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Chapitre 5 – Des agglomérations qui se transforment

B. Transferts d’habitat groupé

Les transferts d’agglomération semblent constituer une faible part des transformations des villages et des bourgs de la fin du Moyen Âge, même s’il est tout à fait possible que de nombreux autres transferts échappent à notre étude faute de documentation précise les concernant. Par ailleurs, l’analyse de ces quelques transferts ne livre que de rares informations sur leurs modalités. Il s’agit donc ici de présenter les rares exemples connus et d’en tirer quelques traits communs et différences.

Des disparités dans la documentation

Seuls quatre transferts sont documentés par les sources écrites et/ou archéologiques408. Pour d’autres sites, la question est soulevée par la bibliographie, mais les

sources écrites ne sont pas assez précises pour confirmer cette hypothèse et en connaître les circonstances exactes.

L’apport des sources écrites

Deux transferts d’habitat groupé sont connus grâce aux sources écrites : Auterive et Saint-Blancard.

408 Documentation textuelle : Auterive et Saint-Blancard. Documentation archéologique : L’Isle-Bouzon et

Le déplacement du village d’Auterive est attesté par les archives médiévales. Un premier village existe depuis environ le milieu du XIIe siècle au lieu-dit Nenos. Celui-ci est cité

dans la documentation au début du XIIIe siècle, notamment en 1220 dans le cartulaire noir

d’Auch409. Le site de Nenos n’est pas localisé précisément. Il se trouve probablement au lieu-

dit Les Deux Chênes, à environ 400 m à l’ouest de l’actuel village, sur la première terrasse alluviale410 (fig. 5-36). Le château devait se situer un peu plus haut, dans les bois. Ce premier

site a été abandonné au profit du castelnau d’Auterive au cours de la seconde moitié du XIIIe siècle. En effet, la première mention de ce castelnau remonte à 1291411, alors que l’église de

Nenos est mentionnée pour la dernière fois en 1265412. Aucun texte, ni aucune fouille

archéologique, ne permettent de connaître les modalités précises et les raisons qui ont conduit à ce transfert d’habitat.

Le déplacement du village de Saint-Blancard est un peu mieux connu. Une transaction est intervenue en 1303 entre Pierre d’Orbessan, seigneur de Saint-Blancard, et les habitants du lieu afin d’en régler les modalités413. Le village initial s’est formé vers le XIIe siècle aux abords d’une motte castrale située sur une plateforme à une centaine de mètres au sud-est de l’actuel château414 (fig. 5-37). Il semble que l’église paroissiale se trouvait alors

déjà à l’emplacement de ce château. Des fouilles réalisées dans la cour de cette demeure ont en effet permis d’en découvrir les vestiges à la fin du XIXe siècle415. Dans la transaction de 1303, il est prévu de construire un nouveau castrum près de l’ancien416. Celui-ci doit être

entouré de fossés et d’une enceinte pourvue de deux portes. Les travaux sont à la charge du seigneur, mais, une fois édifié, la garde est dévolue aux habitants. Les places de maisons doivent mesurer 12 rases sur 24. Cette transaction, ou du moins ce que l’on en connaît, ne mentionne pas les raisons de cette reconstruction. Le château et l’église bâtis à la suite de cette transaction sont relativement bien conservés, bien que très remaniés. Le clocher-mur et le portail de l’église du début du XIVe siècle sont encore visibles sur l’élévation occidentale de l’édifice remanié par la suite, dès la fin du Moyen Âge, puis à l’Époque moderne (fig. 5-38).

409 « castrum de Nenos » (LACAVE LAPLAGNE-BARRIS, Cyprien (éd.), Cartulaires du chapitre de l'église

métropolitaine Sainte-Marie d'Auch, Cartulaire noir, Paris/Auch, 1899, charte n°150 : abandon de la dîme de

l'église de Nenos au chapitre d'Auch, 1220).

410 Du mobilier médiéval y a été découvert lors de prospections réalisées par Nicolas Guinaudeau

(GUINAUDEAU, Nicolas, Fortifications seigneuriales et résidences aristocratiques gasconnes dans l'ancien comté

d'Astarac entre le Xe et le XVIe siècle, thèse de doctorat sous la direction de Philippe Araguas, Université de Bordeaux III, 2012, sites n°6 et 7.)

411 « castra et loca de Altaripa » (CHÉRIN, B. (éd.), Généalogie de la maison de Montesquiou-Fezensac suivie de

ses preuves, Paris, 1784, p. 231-233, acte n°258, 1291).

412 Cité par CURSENTE, Benoît, Les castelnaux…, op. cit., 1980, p. 146.

413 Ce document a disparu, il est connu grâce aux notes de l’abbé Cazauran consultées et publiées dans :

LASSURE, Jean-Michel, « À propos des fouilles archéologiques effectuées en 1889 dans la cour du château de Saint-Blancard (Gers) », BSAG, 1977, p. 343-360.

