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Quand commence cette seconde session du Master, Monos como Becky a déjà été présenté au festival de Sitges, il a reçu différents prix et est distribué en salles. La sortie de ce film marque, selon Esteve Riambau (2010 : 11), « l’éclosion du documentaire que connaît alors la Catalogne pendant, au moins, les dix années suivantes »366. L’intérêt que porte Joaquín Jordá au documentaire sera l’occasion, pour de nombreux critiques au début des années 2000, de rapprocher cet essor de l’historique mouvement cinématographique de l’Ecole de Barcelone (EdB), le cinéaste en ayant été l’un des principaux animateurs. Pourtant, à l’inverse de la stratégie de Ricardo Muðoz Suay et de Joaquìn Jordá, qui publient des textes- manifestes tentant de définir l’EdB à la fin des années 60, le MDC choisit plutót de mettre en avant des films et des cinéastes variés, sans trop se préoccuper de définir le groupe qu’il rassemble.

Quant à Buenaventura Durruti, anarchiste de Jean-Louis Comolli, il est terminé à la fin de l’année 1999 et est présenté pour la première fois à la Semaine Internationale de Cinéma (Seminci) de Valladolid, hors compétition, dans la section « Tiempo de historia ». Après une projection à l’Université Pompeu Fabra, quelque temps plus tard, le distributeur Sherlock envisage l’exploitation du film au cinéma Verdi de Barcelone367

; néanmoins, la proposition n’aboutit pas. Le film de Comolli est présenté dans les festivals de Marseille, Lussas et Yamagata368, puis est programmé à la télévision espagnole dans la nuit du 14 au 15 avril 2000, à 1H00. En France, Buenaventura Durruti, anarchiste est programmé sur ARTE, le 24 janvier 2001 à 23h50. L’édition en VHS, puis en DVD, permet de poursuivre la diffusion de ce film.

366

« Ŗla eclosiónŗ del documental experimentada en Cataluña durante, por lo menos, los siguientes diez años ».

367 María Paz López, dans un article publié dans le supplément Vivir de La Vanguardia du mardi 2 novembre

1999, « Memoria de un anarquista », évoque cette possibilité : « Le film sur la vie de Durruti a de l’avenir dans les salles de cinéma. Le distributeur Sherlock pourrait faire la première du film en février au cinéma Verdi de Barcelone. » (« La película de la vida de Durruti tiene futuro en salas de cine. La distribuidora Sherlock podría estrenarla en febrero en el cine Verdi de Barcelona »).

368 Au Festival International du Documentaire de Marseille, le film est programmé les 28 et 29 juin 2000, et aux

Etats Généraux du film documentaire de Lussas, le 22 août 2000. Au Japon, le Yamagata International Documentary Film Festival sélectionne le film de Comolli en compétition internationale pour la septième édition du festival, en octobre 2001.

185 Enfin, le film de José Luis Guerin sort en salles le 19 octobre 2001, après avoir remporté, lors du Festival de San Sebastián, le Prix Spécial du Jury et le FIPRESCI. Quelques mois plus tard, lors de la 16e cérémonie des Goya, il reçoit le prix du meilleur documentaire369. Il rassemble plus de 144 000 spectateurs en salles, est édité en DVD370 et connaîtra, ensuite, plusieurs diffusions à la télévision. L’accueil critique et public du film de José Luis Guerin donne à connaître l’œuvre du cinéaste à un plus grand nombre de spectateurs. Ce film est également l’occasion de témoigner de l’amitié qui réunit José Luis Guerin et Víctor Erice quand ce dernier écrit dans Letras de cine un article, « Los muertos », où il évoque sa rencontre en 1994 avec le cinéaste catalan et leur façon commune d’envisager le cinéma comme « une manière d’être au monde »371. Víctor Erice, qui n’a, alors, pas réalisé de film depuis presque dix ans, rend publique la communauté d’esprit que partagent les cinéastes, communauté qui apparaît de plus en plus comme une nécessité, ainsi que le souligne encore l’article :

Je veux avec tout cela dire que José Luis Guerin est le cinéaste avec qui j’ai le plus parlé et échangé d’expériences ces huit dernières années. Pendant ce temps, il a tourné Tren de sombras et En Construcción, obtenant, à la suite de ce dernier, une reconnaissance générale, de la critique et du public, fort méritée. Le succès d’En Construcción représente un espoir, le signe Ŕ j’espère qu’il ne s’agit pas d’une illusion, de l’exception qui confirme la règle, une fois de plus Ŕ que dans notre travail, nous ne sommes pas aussi seuls que nous le pensons parfois.372

Le processus de transmission s’organise ainsi comme un élément de résistance face à « la règle » de l’industrie audiovisuelle, sans expliquer ce qui, dans la pratique même du cinéma, pourrait les rapprocher373.

