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Transformations politique et économique au Mexique : utopie du néolibéralisme,

1.4 Synthèse de la revue de littérature

2.1.1 Transformations politique et économique au Mexique : utopie du néolibéralisme,

L’origine de la crise sociopolitique et économique qui perdure actuellement au Mexique remonte à l’évolution progressive du néolibéralisme dans le système politicoéconomique du Mexique. La réforme néolibérale mexicaine naît dans le contexte de crise économique et de luttes politiques prolongées dominées par l’autoritarisme des années 1960 à 1980 (Martin, 2007). L’entrée du Mexique dans l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (AGETAC) en 1982 marque son entrée officielle dans le régime néolibéral, mais elle atteint un point culminant durant le mandat de Carlos Salinas de Gortari (1988-1994), lequel initie les négociations de l’ALÉNA (Arroyo Picard, 2014; Martin, 2007). Malgré les profondes crises économique et politique qui perdurent en 1994, les successeurs de Salinas poursuivent la voie du néolibéralisme et l’élection de Vicente Fox (2000-2006) marque la légitimité internationale de la révolution néolibérale du Mexique (Martin, 2007). Le

modèle national de violence, de manipulation et de répression politique a donc favorisé l’émergence du néolibéralisme au Mexique confirmant son indéniable lien avec l’autoritarisme (Martin, 2007). Le régime néolibéral mexicain se développe dans un contexte de grande mouvance politique et de démocratisation gouvernementale qui sera marqué par le changement de gouvernement en 2000. Après 70 ans de gouvernance consécutive (1929- 2000), le Partido Revolucionario Institucional (PRI) cède sa place au Partido Acción National (PAN) (Paranagua, 2012). Depuis longue date caractérisé par l’autoritarisme et le clientélisme, c’est réellement l’augmentation magistrale de la corruption dans les années ’90 qui cause la détérioration rapide de l’emprise hégémonique du PRI et rend inévitable l’alternance politique (Morris, 1999; Paranagua, 2012). Bien que la victoire du PAN par l’élection du président Vicente Fox (2000-2006) ait été un pas vers la démocratie électorale, les dégâts causés par son successeur le président Felipe Calderón (2006-2012) ont mis fin au pouvoir du parti. Ayant failli à la concrétisation des attentes de la transition démocratique et face à la croissance constante de la violence et de la pauvreté, le PRI reprend le pouvoir en 2012 avec comme nouveau chef d’État Enrique Peña Nieto (2012 à aujourd’hui).

Dans un cadre économique, c’est en réponse à la crise de la dette des années ‘80 et dans le cadre de la crise du capitalisme global que le Mexique adopte le modèle économique néolibéral basé sur l’ouverture des marchés et la libéralisation du commerce, la flexibilisation du marché du travail et la dérèglementation financière (Bourdieu, 1998; Martin, 2007; Solís Gonzalez, 2012). Les années 1990, déjà bien marquées par ces politiques néolibérales, annoncent la fin de l’intervention de l’État mexicain dans l’économie nationale (Solís Gonzalez, 2012; 2014). Suivant cette lancée, la signature de l’Accord de libre-échange nord- américain (ALÉNA) en 1994, stimule l’État mexicain à mettre l’accent sur la reproduction du capital global de l’économie. L’ALÉNA, qui prônait l’ouverture des marchés aux échanges commerciaux entre les trois pays signataires (États-Unis, Canada et Mexique) et qui devait bénéficier à tous, plongea rapidement le Mexique dans une relation de dépendance économique et politique à l’endroit des États-Unis (Solís Gonzalez, 2012). Le Mexique, reconnu comme ayant de sérieux problèmes de pauvreté et de sous-développement, se vit contraint de réduire ses barrières douanières, de s’ouvrir totalement aux capitaux et investissements étrangers et d’éliminer les aides aux petits paysans (Robin, Chambon et