414 CURSENTE, Benoît, Les castelnaux…, op. cit., 1980, p. 81.

415 LASSURE, Jean-Michel, « À propos des fouilles … », art. cit., 1977, p. 343-360.

416 Ibidem : « quod dicta universitas et omnes ejusdem universitatis de novo facerent, construerent et

Le château a, quant à lui, été en grande partie reconstruit au XIXe siècle, mais il conserve

tout de même de beaux éléments du XIVe siècle, notamment dans ses dispositions générales

(fig. 5-39). Il ne subsiste aucun vestige visible du village médiéval, au point que sa localisation précise n’est pas possible.

L’apport des sources archéologiques

Deux transferts de villages ou de bourgs peuvent être appréhendés grâce aux sources archéologiques : L’Isle-Bouzon et Sauveterre417.

Le déplacement de l’habitat groupé du site de Corné à celui de L’Isle-Bouzon est connu grâce aux fouilles menées par Jean-Michel Lassure à la fin des années 1980 et au début des années 1990418. Vers le milieu du XIe siècle, une tour-salle est édifiée dans un

méandre de l’Auroue. Un village s’implante assez rapidement à une quarantaine de mètres en contrebas de celle-ci. Vers 1250-1260, le site de Corné est abandonné, certainement à la suite d’une inondation. Les habitants s’installent alors dans le castelnau en construction sur le rebord du plateau calcaire dominant la vallée, à environ 400 m au nord-est (fig. 5-40). Les coseigneurs octroient une charte de coutumes aux habitants du castelnau en 1266.

Le transfert du village de Sauveterre est connu grâce aux observations réalisées par Nicolas Guinaudeau dans les années 2000 au niveau de la basse-cour associée à la motte, côté sud419. Plusieurs unités stratigraphiques ont ainsi pu être repérées. Pour ce qui concerne le Moyen Âge, une première couche de destruction a livré de la céramique datable des XIIe et XIIIe siècles et une seconde couche des éléments de terre cuite architecturale et

de la céramique de type commingeois des XIIIe et XIVe siècles. Un premier habitat se serait

donc installé vers le XIIe siècle au pied de la motte, avant d’être détruit à la fin de ce siècle ou au début du suivant. Le village, reconstruit, aurait été à nouveau détruit au cours du XIVe

siècle. Il aurait alors été transféré à son emplacement actuel, à seulement quelques mètres vers l’est, plus près de l’église, en contrebas de la plateforme où se trouvait le village initial (fig. 5-41). En l’absence de données archéologiques sur le village actuel, une autre hypothèse peut être formulée. Un transfert d’habitat a pu s’opérer de la motte vers l’emplacement actuel à la limite des XIIe et XIIIe siècles, et la reconstruction supposée du XIIIe siècle, au pied

de la motte, pourrait ne correspondre qu’à un faubourg du nouveau village. Dans ce cas, la destruction du XIVe siècle ne concernerait pas l’ensemble de l’agglomération et ne s’accompagnerait pas d’un transfert de l’habitat, mais elle correspondrait à une disparition du faubourg au moment des crises du bas Moyen Âge.

417 Il convient d’ajouter ici le site de la Gravette, site primitif de l’Isle-Jourdain, à 300 m au sud-ouest du site

actuel, qui a été fouillé dans les années 1990, mais n’a pas fait l’objet à ce jour d’une publication de synthèse qui aurait permis de l’intégrer, à titre de comparaison, à notre propos.

418 LASSURE, Jean-Michel, De la tour-salle au castelnau…, op. cit., 1995.

D’autres exemples supposés de transferts de l’habitat groupé

De nombreux glissements d’habitat groupé sont mentionnés dans la bibliographie, sans que les auteurs en apportent toujours des preuves formelles. Bon nombre d’entre eux paraissent antérieurs au milieu du XIIIe siècle. Nous ne conservons dans ce corpus que les transferts postérieurs à 1250 les plus probables.

D’après Benoît Cursente, à Estang, un premier village se serait formé à l’actuel lieu- dit le Castelvielh, près de l’église Notre-Dame toujours en élévation420. Celui-ci aurait été transféré à son emplacement actuel, à environ 500 m vers l’ouest, sur la hauteur (fig. 5-42). Ce transfert aurait eu lieu au cours du XIIIe siècle.

Le dédoublement du site de Lamazère421 (fig. 5-43) semble obéir à la même logique

de transfert d’un habitat groupé près d’une église et d’une motte, aujourd’hui très arasée (fig. 5-44), vers un site de hauteur près d’un château et doté d’une enceinte. Le transfert paraît s’être opéré au cours du XIIIe siècle.

Un prieuré et un castrum sont mentionnés à Touget au XIIe siècle. Le prieuré était

implanté près de la confluence entre la Marcaoue et la Gimone422. Le château se trouvait sur la hauteur, près de l’actuel village423. Ce dernier paraît s’être développé dans la seconde moitié du XIIIe siècle à la suite d’un glissement de l’habitat de la vallée vers la corniche

calcaire (fig. 5-45), peut-être à l’initiative du seigneur local. Le plan de la nouvelle agglomération, plutôt régulier, suppose une planification (fig. 5-46).

