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Chapitre 5 – Des agglomérations qui se transforment

C. Mutations internes aux villages et aux bourgs

Au cours des années 1250-1350, comme à la période suivante, les villages et les bourgs sont surtout marqués par des mutations internes. En effet, au-delà des extensions ou des rétractions, selon les périodes, les transformations qui touchent les agglomérations de la fin du Moyen Âge sont surtout des évolutions internes. Celles-ci sont de plusieurs ordres. Nous reviendrons dans le chapitre suivant sur les transformations qui concernent certains types d’édifices en particulier. Il s’agit ici de présenter rapidement les mutations morphologiques, qui bouleversent l’agglomération dans son ensemble. Ce sont aussi les plus difficiles à percevoir au travers des sources, ce qui explique que les exemples soient peu nombreux et la synthèse difficile à établir.

Des reconstructions faisant suite à des destructions

Quelques exemples de reconstructions d’agglomérations, ou de parties d’agglomérations, sont attestés par la documentation écrite.

La reconstruction de Castelnau-d’Arbieu en 1312

Le cas le mieux documenté est celui de Castelnau-d’Arbieu. Une transaction intervient en 1312 entre les coseigneurs et les habitants du lieu. Ce document est connu par une copie et traduction de 1535, en français428. Cette transaction a pour objectif principal la

reconstruction d’une partie du village :

« Plus seur le second article dont la teneur est demendent et supplient que leurs maisons et edifices du dit lieu et au dehors, qui a l’occasion des dits cosseigneurs ou par eux ont été

427 Ibidem.

incendiées soit obligés de les reparer desament et au moyen que les dits cosseigneurs nourrissent les dits hommes429 ».

Cet article suggère plusieurs choses. D’une part, les destructions semblent être dues à un incendie causé par les cosseigneurs eux-mêmes. Il n’y a pas plus de précision à ce sujet, ni sur les circonstances de l’incendie. D’autre part, les cosseigneurs doivent contribuer à la reconstruction des maisons et autres édifices détruits en nourrissant les ouvriers chargés de ces travaux. Cet acte présente un autre intérêt fondamental pour notre sujet, il prévoit la fortification du village et de son faubourg430. Ce dernier s’était formé autour de l’église, hors

de l’enceinte initiale, il est ainsi réuni au noyau primitif (fig. 5-52).

D’autres exemples

Plusieurs autres exemples de reconstructions à la suite d’incendies sont mentionnés dans la bibliographie sans être toujours précisément documentés.

Ainsi, le village de Pessan est mentionné dans une demande d’indulgences à l’archevêque d’Auch en 1251. La cause en est un incendie qui aurait détruit le monastère et le village : « cum igitur monasterium et totum castrum de Pessano sit igne combustum431 ». L’église est à nouveau consacrée en 1252. L’étude de cet édifice a permis d’établir qu’il avait certainement été assez peu touché par l’incendie du milieu du XIIIe siècle (fig. 5-53). Il

conserve, en effet, des pans de mur de l’église du XIe siècle (fig. 5-54) et des baies de la fin

du XIIe siècle ou du début du XIIIe siècle (fig. 5-55). À l’inverse, le village paraît avoir été totalement remodelé à cette période, comme en témoignent le plan général de l’agglomération dont le parcellaire est relativement régulier (fig. 5-56) et le patrimoine médiéval en élévation dont rien, hormis l’église, n’est antérieur à cette date. Les coutumes sont par ailleurs renouvelées vers 1270, ce qui pourrait être un argument supplémentaire en faveur d’un remaniement total du village à cette période432.

Un incendie est aussi mentionné dans la bibliographie à La Sauvetat vers 1272433. Celui-ci serait à mettre en relation avec la destruction de Saint-Puy par le comte d’Armagnac à la même date, les deux villages étant distants de seulement six kilomètres. Le village de La Sauvetat pourrait avoir partiellement été reconstruit après cet incendie. Ainsi, l’îlot régulier implanté au nord-ouest de la place de l’église pourrait être un témoin de cette

429 Ibidem, p. 146.

430 Nous y reviendrons plus en détail dans le chapitre suivant.

431 BRUGÈLES, Dom Louis-Clément de, Chroniques ecclésiastiques du diocèse d'Auch suivies de celles des comtes

du même diocèse, Jean-François Robert, Toulouse, 1746, « Preuves de la seconde partie des chroniques »,

p. 38-39.

