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Transparence et offres différenciées : la porte ouverte à un « Internet public résiduel » ?

LA DEFENSE DE LA NEUTRALITE D’INTERNET POUR GARANTIE D’UN MARCHE CONCURRENTIEL

Paragraphe 2. La transparence, solution à une neutralité impossible ?

B. Transparence et offres différenciées : la porte ouverte à un « Internet public résiduel » ?

La recommandation n°5 du rapport de l’ARCEP de septembre 2010 préco- nise une transparence accrue vis-à-vis des utilisateurs finals94 et encadre ainsi

l’instauration d’offres différenciées. Il est en effet recommandé que le terme « In-

ternet » soit réservé aux offres respectant les exigences en matière de gestion de

trafic et de transparence. Il est en outre recommandé que le terme « illimité » ne puisse être utilisé pour des offres proposant des limitations de type fair use pou- vant produire « une coupure temporaire ou une facturation supplémentaire des

services voire une dégradation excessive des débits ou de la qualité de service ».

Le rapport co-rédigé par Laure de la Raudière et Corinne Erhel, rendu le 13 avril 2011, participe du même esprit dans ses propositions sur la transparence vis-à-vis de l’utilisateur final :

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« En l’absence de défaillances de marché, il semble suffisant, pour protéger ce choix, d’assurer la transparence sur l’accès à internet en ré- servant l’appellation internet aux seuls accès neutres (proposition n°5) et en instituant un observatoire de la qualité de l’internet (proposition n°6) ; dans l’hypothèse où la concurrence ne permettrait pas au consommateur d’opter pour un accès à internet neutre de qualité à un prix raisonnable, la capacité de choix du consommateur devrait être rétablie par des moyens plus contraignants en imposant aux fournisseurs d’accès à inter- net des exigences garantissant la qualité d’internet »95.!

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92 Sachant que la représentation du parti pirate et des défenseurs des libertés sur Internet pourraient

tripler leur représentation au Parlement au cours des prochaines élections, selon plusieurs sondages corroborant cette hypothèse.

93 Guillaume CHAMPEAU, « Neutralité du net : le discours mi-figue mi-raisin de Neelie Kroes », Nume- rama, 4 mai 2013, [http://www.numerama.com/magazine/26147-neutralite-du-net-le-discours-mi-

figues-mi-raisin-de-neelie-kroes.html].

94 Tant dans la présentation commerciale et les conditions contractuelles de leurs services de communi-

cations électroniques que dans les informations accessibles aux clients de ces offres en cours de contrat, les FAI doivent fournir à l'utilisateur final des informations claires, précises et pertinentes relatives : 1/ aux services et applications accessibles via ces services, 2/ à leur qualité de service, 3/ à leurs limitations éventuelles, 4/ainsi qu'aux pratiques de gestion de trafic dont ils font l'objet.

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La député Laure de la Raudière nous le confirmera lors d’un entretien96. Elle

ne s’oppose pas à l’instauration d’un Internet scindé entre sa branche publique et sa branche privée ou l’instauration d’offres premium « à la condition que cela ne

vienne pas entamer la qualité de l’Internet public et que l’Autorité de la concur- rence veille à ce que le marché demeure concurrentiel ». La marque Internet

semble être une bonne piste pour pérenniser un Internet public de qualité suffi- sante. La transparence prendrait ainsi tout son sens puisqu’une offre ne respectant pas les critères légaux posés pour être qualifiées d’Internet ne pourrait être vendue comme telle. Alors qu’est souvent prôné le « contrôle effectif » d’un utilisateur qui peut rapidement être débordé par les indices techniques à analyser, la labellisation d’ « Internet » selon des critères minimum de qualité et d’accès semble être une option envisageable. Cette possibilité pourrait s’analyser comme une transparence

positive vis-à-vis du consommateur. Cela implique qu’il soit libre de se tourner

vers un autre. Toutefois, Laure de la Raudière le reconnaît : « la transparence à

elle seule ne suffira pas. Le génie marketing des opérateurs reprendra le dessus. Le régulateur devra dans tous les cas pouvoir intervenir ». De surcroit, l’ARCEP

n’a pour le moment pas les pouvoirs nécessaires pour arbitrer les conflits que pour- rait poser une telle situation. Néanmoins, si la neutralité est arguée comme impossible d’après les défenseurs du couple concurrence – transparence, les li- mites d’une telle solution se dressent rapidement et laissent entrevoir ce que l’intérêt commun devrait s’occuper à éviter : « un internet public résiduel ou la

bande d’arrêt d’urgence de l’Internet »97.!

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La question qui se pose est la suivante : s’agit-il de « sacraliser » un Inter- net public viable pour n’importe quel utilisateur ou faire confiance au contrôle effectif des utilisateurs finals et permettre la différentiation des offres sous couvert de transparence ? A contrario, s’agit-il de préserver une neutralité quasi parfaite techniquement parlant, tout en légiférant a priori afin qu’aucune offre Internet ne confine l’utilisateur final sur un Internet que Christian Paul décrit comme « rési-

duel »98. Pour Christophe Decker et Marie Sauty de Chalon, respectivement PDG et

DG du site français <Auféminin.com>, l’instauration d’offres différenciées consti- tue les prémices d’un « clivage d’accès entre les riches et les pauvres » sur Internet99. En effet, ce serait encourager les familles démunies à se tourner vers

une offre au tarif restreint, à l’opposé de la nécessité de « maintenir un Internet

social et démocratique, de permettre d’accès à tous et à un tarif équivalent ».!

