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1.3 la Transamazonienne et l’Amazonie

Iracema : uma transa amazônica est souvent qualifié de road-movie puisqu’il prend comme lieu central de ses péripéties la route Transamazonienne. Il est d’ailleurs important de mentionner qu’au tout début du film nous retrouvons un intertitre mettant de l’avant l’idée que la route est considérée comme un symbole du « grand Brésil »21. Par ailleurs, la route, qui n’est pas toujours la Transamazonienne, est présente en tant qu’entité symbolique dans de nombreux films afin de penser la réalité sociale du Brésil. En ce sens, sa présence relie notre film à plusieurs autres films issus du Cinema Novo. Dans leur ouvrage intitulé: Brazilian cinema- expanded edition, les auteurs démontrent que la présence de la route est un topo récurant de la modernité cinématographique brésilienne. Depuis Vidas Secas (1963) de Nelson Pereira dos Sentos, Viramundo (1965) de Geraldo Sarno, A Grande Cidade (1966) de Carlos Diegues et son incontournable, bien que plus récent, Bye Bye Brazil (1980), la route est le lieu pour exposer le contact et le choc entre la tradition et la modernité. Elle permet aussi de questionner la dynamique entre le centre et la périphérie. Étant le lieu des échanges commerciaux et de la mobilité capitaliste moderne, elle permet de questionner l’espace entre les riches issus des grands centres urbains et les pauvres vivants en

21 L’intertitre se traduit comme suit : « Représenter la transamazonienne de manière réaliste en 1974 représentait un

grand risque. Les conséquences furent des années de censure et de luttes incessantes pour diffuser le film et le rendre accessible au public à qui il s’adressait. La réalité filmée dans Iracema est tout aussi désoeuvrante à regarder maintenant, peut-être même plus, qu’à l’époque trouble pendant laquelle elle fut filmée alors que la route Transamazonienne symbolisait le « grand Brésil ». » ; Ma traduction

74 périphérie. De manière plus radicale, comme le souligne Walter Moser, elle symbolise également le contact ancestral entre la civilisation et la nature.

C’est la route construite pour la circulation rapide des voitures à travers un paysage de préférence vide, sauvage, aride et même désertique. Un paysage qui fait contraste avec la ville et plus généralement avec des espaces aménagés pour l’habitation humaine. On y reconnaît l’opposition conceptuelle fondamentale entre nature et culture, de même que les récits de retour à la nature animée par le désir de tourner le dos aux effets négatifs de la civilisation (Rousseau). (2006, p. 11-12)

Lorsque nous regardons Iracema, nous sommes à même de constater l’impact de cette incursion du progrès dans la nature. La route transamazonienne vient littéralement couper la forêt amazonienne en deux et représente une veine de la ville au cœur de la jungle. Elle incarne symboliquement le processus de colonisation sous sa forme moderne. À ce sujet, Xavier Ismail mentionne que: « The construction of the Trans-Amazonian Highway bisecting the world’s largest expanse of undeveloped jungle was one of the most powerful symbols of development, modernization, and the victory of civilization over hostile nature » (1990, p. 363).

Cette logique de conquête de la nature, Moser l’explique par une distinction fondamentale entre modernité solide et modernité liquide. Cette différenciation, qu’il emprunte au sociologue Zigmunt Bauman,22 tend à démontrer que le genre du road-movie se situe, par son récit qui accorde une importance particulière à l’occupation de l’espace sur le temps, du côté de la modernité solide. Cette modernité solide, Moser la relie directement au processus de colonisation.

La modernité solide se définit par la priorité qui est accordée à l’espace sur le temps. L’espace est la chose précieuse à occuper et à posséder. La constitution territoriale des États-Nations, ainsi que leur intégrité et protection s’inscrivent dans cette logique. Mais aussi, à partir et au-delà de ces territoires nationaux, la découverte, l’exploration, la conquête, l’occupation de nouveaux territoires, bref le processus de colonisation. (2008, p.8).

Iracema met en évidence, par sa thématique, cette modernité colonisatrice qui par ses infrastructures, particulièrement l’autoroute, cherche à conquérir et à exploiter l’espace. La route

22 Zygmunt Bauman est un théoricien de la modernité et un sociologue. L’ouvrage auquel Walter Moser fait ici

75 transamazonienne en vient ainsi à occuper la place symbolique de la conquête coloniale contemporaine.

Les images du film nous confrontent également à un territoire concret qui demeure absent du monde des images. Il est désormais possible de voir l’Amazonie et de confronter l’imaginaire symbolique lui étant rattaché. En ce sens, il y a dans le film une réaffirmation concrète du territoire national et une mise à distance de l’imaginaire symbolique lui étant relié. La forêt vierge qui attend d’être conquise apparait sous un jour beaucoup plus sombre. Cet imaginaire symbolique de l’Amazonie, que les images concrètes questionnent, se rattache à toute une tradition de l’imaginaire brésilien qui remonte jusqu’au thème biblique de la terre promise évoqué par les jésuites. D’ailleurs, dans le roman, la forêt amazonienne est symbolisée comme un bois sacré encore sauvage.

Là où mourrait le versant de la colline, la végétation était touffue : une dense voûte de feuillage vert sombre recouvrait l’entrée agreste, réservée aux mystères des rites barbares. Le bois sacré était un bois de mimosas- jurémas. Les troncs rugueux de l’arbre de Toupan parcouraient ses pourtours. (Alencar 1895, p. 27)

La forêt amazonienne, par son caractère sacré et sauvage, évoque par conséquent le lieu à conquérir, à occuper et à coloniser. Xavier Ismail écrit d'ailleurs que: « the Amazon is the promised land, chosen to carry the connotation of « virginity », of untamed nature to be « discovered » and conquered » (1997, p. 239). La présence de la route Transamazonienne, au cœur d’Iracema : uma transa amazônica, devient la possibilité de mettre en évidence cette logique de conquête coloniale du territoire par les pouvoirs en place et nous révèle, par des images documentaires comme nous le verrons, les conséquences désastreuses et concrètes d’une telle conquête.