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La liberté d’expression, une liberté fondamentale mise à l’honneur par la NN

GARDE-FOU DES LIBERTES FONDAMENTALES SUR INTERNET !

L ES MENACES SUR LA LIBERTE D ’ EXPRESSION !

A. La liberté d’expression, une liberté fondamentale mise à l’honneur par la NN

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La liberté d’expression est un droit fondamental. Il est à ce titre l’un des droits les plus représentés à tous les niveaux de la hiérarchie des normes. Les ar- ticles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) ou encore l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen la consacrent comme une liberté fondamentale. Pour autant, il n’est pas aisé de décliner la portée pra- tique de ce principe. En effet, dans quelle mesure use-t-on de sa liberté d’expression et comment invoquer une violation de ce droit, particulièrement sur

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1 Fabrice ROCHELANDET, Economie des données personnelles et de la vie privée, La Découverte, « Re-

pères », Paris, 2010.

2 La citation se comprend dans un sens second. Steve Jobs, pionnier du développement des technologies Apple, est à l’origine d’un des leaders dans le processus verticalisation de l’architecture d’Internet. En

effet, plusieurs affaires ont dénoncé les barrières qu’Apple se permettait de placer par le biais de son

AppStore. En sélectionnant le catalogue d’applications téléchargeables sur iPhone et iPad, Apple ne

Internet ? Emmanuel Kant allie la liberté d’expression avec la liberté de penser3.

Pour le philosophe allemand, cette dernière ne se consomme que dans l’échange avec la pensée d’autrui. L’échange de pensée est alors permis par l’expression, dans son sens le plus originel ; aussi n’est-il possible que si chacun est libre de commu- niquer à propos de ce qu’il veut, avec qui il veut. Cette idée est également celle du philosophe américain Alexander Meiklejohn, dont le combat pour la liberté

d’expression est reconnu tant académiquement que politiquement4. Selon lui, la

démocratie n’existe qu’à condition que son électorat soit informé : les citoyens doivent ainsi être exposés à un large spectre d’opinions contradictoires. Meiklejohn démontre ici le lien entre celle-ci et la liberté d’expression.

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Avec Internet naît la liberté d’expression à l’échelle du citoyen. Par son

architecture horizontale , la commutation par paquets et le système d’adressage par IP (cf. Partie I, Chapitre I), le « réseau des réseaux » favorise en effet l’émergence de nouvelles configurations communicationnelles entre les différents points : communication point-à-point, i.e. une communication privée, dans le cas où seuls deux ordinateurs connectés sont en communication ; point-multipoints, dans le cas où un ordinateur diffuse des données en direction de plusieurs ordina- teurs (s’applique dès lors un schéma de « communication », c’est-à-dire de mise à disposition du public d’un message) ; multipoints-multipoints, où une diversité

d’émetteurs peut envoyer de l’information à une diversité de récepteurs5. Dans

cette dernière configuration, un utilisateur peut par exemple poster le contenu de son choix sur un blog collaboratif, à destination de toux ceux qui voudront y avoir accès.

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De ces possibilités communicationnelles, Benjamin Bayart déduit, dans une expression maintes fois reprise que « l’imprimerie a permis au peuple du lire,

Internet va lui permettre d’écrire »6. Lors d’une conférence à la Cantine (16 avril

2013), le fondateur de FDN expliquera : « La question de la liberté d’expression ne

se posait pas au siècle dernier, étant comprise dans le droit de la presse. La loi de 1881 prenait ainsi toute son importance. La situation est totalement différente aujourd’hui ». Pour Laurent Chemla : « La liberté d’expression n’existe que sur Internet »7. Ainsi, d’un débat technico-économique, le débat sur la NN se déporte

sur la question de la préservation de cette liberté et de ses possibles entraves. Refu- ser à quelqu’un d’exercer sa liberté d’expression revient à priver cette personne d’une liberté reconnue comme fondamentale. D’un point de vue plus pratique, priver quelqu’un de son accès à Internet (sans le recours à un juge) constitue une forme d’ingérence contraire à la Constitution. La fameuse décision du Conseil constitutionnel du 10 juin 2009 participe exactement du même esprit, en censu- rant les dispositions relatives à la suspension de l’accès à Internet prévues par la

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3 Emmanuel KANT, « Que signifie s'orienter dans la pensée ? », Vers la paix perpétuelle, Paris, Flamma-

rion, 1991, p. 69.

4 Il est nommé membre de la délégation des États-Unis lors de la fondation de l’UNESCO.

5 Dominique ROUX, Patrick-Yves BODILLO, Que sais-je : les 100 mots des télécommunications, PUF,

Paris, 2009.

6 Benjamin BAYART, « La Neutralité du réseau », in La Bataille Hadopi, InLibroVeritas,

[http://docs.china-europa-forum.net/neutralite_internet.pdf].

7 Laurent CHEMLA, « La liberté dans sa plus simple expression », Ecrans.fr - 22 fév. 2013,

première version de la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet8 (loi dite « Hadopi 1 ») :

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« Aux termes de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : “La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi” ; qu'en l'état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu'à l'importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l'ex- pression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d'accéder à ces services » (Considérant 12)9.

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En refusant de confier le pouvoir de la restriction de l’accès à Internet à une AAI, les sages de la rue de Montpensier consacrent « Internet [comme] une

composante de la liberté d’expression » (sic). Demeure toutefois la question de la

protection de cette liberté, notamment face à un Internet non neutre où un FAI serait autorisé à gérer le trafic ou à bloquer l’accès à certains sites. Si l’article 1er de

la LCEN dispose que « la communication au public par voie électronique est

libre », il n’en demeure pas moins que sans NN, la liberté d’expression apparaît la

première menacée. L’enjeu posé est le suivant : comment empêcher que des ac- teurs puissants (par leur position technique ou économique) puissent prendre des décisions dont les conséquences seraient susceptibles de rejaillir sur le plan des libertés fondamentales et « l’architecture démocratique de la communication–

celle permise par Internet » 10 ?

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