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Le cinéma espagnol entretient, pendant toute la période franquiste et les vingt- premières années qui suivent la mort du Caudillo, un rapport conflictuel avec les esthétiques réalistes. La question du réalisme n’aura, pourtant, pas manqué d’être débattue, à plusieurs reprises, par les réalisateurs, les producteurs et les critiques de chaque période. Ce débat, sans cesse renouvelé par les changements sociaux et politiques et les transformations techniques, se poursuit jusqu’à nos jours, notamment, à travers le questionnement d’un nouveau « cinéma social espagnol » capable de renouveler le cinéma national. Celui-ci, néanmoins, a du mal à susciter l’intérêt au-delà de ses frontières, comme nous l’avons souligné auparavant105

.

Aucun mouvement esthétique réaliste espagnol n’a eu la capacité de transformation du Néoréalisme italien ou du cinéma direct français, par exemple. Dans les deux cas, ces esthétiques réalistes se développent au carrefour de changements sociaux importants et de la reconfiguration industrielle ou technique du cinéma.

Ainsi, le Néoréalisme italien s’élabore dans une certaine précarité économique et industrielle et, pour cette raison, est souvent le fruit de pratiques de production hétérogènes (Quintana, 1997 : 79-85). De plus, comme le précise Ángel Quintana :

[l]’éthique néoréaliste a été marquée par une implication des cinéastes dans le discours sur la réalité, une implication qui n’était pas limitée à une compréhension descriptive de la réalité, une évaluation des phénomènes qui la constituent ou des mouvements sociaux qui la configurent. L’implication dans le réel a été imprégnée, pendant les premières années du néoréalisme, d’une volonté de changement du monde […]. Elle revendiquait un autre idéal : la transformation possible de la société. (Quintana, 1997 : 42-43)106

105 Outre les textes d’Ángel Quintana (2001, 2005, 2006a, 2006b, 2007, 2008), on pourra se référer à l’article de

Pascale Thibaudeau (2007) dans lequel elle s’intéresse au réalisme social comme un nouvel architexte dans la fiction espagnole des années 90 et 2000.

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« La ética neorrealista estuvo marcada por una implicación de los cineastas en el discurso sobre la realidad, una implicación que no se limitaba a ser una comprensión descriptiva de la realidad, una valoración de los fenómenos que la constituyen o de los movimientos sociales que la configuran. La implicación en lo real estuvo impregnada, durante los primeros aðos del neorrealismo, de una voluntad de cambio del mundo […]. [P]romovìa otro ideal : la posible transformación de la sociedad. »

56 Concernant le cinéma direct français, il va innover avec une série d’outils que les cinéastes de la Nouvelle Vague s’approprieront ensuite. La possibilité de « filmer sans entrave non seulement les choses mais surtout les gens » (Prédal, 2008 : 20) avec le 16 mm synchrone et les magnétophones Nagra et Perfectone, transforme les esthétiques. Des directeurs de la photographie, comme Jean Rouch ou, aux Etats-Unis, Richard Leacock, tirent rapidement tout le potentiel de ces techniques naissantes. Le coauteur de Chronique d’un été (1960), Edgar Morin, considère qu’elles peuvent même permettre la naissance d’un « cinéma ethnologique au sens fort du terme : [un cinéma qui] cherche l’homme »107.

Ainsi, en Espagne, aucun mouvement esthétique réaliste espagnol n’a eu cette capacité de transformation, jusqu’à ces dernières années. En effet, comme nous l’avons précisé auparavant, un nouveau réalisme semble se dessiner, parallèlement au réalisme social, dans le « documentaire de création » et quelques fictions contemporaines108, lesquels suscitent un intérêt, bien au-delà de la Péninsule. Pour en mesurer la portée, il semble nécessaire d’observer, de façon diachronique, l’écart entre les productions documentaires d’avant le milieu des années 90 et celles plus actuelles. Ce qui nous intéresse, dans ce chapitre, concerne l’histoire du documentaire en Espagne et les difficultés rencontrées pour établir la transmission de modèles esthétiques, éthiques et économiques, c’est-à-dire pour élaborer des filiations entre cinéastes, entre producteurs, afin de perpétuer certaines manières de faire, de renouveler, de façon consciente, les esthétiques réalistes et d’élaborer, ainsi, un contre-modèle aux conventions des représentations dominantes. Comment procèdent cinéastes et producteurs, durant la seconde moitié du XXe siècle, pour développer d’autres esthétiques réalistes, pour créer un « gain de réalité […] par rapport à un état antérieur du [cinéma] » (Aumont, Bergala, Marie, Vernet, 2001 : 96) ? Quelles sont les entraves, que les cinéastes rencontrent, qui empêchent une telle transmission ?

