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Afin que le lecteur puisse saisir la diversité des récits et la réalité de chacun des répondants, je tenais à partager avec lui un aperçu de l’histoire de chacun. Tous les faits racontés dans les histoires de vie sont en date de l’entrevue, tout comme les âges. Par souci de confidentialité, le nom de tous les participants et ceux de tous les informateurs ont été changés

et les détails pouvant compromettre leur identité passés sous silence. Bien que certains répondants aient consentis à divulguer leur identité et leurs noms véridiques, j’ai tout de même dû faire usage de pseudonymes, d’une part pour offrir une analyse et une interprétation juste et éviter les biais chez le lecteur et d’autre part, pour protéger l’identité de personnes qu’ils mentionnaient dans leurs témoignages. C’est par exemple le cas pour la famille Morillo Vargas, étant donné que les membres de la famille m’ayant octroyé une entrevue n’étaient pas tous d’accord pour divulguer leur identité.

Étant donné la variété des cas à l’étude et la grande diversité des histoires, seulement certaines histoires seront suivies tout au long du prochain chapitre d’analyse et de discussion. Ceci a pour but de permettre une analyse plus détaillée de leur ressenti, de leurs perceptions de l’information et de la réalité et d’appréhender les nuances et particularités entre chacun d’eux. Afin d’établir le choix de ces cas et de respecter au mieux la variété des histoires, je me suis fiée sur certains critères pour rester le plus représentative possible de l’échantillon de l’étude, soit le genre et l’âge du répondant, s’il est parti seul ou avec sa famille, s’il connaissait des personnes au Canada ou pas, sa situation socioéconomique pré-départ, s’il a été détenu à l’arrivée ou au départ, s’il respectera son ordre de renvoi ou non et s’il restera sans-statut à Montréal. Cette sélection compte donc en son sein cinq hommes et cinq femmes recoupant toutes les tranches d’âges de l’échantillon et en représentant chacun une partie distincte et unique. Il sera question de Jésus, Julio, Lorenzo, Eduardo, Lucía, Isabel, Liliana, Maria, Javier et Alejandra.

Pour ne pas exclure de l’analyse les histoires des répondants non suivis en détail,leurs histoires sont considérées dans les tendances générales ressorties et certaines parties de leurs témoignages pourront être utilisées pour contraster, supporter ou infirmer les dires des répondants suivis. D’autre part, étant donné que certains des répondants font partie de la même demande d’asile que celle de répondants choisis pour l’analyse (dans le cas des familles par exemple), comme c’est le cas de Magdalena et Susana qui partagent la même demande que Jésus et de Diego et Gabriel qui partagent celle de Julio, je ferai référence à leurs témoignages pour compléter respectivement ceux de Jésus et Julio. Il est à noter que toute généralisation, affirmation et observation décrite dans le prochain chapitre proviennent exclusivement des

entretiens réalisés avec les répondants, mais qu’elles peuvent correspondre ou être similaires aux analyses des auteurs précédemment mentionnés dans ce texte, auquel cas j’en ferai référence.

FAMILLES

Famille García López - Jésus, 40 ans - Magdalena, 37 ans - Susana, 18 ans - Emiliano, 16 ans27

La famille García López comprend Jésus, Magdalena, Susana et Emiliano (avec qui je n’ai pas pu réaliser d’entrevue). Jésus a été victime de persécutions et d’enlèvements à trois reprises et confronté à la complicité flagrante entre les autorités policières et ses agresseurs, alors que ces derniers étaient soit des membres du narcotrafic ou du corps policier. N’ayant jamais su la raison des menaces qui pesaient sur lui et sa famille, il soupçonne que la principale raison aux extorsions de fonds et à la persécution qu’il a subies repose sur le fait qu’il était propriétaire d’une entreprise florissante. En effet, ses agresseurs s’en sont pris à lui exclusivement pour lui soutirer de l’argent et l’ont menacé en lui exposant toutes ses allées et venues et celles de sa famille. Jésus ne dénonce pas son premier enlèvement pensant que c’était un évènement isolé et par peur que ses ravisseurs mettent à exécution les menaces qu’ils lui avaient faites de s’en prendre à sa femme et ses enfants. Or, suite à son deuxième enlèvement, il tente de déposer une plainte à la police qui lui proposera plutôt de partir ailleurs pour trouver la sécurité et éviter tout autre problème avec ses ravisseurs. La peur ayant atteint un point de non retour et influençant tous les faits et gestes de la famille, ils migreront donc de Tezoyuca à Hidalgo dans l’État de Mexico pour recommencer leur vie dans la paix. Quelques années plus tard, Jésus est confronté à son troisième enlèvement, alors qu’il est accompagné de son fils âgé de onze ans. Cette fois, c’en est trop et il décide d’emmener sa famille hors du pays. La famille arrive donc à Montréal en 2008 et fait une demande d’asile à son arrivée à

