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1.4.5 – Transfert des éléments en traces

DE SEDIMENTS VARIABLEMENT ENRICHIS EN SOUFRE

III. 1.4.5 – Transfert des éléments en traces

Les liquides expérimentaux de cette étude sont caractérisés par des anomalies négatives en HFSE (Nb, Ta, Ti et dans une moindre mesure Zr et Hf) pour toute la gamme de température investiguée. Globalement, les anomalies sont d’autant plus importantes que la température est basse. Les spectres multi-élémentaires et les coefficients de partage obtenus dans notre étude sont assez similaires à ceux obtenus dans l’étude de Martindale et al. (2013) sur la fusion expérimentale de sédiments volcanoclastiques non dopés en éléments en traces. Seules nos deux études parviennent à créer des anomalies négatives systématiques pour tous les HFSE (Nb/Nb*, Zr/Zr*, Ti/Ti* < 1) – Figure III.65a,b.

L’anomalie en Nb (Nb/Nb* ; Figure III.65a) est principalement causée par la présence de rutile (TiO2) pour toute la gamme de température investiguée. La présence de monazite (riche en La et Ce) à 750 et 800°C atténue l’anomalie en Nb du fait de la méthode de calcul utilisé pour obtenir le Nb* (voir légende de la figure III.65). A basse température (T < 850°C), le Nb est compatible dans la phengite mais pas dans la biotite. Par conséquent, on observe qu’à

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800°C notamment, l’anomalie en Nb (Nb/Nb*) dans le liquide silicaté est plus marquée pour l’expérience non dopée en soufre (phengite présente) que dans l’expérience dopée à 2 wt% Sin

(biotite présente). La croûte continentale et certains magmas d’arc sont caractérisés par des rapports Nb/Ta subchondritiques (Nb/Ta < 17.6 ; McDonough and Sun, 1995; Sun and McDonough, 1989). Ce déficit en Nb par rapport au Ta est appelé « missing Nb paradox » et son origine est encore débattue (Schmidt et al., 2004a; Stepanov & Hermann, 2013). Dans le rutile, le Ta est préférentiellement incorporé par rapport au Nb (Foley et al., 2000; Klemme et al., 2005; Klimm et al., 2008; Schmidt et al., 2004a) donc un liquide silicaté en équilibre avec un résidu constitué de rutile verra son rapport Nb/Ta augmenter. Il faut donc faire intervenir une autre phase que le rutile pour parvenir à créer les valeurs subchondritiques de la croûte continentale (Nb/Ta = 12-13 ; Barth et al., 2000). L’amphibole et les micas ont été proposés par certains auteurs comme des phases à même de fractionner ces deux éléments de façon à favoriser la diminution du Nb/Ta dans le liquide silicaté (Green and Adam, 2003; Ionov and Hofmann, 1995; Stepanov and Hermann, 2013; Xiao et al., 2006). Dans nos expériences, tous les liquides silicatés ont des valeurs subchondritiques (Nb/Ta compris entre 3 et 17 ; Nb/Ta du produit de départ = 13.6 ; Figure III.65c). Mais seules les expériences à T < 900°C voient leur rapport Nb/Ta diminuer par rapport au produit de départ. On peut expliquer le fractionnement de ce rapport par la présence de phases micacées (phengite en particulier) qui incorporent préférentiellement le Nb par rapport au Ta à 750 et 800°C. DNb/Ta (fractionnement du Nb/Ta dans le liquide silicaté par rapport au produit de départ) augmente avec l’augmentation de la température et est supérieur à 1 à partir de 900°C à cause du rutile dans le résidu.

L’anomalie en Zr (Zr/Zr* ; Figure III.65b) est systématiquement négative pour nos expériences et est favorisée par la présence de zircon et/ou de grenat (où le Zr est compatible pour T ≤ 850°C). DZr/Hf (entre le liquide silicaté et le produit de départ) augmente avec l’augmentation de la température (dissolution du zircon) et avec l’augmentation de la teneur en soufre (déstabilisation du grenat). DZr/Hf est supérieur à 1 au-delà de 900°C. Les rapports Zr/Hf sont subchondritiques (< 37.1, McDonough and Sun, 1995) pour tous les verres expérimentaux

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excepté à 1000°C lorsque le grenat est absent (Zr/Hf = 41.7). DTa/Zr est supérieur à 1 uniquement pour les expériences à 750°C.

