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4.2 Réalités de la migration et intégration au Canada

4.2.2 Rapport à l’asile et son vécu

4.2.2.1 Processus de demande d’asile

La demande d’asile débute officiellement par une entrevue. Elle sera tenue par un agent des services frontaliers du Canada si la demande a lieu à un poste frontalier, généralement à l’aéroport au moment de l’arrivée. Dans le cas où le requérant est entré au Canada comme touriste ou s’il ne pensait pas faire une demande de prime abord, la demande doit être faite à un bureau de CIC et l’entrevue sera exécutée par un de ses agents. L’entrevue engage une série de procédures qui impliquent d’innombrables questions très pointilleuses sur l’histoire de vie du répondant et sur les raisons de sa demande, la prise d’empreintes digitales et de photos, la vérification corporelle de marques ou de signes représentatifs et la confiscation du document de voyage. Pour les répondants, c’est un processus menaçant par lequel s’engage presque inévitablement une relation de pouvoir entre l’intervieweur et l’interviewé et durant

lequel les répondants affirment s’être sentis majoritairement intimidés, tendus, observés et violés dans leur intégrité. Nombreux sont ceux qui rapportent les commentaires menaçants émis par des agents qui leur disent qu’ils ne les croient pas, qu’ils mentent ou que leur histoire ne pourra pas être acceptée. La peur de ne pas être cru et d’être déporté sans autre considération est de ce fait prédominante chez la plupart des répondants. Bien qu’avec le recul, ils comprennent généralement que c’était dans le but de vérifier la véracité de leur histoire et leur crédibilité, ils avouent avoir été effrayés et déstabilisés par ce traitement et avoir eu l’impression d’être traités comme des délinquants, alors qu’ils se considèrent plutôt comme victimes ou inoffensifs.

Pour les répondants victimes de persécution, le moment de l’entrevue consiste généralement en l’aboutissement d’un long parcours et en l’achèvement d’un cheminement très chargé émotivement. C’est pour eux l’atteinte d’une opportunité souvent longuement attendue, le premier pas vers une possible vie sereine et sans crainte. Ce moment critique, généralement déterminant de l’éventuelle acceptation ou du refus de la demande63, est indubitablement accompagné d’un profond stress et d’angoisses. Les répondants racontent que c’est une pression énorme que de devoir raconter leur histoire de persécution et de devoir trouver les bons mots pour exprimer ce qu’ils ont vécu devant un agent de l’ASFC ou de CIC qui représente l’autorité canadienne et qui détient le pouvoir décisionnel sur le futur de leur vie et celle de leur famille. La profonde incertitude et la nervosité de ne pas connaître le déroulement et le traitement qu’on leur réserve se mélangent au grand désespoir et à la fatigue émotionnelle cumulés depuis les événements de persécution. Dans le cas des répondants ayant migré pour des considérations socioéconomiques ou par désir de voyager, l’entrevue est vécue de façon très similaire à celle des répondants victimes de persécution. Bien que certains aient déjà été informés sur les grandes lignes du déroulement de l’entrevue, qu’ils aient préparé leur histoire d’avance ou que leur objectif migratoire changé les mène à demander l’asile, le fait de se retrouver réellement devant l’autorité canadienne est pour eux tout aussi anxiogène. Ils

63 Les requérants sont requis d’écrire leur histoire de persécution et les justifications à leur besoin de protection

(anciennement le Personal Information Form), document sur lequel se base le commissaire pour comprendre l’histoire du requérant et lui poser des questions lors de l’audience. Ce document doit être le plus détaillé possible et il n’est pas rare qu’au moment de l’audience (souvent des mois ou des années plus tard) le requérant puisse oublier certains détails, ce qui a un impact direct sur sa crédibilité, et donc sur le jugement du commissaire.

tiennent généralement à se faire accepter et craignent de se faire nier l’entrée ou le droit à perdurer en sol canadien. L’entrevue est en fait le commencement de la relation de pouvoir entre les répondants et les autorités migratoires canadiennes qui se maintiendra tout au long de leur parcours migratoire. Le rappel de l’entrevue évoque d’ailleurs chez les répondants une grande déstabilisation et cette impression de rabaissement et d’infériorité.