Boulègue, 2012). Harley Shaiken (s.d. selon Robin, Chambon et Boulègue, 2012) établit un lien évident entre l’immigration et l’ALÉNA. Il explique que l’ALÉNA était vu comme un moyen d’éliminer l’immigration illégale de Mexicains vers les États-Unis, de par le fait qu’ils auraient plus de possibilités d’emploi chez eux et n’auraient donc plus la nécessité de quitter. Dans les faits, c’est tout le contraire qui s’est produit. L’ouverture des frontières et le financement de la production de l’agriculture américaine par son gouvernement ont permis aux producteurs américains de vendre à moindre coût sur le marché mexicain. Le Mexique, autrefois autosuffisant pour son alimentation, a vu son marché se faire envahir par l’agriculture américaine rendant l’économie paysanne mexicaine non compétitive (Lapalme, 2013; Robin, Chambon et Boulègue, 2012). Cette dévalorisation des produits mexicains a obligé des milliers de Mexicains à abandonner leurs terres pour trouver du travail, la majorité quittant vers les États-Unis. Alors que l’économie du Mexique se détériore, la main-d’œuvre mexicaine contribue au maintien et à la croissance économique des États-Unis (Robin, Chambon, et Boulègue, 2012). À défaut d’avoir établit des « mécanismes équitables et justes pour faire face aux courants migratoires existants dans la région, [l’ALÉNA] a contribué, par omission, à la criminalisation de la migration des sans-papiers » (Solís Gonzalez, 2012 : 180).

Selon Martin, Lapalme et Gutman (2013 : 4) « L’ALÉNA a non seulement modifié les capacités démocratiques de ses membres, il a aussi créé un espace qui est régulé, mais complètement dépourvu de gouvernance populaire ». Il profite principalement aux grandes multinationales et institutions financières et réduit l’autonomie gouvernementale de chaque pays signataire. Dans un tel cadre, la pression néolibérale réduit le rôle et les fonctions de l’État au profit du marché, tout comme le contrôle et la capacité d’intervention de l’État sur sa nation (Solís Gonzalez, 2014). Cette perte d’intérêt de l’État vis-à-vis les institutions publiques et son incapacité à les maintenir en place a contribué à creuser les inégalités sociales et la pauvreté, entre autres par la privatisation des services sociaux (Bourdieu, 1998; Lapalme, 2013; Solís Gonzalez, 2012). Cette restructuration économique sera la cause de grands bouleversements sociétaux, alors qu’elle provoque la précarisation d’une part toujours plus grande des emplois, une diminution significative des salaires, l’étouffement de la classe moyenne, la privatisation des services sociaux, l’exclusion sociale et les inégalités (Lapalme, 2013). Ces effets immédiats et visibles de ce que Bourdieu (1998) qualifie de « grande utopie

néolibérale » plongent le Mexique dans une situation socioéconomique désolante où la ségrégation des classes et la pauvreté dominent18. Il ajoute que la transformation du néolibéralisme en un programme politique devient en réalité un « programme de destruction méthodique des collectifs », un mouvement qui vise à « […] mettre en question toutes les structures collectives capables de faire obstacle à la logique du marché pur […] » (Bourdieu, 1998 : 2). La libéralisation et la démocratisation qui caractérisent le régime néolibéral de l’État mexicain ont plutôt provoqué une augmentation des violations des droits de la personne par l’implantation de nouvelles formes d’autoritarisme et de répression, ce qui se traduira par la marginalisation et l’exclusion d’une partie de la population (Lapalme, 2013; Solís Gonzalez, 2012).

Ces conséquences du régime néolibéral et de son concept économique posent les bases idéales à l’infiltration et à la prise de contrôle par le narcotrafic et les syndicats du crime organisé de toute institution sociétale, de l’économie et de la finance; lesquelles traduisent une nouvelle forme d’État capitaliste périphérique : l’État narco (Morris, 1999; Solís Gonzalez, 2012; 2014). Solís Gonzalez (2012; 2014) dénonce le déficit de légitimité institutionnelle de l’État mexicain et le déficit de rationalité dans son intervention économique, phénomènes originaires des profondes crises organique et économique qui sévissent au Mexique. Ces deux importants déficits sont des conséquences directes de l’idéologie néolibérale et provoquent des niveaux de violence et d’insécurité publique sans précédent depuis l’époque de la révolution mexicaine (Solís Gonzalez, 2012; 2014). Cette « nouvelle forme d’État capitaliste périphérique » qu’est l’État narco, se manifeste sous la forme « […] d’un régime politique néolibéral à penchant technocratique, avec une forte présence de représentants du crime organisé au sein de ses différentes instances, de l’économie et de la finance » (Solís Gonzalez, 2012 : 173). Cette présence se reflète dans les partenariats et dans la collusion des cartels avec des fonctionnaires gouvernementaux du plus haut au plus bas niveau (Rodriguez García,

