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Partie II : Quelles solutions aux altérations ? Les méthodes de conservation des sites archéologiques

4. Le traitement des éléments constitutifs d'un site archéologique : maçonneries, sols et

4.3. Le traitements des pavements décoratifs

4.3.1. Les différents types de pavements et leurs altérations

Les pavements décoratifs d'époque gallo-romaine se classent en trois grandes familles : l'opus signinum, l'opus sectile et l'opus tessellatum, dont nous avons reporté en annexe (annexe 7) les spécifités.

En raison de la stratification complexe dont ils sont composés, les dégradations subviennent lorsque la stabilité de l'assise des pavements est compromise. Sols meubles qui s'affaissent, hypocaustes devenus fragiles, manques, écroulements, les raisons peuvent être nombreuses. Moins la qualité de la facture originelle (matériaux et mise en place) sera bonne, plus les chances que le

tessellatum résiste à une exposition baissent. Toute contrainte physique, tels que des

chocs ou des bioperturbations, sur un mortier fragile voir pulvérulent pourra avoir raison de la cohésion du pavement. Les pavements à base de certains calcaires ou des marbres les plus durs seront généralement les mieux conservés, du fait de leur tendance à créer une patine protectrice, à l'inverse des pierres tendres comme le schiste, qui pourront se cliver, s'éroder voir devenir pulvérulentes.

L'histoire du pavement jusqu'à sa redécouverte contemporaine n'est évidement pas la seule donnée à prendre en compte concernant sa dégradation. Le facteur climatique est la source principale de dangers, comme la gélification suite aux infiltrations par capillarité ou eaux de pluie, les développements microbiologiques fragilisant la surface, mais le piétinement et la malveillance sont à court terme aussi responsables de lacunes et de dégradations.

4.3.2. La conservation des mosaïques

Les mosaïques furent pendant longtemps les parents pauvres de la conservation, car réputées à tort comme inaltérables. Elles supposent de plus, du fait de leurs dimensions, de grands efforts techniques pour les déposer .

Depuis le XIXe siècle, 95% des pavements décoratifs antiques répertoriés dans le

Recueil général des mosaïques de Gaule157 ont disparu, selon une étude menée par

Claude Bassier158. Cette hémorragie devait être stoppée par une prise de conscience

interdisciplinaire : restaurateurs, conservateurs, historiens, architectes.

4.3.3. Une affaire de choix éthiques et techniques

Il faut en amont de toute opération effectuer une sélection de mosaïques à mettre en valeur si le site en comporte un nombre trop important. Ce sont les historiens de l'art qui sont compétents pour conseiller le maître d'ouvrage, jugeant de la rareté et de l'intérêt d'une oeuvre. Il faudra généralement se plier aux circonstances.

« Une mosaïque est une égalité physico-chimique structurée et complexe »159. Plus

encore que tout autre vestige, elle vit avec et subit « l'écosystème »160 qui l'environne. Ce

tout peut donc facilement s'altérer et se détruire progressivement.

Pour garantir sa conservation, la seule solution est donc de le couper de cet environnement et de lui offrir les conditions de conservation préventive muséale :

– Température et humidité relative constantes ; – Protection contre l'eau et le feu ;

– Entretien contre les poussière et la végétation régulier – Ecarter toute contrainte mécanique et toute malveillance.

À la différence d'une dépose en musée, la mosaïque conservée in situ gardera sa fonction de pavement, de sol. Il se posera cependant les questions suivantes : faut-il le dissocier légèrement du sol ? Quelles seront les conditions de présentations ? Envisage t- on une réintégration ?

157 Dont l'origine émane d'Eugène Müntz, 1845 Soultz-Sous-Forêts-1902 Paris, historien de l'art, membre de l'Académie des inscriptions et belles lettres

158 BASSIER, 1980

159 LAVAGNE & BASSIER, 2002, page 75 160 Ibid.

4.3.4. Méthode de conservation des mosaïques : la décision de la

dépose

Chaque mosaïque, chaque site, forme un cas à part. La conservation d’un pavement, avec dépose ou sans, va dépendre de son état sanitaire et des conditions géographiques, archéologiques et climatiques du site sur lequel il se trouve161.

Il est aujourd'hui rare de laisser une mosaïque conservée sur son support d’origine. D’une part car les découvertes se font très souvent dans le cadre de fouilles préventives, mais aussi car les cas de mosaïques laissées sur place, à l’abandon ou présentées au public, sont dans des états préoccupants et montrent des dégradations alarmantes. Même protégées par une structure, leurs conditions de conservation restent précaires et elles vont être sujettes aux altérations.