Les travaux sur le NO-DO de Vicente Sánchez-Biosca et Rafael Tranche (1998, 2001 et 2006), ceux de Santos Zunzunegui sur le cinéma des années 60 (2005) ou de Llorenç Soler et Joaquim Romaguera (2006) et, récemment, de Manuel Barrios109 (2003) sur le cinéma militant et underground des dernières années du Franquisme, ont apporté des éléments de réponses qui expliquent les difficultés politiques, techniques, économiques et structurelles qui ont empêché l’éclosion d’une filiation dans la transmission de certains modèles réalistes.

107 D’après l’article d’Edgar Morin paru dans le Nouvel Observateur, « Pour un nouveau cinéma vérité », cité par

Michel Marie (1997 : 57).

108 Nous pensons aux fictions d’Albert Serra, de José Luis Guerin, de Marc Recha, d’Isaki Lacuesta, de Jo Sol,

de Jaime Rosales, de Llorenç Soler…

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Manuel Barrios est le réalisateur et scénariste de la série documentaire en 6 parties Crònica d’una mirada (2003).

57 C’est à la lumière de ces différents travaux que nous avons mesuré les transformations qu’impliquent la récupération d’une telle histoire du documentaire et la constitution d’un modèle de transmission.

En guise de préambule, nous avons voulu interroger certains enjeux du réalisme au cinéma, à partir de deux des principales caractéristiques qui définit l’esthétique réaliste des années 90 et 2000 : l’ambigüité de certains films dans leur rapport aux catégories théoriques de documentaire et de fiction et la question corollaire d’une frontière commune. Que faire de ces notions ? Dans quelle mesure sont-elles encore opératoires ? Au fil de notre questionnement, peut-être pourra-t-on entrevoir ce qui se joue dans ces nouvelles formes de représentation et envisager les films qui nous intéressent comme un changement de paradigme.

Pour ce faire, cette dynamique aura nécessité un groupe, un cadre permettant la transmission de divers modèles et la constitution de nouvelles œuvres, comme l’a expliqué le directeur du Master en Documentaire de création de l’UPF :

on ne peut pas faire un enseignement de haut niveau sur le documentaire sans les films de référence. La transmission n’existe pas sans les films. Alors, il faut faire les films en même temps que la transmission. Comme il n’y a pas de tradition, la tradition ayant été complètement tronquée, il faut la réinventer. (Balló, 2008, entretien)

Par ces mots, Jordi Balló explique ses motivations pour inclure, au cœur de la formation universitaire, la préparation de longs-métrages. Il ne s’agit pas de nier l’existence de films documentaires dans l’histoire du cinéma espagnol, mais de mettre en exergue la difficulté, pour les documentaristes, de créer entre eux, entre générations, des filiations qui auraient permis d’asseoir une tradition et une histoire commune, dans la durée : la tradition Ŕ les façons de faire et de penser, héritées du passé Ŕ n’existe que par ceux qui l’élaborent et la défendent.

En soulignant les difficultés que rencontrent les documentaristes pour former ces groupes et ces filiations, et au regard des références bibliographiques actuelles, on comprend qu’une tradition s’est aujourd’hui dessinée, qui revendique les pratiques du documentaire de création.

Nous avons divisé cette étude diachronique de la question de la transmission du documentaire en Espagne en trois grandes étapes, lesquelles correspondent, sur le plan

58 politique, aux quasi trente premières années du Franquisme (1943-68), à la Transition110 (1969-1982) et aux législatures socialistes (1982-1996). Sur le plan de l’histoire des techniques, cela correspond à des transformations importantes dans le domaine de l’audiovisuel : le cinéma continue de développer des techniques permettant de nouveaux effets de réel (élargissement des écrans, couleur, son synchrone), ce qui apparaît comme une réponse à l’essor de la télévision aux Etats-Unis111

(années 40 à 60) ; puis, l’importance des pratiques du cinéma amateur permet de créer de nouveaux réseaux parallèles à l’industrie cinématographique (années 60 et 70), enfin, l’essor de la vidéo et la prépondérance de la télévision sur le reste de la création et de l’économie de l’audiovisuel sont décisifs durant les années 80 et 90112.