Ainsi, durant cette seconde session du Master, les premiers films du MDC rencontrent le soutien de trois des principaux festivals de cinéma espagnol : San Sebastián, Sitges et

369 Les trois autres films sélectionnés étaient Los niños de Rusia de Jaime Camino, Extranjeros de sí mismo de

Javier Rioyo et José Luis López Linares et Asesinato en febrero de Eterio Ortega.

370 Outre l’édition mentionnée dans la bibliographie, citons celle parue avec le journal El País (26/06/2004) dans

la collection « Un País de cine 2 ». En France, le film est également édité par Shellac en 2010.

371 « una forma de estar en el mundo ». 372

« Quiero con todo esto decir que José Luis Guerin es el cineasta con el que más he hablado e intercambiado experiencias en estos últimos ocho años. En ese tiempo él ha rodado Tren de sombras y En Construcción, obteniendo, a raíz de esta última, un reconocimiento general, de crítica y público, muy merecido. El éxito de En

Construcción supone un hecho esperanzador, la señal Ŕespero que no se trate de un espejismo, de la excepción

que confirma la regla, una vez másŔ de que en nuestro trabajo no estamos tan solos como a veces pensamos. »

373

Víctor Erice poursuit néanmoins son article en apportant quelques commentaires au film de José Luis Guerin,

En Construcción. Il évoque, à la suite d’André Bazin, le cinéma comme art funéraire pour parler de Tren de sombras et En Construcción. Cette conception du cinéma pourrait être également appliquée au cinéma d’Erice.

Dans El Sol del membrillo, certaines scènes le suggèrent, notamment quand Antonio López s’endort sur un lit ou quand la caméra filme des coings en train de pourrir.

186 Valladolid. Des liens de filiation avec l’histoire du cinéma catalan et espagnol sont envisagés par la critique et les cinéastes eux-mêmes et surtout, dans le cas du film de Guerin, un important public voit le film en salle.

Dans le même temps, d’autres documentaires sortent en salles. Aucun ne rencontre un succès comparable à celui que connaît En Construcción, mais, déjà, une certaine diversité commence à se dessiner. Ainsi, les réalisateurs Javier Rioyo et José Luis López-Linares poursuivent leur collaboration en réalisant A propósito de Buñuel (2000) et Extranjeros de sí mismos (2001), sur la question de l’engagement militaire durant la Guerre d’Espagne et la Seconde Guerre Mondiale. Le Péruvien Javier Corcuera, installé en Espagne, réalise, quant à lui, La espalda del mundo (2000). Ce film marque un pas supplémentaire dans la revendication de l’exploitation du documentaire en salles, comme l’a souligné Josetxo Cerdán (2008)374. Coproduit par Media Pro et Elías Querejeta P.C., et distribué par United International Pictures (UIP), une trentaine de copies du film circulent dans les salles, sortant ainsi le documentaire des « cinémas pour minorités » et le mettant « à la portée de tous les publics » (Cerdán, 2008 : 13)375. L’année suivante, Fernando Leñn de Aranoa, qui avait participé au scénario du film de Javier Corcuera réalise au Mexique Caminantes, sur l’accueil de la caravane zapatiste dans un village du Chiapas et filme, à cette occasion, un entretien avec le Sous-commandant Marcos376. Le film de Javier Corcuera rassemble plus de 50 000 spectateurs, tandis que le film de Fernando León de Aranoa n’est presque pas exploité en salles377. Enfin, citons Calle 54 (2000) de Fernando Trueba, qui réunit plus de 68 000 spectateurs en salles.