432 Texte disparu, mention dans : BRUGÈLES, Dom Louis-Clément de, Chroniques ecclésiastiques…, op. cit., 1746,

p. 257.

433 BALAGNA, Christophe, L'architecture gothique religieuse en Gascogne centrale, Thèse de doctorat sous la

reconstruction, sans qu’il soit possible de l’affirmer avec certitude en l’état actuel des recherches (fig. 4-60).

Deux autres destructions violentes suivies de reconstructions sont signalées dans la bibliographie. Ainsi, à Sarrant vers 1269, le village aurait été dévasté, puis reconstruit à la suite de l’intervention du baile de Gascogne « contra illos qui invaserunt e depredaverunt

castrum de Sarran434 ». À Montestruc, à la même période, des Condomois auraient détruit le

village, sans plus de précision435. Ces mentions sont trop peu précises pour permettre une étude approfondie. Les observations du bâti médiéval confirment tout de même l’absence de vestige antérieur à la fin du XIIIe siècle dans ces villages. Mais cela ne prouve rien dans la

mesure où très peu d’édifices des sites gersois étudiés conservent des éléments visibles datant d’avant le XIIIe siècle.

Quelques traits communs

Le faible nombre d’exemples développés, et le peu d’informations précises disponibles, ne permettent pas de proposer une synthèse sur la question des destructions et restructurations d’agglomérations. Il convient tout de même de noter que des reconstructions totales ou partielles interviennent dans trois cas sur cinq après des incendies, les deux autres cas étant dus à des destructions volontaires par de probables troupes de pillards mal identifiées. Il est aussi intéressant de noter que trois de ces destructions sont concentrées sur les années 1269-1272, période particulièrement marquée par les tensions entre seigneurs au moment même du renforcement de la présence royale, française et anglaise, dans la région436.

Des remaniements « discrets »

Ces reconstructions liées à des événements violents, ne doivent pas faire oublier d’autres phénomènes de remaniements internes plus lents ou plus ponctuels.

Le seul exemple bien documenté est celui de Barran, grâce à un registre de réarpentage réalisé 25 ans après la fondation de la bastide437. Celui-ci a été analysé par

Benoît Cursente438. Nous reprenons ici ses conclusions. Dans la charte de coutumes de 1279439, les lots standard correspondent à une place de 12 perches sur 4, soit environ 27 m

434 Cité dans : DOSSAT, Yves, Saisimentum Comitatus Tholosani, Bibliothèque nationale, Collection de

documents inédits sur l'histoire de France, Paris, 1966, p. 172, note 8.

435 Cité dans : CURSENTE, Benoît, Les castelnaux…, op. cit., 1980, p. 145.

436 BORDES, Maurice (dir.), Histoire de la Gascogne des origines à nos jours, Éditions Horvath, Roanne, 1977,

p. 69-73.

437 Bibliothèque municipale d’Auch, Ms 56 (78) : Barran, Dénombrement des places de la ville avec les noms

des tenanciers en 1303. En ligne : http://www.purl.org/yoolib/bmauch/1003.

438 CURSENTE, Benoît, Des maisons et des hommes…, op. cit., 1998, p. 241-243, et CURSENTE, Benoît, « La

bastide de Barran, un quart de siècle après sa fondation », BSAG, 1998, p. 500-511.

de long pour 9 m de large. Le réarpentage de 1303 dresse la liste des habitants avec la superficie des lots, bâtis ou à bâtir, qu’ils détiennent. L’analyse de ce document montre qu’une superficie d’une place ou plus ne correspond qu’à une minorité des parcelles considérées. Celles-ci se trouvent concentrées autour de la place de marché et de l’église, les deux lieux centraux de la bastide. À l’inverse, la plupart des parcelles mesurent une demie place ou moins, jusqu’à 1/12 de place pour certaines. Un quartier entier n’est par exemple constitué que de demies places. Celui-ci n’a pas pu être localisé. Benoît Cursente propose plusieurs conclusions à la suite de l’analyse de ce document. Selon lui, la concession initiale n’était pas la place, comme le laissent penser la plupart des chartes de coutumes, mais la demie place. Le lotissement était dès le départ conçu pour recevoir une population socialement différenciée, la surface des parcelles était donc variable. Enfin, il souligne que le réarpentage a été réalisé afin de dresser un état des lieux des possessions dans la bastide, fortement remaniées par les habitants eux-mêmes après des achats et des ventes ayant entraîné le remodelage du parcellaire initial.