Entre la période de la Seconde République et celle du Franquisme, les changements politiques, industriels et techniques sont tels, concernant le documentaire, que nous avons fait le choix de ne pas inclure de commentaires à propos de la première période. La rupture qui s’opère empêche toute continuité. Nous précisons, néanmoins, que le documentaire connaît durant la Seconde République un essor important, essor marqué par la venue de cinéastes étrangers (Roman Karmen, Joris Ivens, Ivor Montagu, Norman McLaren, Henri Cartier- Bresson…) et par les courts-métrages de Carlos Velo et le précurseur Tierra sin pan / Las Hurdes (Terre sans pain, 1933) de Luis Buñuel113, lesquels participent à ce socle commun de références, dont bénéficient les documentaristes actuels. Mais avant de commenter davantage

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Nous considérons la Transition comme une période relativement longue, afin d’envisager celle-ci, comme d’autres l’ont fait (Marì, Risques et Vinyes, 2007), comme un processus non seulement politique, mais également social, rendu possible grâce aux transformations qui s’opèrent au sein de la famille (utilisation de la contraception), du travail (grèves, organisation des syndicats clandestins), et, dans une autre mesure, au sein du cinéma. Dans Historia del cine español, les auteurs (Gubern et al.) ont considéré dans un même chapitre cette période « du « tardofranquisme à la démocratie » (« Del tardofranquismo a la democracia (1969-1982) », Casimiro Torreiro, p.341-399).

111 TVE commence à émettre de façon régulière en automne 1956 tandis que la seconde chaîne (« UHF », Canal

2 ou La 2) débute son activité en 1966. Néanmoins, comme le souligne Jean-Stéphane Duran Froix (2009 : 13), « [l]a télévision ne devint véritablement un média de masse en Espagne qu’à partir de la première moitié des années 70. C’est alors que le nombre de postes en service dépassa les 5 millions d’unité, chiffre qui […] indiquait que la quasi-totalité de la population outre-pyrénéenne pouvait être considérée comme téléspectatrice. ». L’auteur de La télévision espagnole, un contre-modèle ? explique l’arrivée tardive de la télévision dans les foyers espagnols par la mauvaise conduite de l’implantation de la télévision, l’absence d’une importante industrie électronique pour fabriquer des postes de télévision et le faible pouvoir d’achat des espagnols.

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La multiplication des chaînes régionales (à partir de 1983) et privées (à partir de 1988) transforme l’ensemble de l’audiovisuel espagnol. La place prépondérante accordée au football dans les grilles des programmes (Duran Froix, 2009 : 107-114) et la guerre que ce sport déclenche régulièrement entre les chaînes a façonné une télévision peu créative, parfois qualifiée de « télé-poubelle » (idem : 101). Comme nous aurons l’occasion de le commenter par la suite, quelques programmes, néanmoins, contribuent à dynamiser la création audiovisuelle espagnole, durant ces années 80 et 90.

113 On pourra se référer notamment aux articles de Manuel Palacio (2001a) et Roman Gubern (2001) concernant

cette période. Plus particulièrement, le livre de Mercé Ibarz (1999) apporte de précieux commentaires sur le documentaire de Luis Buñuel, tout comme le fait, sur le cinéma documentaire de Carlos Velo, l’article de Miguel Anxo Fernández (2001).

59 les difficultés de la transmission du documentaire de création en Espagne, voyons ce qui peut s’y jouer.

Documentaire et fiction : des enjeux du réalisme et de la nécessité d’une transmission de modèles documentaires

Dans le faux plan séquence de Tokhme morgh haye dariahi (2006), un court-métrage d’Abbas Kiarostami, trois œufs s’offrent à la merci des vagues qui frappent le rocher sur lequel ils se trouvent. Le ressac finit par emporter, dans une apparente continuité, chacun des trois œufs, tandis que l’on entend redoubler le cri des mouettes. « Documentaire ou fiction ? » Le réalisateur iranien, qui présentait ce film devant une assemblée d’étudiants en cinéma114

, répondait au jeune homme qui lui posait cette question qu’à partir du moment où le film présente une certaine vérité, il s’agissait, pour lui, d’un documentaire et que, par conséquent, tout bon film était un documentaire. Il précisait, avec la rigueur de pédagogue qui est la sienne, que cette affirmation n’avait rien d’académique, qu’elle était l’expression d’un ressenti personnel et qu’il n’avait pas la volonté d’en faire un dogme.