Les éléments légers (Li, Be, B) sont, a priori, toujours incompatibles pour toute la

gamme de température investiguée (Figure III.61) et leur teneur diminue avec l’augmentation

de la température (Figure III.55a). La présence de phengite n’impacte pas la teneur en Be et B dans les liquides silicatés, ce qui ne soutient pas l’hypothèse avancée selon laquelle ces éléments sont compatibles dans la phengite et que, par conséquent, un liquide silicaté en équilibre avec un résidu constitué de phengite est appauvri en Be et B (Domanik et al., 1993; Schmidt et al., 2004b; Schmidt and Poli, 2014).

Figure III.65 :Variations des rapports d’éléments en traces (normalisés au produit de départ) en fonction de la température pour les expériences de fusion (B12a) de cette étude et pour des expériences de la littérature. Les expériences réalisées par Hermann & Rubatto (2009) ainsi que celles réalisées par Skora & Blundy (2010) ont été dopées en éléments en traces contrairement à l’étude de Martindale et al. (2013). Les anomalies en Nb et Zr ont été calculées en utilisant la méthode logarithmique de McCuaig et al. (1994): Nb/Nb* = Nb/10(logLa + (logLa – logCe)) and Zr/Zr* = Zr/10((logNd + logSm)/2), les valeurs sont normalisées au produit de depart.

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Les LILE sont globalement incompatibles dans nos expériences excepté le Ba et le Th pour les expériences à 750°C, 0 et 1 wt% Sin. Dans ces expériences, le Ba est préférentiellement retenu dans la phengite quand le Th est tamponné par la monazite. A 750 et 800°C, DRb/Ba (entre le liquide silicaté et le produit de départ) est plus bas pour les expériences dopées en soufre que pour les expériences non dopées du fait de la présence de phengite à 0 wt% Sin (qui incorpore préférentiellement le Ba) et de la biotite pour les expériences avec 1 et 2.1 wt% Sin (qui incorpore préférentiellement le Rb). Le rapport Th/La (Figure III.65d) est faiblement fractionné dans nos expériences sauf pour l’expérience non dopée en soufre à 750°C qui présente un DTh/La

> 1. Plank (2005) a postulé que dans les zones de subduction où un taux élevé de sédiments est subduit, les magmas d’arcs héritent du rapport Th/La moyen des sédiments subduits et que les processus ayant cours le long du slab ne fractionnaient pas ce rapport. Cette étude montre qu’à basse température (T < 800°C), la production d’un liquide silicaté en équilibre avec de la monazite peut créer un fort rapport Th/La (par rapport au sédiment subduit). L’absence de fractionnement du Th/La pour l’expérience dopée en soufre à 750°C malgré le fait que cette expérience soit saturée en monazite s’explique par le fait que les teneurs en LREE diminuent dans la monazite quand elle s’enrichit en soufre (voir section I.3.2e). Le rapport Th/U (Figure III.65e) est lui aussi faiblement fractionné à haute température (T ≥ 800°C) et présente un DTh/U

très inférieur à 1 à 750°C. On note que DTh/U augmente avec la diminution de la teneur en soufre ajoutée. On peut attribuer cette variation à la présence de grenat qui incorpore préférentiellement le U par rapport au Th et conduit donc à une légère augmentation du rapport Th/U dans le liquide silicaté. Un faible rapport Th/U dans les magmas d’arc est généralement attribué à la contribution d’un fluide aqueux car le Th est peu mobile dans les fluides aqueux par rapport à l’U (Condomines and Sigmarsson, 1993; McDermott and Hawkesworth, 1991). Cette étude montre qu’un liquide silicaté en équilibre avec de la monazite peut aussi être enrichi en U par rapport au Th surtout quand la lithologie initiale est enrichie en soufre (grenat absent du résidu). Le rapport Ba/Th (Figure III.65h) n’est pas fractionné dans nos expériences quelle que soit la température ou la teneur en soufre. A basse température (750 et 800°C), la présence de phengite et/ou de biotite mènent à une diminution du Ba/Th dans le liquide silicaté mais inversement, la présence de monazite provoque une augmentation du Ba/Th dans le liquide silicaté. Le fait que ces phases soient présentes ensemble explique l’absence de fractionnement pour T < 850°C. A plus haute température (T ≥ 850°C), aucune phase ne fractionne vraiment le Ba du Th et il n’y a donc aucun fractionnement du rapport Ba/Th dans le verre silicaté par rapport au sédiment de départ.