Lluís Miñarro produit également un premier long-métrage documentaire, Fuente Álamo: la caricia del tiempo (2001) de Pablo García. Malgré une mauvaise distribution en salles, le film connaît un véritable succès dans de nombreux festivals, en Espagne et à l’étranger378

. Ce film démontre aussi que le documentaire peut exister dans des circuits

374

« Ce film a atteint de nouveaux buts dans le processus de réouverture de l’industrie cinématographique espagnole par rapport au documentaire » (« Esta película alcanzó nuevas metas en el proceso de reapertura de la industria cinematográfica española al documental ») (Cerdán, 2008 : 12)

375 « cines para minorías », « al alcance de todos los públicos ». 376

Fernando León avait coréalisé, avec Gracia Querejeta et Azucena Rodríguez, Primarias (1998) sur les élections primaires au sein du PSOE. Ce film est une initiative du producteur Elías Querejeta. On reconnaît le titre et l’idée du film de Robert Drew qui réalisa, avec la contribution d’Albert Maysles et Richard Leacock,

Primary (1960), film emblématique du cinéma direct américain. Primary présente la campagne des primaires

pour l’élection présidentielle américaine opposant les Démocrates John Fitzgerald Kennedy et Hubert Humphrey.

377 Il rassemble moins de 2000 spectateurs en salles tout comme le film de Manuel Martín Cuenca, El juego de

Cuba (2001).

378

Il est notamment sélectionné au Festival Infinity Film d’Alba en Italie, au Festival dei popoli de Florence, au Docupolis de Barcelone, au festival de Yamagata (Japon).

187 parallèles à ceux dans lesquels les fictions trouvent généralement leur place. Pablo García démontre aussi que la tendance qui se généralise au sein du Master Ŕ à savoir la revendication du documentaire de création Ŕ se développe dans d’autres endroits d’Espagne. Ainsi, le réalisateur, après avoir effectué un casting parmi ses proches, filme, dans le village de Fuente Álamo (Albacete), des villageois de tout âge, lors de la « danse des gazpachos »379. L’accueil que Fuente Álamo: la caricia del tiempo reçoit auprès des programmateurs européens est le premier signe de l’intérêt international pour le documentaire espagnol. Lluìs Miðarro produira, les années suivantes, de nombreuses fictions et quelques documentaires avec sa maison de production Eddie Saeta, et fera l’objet de plusieurs rétrospectives, en Espagne et à l’étranger380. Parmi ses productions, les films d’Albert Serra, de Marc Recha et de Lisandro

Alonso participent au renouveau du réalisme cinématographique, les stratégies de fiction n’étant pas étrangères au documentaire381

.

Citons enfin un dernier documentaire distribué en Espagne, celui de la Hollandaise d’origine espagnole Sonia Herman Dolz, Yo soy así (2000). La réalisatrice s’intéresse aux artistes de la Bodega Bohemia, un cabaret barcelonais fermé en 1998. Elle les réunit pour filmer l’un des principaux divertissements dans la Barcelone des XIXe

et XXe siècles382. Cette réalisatrice interviendra à plusieurs reprises au sein du Master, ce qui montre, une fois de plus, sa capacité à rassembler des cinéastes de divers pays européens. Sonia Herman Dolz rend compte ainsi aux étudiants d’une part de la production néerlandaise, ayant fondé la maison de production Hasten Slowly Films à Rotterdam383.

Ce sont Joaquín Jordá, Ricardo Íscar et Isaki Lacuesta qui, finalement, réalisent les trois nouveaux longs-métrages. Joaquín Jordá trouve ainsi au sein du Master un environnement confortable pour poursuivre son travail de documentariste, lequel, avant l’expérience de Monos como Becky, avait cédé le pas à son travail de scénariste et de traducteur. Ricardo Íscar, après avoir participé en tant que second chef opérateur à En Construcción et Monos como Becky, va préparer son premier long-métrage tourné en

379 « el baile de los gazpachos ». A propos de Fuente Álamo: la caricia del tiempo, on pourra se référer à l’article

d’Efrén Cuevas (2007 : 169-170).

380

Parmi les documentaires qu’il produit, citons El somni (2008) de Christophe Farnarier et les deux films qu’il a réalisés Familystrip (2009) et Blow Horn (2009).

