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Réintégration sociale et familiale

2.2 Migration mexicaine aux États-Unis

2.4.2 Réintégration sociale et familiale

Un aspect fondamental de la réintégration sociale consiste en ce que Kibreab (2003) nomme le concept of home (le concept de foyer). Malgré l’absence d’études empiriques sur le sujet, il semble y avoir parmi les auteurs un consensus, à savoir que le rapatriement dans le pays d’origine ne signifie pas nécessairement un retour à la maison, ni un retour au lieu où la famille ou le système de support se trouvent (Kibreab, 2003). Le migrant et sa famille peuvent avoir vécu de multiples épisodes de migrations et de déplacements brouillant ainsi la notion de foyer. Un retour forcé dans le pays d’origine n’étant plus considéré comme la maison par le migrant sera donc fort probablement temporaire étant donné l’absence de volonté au retour et l’absence du système de support nécessaire à une bonne réintégration (Kibreab, 2003; Khosravi, 2009; Schuster et Majidi, 2013). Il est aujourd’hui largement reconnu que les autorités font erreur en interprétant la migration de retour dans le pays d’origine comme étant forcément un retour à la maison. Le principe de restitutio ad integrum, ou le retour à au foyer d’origine, n’est plus jugé comme ayant une importance vitale dans les cas où les migrants

développent de nouvelles identités sociales, ce qui est quasiment inévitable, surtout lors d’une migration ayant duré plusieurs années (Kibreab, 2003; Ruben, van Houte et Davids, 2009). En effet, comme Ghanem (2003, selon Ruben, van Houte et Davids, 2009 : 912) le questionne : « How can it be assumed that refugees are returning ‘home’ when the very reasons they left

was because they did not feel ‘at home’ anymore? ». Certains réfugiés peuvent se sentir plus à

la maison dans le pays d’accueil que dans le pays d’origine, spécialement s’ils y ont vécu pour une longue période de temps, ou si des opportunités économiques et sociales sont plus enclines à leur être niées dans leur pays d’origine (Black et Gent, 2006). Ce sentiment de se sentir chez soi variera également dépendamment des liens maintenus avec le pays d’origine durant l’absence.

Qui plus est, un retour dans un pays où les relations sociales, les structures politiques et les conditions économiques ne sont plus celles qu’elles étaient peut être équivalent à l’arrivée dans un endroit inconnu (Ruben, van Houte et Davids, 2009). Ceci s’explique par le fait qu’un déracinement social, économique et physique prolongé a un impact profond sur l’identité des réfugiés, sur leurs attitudes, leurs occupations, leurs réseaux sociaux et leurs statuts professionnel et social. La perception des réfugiés de ce qui constitue la maison est influencée par plusieurs facteurs économiques, sociaux, familiaux, politiques et culturels inextricablement entrelacés dont la signification ne peut pas être déterminée à priori (Kibreab, 2003). D’autant plus que les migrants sont dorénavant perçus comme des agents délibérés, socialement intégrés et actifs qui influencent tout comme ils sont influencés par le contexte social dans lequel ils se trouvent.

En effet, le concept de foyer qu’entretiennent les réfugiés est intimement lié à la transformation identitaire subie lors du processus migratoire (Kibreab, 2003). Les sociétés n’étant plus vues comme des unités statiques, homogènes et isolées, leur complexité, fluidité et ambiguïté sont devenues des contextes d’analyse. Elles éclairent les groupes et les processus sociaux, les similarités et les différences, le soi et l’autre dans cette situation dynamique de réintégration (Christou, 2003). À vrai dire, les difficultés de la réintégration sociale se reflètent souvent à travers le fait que plusieurs migrants n’ont pas pris conscience des changements qui ont eu lieu dans leur pays d’origine durant leur absence, tout autant que dans leurs propres

comportements et valeurs morales. C’est par le fait d’être relocalisés dans un nouveau contexte social qu’ils réalisent les changements qui se sont produits en eux-mêmes et qu’ils constatent qu’ils ne partagent plus de nombreuses notions de base avec leur culture traditionnelle (Brotherton et Barrios, 2001; Gmelch, 1980). Bien qu’autrefois ils aient été bien adaptés à cette société qui était la leur, ils doivent rendre compte des changements qu’elle a subis en leur absence. Ils prennent conscience de leurs nouveaux comportements et système de valeurs, de leur code vestimentaire et coiffure différents, des nuances dans leur façon de s’exprimer dans leur langue d’origine et leur gestuelle, mais aussi de ce qu’ils sont prêts à accepter ou pas de retour dans leur société d’origine (Cerase, 1974; Brotherton et Barrios, 2009). Bien que le processus d’identification soit le même dans la migration de retour que dans l’intégration à la société d’accueil, soit l’ajustement aux éléments culturels en présence, ils rejettent dorénavant certains indicateurs externes de classe sociale, ils ne veulent plus accepter les barrières de statut ni les stratifications sociales et ils se refusent à tolérer passivement les abus (Cerase, 1974; Christou, 2003).