Cet exemple permet de mettre en lumière un phénomène qui n’a pas dû être limité à la bastide de Barran, mais bien plus courant : les remaniements à l’échelle des îlots par des transactions entre habitants. Malheureusement, ce type de transformation est très difficile à identifier dans la plupart des cas, faute de document équivalent pour d’autres sites. L’étude de la bastide de Montréal permet peut-être d’apporter un deuxième exemple. En effet, l’analyse de l’îlot nord-ouest de la place a permis de montrer que trois maisons médiévales mitoyennes n’avaient pas été bâties en même temps. Cela témoigne, non pas d’une restructuration en profondeur des parcelles, comme à Barran, mais d’un remaniement de l’espace bâti, et donc de la perception que les contemporains en avaient, par la construction d’une maison en pierre, entre deux autres maisons déjà bâties en pierre, là où il n’y avait peut-être alors qu’une maison en pan-de-bois. En l’absence de la découverte d’autre documents aussi exceptionnels que le réarpentage de Barran, seule une étude fine de chaque agglomération, à l’intérieur même des îlots et des édifices médiévaux conservés, pourra permettre de mettre en avant d’autres exemples de ce type.

Une tendance à la densification ?

Ces restructurations internes peuvent conduire à deux phénomènes : la densification ou la dédensification. La première correspond à un « processus d’accroissement de l’occupation d’un site par ajout de bâtiments, éventuellement accompagné d’une subdivision parcellaire, et croissance du coefficient d’occupation du sol440 ». À l’inverse, la

seconde est un « processus de réduction du coefficient d’occupation du sol, par accroissement de la surface non bâtie lors de démolitions et/ou réduction du nombre d’étages des édifices existants ou lors de reconstructions441 ».

440 GAUTHIEZ, Bernard, Espace urbain…, op. cit., 2003, p. 237. 441 Ibidem.

Il est généralement impossible de déterminer, pour les rares exemples développés, si les restructurations s’accompagnent d’une densification ou d’une dédensification du tissu villageois. Dans le cas de Barran, l’hypothèse d’une densification peut être émise. En effet, les transactions qui ont entraîné des fusions entre certaines parcelles et, inversement, des divisions, témoignent probablement de la pression foncière. Il est donc possible d’imaginer que celle-ci a contribué à une densification de l’habitat au sein de la bastide.

De la même manière, de nombreuses chartes de coutumes de villages et de bourgs déjà bien établis mentionnent l’existence de places à bâtir à l’intérieur de l’enceinte ou dans les faubourgs. Cela suppose qu’au moment de la mise par écrit des coutumes, ces agglomérations n’étaient pas totalement loties, mais qu’au contraire l’octroi de ces libertés est perçu par les seigneurs comme un moyen d’attirer de nouveaux habitants, tout en comblant, d’une certaine manière, les vides dans ces enceintes. Là encore, cela peut correspondre à une densification du tissu villageois.

Un autre exemple significatif de densification est celui de Monfort. De nouvelles coutumes sont octroyées aux habitants de la bastide en 1308, une trentaine d’années après la fondation442. Deux articles de ces coutumes concernent particulièrement des questions de

construction et d’urbanisme. Le premier précise que les habitants peuvent agrandir leur maison de deux rasées sur la rue443, alors que le second donne l’autorisation aux habitants ayant leur maison près de la place de construire un étage ou une galerie dont les dimensions doivent être fixées par les consuls444. Il y a donc ici bien une densification du bâti dans la

bastide dans les premières années du XIVe siècle. Celle-ci est même différenciée selon que l’on se trouve près de la place ou non. Nous retrouvons ici une disposition observée ailleurs : des maisons plus hautes et plus monumentales autour de la place et dans les rues adjacentes, qu’en périphérie. Cela a été notamment observé à Montréal.