27 Les noms en italique correspondent aux personnes avec qui je n’ai pas réalisé d’entrevue, mais qui sont soit

l’aéroport. Ils ne connaissaient personne au Canada avant leur départ. Jésus travaillera comme homme à tout faire pour le propriétaire d’une grande entreprise et Magdalena occupera un poste de bénévole à l’église de son quartier durant toute la durée de leur séjour. Susana et Emiliano fréquentèrent l’école. Ils furent tous très impliqués au sein de leur paroisse pour laquelle ils occupèrent chacun un rôle particulier. Leur demande d’asile sera refusée quatre ans après leur arrivée. Dans l’espoir de pouvoir rester au Canada, la famille se lance dans une campagne publique pour faire pression sur le gouvernement canadien, afin qu’il révise la décision prise à leur égard et leur octroie un sursis administratif qui leur aurait permis de déposer une demande humanitaire. Toutes leurs tentatives seront vaines et ils respecteront leur ordre de renvoi en 2013. Le cas de Jésus et sa famille constitue un cas parmi tant d’autres de personnes persécutées sur de réels fondements, respectant de leur mieux le protocole de la demande d’asile et ses interdictions, et qui seront refusés par manque de crédibilité après avoir construit une vie à Montréal. Ce cas représente également les impacts de la persécution sur l’individu directement agressé et les effets pouvant découler sur plusieurs membres de la famille. En date de l’entrevue, ils habitaient dans la maison du père de Jésus à Tezoyuca et ils étaient sans emploi.

Famille Morillo Vargas - Maria, 69 ans - Helena, inconnu - Javier, 39 ans - Julio, 69 ans - Ivan, inconnu - Gabriel, 26 ans - Diego, 18 ans - Cristina, 44 ans

Les membres interviewés de la famille Morillo Vargas comptent six personnes : Maria, Javier, Julio, Gabriel, Diego et Cristina. Or, j’ai fait la rencontre de plusieurs autres membres de cette famille, à Montréal et à Léon de Guanajuato, avec lesquels je n’ai pas réalisé d’entrevues. Deux d’entre eux jouèrent le rôle d’informateurs, soit Helena et Ivan. N’ayant pas tous quitté pour les mêmes raisons, ni en même temps, les membres de cette famille exposent

bien l’effet de la migration familiale par vagues. Je les présenterai dans l’ordre dans lequel ils ont quitté le Mexique et je joindrai les cas qui font état d’une même demande d’asile. Aux fins de compréhension, je ferai référence aux membres avec qui je n’ai pas réalisé d’entrevue (toujours sous des pseudonymes), mais par respect de leur confidentialité je ne ferai pas mention de quelconque information pouvant compromettre leur identité.

Javier, 39 ans

En 2006, Javier perd son emploi suite à la faillite de l’entreprise pour laquelle il travaillait. Alors qu’il éprouve de la difficulté à trouver un nouvel emploi, il fait la connaissance du mari d’une ancienne compagne de classe ayant déjà vécu au Canada. Ce dernier lui donne de plus amples informations sur les démarches à suivre pour y entrer et les opportunités de travail qui l’attende. Il lui explique qu’il lui suffit d’acheter un billet d’avion et, qu’une fois arrivé à l’aéroport, de demander la protection du Canada. Il ajoute qu’il sera reçu à la Résidence du YMCA et qu’il obtiendra de l’aide financière gouvernementale et un permis de travail. De plus, sa sœur Helena, son neveu Ivan et son petit-neveu Alberto (le fils d’Ivan) sont déjà installés à Montréal en tant que demandeurs d’asile. Déprimé et désespéré de ne voir aucune opportunité de travail au Mexique, il décide de quitter un certain temps pour aller travailler, envoyer de l’argent à sa famille et rentrer avec quelques économies. Il quitte donc le Mexique en 2006, sans sa femme et ses deux enfants, et fait sa demande d’asile à l’aéroport. Il occupera le même emploi dans un lave-auto toute la durée de son séjour à Montréal. Le statut de réfugié lui sera refusé en 2008 et il respectera son ordre de renvoi. À son retour, il ne cherche pas d’emploi pour pouvoir s’occuper de son père malade, car la famille n’a pas les moyens financiers de payer quelqu’un pour en prendre soin. Son père décèdera quelques mois plus tard. Il habite dans la maison de sa mère Maria avec son fils Roberto, sa sœur Vanessa et ses deux enfants, et son neveu Diego. Il est toujours sans emploi.