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Dans nos expériences, le fractionnement des terres rares est contrôlé par la présence de la monazite (La, Ce, Nd), du grenat (Sm et Eu pour T ≤ 850°C, Y, HREE) et du zircon (essentiellement MREE et HREE). Les terres rares légères (La, Ce, Nd) sont tamponnées par la monazite jusqu’à T = 850°C. La diminution de la proportion de grenat avec l’ajout de soufre conduit à une diminution des rapports LREE/HREE et MREE/HREE ratios dans les liquides silicatés. Pour les expériences dopées à 2.1 wt% Sin (grenat absent ou rare), ces rapports ne sont pratiquement pas fractionnés par rapport au sédiment initial par la fusion partielle. Le rapport La/Sm n’est presque pas fractionné par rapport au produit de départ pour les expériences dopées

avec 2.1 wt% Sin (sauf à 750°C où la présence de monazite cause une légère diminution du

DLa/Sm par rapport au sédiment de départ; Figure III.65g). A basse température (T < 900°C), DLa/Sm augmente lorsque le grenat est présent car ce dernier peut incorporer les MREE. DCe/Pb

est systématiquement inférieur à 1 pour nos liquides expérimentaux car Pb est toujours incompatible et que Ce peut être mobilisé par la monazite à basse température. La plupart des magmas d’arc et la croûte continentale présentent un rapport Ce/Pb très inférieur à celui observé

dans les MORB et OIB (Miller et al., 1994). Cela conduit à penser que l’agent métasomatique

est caractérisé par un faible rapport Ce/Pb. Nos données concordent avec ce modèle.

III.2 Fusion et cristallisation de la marne

Le tableau III.04 présente les assemblages de phases obtenus pour les expériences de fusion (B4) et de cristallisation (B4G) de la marne à 3 GPa.

Comme pour la section précédente, nous allons d’abord nous intéresser aux résultats obtenus pour les expériences non dopées en soufre. Les résultats seront directement comparés avec les données obtenues dans des études précédentes sur la fusion expérimentale en présence de fluides de sédiments carbonatés à 3 GPa (Mann and Schmidt, 2015; Skora et al., 2015). Puis, nous observerons l’effet du soufre sur les relations de phases et sur la composition des liquides silicatés et des minéraux résiduels.

Le produit de départ utilisé pour les expériences de fusion (B4) est naturellement très riche en éléments volatils (H2O : 9.72 wt% ; CO2 : 2.59 wt% ; S : 5000 ppm ; Cl : 8600 ppm ; F : 530 ppm ; Tableau II.01).

re III : Fusion et c ris tal li sa ti on de dime nts variabl eme nt enric his e n souf re 184

Run T (°C) Duration (h) H2O (wt%) Sin (wt%) Powder Run products Σr² Others

B4 + S

MAR16 800 256 9.72 0 MgO melt (53.5), garnet (20.0), epidote (8.5), rutile (0.3), quartz (16.3), pyrrhotite (1.5) 42.3 kyanite, clinopyroxene

melt (46.3), garnet (20.6), epidote (9.8), rutile (0.2), quartz (20.4), pyrrhotite (1.1), Cl-rich phase (1.5) 0.0 kyanite, clinopyroxene

MAR17 800 256 9.72 1.0 MgO melt (54.5), clinopyroxene (16.5), kyanite (6.4), epidote (2.7), rutile (0.4), quartz (14.6), pyrrhotite (4.9) 6.5 amphibole, garnet

melt (47.0), clinopyroxene (16.5), epidote (3.5), kyanite (7.6), rutile (0.4), quartz (19.2), pyrrhotite (4.8), Cl-rich phase (0.9) 0.0 amphibole, garnet