Les résultats d’une étude de Hammond (1999, selon Kibreab, 2003) sur les migrants de retour érythréens du Soudan à la région Gash Barka illustrent bien ces changements. Leur absence prolongée ayant favorisé le développement de réseaux sociaux transethniques et transreligieux, et d’identités transnationales, les migrants ont surpassé leurs anciennes croyances et affaibli leur attachement à leur foyer d’origine. Ces derniers préfèrent s’établir dans un lieu autre que celui d’origine pour mettre à profit leurs nouvelles compétences et le capital social et humain acquis dans le pays d’accueil. La majorité opte pour une vie périurbaine ou urbaine, abandonnant au passé la vie pastorale et rurale. En agissant de la sorte, ils renient leurs anciennes valeurs et les significations données à appartenir à un certain endroit (la maison), ce qui reflète les changements fondamentaux que les réfugiés ont vécus, non seulement occupationnels, mais aussi en termes de valeurs, de normes et d’attitudes. En effet, Schuster et Majidi (2013) constatent que l’expérience migratoire peut provoquer de fortes divisions psychologiques, physiques et idéologiques. En effet, le migrant ayant davantage pris conscience de la situation sociopolitique de son pays et de la corruption du gouvernement, des autorités policières et militaires et du marché du travail qui l’accompagnent, il peut développer une aversion pour son pays d’origine. Elles parlent même d’un dédain des réfugiés par rapport

à la société d’origine et aux façons de vivre qui leur sont devenues étrangères, et d’un refus à accepter l’inévitabilité du retour ou de la réintégration. Ceci questionne la validité d’attacher un individu à un emplacement précis, sa maison, et le besoin réel de l’individu d’appartenir à sa communauté ou à son lieu d’origine (Black et Gent, 2006; Kibreab, 2003). Black et Gent (2006) insistent sur les problèmes d’associer des personnes à un endroit particulier (pays ou région) comme étant le lieu d’ancrage de leurs racines et d’assumer que de les y renvoyer signifie de les retourner au bon endroit. Ils expliquent que le fait d’associer les réfugiés à une maison délimitée mène à leur rejet intrinsèque par la société d’accueil et fait du statut de réfugié une pathologie.

Conjointement à ces changements dans les mentalités des migrants de retour, l’attitude de la population locale à leur égard peut compliquer la régénération de liens de confiance. Il arrive que les locaux soient réticents à renouer des liens avec les migrants ayant quitté durant une longue période de temps, parfois en raison de préjugés ou de stigmates associés aux migrants de retour, ou encore dû à un ressentiment face à ceux ayant eu la chance de migrer (Brotherton et Barrios, 2009, 2011; Dumon, 1986). Brotherton et Barrios (2011) expriment que le discours des répondants sur le traitement reçu par la population non migrante est empreint de répulsion due au manque de compréhension et d’appréciation des labeurs qu’ils ont traversés pendant leur processus migratoire. D’autres interprètent leur départ comme une fuite du danger et de la période difficile de leur pays et leur en veulent d’avoir abandonné le pays dans un moment où il aurait eu besoin d’eux (Noll, 1999). Certains proches peuvent même être fermés à l’égard de ces sujets déjà étiquetés négativement (Brotherton et Barrios, 2009, 2011; Charles, 2010).

Ces tensions entre la population locale et les déportés peuvent être problématiques étant donné que les réseaux sociaux aident grandement à ce que la personne se sente acceptée à part entière dans sa communauté. Les migrants de retour sont confrontés à une structure d’opportunités hautement limitée et à un manque de réseaux sociaux et de système de support qui pourrait leur fournir plus de façons viables de survivre. En effet, le capital social est crucial dans la plupart des pays d’Amérique latine et les migrants de retour qui ont été absents pour une longue période de temps doivent construire ou reconstruire des réseaux sociaux qui

mènent à de l’emploi ou des situations de vie tolérables. Il est vrai que les relations sociales favorisent l’organisation sociale, la réciprocité, les flux d’informations, les filets de sécurité sociale et ajoutent au capital social, mais plus que tout, elles permettent de renforcer le bien- être psychosocial pour le maintien de l’identité (Ruben, van Houte et Davids, 2009). Tout comme les réseaux sociaux, la présence de la famille au retour est un facteur stabilisateur essentiel à la réintégration sociale. Brotherton et Barrios (2011) rapportent que de nombreux déportés expriment de profonds sentiments de perte, de tristesse, d’abandon, de frustration et de regret face à la séparation de leur famille et à l’impossibilité de les voir et de les aider. Or, une réunification familiale au retour peut être très aidante dans le processus de réintégration du migrant de retour, et un appui moral essentiel.