Une fois l’entrevue passée, les répondants relatent les temps d’attentes parfois très longs et exaspérants entre chacune des étapes suivantes du processus et leurs réponses. Il n’est pas rare que les répondants aient attendu entre deux à trois ans avant d’être convoqués à leur audience, quatre à six mois avant de recevoir la réponse de l’appel ou de l’ERAR (examen des risques avant renvoi) et quelques mois avant de recevoir l’ordre de renvoi. Ils expliquent que cette attente les maintient dans un état d’angoisse et d’incertitude perpétuelles et les empêche de s’intégrer totalement, car elle est un rappel constant de leur exclusion de la citoyenneté. Ces temps d’attentes affectent lourdement leur moral et ce qui les décourage d’autant plus c’est d’être confronté non pas à un refus unique, mais à une série de refus qui peu à peu viennent à bout de leurs espérances. En effet, la négation de la demande d’asile suite à l’audience ne signifie pas la fin du processus. Les demandeurs d’asile ont accès à d’autres recours juridiques dont l’appel et l’ERAR, lesquels leur sont généralement également refusés. Malgré leurs efforts d’aller de l’avant et de s’adapter, les répondants expriment que chacun des refus les tire à nouveau vers l’arrière. Pour Lucía, chaque négative correspond à une perte d’espoir : « Es que hemos recibido tantas respuestas negativas que ya es difícil de creer »64 (Lucía). Elle explique qu’à chaque démarche il y a expectative qu’arrivent enfin les bonnes nouvelles et l’acceptation de la demande et que chaque refus est reçu comme un coup de massue. Elle évoque cet effet démoralisant du processus migratoire et cette impression qu’il est établi de la sorte afin de tester la réelle nécessité et la volonté des requérants à l’asile à rester au Canada. Pour elle, comme pour la majorité, le système semble être établi de la sorte pour favoriser le plus d’abandons de demandes possible.

Toutefois, un des besoins fondamentaux des répondants victimes de persécution est de surpasser le traumatisme qu’ils ont vécu au Mexique. Or, plusieurs d’entre eux relatent l’impossibilité d’oublier les événements de persécution qu’ils ont subis, car chacune des démarches liées à la demande les replonge dans leurs souvenirs et les force à revivre ces événements.

« Bastante estresante. No podías hacer nada prácticamente, porque era cita, otras citas, otras citas, otras citas. Si no en un lado, era por otro lado, pero siempre era por todos lados y las mismas preguntas. Todo el tiempo. Entonces tratabas así de olvidar lo que pasaba, pero en realidad tienes que recordar y decírselos. Parecía que te trataban de traumatizar o algo así »65 (Eduardo).

Alors qu’il aspirait à une plus grande liberté en fuyant le Mexique, Eduardo fait part du sentiment d’étouffement que nombre des répondants ressentent et de cette impression d’être prisonnier des structures du système d’asile établies et de la rigidité des règles le régissant. Le besoin d’aller de l’avant avec leur vie et de s’ancrer complètement dans leur nouvelle réalité est fondamental à une bonne intégration. L’interminable attente de l’aboutissement de la demande d’asile et les infatigables contrôles finissent par affecter le bien-être psychologique et la motivation des répondants. Bien que détenant le statut légal de demandeur d’asile, jusqu’à l’obtention du statut de réfugié, les répondants sont coincés dans un semblant de no man’s

land. Ils regrettent le manque d’opportunités et les nombreuses restrictions dans l’accès aux

services sociaux qu’implique ce statut. En effet, ils font face à une couverture des soins de santé réduite, à un accès restreint aux études collégiales, universitaires et aux formations spécifiques, à un accès limité à la propriété et à la mise sur pied d’entreprise, à un permis de travail temporaire à renouveler régulièrement, à un numéro d’assurance sociale différent de celui des autres catégories migratoires et à l’absence d’une pièce d’identité officielle régulière. Ces limites corroborent la discrimination entourant le statut de demandeur d’asile, alors que chaque fois qu’ils présentent leur pièce d’identité ou leur numéro d’assurance sociale pour obtenir un service ou un emploi, ceci dévoile leur statut migratoire et facilite la stigmatisation et l’exclusion.

65 « Très stressant. Tu ne pouvais pratiquement rien faire, parce que c’était rendez-vous après rendez-vous, après

rendez-vous, après rendez-vous. Si ce n’était pas à un endroit, c’était à un autre, mais toujours à des endroits différents et toujours les mêmes questions. Tout le temps. Alors tu essayais d’oublier ce qui s’était passé, mais en réalité tu devais t’en souvenir et leur raconter. On aurait dit qu’ils essayaient de te traumatiser ou quelque chose du genre » (Eduardo).