Pour beaucoup de spectateurs, face à ce court-métrage, la question de la « frontière » supposée entre ce qui est de l’ordre du documentaire et de la fiction s’imposait. Car, si la différence entre l’un et l’autre apparaît, généralement, de manière évidente, la frontière qui les sépare est, dans certains cas, problématique, d’autant que la fiction peut toujours chercher à mimer le documentaire. Mais ce dernier aurait-il une spécificité ?

Guy Gauthier donne raison à Abbas Kiarostami en affirmant qu’« une telle opposition n’a de sens que classificatoire, et ne se pose aux cinéastes qu’en termes de statut, de distribution, d’avances sur recettes, de catégorie de compétition, et autres considérations qui relèvent de la bureaucratie, de la rentabilité, mais sûrement pas de l’art. » (Gauthier, 2005 : 3- 4). La nécessité théorique de ces termes, afin de leur donner une valeur opératoire, est revendiquée par l’auteur, après avoir expliqué que « les deux catégories [fiction et documentaire] ne sont pas cloisonnées, mais se rejoignent selon un parcours subtil » (idem : 4). Guy Gauthier oppose « cinéma documentaire » et « cinéma romanesque » pour esquisser une « échelle de fictionnalisation » qui se décline entre deux pôles théoriques : le « documentaire-plus » et le « romanesque-plus » (idem : 101). Il met en valeur la question de

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La masterclass a eu lieu au MK2 Bibliothèque, à Paris, le 21 janvier 2010, le lendemain de la sortie de Shirin (2010) en France.

60 l’acteur propre à la fiction et l’absence de celui-ci dans le documentaire, ainsi que la condamnation de ce dernier « au présent [et] à ce qui est visible dans le présent » (idem : 6).

François Niney, pour sa part, remarque qu’un faisceau d’éléments permet de déterminer le caractère documentaire :

Ce n’est pas seulement la nature (supposément réelle ou imaginaire en soi) de ce qui est filmé qui va déterminer le caractère documentaire ou fictionnel du film, c’est tout autant la relation du filmeur au filmé, la tournure de la mise en scène, sa façon de s’adresser au spectateur, de l’entraîner à y voir notre monde commun ou un monde ajouté (« inventé »), à se faire comprendre comme une énonciation sérieuse (documentaire) ou feinte (fictive), l’usage que l’on fait du film […] etc. […] [P]our savoir si une séquence est documentaire ou fictionnelle (sous la réserve que l’opposition documentaire / fiction ne recouvre nullement celle entre vrai et faux), il ne suffit pas de savoir ce qu’est une prise de vues, ni même ce qu’elle représente, il est aussi nécessaire de comprendre les circonstances du tournage et comment le film s’adresse au spectateur. (Niney, 2009 : 19)

Les critères pour distinguer documentaire et fiction, avancés par François Niney, de diverses natures, « impliquent des mécanismes élaborés de perception, discrimination et jugement que nous exerçons en toute ignorance » (Niney, 2009 : 61) et se réfèrent aussi bien au profilmique, au paratexte du film, au régime de croyance du spectateur, aux modalités d’énonciation, qu’à l’usage qu’il est fait du film. Ils soulignent l’évolution d’un concept Ŕ celui de documentaire Ŕ dont l’usage s’est répandu, au fur et à mesure des pratiques de réalisation et de réception. Ces critères, parce qu’ils traduisent certains enjeux de réception d’un film, ont donc une valeur opératoire et semblent particulièrement appropriés, pour les films des années 90 et 2000, qui se sont constitués à partir du jeu avec cette frontière entre documentaire et fiction.

S’il est généralement admis que le recours à des acteurs (professionnels ou non) ou à des personnes « interprétant leur propre rôle » permet de décider si l’on a à faire à une fiction ou à un documentaire, il est des cas indécidables à partir de ce seul critère, comme Salaam Cinema (1994) de Moshen Makhmalbaf, dans une certaine mesure Close up (1990) d’Abbas Kiarostami ou ce court-métrage Tokhme morgh haye dariahi, mentionné auparavant. Dans ce dernier film, la connaissance de stratégies de mise en scène peuvent laisser penser aux pratiques de la fiction115, tandis que l’absence d’acteurs et de direction « d’acteurs » et les

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L’élaboration d’un scénario préalable, la disposition des œufs, les raccords, répétés, sur le mouvement des vagues qui rendent le montage imperceptible et laissent croire à une continuité sans ellipse.