Maria, 69 ans

Maria se sent étouffée par le poids de ses dettes et, n’arrivant plus à joindre les deux bouts avec son salaire de couturière, elle cherche par tous les moyens à rembourser ses

créanciers et à se libérer de cette angoisse perpétuelle qui l’habite. Intriguée par le voyage au Canada de son fils Javier, de sa fille Helena et de son petit-fils Ivan, elle les questionne sur les démarches à suivre pour y aller et le processus qu’ils ont suivi pour y rester et y travailler. Elle décide de quitter pour aller travailler et venir à bout de ses dettes. Elle arrive au Canada en 2008 et fait une demande d’asile à l’aéroport. Elle sera accueillie à la Résidence du YMCA où elle résidera le premier mois avant de déménager avec Helena, Ivan et Alberto. Pendant son séjour, elle travaillera au champ pour la récolte de maïs, dans l’industrie du recyclage, pour une entreprise de ménage, comme plongeuse dans un restaurant et comme gardienne d’enfants. Pensant avoir terminé de payer ses dettes et fait quelques économies par l’envoi régulier d’argent à son mari et parce qu’un accident de travail l’empêche de travailler, elle décide de renoncer à sa demande d’asile pour rentrer auprès des siens et terminer sa réhabilitation. Elle rentre au Mexique en 2010. En date de l’entrevue, elle habitait dans sa maison et travaillait comme emballeuse dans une épicerie. Quelques mois après l’entrevue, elle est décédée des suites d’un cancer. L’histoire de Maria rejoint le cas d’autres qui quittent et qui vivent leur expérience migratoire tout en gardant en tête la possibilité d’un retour.

Julio, 69 ans; Gabriel, 26 ans et Diego, 18 ans

Apprenant la mort soi-disant accidentelle d’un de ses fils, Julio se rend sur les lieux de l’accident à Monterrey accompagné de Gabriel et Diego. Il entre en contact avec les témoins et les autorités policières pour obtenir plus de détails sur les évènements de l’accident. Les témoins lui expliquent qu’une camionnette est arrivée à toute allure derrière la voiture de son fils et l’a percutée pour la propulser hors de la voie. Les fauteurs furent arrêtés et remis en liberté sans aucune accusation. Julio suspecte que ces derniers étaient des délinquants impliqués dans le narcotrafic étant donné qu’il savait que son fils avait déjà eu des problèmes avec ce genre d’organisation. Alors que les évidences montrent qu’il s’agirait plutôt d’un assassinat et non pas d’un simple accident de voiture, il est choqué par l’indifférence des policiers à faire enquête. Les policiers se refusant à investiguer comme il se doit, tous trois rentrent à Léon après l’enterrement. Les mois suivant leur retour, ils feront successivement face à une série de persécutions, menaces et agressions physiques et verbales auxquelles ils n’avaient jamais été confrontés. Craignant dorénavant pour la vie de ses fils et la sienne, en

2008 Julio décide de fuir avec eux au Canada. Ils arriveront à l’aéroport de Toronto où ils feront leur demande d’asile et seront détenus quelques jours avant d’être libérés et pouvoir aller rejoindre Helena, Maria et Ivan à Montréal. Diego n’étant pas en âge de travailler à son arrivée à Montréal, il fréquente l’école durant toute la durée de son séjour. Julio travaillera dans un entrepôt de Starfrit, dans un autre de fabrication d’équipement de sports d’hiver et finalement dans des serres. Gabriel a travaillé dans deux entreprises d’entretien ménager, dans la construction, dans un entrepôt de Starfrit et pour Provigo. Leur demande d’asile sera refusée en 2010 et ils rentreront à la date indiquée par CIC. Le vécu de Julio relate bien la profonde désillusion, la déception et la frustration après le retour de plusieurs, cette sensation d’avoir perdu son temps et une partie de sa vie en exil, plutôt que d’avoir investi dans sa propre entreprise, avoir construit un héritage pour ses enfants et s’être assuré une retraite. En date des entrevues, tous les trois travaillaient. Julio en tant que chauffeur privé, Gabriel dans une boutique de vêtements et Diego dans un centre de copies. Julio et Gabriel habitaient ensemble et Diego habitait chez sa grand-mère Maria.

Cristina, 44 ans

Cristina est mère de cinq enfants et fait face à de grandes difficultés économiques pour assurer tous les coûts de son foyer. Elle est inquiète et insatisfaite de la situation d’insécurité qui prédomine dans son entourage et souhaite pouvoir offrir à ses enfants un environnement plus sain et sécuritaire où grandir et faire leur vie. Sa sœur, qui a déjà vécu le processus de demande d’asile au Canada, l’informe des démarches à suivre et des conditions qui l’attendent là-bas. Elle quitte en 2007 avec ses enfants (sans son mari) et fait sa demande d’asile en arrivant à l’aéroport de Montréal. Durant leur séjour, elle travaillera au Dollarama et dans une tortilleria et elle explique que tous ses enfants âgés de seize ans ou plus ont travaillé pour contribuer aux dépenses du foyer. Ils n’obtiendront pas le statut de réfugié et respecteront l’ordre de renvoi en 2010 à l’exception d’un de ses fils qui se mariera et restera au Canada. Elle habite actuellement dans la maison de sa belle-mère avec son mari et ses enfants et elle est sans emploi.