381 Ces cinéastes utilisent les paysages urbains, naturels et humains dont ils disposent comme des éléments

centraux de leur narration : leurs récits s’élaborant à partir de ces nouveaux éléments que propose le tournage. Ainsi, par exemple, dans Honor de cavallería (2006), Albert Serra trouve, dans les conversations entre les acteurs non-professionnels Lluís Carbó et Lluís Serrat, les paroles de Don Quichotte et Sancho Panza.

382 Parmi ces artistes, on peut voir el Gran Gilbert, qui apparaissait déjà dans Juguetes rotos (1966) de Manuel

Summers.

383

Sonia Herman Dolz a réalisé également Romance de Valentía (1993), Lágrimas negras (1997), The Master

188 Espagne. Simultanément, il tourne avec la collaboration d’un étudiant de la première session du MDC, Nacho Martín, La punta del moral (2001) et El Cerco (2002-2006). Enfin, Isaki Lacuesta tourne, à 25 ans, son premier long-métrage. En faisant passer Isaki Lacuesta, d’une session à l’autre, du statut d’étudiant à celui d’enseignant-réalisateur, Jordi Balló met en place un système qui favorise le renouveau générationnel, permettant à de jeunes cinéastes de travailler dans des conditions économiques avantageuses. Cravan vs. Cravan s’inscrit également dans une certaine continuité de l’œuvre de Joaquìn Jordá, non pas dans les manières de faire ou dans les thématiques abordées, mais plutôt dans la façon qu’a Isaki Lacuesta de le désigner comme celui qui l’a accompagné tout au long de son projet, sans qu’il lui impose un dogme sur ce que peut être le métier de cinéaste. C’est pourquoi, lorsque sort Cravan vs. Cravan, les critiques tendent à rapprocher les deux cinéastes. Pourtant, il semble bien que ce soit avant tout l’amitié, plus qu’une pratique particulière du cinéma, qui les réunisse. Ainsi, Isaki Lacuesta écrit à plusieurs reprises sur Joaquín Jordá384 et présente le cinéaste, comme une personne non conventionnelle, donneuse de bons conseils pour les nombreux étudiants et amis qui viennent le consulter.

Ainsi, après avoir cherché à renouer avec l’histoire récente du documentaire en Espagne, le MDC, pendant la seconde session, semble faire le pari de voir émerger en son sein de nouveaux cinéastes. Ce pari ne sera relevé que tardivement, quand le film de Ricardo Íscar réussira à devenir une œuvre centrale, malgré les difficultés de sa diffusion.

Au début de la seconde session, le cinéaste hollandais Johan van der Keuken présente certains de ses films aux étudiants. C’est également pendant cette seconde session qu’est créé le programme Taller.doc du producteur Joan González sur El 33. Le programme accueille ainsi des films de certains étudiants récemment sortis du Master ou encore de la jeune diplómée en Communication Audiovisuelle de l’UPF, Ariadna Pujol, qui réalise alors STOP (2001) et En el piso (2001), après le succès de Tiurana (1999) dans plusieurs festivals. Le programme se veut être une passerelle entre le monde universitaire et l’industrie et donne l’occasion à de nombreux étudiants de faire leurs premiers films. Amanda Villavieja réalise ainsi El libro de la memoria (2001) et Postal desde los Balkanes (2003). En France, Fanny Guiard, qui avait accompagné Jean-Louis Comolli à Barcelone et ainsi pu étudier lors de la première session, réalise le projet qu’elle avait développé. Son film, Cette mémoire qui se tait (2000), est diffusé à la télévision, sur la Cinquième et est produit par l’INA.

189 Enfin, la publication, en 2001, de Imagen, memoria y fascinación, notas sobre el documental en España (Català, Cerdán et Torreiro) marque un tournant dans la récupération du documentaire espagnol, comme les auteurs l’annoncent dans l’introduction de cette monographie. L’ouvrage sera un important point de départ pour la récupération de l’histoire du cinéma du réel en Espagne.

Les trois films préparés durant cette nouvelle session sont ainsi ceux d’Isaki Lacuesta (Cravan vs. Cravan), Joaquín Jordá (De nens385) et Ricardo Íscar (Tierra negra).

385

De nens et Veinte años no es nada de Joaquín Jordá n’ont pas été commentés dans ces pages mais, pour des précisions utiles, on pourra se référer aux textes cités dans notre bibliographie.

