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La transmission des forces par les différents complexes d’adhérence

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II. La boite à outil cellulaire pour le remodelage des épithéliums

2.2. Les éléments d’ancrage cellulaire nécessaires aux épithéliums

2.2.3. La transmission des forces par les différents complexes d’adhérence

Les complexes d’adhérence apicaux et basaux forment des ancres solides et modulables grâce à leur liaison au cytosquelette dont la dynamique va pouvoir engendrer des changements de comportement cellulaire. En effet, les jonctions adhérentes et les points focaux d’adhésion sont considérés comme des biosenseurs de force permettant de sentir, intégrer et transmettre des messages mécaniques entre les cellules mais aussi entre les cellules et la matrice extracellulaire.

Ces dernières années, beaucoup d’études ont mis en évidence le rôle essentiel de la mécano-transduction lors de la morphogenèse et pour l’homéostasie des tissus. Qu’est-ce que la mécano-transduction ? Les cellules peuvent communiquer entre elles par le biais de signaux biochimiques ou mécaniques. La mécano-transduction est la capacité des cellules à percevoir et intégrer une information mécanique et à la convertir en information biochimique ou électrique. Les complexes d’adhérence, situés dans la membrane plasmique, à l’interface entre le milieu intra- et extra-cellulaire, sont généralement les premiers à ressentir les forces extérieures provenant soit de la matrice extracellulaire, soit des cellules voisines. Leur exposition aux forces mécaniques a suscité l’intérêt des chercheurs, et de nombreux outils ont été générés afin d’étudier leur fonctionnement par rapport aux forces. Ainsi, des expériences élégantes ont apporté une meilleure compréhension sur leur rôle dans la mécano- transduction. Les forces biomécaniques peuvent être mesurées et analysées à plusieurs échelles : tissulaire, cellulaire ou moléculaire. Dans cette partie je vais me focaliser sur l’impact des forces au niveau moléculaire, ce qui est nécessaire pour comprendre l’impact des forces à l’échelle de la cellule et du tissu.

La détection basée sur le FRET de tension moléculaire est l’une des méthodes qui a permis de caractériser l’impact des forces sur certaines protéines clés. Le principe de cette méthode repose sur une construction composée d’un fluorophore donneur d’énergie (CFP) et d’un fluorophore accepteur d’énergie (YFP), tous les deux séparés par un lien étirable issu d’un constituant des fils de toiles d’araignée (Brenner et al. 2016). Ainsi, lorsque la tension est basse, le transfert d’énergie à lieu car les fluorophores restent proches. En revanche, lorsque la construction est sous tension, les fluorophores s’éloignent, empêchant le transfert d’énergie. Le rapport d’intensité de chacun des fluorophores varie et permet ainsi de détecter

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Figure 15. Les biosenseurs de force basés sur le FRET.

(A) La CFP et l’YFP sont liées par une séquence peptidique « souple » (noir). Lorsque la protéine d’intérêt (rectangle pointillés) n’est pas sous tension, l’énergie émise par la CFP est transmise à la YFP qui fluoresce. Dans ce cas, le signal FRET est fort (en haut). Sous tension, la CFP et l’YFP s’éloignent, la CFP ne transfère plus son énergie, c’est elle qui fluoresce. Le signal FRET diminue quand la molécule est sous tension (en bas). (B) Exemple hypotétique d’une protéine associée à un biosenseur et soumise à une force générée par l’acto-myosine (rose).

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le fait qu’une molécule est sous tension ou non (Figure 15 A). Ces constructions, nommées senseur de force, peuvent être fusionnées à des protéines d’intérêt afin de pouvoir étudier leur capacité à ressentir les forces (Gayrard and Borghi 2016) (Figure 15A-B). Cette méthode, bien qu’usuellement utilisée in vitro (Grashoff et al. 2010, Borghi et al. 2012), s’avère particulièrement puissante pour l’exploration du rôle de la mécano-transduction in vivo et ex

vivo, notamment lors du développement des organismes. Cependant, une limite importante

de cette méthode est que la tension ne peut être mesurée que dans une fenêtre restreinte de mesure, c’est-à-dire qu’une force au-dessous ou au-dessus de cette fenêtre ne pourra pas être mesurée (Sugimura, Lenne and Graner 2016, Campàs 2016).