61 commentaires du cinéaste suggèrent davantage des pratiques documentaires116. Si le choix entre l’un et l’autre est indécidable, c’est au bénéfice d’un « gain de réalité » (Bazin, 2002 : 270) : le caractère indécidable permet un régime de croyance ambiguë, entre logique de connaissance (documentaire) et régime de compréhension (fiction)117. Appréhendant le court- métrage d’Abbas Kiarostami par une logique de connaissance, nous observons la fragilité de la vie et le chaos du monde. Une mouette a fait son nid dans un rocher qui lui avait paru protégé des vagues ; la marée contrarie ses plans et met en péril sa progéniture. Le régime de compréhension provoque une dramatisation de la scène à travers le cri des mouettes qui retentissent, créant à la fois une solidarité entre congénères et un sentiment d’impuissance partagée, auquel nous ne pouvons qu’adhérer : nous tremblons à chaque vague qui vient frapper les œufs. Aussi, chacun des régimes renforce l’autre constituant la singularité même de cette fable poétique sur la fragilité essentielle des êtres et du monde.

Cette tendance du cinéma contemporain, qui met en crise cette dichotomie entre documentaire et fiction Ŕ tendance que l’on retrouve dans les films réalisés dans le cadre du Master en Documentaire de création de l’UPF Ŕ, est une source de renouvellement du cinéma de ces dernières années. Elle transforme les esthétiques réalistes.

En effet, pour que se constitue une nouvelle esthétique réaliste, celle-ci doit entrer en opposition avec les règles normatives de représentation du monde et, ainsi, donner à penser celui-ci autrement ; c’est-à-dire qu’elle doit pouvoir mettre en crise les esthétiques réalistes dominantes, qui constituent la doxa. Celles-ci relèvent en Espagne, durant les années 2000, autant des esthétiques d’un certain cinéma réaliste que de programmes télévisés. Comme il a été précisé, parmi ces derniers, les journaux télévisés, les reportages118, mais aussi les jeux de la « téléréalité », ont une influence capitale sur nos représentations du monde. L’idéologie119 de ces programmes, incarnée de manière paroxystique dans les chaînes d’informations en

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Les œufs ont été abandonnés au gré des vagues, l’idée de ce court-métrage lui est venu, quelques jours avant de décider de le tourner, en se promenant sur la plage et en observant sur un rocher le nid fragile d’une mouette.

117 François Niney distingue un « horizon d’attente en documentaire [qui] relève plutót d’une logique de

connaissance, de type historique, dont le doute (et la vérification éventuelle) est la pierre de touche […] et la fiction [qui] fait plutôt appel à un régime de compréhension (des conduites humaines), sur un mode dramatique ou romanesque, dont la pierre de touche est la crédibilité (le fait que ça existe ou non étant mis entre parenthèses). (Niney, 2009 : 63-64)

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François Niney note que les différences entre documentaire et reportage « se marquent à trois niveaux : la relation au langage audiovisuel, le mode de production et la notion même de Ŗsujetŗ. La constitution d’une œuvre singulière s’oppose à une œuvre formatée, davantage préoccupée par l’information qu’elle délivre. Le travail en tandem du producteur et du réalisateur est opposé au nivellement que requiert le formatage. Enfin, le reportage tend à faire de l’événement spectaculaire son sujet, « ne fait événement que ce qui rompt l’ordre du monde (le monde est donc supposé a priori en bon ordre !) » tandis que la démarche documentaire repose sur « une logique de découverte de fond » (Niney, 2009 : 120-126).

119 Jacques Aumont et Michel Marie définissent l’idéologie comme « un système de représentations […] de

nature interprétative (non scientifique) […] jouant un róle historique et politique précis […] se donnant pour universel et naturel, […] enfin constituant une espèce de langage » (2008 : 124)

62 continu120 ou dans des programmes comme Gran Hermano, revendique les principes du panoptique, de l’omni-visibilité.

A l’inverse, les documentaires du Master en Documentaire de création de l’UPF se font contre ce principe d’omni-visibilité et en tenant compte de la crise de la communication et du régime de croyance critique qui en a découlé. Ainsi, de nouvelles formes se développent à partir de cette réaction. Cette manière de créer de « nouveaux modèles narratifs, de

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