190

Cravan vs. Cravan (2002) d’Isaki Lacuesta

Résumé

Ancien boxeur professionnel et écrivain, Frank Nicotra marche sur les traces d’Arthur Cravan. Le film confronte les points de vue de biographes et d’artistes pour en dessiner la légende et en souligner les nombreux traits désormais effacés. L’histoire d’Arthur Cravan se raconte au présent et c’est dans le jeu permanent des réincarnations que les poètes et les boxeurs actuels dialoguent, vivant une autre bohème.

Les destins de Cravan et de Nicotra se mêlent. A Lausanne, dans l’ambiance feutrée d’une exposition sur l’œuvre de Cravan, Frank Nicotra s’interroge : « Que peuvent-ils savoir d’Arthur Cravan ? ». Des bribes de paroles évoquent un poète, un boxeur, une mort mystérieuse, sans savoir distinguer la vérité du mythe dont est auréolé l’artiste.

Nicotra arrive dans une vieille demeure délabrée, celle du poète, tandis que la voix de Merlin Holland, le petit-fils d’Oscar Wilde, explique, en anglais, l’histoire familiale de Cravan. Arthur Cravan est né le 22 mai 1887 à Lausanne, il est le fils d’Otho et le neveu de Constance. Otho et Constance font chacun un mariage que leur famille anglaise « respectable » désapprouve : lui se marie avec Nellie, une jeune française, fille illégitime, et Constance se marie avec Oscar Wilde (1854-1900). Avant qu’Otho n’abandonne Nellie, il a deux enfants. Le cadet est Arthur Cravan qui porte alors le nom de Fabian Avenarius Lloyd. Cravan, fasciné par son oncle Oscar Wilde, fera, comme lui, de sa vie un art.

A Paris, Nicotra interroge Adelaïda Perillós, qui a traduit Cravan. Elle lui parle de cet « aventurier né », grand et beau, évoque la Closerie des Lilas et le bal Bullier, que Cravan fréquente à partir de 1909. Nicotra explique à la jeune femme son goût de l’écriture et son passé de boxeur : il a été champion d’Europe des super-moyens à 25 ans en mettant KO son adversaire en moins de deux minutes. Nicotra poursuit ses recherches en compagnie du peintre Eduardo Arroyo ou du poète champenois Bernard Heidsieck, qui évoquent les talents de provocateur de Cravan. Avant même les futuristes, il pratique l’art du scandale, fait l’éloge de la vitesse et de la force.

Dans sa revue littéraire, Maintenant, Cravan critique la plupart des artistes de son temps. Comme l’explique Eduardo Arroyo à Nicotra, en lui montrant une série de ses dessins « du poète une fois qu’il est passé par la boxe », pour Cravan « [l]a peinture c’est marcher, courir, boire, manger, dormir et faire ses besoins » ; une nécessité absente dans les salles

191 d’exposition, à en croire les visiteurs de la Foire Internationale d’Art Contemporain de Madrid Ŕ interrogatifs, perdus ou ennuyés Ŕ devant les œuvres d’art.

Frank Nicotra accompagne Adelaïda Perillós pour discuter avec les artistes du Cirque Perillós, dans lequel celle-ci fait des acrobaties. Ils évoquent les conférences provocatrices du poète, où il arrive parfois saoul et s’essaie au strip-tease, et sa performance, non-réalisée, où il voulait se faire passer pour mort, afin de publier son œuvre posthume… de son vivant. Merlin Holland, quant à lui, raconte comment, dans Maintenant, Arthur Cravan a publié un article en 1915 où il affirmait qu’Oscar Wilde était encore vivant.

Puis, dans un montage comparatif qui oppose les arguments de Bernard Heidsieck et de Marcel Fleiss à ceux de María Lluïsa Borràs, Nicotra parle avec eux du peintre Edouard Archinard. Selon les premiers, Cravan et le peintre ne font qu’un, tandis que l’universitaire, auteure d’une biographie d’Arthur Cravan, préfère la prudence scientifique et considère les preuves avancées comme insuffisantes et peu convaincantes.

Concernant sa mort, plusieurs versions ont été avancées : il aurait disparu au large du Golfe du Mexique, ou bien on l’aurait assassiné à la frontière américano-mexicaine. Nicotra erre, la nuit, sur les quais de la Seine. L’eau est calme et sombre. « Qui peut montrer ce qui

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