Le village de Castin semble avoir connu deux transferts successifs entre le Moyen Âge et l’Époque moderne. Un premier peuplement s’est regroupé aux abords de l’église Saint- Genès antérieurement au milieu du XIIIe siècle424. Ensuite, le village a été transféré sur une hauteur, à environ 200 m plus au nord (fig. 5-47). Le toponyme « le Village » y est toujours visible, ainsi que quelques vestiges de l’enceinte collective attribuable au XIVe siècle425. Enfin,

au cours des Temps modernes, le village semble avoir progressivement repris son emplacement initial près de l’église paroissiale.

Quelques traits communs

Si ces quelques exemples sont trop peu nombreux et trop peu précis pour permettre une synthèse sur la question des transferts d’habitat groupé entre 1250 et 1330, il est tout de même possible de proposer quelques pistes de réflexion.

420 CURSENTE, Benoît, Les castelnaux…, op. cit., 1980, p. 64, 76 et 131. 421 Ibidem, p. 135.

422 POUSTHOMIS-DALLE Nelly, À l'ombre du moustier…, op. cit., 2002, vol. 2, p. 192-193. 423 CURSENTE, Benoît, Les castelnaux…, op. cit., 1980, p. 157.

424 Ibidem, p. 128.

425 Observations réalisées par Michaël Gourvennec en 2012 dans le cadre de la réalisation de la carte

Datations

Pour tous les sites présentés ici, le transfert du village semble s’être opéré au cours du XIIIe siècle, sauf pour Sauveterre où il pourrait être, soit antérieur, soit postérieur, selon

l’hypothèse retenue. Dans sa thèse sur les castelnaux gersois, Benoît Cursente soulignait que de tels glissements de l’habitat avaient eu lieu en nombre conséquent à la période antérieure à celle que nous étudions ici, notamment entre le milieu du XIIe siècle et le milieu

du XIIIe siècle426. Il semblerait donc que ce phénomène, plus courant à la période la plus intense de fondation de castelnaux, soit en train de s’estomper à partir du milieu du XIIIe siècle.

Choix du site et du plan des nouvelles agglomérations

Dans presque tous les cas, le choix du nouveau site est en position dominante, sur un rebord de plateau ou le sommet d’un coteau. Seul l’exemple d’Auterive déroge à cette règle. En effet, dans ce cas, le transfert s’opère d’un site légèrement dominant vers le bord de la rivière. Cela s’explique peut-être par la présence d’un point de passage de la rivière à proximité du nouveau village. Ailleurs, nous retrouvons l’implantation privilégiée des villages et bourgs de cette période, en position dominante.

De la même manière, ces villages adoptent des plans identiques à ceux habituellement suivis par les nouvelles installations de cette période : village-rue ou plan orthogonal. Les plans orthogonaux établis à Estang et L’Isle-Bouzon ne sont pas centrés sur une place. À Touget, il convient de signaler la présence d’une place au cœur du village (fig. 5- 46). La morphologie générale se rapproche, ici, de ce que nous pouvons observer dans les bastides de la même période, sans pour autant en reproduire tous les éléments. Ainsi, malgré la présence d’une place au centre, celle-ci ne constitue par la matrice de l’agglomération, elle n’est pas implantée à la jonction de deux axes principaux qui constitueraient l’armature du parcellaire. À L’Isle-Bouzon (fig. 5-48), le château est implanté dans un angle de l’enceinte. Pour les deux autres sites, Estang (fig. 5-49) et Touget, le château se trouve à l’extérieur de l’enceinte, à faible distance de celle-ci.

Les autres agglomérations issues de transferts au cours des années 1250-1330 semblent présenter un plan de type village-rue. Rares sont celles pour lesquelles le plan médiéval est encore clairement lisible. À Auterive, le nouveau village est de dimensions très réduites, seulement 75 m de long pour 50 m de large (fig. 5-50). Il est constitué d’une unique rue non traversante, bordée de part et d’autre de quelques maisons. L’ensemble est édifié sur une plateforme surélevée (fig. 5-51).

Motivations

Les raisons qui ont conduit à ces transferts ne sont généralement pas connues avec certitude. À L’Isle-Bouzon, il semble qu’une crue soit à l’origine de l’abandon du site de

Corné mais rien n’indique ce qui a entraîné le choix du nouveau site. Partout, sauf à Auterive, la nouvelle implantation sur un site de hauteur s’inscrit dans la tendance générale de perchement de l’habitat observée dès avant la période que nous étudions et jusqu’au début du XIVe siècle427. Il semble que ces transferts s’opèrent plus sous l’impulsion des seigneurs

que par la volonté seule des habitants comme en témoigne la transaction de Saint-Blancard. La mise en place de plans orthogonaux, donc a priori planifiés, à Estang, L’Isle-Bouzon ou Touget, suggère a minima un accord seigneurial, voire une implication plus directe dans les choix opérés.