18 Selon les chiffres de la Banque mondiale (2013), 46,2 % de la population mexicaine vit dans la pauvreté, soit

environ 52 millions de personnes et 10,4 % vit dans l’extrême pauvreté, l’équivalent de 11,7 millions de personnes. Il n’est pas surprenant d’apprendre que le Mexique est le pays qui a produit le plus de migrants depuis 1990, principalement de 2000 à 2005, où 2 millions de Mexicains ont quitté le pays pour trouver un emploi aux États-Unis (Banque Mondiale, 2013).

2012 selon Solís Gonzalez, 2012; Morris, 1999). Cette capacité de corruption des réseaux de narcotrafiquants et du crime organisé et cette facilité de pénétration des institutions étatiques aux niveaux local, régional et national s’expliquent par la croissance majeure de la force des organisations de la drogue dans un contexte de crise économique et de faiblesse des institutions étatiques qui augmentent leur capacité à contrôler les agences publiques par l’octroi de pots-de-vin considérables (Morris, 1999; Solís Gonzalez, 2012). La profonde intrusion de la corruption chez les agents sociaux est dorénavant perçue comme normale et comme faisant partie de la vie quotidienne au Mexique, mais consiste en un défi de taille pour l’État mexicain.

En allant de l’avant avec le modèle néolibéral, l’État mexicain se retrouve pris dans une impasse. Alors que le secteur informel prend les devants en parallèle à la croissance du crime organisé et à la réduction constante des possibilités d’emplois, une partie importante de la population se tourne vers l’économie de la drogue pour améliorer son niveau de vie, malgré les risques encourus (Solís Gonzalez, 2012). Cette tendance légitime peu à peu l’informalité liée au trafic de drogue et bouleverse les rapports sociaux jusqu’au plus profond des mœurs de la société mexicaine. Cet État narco rappelle le déficit de légitimité qui :

« […] a pour conséquence que le citoyen mexicain ne se reconnaît pas lui- même comme partie de l’État (c’est-à-dire comme membre d’une communauté – certes illusoire – de citoyens juridiquement libres et égaux), mais comme un sujet passif d’exploitation économique, et soumis à une relation coercitive et arbitraire de domination politique de classe qui lui est imposée par un pouvoir de facto au-dessus du droit et des institutions » (Solís Gonzalez, 2012 : 180).

Il résulte de cet État narco une absence d’État de droit et un accroissement phénoménal de la violence. La « narco-démocratie » handicape la capacité de l’État mexicain à garantir la protection et la sécurité à ses citoyens par des institutions judiciaires et policières fonctionnelles (Lapalme, 2013; Morris, 1999; Solís Gonzalez, 2012) et par le fait même l’empêche « […] d’assurer l’égalité des droits et les conditions minimales de citoyenneté » (Camara et Salama, 2004 selon Solís Gonzalez, 2014 : 118; Solís Gonzalez, 2012). S’observe alors une croissance inévitable du taux d’homicides et de crimes que nombreux estiment être des répercussions de la Guerre au narcotrafic. Or, Morris (2012 : 219) explique que le problème de toute cette violence n’est pas de trouver à qui faire porter le blâme, mais bien de

saisir qui en a le contrôle et comment l’arrêter.

« Some blame the violence on the war between cartels, some blame poverty,

some blame the army, some blame the army’s fighting the cartels, some blame local street gangs, some blame drugs, some blame slave wages, some blame corrupt government. But regardless of the blame, no one can figure out who controls the violence, and no one can imagine how the violence will be stopped. But everyone grows numb. Murders slip off the front page and become part of the ordinary noise of life ».

Cette violence qui exalte le portrait sociopolitique et économique du Mexique tire son origine de sources variées que l’État peine à contrôler, dont une panoplie de violations des droits de la personne qui sous-tendent la migration de demandeurs d’asile.