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1.4.2 - Effet du soufre sur les relations de phases

DE SEDIMENTS VARIABLEMENT ENRICHIS EN SOUFRE

III. 1.4.2 - Effet du soufre sur les relations de phases

L’augmentation de la teneur en soufre dans le système pélitique pour des conditions de ƒO2 ~ FMQ-NNO mène à la précipitation de sulfures (pyrrhotite) suivant cette réaction (e.g. Baker and Moretti, 2011):

FeOmelt + 1/2 S2 = FeSpyrrhotite + 1/2 O2 (3)

La mobilisation du fer (Fe2+) par les sulfures (3) conduit à une augmentation systématique du Mg# (lié à la diminution de la quantité de fer disponible dans le système) dans le liquide silicaté et les phases ferromagnésiennes (grenat, orthopyroxène, micas) pour les expériences dopées en soufre. Il en résulte une profonde modification des relations de phases. L’ajout de soufre dans le système pélitique conduit à une déstabilisation du grenat pour toute la gamme de température étudiée. Les teneurs en grossulaire (Ca), spessartine (Mn) et pyrope (Mg) dans les grenats augmentent au détriment de la teneur en almandin (Fe), surtout pour les basses températures (T < 850°C). A 850°C et 900°C, pour les expériences dopées en soufre, de l’orthopyroxène (En77, Al2O3 ~ 8-9 wt%) apparaît à la place du grenat. La déstabilisation du grenat conduit à une augmentation de la proportion de disthène et à une augmentation de la teneur en Al2O3 dans le liquide silicaté. La réaction suivante (4) peut être établie :

Garnet + S2 = Orthopyroxene + Kyanite + Pyrrhotite (FeS) (4)

L’orthopyroxène n’est pas une phase commune dans les assemblages méta-sédimentaires UHP. Dans des schistes blancs (whiteschists) de Dora Maira (Alpes occidentales) formés dans le domaine de stabilité de la coésite (Schertl et al., 1991), Simon and Chopin (2001) ont observé de l’enstatite riche en Al2O3 (jusque 8.44 wt%) associée avec du disthène en inclusion dans des grenats pyropes. De l’orthopyroxène (Al2O3 ~ 3 wt%) a également été

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synthétisé dans des expériences à 3 GPa sur des lithologies sédimentaires très riches en MgO (Hermann, 2002; Hermann and Green, 2001; Martindale et al., 2013). Nos résultats sont en accord avec les travaux expérimentaux antérieurs qui donnaient un domaine de stabilité de l’orthopyroxène très limité (~ 50°C) à 3 GPa.

Dans nos expériences, la proportion de micas (phengite et/ou biotite) diminue avec la température et les micas disparaissent entre 800 et 850°C (comme dans les systèmes non dopés). L’ajout de soufre dans le système conduit à une diminution de la proportion de phengite et à une augmentation de la proportion de biotite. Dans les expériences sans soufre ajouté à 3 GPa (Hermann and Spandler, 2008; Li and Hermann, 2015; Mann and Schmidt, 2015; Skora and Blundy, 2010), la phengite est souvent le seul mica stable pour des températures allant jusque 910°C. La transition entre biotite et phengite dans des systèmes pélitiques est généralement liée à l’augmentation de la pression (transition autour de 2.5 GPa ; T et H2Oin fixes) suivant cette réaction (Massonne and Szpurka, 1997; Thomsen and Schmidt, 2008b) :

Biotite + Kyanite + Quartz = Phengite + Garnet (5)

Lorsque le produit de départ est riche en MgO (Mg# élevé), le domaine de stabilité de la biotite peut être étendu pour des conditions de ultra haute pression (P : 3-6 GPa) et la phengite peut être absente - (Hermann and Green, 2001; Martindale et al., 2013; Thomsen and Schmidt, 2008b). Notre sédiment de départ n’est pas très riche en MgO (Mg# = 35.9), donc en toute logique la phengite est la phase micacée pour les expériences non dopées en soufre. Mais avec l’ajout de soufre (et donc la diminution de la quantité de fer disponible dans le système), le Mg# augmente drastiquement et permet donc à la biotite d’être stable au détriment de la phengite. Ainsi, dans nos expériences dopées en soufre (pour T ≤ 800°C), on observe une diminution des proportions de grenat et phengite et une augmentation des proportions de biotite, disthène et/ou staurotide, quartz et sulfures suivant cette réaction :

Garnet + Phengite + S2 = Biotite + Kyanite + Quartz + Pyrrhotite (6)