MAR18 800 256 9.72 2.0 MgO melt (58.3), clinopyroxene (15.6), kyanite (5.4), epidote (2.3), rutile (0.4), quartz (12.9), pyrrhotite (5.1) 12.0 amphibole, kyanite

melt (50.1), clinopyroxene (15.6), epidote (3.4), kyanite (6.7), rutile (0.4), quartz (17.9), pyrrhotite (5.0), Cl-rich phase (1.0) 0.0 amphibole

MAR10 900 95 9.72 0 MgO melt (73.0), garnet (14.3), rutile (0.1), quartz (10.3), pyrrhotite (2.4) 75.9

melt (70.2), garnet (13.6), rutile (0.1), quartz (12.2), pyrrhotite (2.3), carbonate (1.3), Cl-rich phase (0.4) 0.8

MAR11 900 95 9.72 1.0 MgO melt (93.6), orthopyroxene (2.4), rutile (0.1), pyrrhotite (3.9) 82.8 garnet (?)

melt (91.2), garnet (1.9), orthopyroxene (1.6), pyrrhotite (3.7), carbonate (1.2), Cl-rich phase (0.3) 0.8 rutile

MAR12 900 95 9.72 2.0 MgO melt (93.2), orthopyroxene (1.8), pyrrhotite (5.0) 152.5 rutile

melt (91.2), orthopyroxene (1.8), rutile (0.1), pyrrhotite (4.9), carbonate (1.9), Cl-rich phase (0.2) 2.9

MAR13 1000 91 9.72 0 MgO melt (89.2), garnet (8.7), rutile (0.1), pyrrhotite (2.0) 107.4

melt (86.7), garnet (8.8), rutile (0.1), pyrrhotite (4.9), carbonate (1.9), Cl-rich phase (0.2) 1.9

MAR14 1000 91 9.72 1.0 MgO melt (91.9), garnet (4.2), rutile (0.1), pyrrhotite (3.9) 73.3 kyanite

melt (89.9), garnet (4.2), rutile (0.1), pyrrhotite (3.8), carbonate (1.1), Cl-rich phase (1.0) 1.3 kyanite

MAR15 1000 91 9.72 2.0 MgO melt (91.1), garnet (3.7), kyanite (0.1), rutile (0.1), pyrrhotite (4.9) 88.0

melt (90.6), garnet (2.4), kyanite (0.5), rutile (0.1), pyrrhotite (4.7), carbonate (1.1), Cl-rich phase (0.8) 0.0

B4G + S

MAR4 900 94 5.1 0 MgO melt (54.4), garnet (26.3), rutile (0.3), quartz (19.0) 52.6 clinopyroxene, kyanite MAR6 900 94 4.9 2.1 MgO melt (48.5), garnet (11.9), clinopyroxene (7.0), kyanite (4.9), rutile (0.2), quartz (23.3), pyrrhotite (3.1), anhydrite (1.0) 0.0

MAR1 1000 25 4.9 0 MgO melt, garnet, clinopyroxene, kyanite, rutile, quartz

MAR3 1000 25 5.1 2.1 MgO melt (58.7), garnet (1.2), clinopyroxene (12.5), kyanite (8.0), rutile (0.1), quartz (14.4), pyrrhotite (5.2) 0.2

MAR7 1000 92 5.0 0 BN melt (50.0), garnet (28.5), kyanite (0.9), rutile (0.2), quartz (20.4) 62.2 clinopyroxene MAR8 1000 92 4.9 1.1 BN melt (54.5), garnet (10.3), clinopyroxene (8.7), kyanite (4.6), rutile (0.1), quartz (18.4), pyrrhotite (3.3) 0.6

MAR9 1000 92 4.9 2.1 BN melt (49.9), garnet (3.8), clinopyroxene (15.4), kyanite (6.3), rutile (0.2), quartz (20.2), pyrrhotite (4.2) 2.3

Tableau III.12 : Assemblages de phases dans les charges expérimentales obtenues pour les expériences de fusion du sédiment marneux (B4) et les expériences de cristallisation du verre marneux (B4G) en présence de soufre élémentaire. Les expériences en grisé sont hors équilibre et ne sont pas prises en compte pour discuter de la composition chimique des phases. Les expériences mises en valeur en rose sont non dopées en soufre. Les valeurs en italique correspondent à des calculs par bilan de masses prenant en compte des phases suspectées mais non analysées par microsonde électronique (ex : Cl-rich phase).

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