne pas lorsqu’ils le font »20. !

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Face à ces dérives possibles, le CNNum propose une piste innovante : par- tant du constat qu’aujourd’hui « Internet n’est plus seulement un réseau physique

mais aussi et surtout un ensemble de services », le principe de neutralité devrait

aussi viser « les services d’accès et de communication »21 - comme les réseaux so-

ciaux ou les moteurs de recherche. Cette orientation est inédite, dans la mesure où les précédents rapports sur le sujet se concentraient uniquement « sur les ré-

seaux » physiques, comme le fait remarquer Christine Balagué dans une interview

à l’Obs22. Pourtant, souligne le rapport, « les services d’accès et de communication

sont des services incontournables […] dont l’usage relève presque du service pu- blic », ce qui pose désormais « un problème d’égalité, principe fondamental s’il en est ». Ainsi, « l’énorme pouvoir que peuvent procurer ces services omniprésents s’accompagne aujourd’hui d’une obligation de neutralité », afin de « garantir la liberté d’expression, d’innovation et de création ». Force est de constater qu’à ce

jour, le droit n’offre en effet que peu de garanties vis-à-vis des atteintes à la liberté d’expression provenant de ces grandes plateformes. Toutefois, cette approche s’éloigne du principe d’origine et pourrait tendre à le « diluer » à trop vouloir l’étendre23 : qu’il s’agisse des CGU de Facebook ou de l’algorithme de Google qui

pourrait potentiellement être « déloyal », ces services font partie de la couche ap- plicative du réseau, différente de la couche physique. Si la régulation de ces services pose un débat légitime, incorporer celle-ci au sein d’une loi sur la NN semble risqué. En effet, le principe de NN s’inscrit originellement dans la régula- tion des infrastructures de transport (cf. Partie I, chapitre 1) : une loi ne devrait- elle pas plutôt s’attacher à assurer les fondements de la liberté d’expression per-

mise par Internet, i.e. l’architecture « end-to-end »24 et la passivité du gestionnaire

de réseau ? Pour reprendre un propos de Yonchai Benkler, « la structure de notre

environnement informationnel est constitutive de l’autonomie de l’individu »25.

D’une remise en cause de cet environnement par un intermédiaire technique ré- sulte, pour le professeur, « une réduction significative de l’étendue et la diversité

des options disponibles pour les individus de l’ensemble de la société, ou pour

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20 Laurent CHEMLA, « La Neutralité en mode debug », Ecrans.fr, 14 mars 2013,

[http://www.ecrans.fr/BBS-La-neutralite-en-mode-debug,16078.html].

21 Conseil National du Numérique, op.cit. note 17.

22 Boris MANENTI, « CNNum : « Sans neutralité, la liberté d’expression est menacée », Le Nouvel Obser- vateur, mars 2013, [http://obsession.nouvelobs.com/high-tech/20130312.OBS1558/cnnum-sans-

neutralite-la-liberte-d-expression-est-menacee.html].

23 La Quadrature du Net, « La neutralité du net neutralisée ? », 12 mars 2013,

[http://www.laquadrature.net/fr/la-neutralite-du-net-neutralisee].

24 Lawrence LESSIG, Mark A. LEMLEY, The End of End-to-End, Preserving the architecture of the Inter- net in the Broadband Era, Stanford Law School John M. Olin Program in Law and Economics -

Working Paper No. 207, U.C. Berkeley Law and Economics School of Law, Boalt Hall - Research Paper No. 2000-19, U.C. Berkeley Public Law and Legal Theory Research Paper No. 36, 1er oct 2000.

25 Yochai BENKLER, The Wealth of Networks : How Social Production Transforms Markets and Free- dom, Yale University Press, 2006, [http://www.benkler.org/Benkler_Wealth_Of_Networks.pdf].

certaines catégories d’individus ». C’est en ce sens que la préservation de la liberté

d’expression doit tout d’abord passer par le biais d’une loi relative à la NN.

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En outre, la LCEN prévoit déjà des réponses aux atteintes spécifiques à la liberté d’expression des grands services d’accès et de communication par la défini-

tion qu’elle donne en creux du statut d’éditeur 26 . C’est pourquoi la

« responsabilisation » des « quasi services publics», du type Facebook et Google, pourrait passer par une prise en compte de l’éditorialisation qu’opèrent ces acteurs sur leurs pages, au sein de la définition qu’en fait la LCEN. Bien que le cadre inter- national du problème juridique ne garantisse que cette loi puisse contrevenir à de telles pratiques, le cadre semble plus approprié qu’une loi qui s’attache initiale- ment à définir le principe de NN dans sa dimension technique (cf. Chapitre 2, Section I).

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