III.1.4.3 - Transfert du soufre et des métaux de transition

Lors de la fusion partielle, quand le système n’est pas saturé en fluides, le soufre se répartit essentiellement entre le liquide silicaté et des phases minérales riches en soufre. La solubilité du soufre dans les liquides silicatés est fortement dépendante de la composition chimique du système, de la ƒO2, de la ƒS2 et des conditions P-T. La quantité maximale de soufre

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qui peut être dissoute est limitée par la saturation d’une phase sulfure ou sulfate (SCSS ou SCAS) suivant les conditions de ƒO2 (Baker and Moretti, 2011; Carroll and Rutherford, 1987; Luhr, 1990). La solubilité du soufre dans les liquides silicatés augmente considérablement avec l’augmentation de la fugacité en oxygène notamment lorsque le soufre passe de la forme réduite S2- à la forme oxydée S6+ ; (Baker and Moretti, 2011; Carroll and Rutherford, 1987; Luhr, 1990; Wallace, 2005). Dans nos expériences, la teneur en soufre dans les liquides silicatés est comprise entre 72±28 et 1033±42 ppm (Figure III.49) et toutes les expériences, y compris celles non dopées en soufre, sont saturées par une phase sulfure (pyrrhotite). La température semble avoir peu d’effet sur les teneurs en soufre dissoutes dans nos verres expérimentaux. Il n’y a pas non plus de corrélation entre la teneur en soufre dissoute et la teneur en FeO* du verre silicaté. Les faibles teneurs en S dans les verres expérimentaux à 800°C (196h) et à 1000°C comparativement aux données obtenues pour nos verres expérimentaux aux autres températures s’expliquent par une ƒO2 plus réduite (~FMQ-NNO). Globalement, les teneurs en soufre dissoutes dans les liquides silicatés dérivés de la fusion des sédiments sont légèrement inférieures à celles obtenues dans les verres dérivés de la fusion de MORB pour des conditions de ƒO2 équivalentes (entre 92 et 5032 ppm S pour des expériences dopées avec 1 et 2 wt% S et avec 5-7 wt% H2O; Prouteau & Scaillet, 2013; Figure III.49). Seuls des systèmes pélitiques très riches en soufre (4 wt% Sin ; Prouteau & Scaillet, 2013) peuvent contenir plusieurs milliers de ppm de soufre.

Il semble que le soufre soit présent essentiellement sous sa forme oxydée (S6+) dans les verres silicatés produits dans cette étude comme en attestent les résultats obtenus en spectroscopie Raman (Figure III.50) et la présence de monazite riche en soufre (où le soufre s’incorpore sous forme S6+ ; section III.1.3.2e).

Les sulfures (pyrrhotite) formés lorsque le système est saturé en soufre contiennent environ 40-42 wt% S. Ils incorporent préférentiellement certains métaux de transition par rapport au liquide silicaté (Co, Ni, Cu, Zn, Au ; Figure III.63). Les coefficients de partage de l’Au et du Cu diminuent avec la diminution de température. Les coefficients de partage du Cu globalement plus faibles dans nos expériences que dans les études précédentes (Figure III.63c) s’expliquent par le fait que la majorité de ces études (exceptée celle de Simon et al., 2008) utilisent des produits de départ dopés en métaux. Ils ont donc formé des sulfures contenant plusieurs wt% de Ni et Cu. Le transfert des métaux stratégiques vers le coin mantellique via des liquides silicatés est plus efficace à basse température (teneurs dans les liquides silicatés à 750

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et 800°C, Au : 11-12 ppm ; Cu : 73.5 ppm). Le coefficient de partage du Pb entre sulfures et liquide silicaté est systématiquement inférieur à 1 lors de la fusion des sédiments (Figure III.63f) et que, donc, le Pb a systématiquement un comportement incompatible lors de la fusion

de sédiments riches en soufre pour des conditions de ƒO2 autour de FMQ-NNO-NNO+1 dans

la gamme P-T-X investiguée.