Il est maintenant bien établi que les jonctions adhérentes permettent la propagation des forces dans un épithélium (voir section 3.2.1.). Les cadhérines sont donc des protéines d’intérêt pour mesurer les forces mécaniques générées dans un épithélium. Par conséquent, la fusion d’un senseur de force avec une cadhérine a été déterminante pour comprendre son rôle dans la transmission des forces. Il a initialement été montré grâce à un senseur de force intégré dans les molécules d’E-cadhérine que les jonctions adhérentes sont de manière permanente sous tension, cependant la tension est plus forte au niveau des points de contact intercellulaire contrairement à là où il n’y en pas. En effet, l’acto-myosine va exercer une force sur les jonctions adhérentes qui sera transmise aux jonctions adhérentes voisines (Borghi et al. 2012), renforçant ainsi l’adhésion cellulaire. Cet outil a été plus tard développé pour des analyses in vivo, par exemple chez les amphibiens. Les auteurs ont montré que dans l’embryon vivant de xénope le signal FRET est diminué au niveau des contacts cellulaires, indiquant qu’une force est appliquée sur les cadhérines, confirmant les résultats obtenus en culture de cellules (Herbomel et al. 2017). Des expériences in vivo ont également été faites chez la drosophile. Ici, le senseur de tension de l’E-cadherine a contribué à la compréhension de la migration collective des cellules de bordure dans l’ovaire de la drosophile. Dans ce processus, l’E-cadhérine est préférentiellement sous tension au front de migration des cellules pour contrôler la direction de migration du groupe des cellules de la bordure vers l’oocyte (Cai et al. 2014).

D’autres expériences novatrices ont permis de mesurer la force appliquée sur une molécule unique telle que l’α-Caténine, une molécule importante du complexe des jonctions adhérentes. Initialement, son interaction avec les fibres d’actine suggérait qu’elle pouvait agir comme un senseur de force. L’utilisation de pinces magnétiques a permis d’analyser l’effet

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des forces sur l’α-caténine. Dans ce cas, les molécules d’α-caténine sont ancrées entre une lamelle de cuivre et une bille paramagnétique afin d’appliquer une force d’intensité variable sur la molécule pour en mesurer sa sensibilité. Ainsi, dans cette expérience, il a été mis en évidence que l’α-caténine change de conformation en fonction de la force appliquée. En effet, lorsque la force appliquée est supérieur à 5pN, l’α-caténine va se déplier afin d’ouvrir son site de liaison à la Vinculine, ce qui va favoriser la polymérisation de l’actine. En revanche, lorsque la force dépasse 30pN cela amplifie l’étirement, entrainant au contraire le détachement de la Vinculine. De plus ces expériences ont montré qu’en dessous de 5pN, l’α-caténine est sous sa forme repliée, empêchant toute interaction (Yao et al. 2014b). Le domaine de liaison à l’actine va lui aussi être étiré pour libérer un site permettant à deux protéines d’α-caténine de former un dimère pour favoriser le regroupement des jonctions adhérentes et la polymérisation de l’actine (Ishiyama et al. 2018). L’ensemble de ces études montre l’engagement et l’importance des jonctions adhérentes dans la transmission correcte des forces à travers la cellule et l’épithélium.