La densification paraît donc, au travers de ces quelques exemples, être la règle dans les restructurations d’agglomérations de la fin du XIIIe siècle et du début du XIVe siècle. Celle-

ci passe essentiellement par la construction ou la reconstruction de nouveaux édifices dans un tissu villageois déjà relativement dense par endroits. Nous allons le voir dans le chapitre suivant à propos des différentes infrastructures communautaires. La densification est aussi le fait de la verticalisation de l’architecture dans ces villages, par l’édification de nouveaux étages sur certaines maisons, nous venons de le souligner. Cette verticalisation passe aussi au travers de la construction d’édifices seigneuriaux et/ou religieux aux dimensions incomparables avec celles de l’habitat qui les entoure. C’est le cas, par exemple, à La Romieu

442 BLADÉ, Jean-François (éd.), Coutumes…, op. cit., 1864, p. 110-122.

443 « Item damus et concedimus nos vicecomes praedictus praedictae universitati et consulibus praedictis

recipientibus nomine quo supra quod habitantes dictae villae possint libere ampliare et operari domos suas a parte carreriarum versus dictas carrerias edifficia pro trahendo et extendendo per duas razas si sibi expediens videatur » (Ibidem, p. 119).

444 « Item damus statuimus et concedimus quod habitantes dictae villae nunc vel in posterum habentes domos

seu platheas juxta communem plateam dictae villae supra carrerias versus dictam carreriam dictam plateam possint construre et hedificare libere solaria seu domos de altitudine et longitudine juxta arbitrium consulum dictae villae » (Ibidem, p. 119-120).

avec la construction, au cours du premier quart du XIVe siècle, de la collégiale et du palais

cardinalice qui a dû avoir un impact très important sur la perception de leur cadre de vie par les populations contemporaines (fig. 5-57).

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Les villages et les bourgs gersois connaissent des transformations importantes entre 1250 et 1330. Il s’agit pour l’essentiel d’extensions, qui prennent différentes formes. Ce type de transformation n’est pas spécifique à cette période, nous en retrouvons aussi plus tard, vers la fin du Moyen Âge. À l’inverse, aucune rétraction d’agglomération n’a été repérée au cours de cette période. Les transformations les plus nombreuses, entre 1250 et 1330, tout comme aux siècles suivants, concernent plutôt des mutations internes que des évolutions globales au niveau de la forme et de la superficie de l’agglomération.

L’analyse des transformations a permis de confirmer ce qui avait été perçu dans le chapitre précédent au sujet de la morphologie générale des villages et des bourgs de cette période. Ainsi, la tendance au perchement de l’habitat groupé est confirmée par l’analyse des transferts d’agglomérations. Mais c’est surtout la régularité des plans adoptés qui ressort de l’étude des différents sites présentés. En effet, qu’il s’agisse de nouvelles implantations, d’extensions ou de mutations internes, la tendance est bien toujours à l’établissement de plans plus réglés. La monumentalisation des villages et des bourgs est aussi confirmée par l’étude de ces évolutions, notamment au travers de la densification de certaines agglomérations, et plus particulièrement par une verticalisation de l’architecture.

Chapitre 6 – Une période de « grands travaux »

Au-delà des transformations morphologiques générales, les villages et les bourgs gersois sont aussi le théâtre de « grands travaux » entre le milieu du XIIIe siècle et les années

1330. Cette notion est généralement utilisée pour qualifier des chantiers de l’époque contemporaine, caractérisés par un changement « global, subit, rapide, porté par une volonté politique extrêmement forte445 ». Pourtant, comme le souligne Sandrine Lavaud, ce terme peut tout aussi bien être appliqué à la période médiévale, « sur deux critères au moins : l’ampleur de la surface concernée et des moyens mis en œuvre et la présence d’un commanditaire soucieux de manifester et d’étendre son contrôle446 ». Dans les petites

agglomérations qui nous intéressent, ces « grands travaux » touchent principalement trois types de constructions au cours des années 1250-1330 : les fortifications collectives, les édifices religieux et les infrastructures commerciales.