III.1.4.4. - Phases accessoires

Les expériences ont été réalisées à partir d’un sédiment non dopé en éléments en traces. Par conséquent, les phases accessoires sont rares et de petite taille (< 10 µm). Une partie de ces phases n’a pu être repérée qu’en utilisant un dispositif de cathodoluminescence (CL) relié à un microscope optique. Nous avons observé de la monazite uniquement à basse température (T < 850°C). Le zircon a été repéré dans plusieurs expériences (voir Tableau III.01) sur toute la

gamme de température investiguée. A haute température (T ≥ 850°C), une phase riche en Cl et

des carbonates sont présents et leur proportion semble augmenter avec l’augmentation de la

température. Le rutile est présent pour toute la gamme de température investiguée. Le rôle des phases accessoires a déjà été investigué dans les systèmes métapélitiques par Hermann & Rubatto (2009) et Skora & Blundy (2010). Cependant, leurs systèmes étaient dopés en éléments en traces.

 Rutile

Les teneurs en Nb et Ta sont systématiquement plus basses dans les liquides silicatés que dans le produit de départ et la teneur en Nb augmente progressivement dans les verres silicatés avec l’augmentation de la température, peu importe la teneur en soufre ajoutée. En appliquant le modèle de solubilité de Ryerson & Watson (1987), nos données expérimentales longent la droite de saturation du rutile pour toute la gamme de température investiguée (FM compris entre 1.4 et 1.87 ; Figure III.64a), ce qui est en accord avec la présence de rutile dans toutes nos expériences.

 Zircon

Les teneurs en Zr et Hf augmentent continuellement avec la température dans les liquides silicatés, peu importe la teneur en soufre ajoutée (avec ou sans grenat en équilibre). Les données obtenues pour cette étude longent la droite de saturation en zircon (Kelsey et al., 2008 ; Figure III.64b) sur toute la gamme de température investiguée. Le zircon est stable pour

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toute la gamme de température étudiée et sa proportion semble diminuer avec l’augmentation de la température.

 Monazite

La diminution de la teneur en calcium et l’augmentation de la teneur en sodium conduit à une diminution de la solubilité de la monazite dans le fluide s.l (Budzyń et al., 2011). Aussi une faible teneur en CaO (≤ 0.7 wt%) favorise la précipitation de la monazite quand une forte teneur en CaO (> 2 wt%) promeut la dissolution de la monazite au profit de la F-apatite et/ou de l’allanite (Smith & Barreiro, 1990). Nos liquides expérimentaux sont pauvres en CaO (0.48 – 1.43 wt%), ce qui est plutôt favorable à la précipitation de la monazite. En appliquant le modèle de solubilté en monazite de Stepanov et al., (2012) avec les paramètre suivants : une teneur en H2O fixée à 17 wt% (similaire à celle calculée par bilan de masses à 800°C) et un 𝑋𝛴𝑅𝐸𝐸 4𝑀𝑛𝑧 de 0.9 (équivalent à celui de Skora & Blundy, 2012 ; les monazites n’ayant pas été analysés dans nos expériences, ce paramètre n’a pas pu être calculée pour notre étude), il en résulte que, en théorie, seules les expériences à 750 et 800°C peuvent être saturées en monazite,

Figure III.64 : Modèles de saturation en rutile (a) suivant Ryerson & Watson (1987), en zircon (b) suivant Kelsey et al. (2008) et en monazite (c) suivant Stepanov et al. (2012).

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ce qui est cohérent avec nos observations et avec les variations des teneurs en LREE et Th observées dans les verres expérimentaux (Figure III.64c).

 Phases riches en Cl

La solubilité de l’apatite augmente avec le degré d’aluminosité (A/CNK) du liquide silicaté (Bea et al., 1992; Pichavant et al., 1992). Nos liquides silicatés sont hyperalumineux (A/CNK compris entre 0.95 et 3.02) et sont aussi pauvres en CaO et P2O5. De fait, pour nos expériences, le système n’est jamais saturé en apatite. L’absence d’apatite dans nos résidus expérimentaux explique les différences concernant la répartition du chlore par rapport aux expériences réalisées par Li and Hermann (2015). Dans leur étude, le chlore se répartit essentiellement entre le fluide aqueux (subsolidus), l’apatite, le liquide silicaté et, dans une moindre mesure, les phases hydroxylées (phengite, biotite, amphibole). Dans nos expériences, nous avons pu constater la présence d’une phase riche en chlore (sel ou saumure ?) à haute température (T ≥ 850°C). La saturation d’une telle phase à haute température semble être liée à la diminution de la solubilité du chlore avec la diminution du degré d’alcalinité (NK/A) dans les liquides silicatés (Metrich & Rutherford, 1992). Ainsi, dans nos expériences le chlore se répartit selon cette séquence : phase riche en Cl (pour T ≥ 850°C) > liquide silicaté > phengite et/ou biotite (pour T < 850°C).