Qu’en est-il des adhésions basales ? Initialement, un senseur de force FRET a été combiné à la Vinculine (VinTS), afin d’étudier son rôle dans la transmission des forces en culture cellulaire. L’utilisation de la sonde VinTS a permis de mettre évidence que, lors de la migration cellulaire, la Vinculine est sous tension au niveau des protrusions du front de migration mais que la tension est basse lors de la rétraction des protrusions. Ces résultats suggèrent que la Vinculine a la capacité de transmettre les forces, déterminant ainsi l’assemblage ou le désassemblage des adhésions basales (Grashoff et al. 2010). De manière similaire à la Vinculine, la Taline est davantage sous tension à la périphérie de la cellule qu’en son centre, montrant que l’adhésion est plus forte en périphérie. Le recrutement de la Taline va augmenter l’affinité au ligand extracellulaire en favorisant le dépliement total des intégrines, initialement repliées vers la membrane plasmique (Ye et al. 2010, Calderwood et al. 1999, Tadokoro et al. 2003). Ainsi la liaison de la Taline aux intégrines induit un changement de conformation des intégrines. Cependant, pour pouvoir se lier aux intégrines, il faut que la Taline reçoive un signal d’activation. La Taline forme un homodimère replié sur lui-même qui va s’ouvrir en réponse à un signal mécanique ou à un signal biochimique (Klapholz and Brown 2017). Une fois active elle va pouvoir se lier à la sous-unité β des intégrines, ainsi qu’à la membrane plasmique (Tadokoro et al. 2003, Goult et al. 2010). Cette liaison intégrine-Taline- cytosquelette va provoquer la dissociation des sous unités-α/β au niveau du domaine

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Figure 16. Représentation schématique du déploiement d’une protéine sensible à la force détecté avec des pinces magnétiques.

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transmembranaire permettant l’ouverture du site de liaison à la matrice extracellulaire des intégrines (Vinogradova et al. 2002).

La Taline est une protéine importante pour la mécano-transduction. En effet, elle va permettre à la cellule de sentir la rigidité de la matrice extracellulaire : lorsque les cellules sont sur un support mou, la Taline est moins sous tension, alors que sur un support rigide la Taline est davantage sous tension. C’est grâce aux multiples sous-domaines présents dans son domaine tige qu’elle peut sentir et transmettre la force (Kumar et al. 2016, Klapholz and Brown 2017). La force appliquée par l’acto-myosine sur la tige de la Taline peut induire son dépliement. Elle va s’étendre progressivement jusqu’à une centaine de nanomètres, ce qui permettra l’ouverture de différents sites d’interaction, notamment celui de la Vinculine (chez les vertébrés) afin d’induire la polymérisation de l’actine (Yao et al. 2014a, Yao et al. 2016, Papagrigoriou et al. 2004, Klapholz and Brown 2017) (Figure 14). La capacité de molécules de Taline à sentir les forces a été mesurée de la même manière que précédemment pour l’α- caténine grâce à des billes paramagnétiques (figure 16). Les auteurs ont mesuré que la force moyenne appliquée sur la Taline associée aux adhérences basales lors de l’étalement cellulaire ne dépasse pas 10pN (Yao et al. 2016). Ainsi, la Taline agirait comme un temporisateur de force afin d’assurer le maintien des adhérences basales et la transduction de messages mécaniques à travers la cellule. Ce processus est réversible puisque lorsque la force est faible la Talin va perdre sa liaison avec Vinculin (Yao et al. 2016). Ainsi, comme l’α-caténine, la Taline est un véritable senseur de la force capable de provoquer une réponse en fonction de l’intensité de la force générée par l’acto-myosine. La Taline est donc une protéine clé qui va garantir la transmission et la diffusion des signaux mécaniques de part et d’autre de la membrane plasmique par différents moyens de réponse.

En conclusion, l’ensemble des études menées sur le rôle des adhérences cellulaires dans la mécano-transduction et la transmission des forces ont permis de comprendre comment les molécules répondent aux forces afin de contrôler le comportement d’une cellule, soulignant l’importance du lien entre complexes d’adhérence et cytosquelette d’acto-myosine pour la transmission des forces à travers les cellules.

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