CAS INDIVIDUELS

Lucia, 21 ans

Fuyant des menaces de mort et des persécutions récurrentes et persistantes d’individus impliqués dans le narcotrafic, Lucia quitte la ville de Mexico en 2008 à l’âge de dix-sept ans accompagnée de sa mère, son frère et sa sœur. La situation avait atteint des proportions si importantes que les deux semaines précédant leur départ, la famille restait cachée chez un membre de la famille dans une pièce sans fenêtre, ne sortant jamais à l’extérieur. La famille dépose sa demande d’asile en arrivant à l’aéroport de Montréal. Lucia vivra avec sa famille à Montréal jusqu’en 2012, où elle fréquentera l’école à temps plein, pour ensuite se conformer à l’ordre de renvoi auquel elle et sa famille font face. Elle sera la seule des quatre à rentrer au Mexique, alors que sa mère, son frère et sa sœur décident de rester dans l’espoir de pouvoir régulariser leur statut. Au moment de l’entrevue, elle était rentrée depuis presque deux ans. Elle louait une chambre et travaillait dans une compagnie de marketing. Son frère fut déporté seul en 2014, quelques jours après avoir obtenu la majorité. Seules sa mère et sa sœur vivent encore à Montréal dans la clandestinité, n’ayant toujours pas réussi à régulariser leur statut migratoire. Son cas relève de la migration d’une adolescente mineure ayant migré suite à la décision de sa mère et qui décide de rentrer seule pour ne pas subir les conséquences d’une vie sans statut et sans pouvoir poursuivre ses études. Son histoire rappelle également les séparations familiales causées par les retours forcés.

Liliana, 33 ans

Mère monoparentale de trois jeunes garçons, Liliana a du mal à défrayer tous les coûts que cela implique et vit dans le stress constant de ne pas pouvoir couvrir tous les besoins de ses enfants. En 2008, elle décide de migrer temporairement au Canada sans ses fils (lesquels resteront sous la garde de leur père), là où l’attend sa belle-mère, dans le but de travailler et faire des économies. Elle espère pouvoir offrir une meilleure vie à ses fils à son retour et leur garantir une stabilité financière pendant son absence en envoyant de l’argent à son ex-mari. Elle fera sa demande d’asile aux bureaux de CIC quelques jours après son arrivée à Montréal. Pendant son séjour, elle occupera divers emplois dans la récolte du brocoli, les serres,

l’industrie du poulet et l’entretien ménager. Durant tout son séjour au Canada, elle a souffert de violence psychologique sévère par son ex-mari, qui la menaçait constamment de priver ses enfants de nourriture ou de les violenter si elle n’envoyait pas plus d’argent. Elle travaillera à temps plein, souvent six jours par semaine, occupant parfois un emploi de jour et un de soir pour assurer les envois d’argent qu’il lui imposait. Elle souffrit d’épuisement physique et émotionnel grave. Sa demande d’asile lui sera refusée et apprenant qu’elle n’avait pas obtenu le statut de réfugié, son ex-mari la menace de lui enlever la garde de ses enfants si elle rentre au Mexique. Elle sera déportée en 2012 et à son retour, elle réussit à récupérer leur garde. Elle vit présentement cachée avec eux dans une autre ville que son ex-mari. Elle travaille en télémarketing et lutte quotidiennement pour couvrir toutes ses dépenses avec son maigre salaire. Le cas de Liliana est un bon exemple de changement de situation durant la migration, soit dans son cas un départ pour des raisons économiques qui se transformera en cours de route en une migration pour des raisons de persécution.

Isabel, 38 ans

Isabel fuit le Mexique en 2005 pour des raisons de violence conjugale. Cherchant en vain à obtenir une protection de quelque forme que ce soit au Mexique, elle ne voit d’autre option que de fuir dans un autre pays pour assurer sa sécurité et celle ses trois jeunes enfants. Sa demande d’asile sera acceptée et elle et ses enfants obtiendront la résidence permanente canadienne. Pendant son séjour, elle a contribué à la mise sur pied d’un organisme contre la violence conjugale faite envers les femmes migrantes, elle a donné des cours d’espagnol, animé une émission de radio communautaire et a fait une formation universitaire. En 2011, elle décide de rentrer au Mexique pour rendre visite à sa grand-mère qui se trouve dans un état de santé critique. Sensible à la cause de la violence conjugale et au manque d’institutions et de