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Le spectre d’une offre différenciée, aussi transparente soit-elle, voit surgir le risque d’un Internet à deux vitesses. Une telle possibilité est jugée encore plus sévèrement par l’eurodéputée Françoise Castex qui assimile les propos de Neelie Kroes à « l’idée de transformer la ressource publique mondiale que doit être In-

ternet en un réseau de distribution privée pour le seul bénéfice de quelques

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96 Entretien Laure de la Raudière du 23 avril 2013.

97 Christian PAUL, Entretien Assemblée Nationale, 19 avr 2013. 98 Ibid.

99 Christophe DECKET, « Neutralité du net : halte aux contre-vérités », Les Echos, 24 janv. 2013

[http://lecercle.lesechos.fr/entreprises-marches/high-tech-medias/internet/221163704/neutralite- net-halte-aux-contreverites].

acteurs »100. Pour elle, la transparence prônée par la Commissaire européenne

s’apparente plus à « un libre de choix de payer plus » pour le consommateur et «

un verrouillage du marché du numérique […] faisant le grand jeu des géants nord-américains au détriment des PME et start-ups européenne qui, la plupart du temps, n’auront pas les moyens de passer les accords financier avec tous les opérateurs pour développer une nouvelle offre qui soit accessible au consomma- teur ». Est directement visé le frein à l’innovation que constituerait l’instauration

d’un tel marché. Un « leurre » donc d’après la député européenne, qui anticipe d’ores et déjà les risques que cela ferait peser tôt ou tard sur la liberté d’expression et d’information, ainsi que sur l’égalité d’accès aux savoir. Pour La Quadrature du net et son co-fondateur, Benjamin Sonnentag, Kroes renonce ici à défendre l’intérêt général et les citoyens, affirmant que la neutralité du net n’est pas une

question de marché, mais avant tout une question de libertés fondamentales101.

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Ainsi, à ce stade du développement, la transparence ne semble pas consti- tuer une « solution » en elle même. D’une part, à cause des différenciations qu’elle légitime au sein d’un Internet qui doit s’entendre comme un bien commun au ser- vice de l’intérêt général102 ; d’autre part, parce que rien ne garantit que la

monétisation de la face amont du marché impliquera que les FAI ré-investiront cet argent dans le réseau (cf. chapitre 1). Laure de la Raudière évoque notamment le

« besoin de preuve » d’un tel investissement, le cas échéant103. Comme le soulignait

Me Benoit de la Taille « il ne faut pas oublier que le but premier d’un FAI est de

faire de l’argent »104. !

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100 Françoise CASTEX, « Internet : Neelie Kroes n’est pas neutre », Libération, 23 janv. 2013,

[http://www.liberation.fr/medias/2013/01/23/internet-neelie-kroes-n-est-pas-neutre_876074].

101 La Quadrature du Net, « Neutralité du Net : Neelie Kroes cède sous la pression des opérateurs », http://www.laquadrature.net/, 17 janv. 2013, [http://www.laquadrature.net/fr/neutralite-du-net-

neelie-kroes-cede-sous-la-pression-des-operateurs].

102 Valérie SCHAFER, Hervé LE CROSNIER, op. cit.

103 Antoine DUVAUCHELLE, « Neutralité du net : les offres différenciées bientôt la règle ? », ZDnet, 22

janv 2013, [http://www.zdnet.fr/actualites/neutralite-du-net-les-offres-differenciees-bientot-la-regle- 39786385.htm].

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DEUXIEMEPARTIE

NEUTRALITE DU NET

ET VIE DEMOCRATIQUE

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CHAPITRE I

NEUTRALITE DU NET ET EMPOWERMENT DU CITOYEN

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Tel que nous l’avons présenté dans la partie précédente, le débat sur la NN revêt une forte dimension technico-économique et tourne autour d’un nouveau partage de la valeur. Mais, outre cet enjeu économique, qu’on pourrait qualifier d’exigence de non-ingérence du réseau dans les contenus, la NN porte également des enjeux sociétaux, touchant au respect des libertés fondamentales des citoyens. Il s’agit principalement de liberté d’expression et du respect de la vie privée, qui nécessitent d’être préservés. Le principe de NN doit par ailleurs s’apprécier à la lumière des dynamiques de convergence, qui impliquent une concentration accrue

des modes de régulation.

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La théorie anglo-saxonne de l’empowerment sera mobilisée afin de mettre en lumière le rôle d’Internet comme outil démocratique. Le but de ce chapitre est ainsi d’établir le lien entre le principe de NN et la préservation des garanties por- tées par l’architecture et la philosophie du réseau. En outre, il s’agira de rendre compte des enjeux suscités par l’avènement des nouveaux usages et des évolutions technologiques. Après avoir traité de la préservation des libertés fondamentales par la garantie d’un Internet neutre (Section I), seront détaillées les nouvelles lo- giques de régulation envisagées à l’heure de la convergence technologique (Section II).

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