Ce propos généraliste est toutefois à nuancer, car il existe des exceptions. Si elles sont correctement entretenues et protégées des intempéries par une structure de couverture, les mosaïques pourront ne pas forcément être transférée irréversiblement vers un nouveau support, qui sera alors superflu. Ce choix se prendra après réflexion et discussion entre le conservateur, le restaurateur, l’architecte et l’archéologue. Les mosaïques conservées sur leur mortier d’origine présentent une bien meilleure harmonie avec les vestiges avoisinants, et parfois même, comme sur le site de Glanum, un meilleur état de conservation que celles reposées sur une dalle de ciment mal employée qui pourra se gondoler avec le temps. En attendant un éventuel traitement en laboratoire, un réenfouissement temporaire du pavement sera nécessaire, en prenant garde de prévenir toute contamination biologique.

Evelyne Chantriaux-Vicard dans l'article sur les mosaïques de pavement dans La Conservation en Archéologie162 définit la dépose comme une « opération qui

consiste à désolidariser [une mosaïque] de son support pour la prélever de son contexte archéologique ». Cette technique est reportée en annexe (annexe 8).

Un restaurateur en laboratoire intervient ensuite pour traiter le tessellatum. Il faudra généralement procéder au transfert de celui-ci sur un nouveau support. Il est privilégié l'utilisation de supports modernes. Ceux de type métallique en nids d’abeilles comme utilisés en 2006 lors de la restauration des mosaïques d’Antioche

161 PERRICHOT, 2012

du musée du Louvre par l’atelier de Saint Romain-en-Gal sont les plus efficaces163. Ces

supports en aluminium sont composés de multiples alvéoles de 50mm d’épaisseur, armées sur chaque face de toile de verre et de résines époxy. Issu de l’industrie aéronautique, ce support est stable et insensible aux variations climatiques. Il est également léger et résistant ce qui solutionne de nombreux problèmes, comme sa manipulation et son déplacement, permettant une exposition de façon saisonnière si il n'existe pas d'abris. Ne pouvant être soutenu que par un simple réseau de poutrelles, au dessus des couches archéologiques, il offre une protection contre les remontées d'eau par capillarité. Elles permettent enfin un remontage de grandes dimensions, les structures pouvant couvrir jusqu’à 25m2.

4.3.5. Les conditions d'une repose in-situ

Une repose in-situ s'effectuera de préférence avec l'installation de protection contre les aléas climatiques, que nous avons évoqué plus tôt dans ce mémoire.. L'entretien est également nécessaire pour garantir la bonne conservation des pavements. La maintenance est à prévoir sur le long terme, tant financièrement que matériellement. Un suivi de l'état sanitaire des vestiges doit être effectué ainsi que des nettoyages réguliers, sur un rythme de préférence annuel. La combinaison des effets de la chaleur, de l’humidité et de la lumière provoquent en effet l’apparition de mousses que l’on sait nocives. Il faudra également prévoir des interventions de consolidation d’urgence en cas de besoin. Enfin, la solidité et l’imperméabilité de l’abri lui-même est à surveiller.

Toutefois, une couverture seule, qui peut d'ailleurs parfois fuir et être néfaste aux structures qu'elle veut protéger, n'est pas la panacée et il faudra prévoir un contrôle des infiltrations d'eau. Un simple aménagement peut éviter bien des désastres. Ainsi, sur le site couvert du palais romain de Fishbourne (Sussex, Royaume-Uni) où le problème des remontées d'eau venant de la nappe phréatique était constant, une tranchée creusée en amont du site suffit à supprimer le problème. Vallon, reporté en annexe (annexe 9), constitue un exemple bien plus complexe.

4.3.6. La conservation des mosaïques en milieu urbain

Les solutions sont plus limitées en zones urbaines qu'ailleurs. Quatre cas de figure existent164 :

163 La restauration des mosaïques d’Antioche, Lien internet 164 ICCM, 2004, pp. 229-236

– L'expropriation du terrain et la restauration du pavement, in situ directement ou après dépose et repose, afin de le présenter dans son contexte archéologique au public. Sa réalisation pose deux types de difficultés, l'une liée au coût d'une telle entreprise et la seconde liée aux aménagements requis pour une présentation publique de tels vestiges, avec les nécessités de gestion des flux et des conditions de conservation supposées ;

– Une variante de la première, où il s'agirait de conserver la mosaïque et les vestiges au sous-sol d'un édifice en construction et de les présenter de façon « rudimentaire ». Bien que cette solution assure la préservation de l'objet dans son environnement d'origine, elle ne permet pas toujours son accès, que ce soit au public ou même aux spécialistes. Les conditions de conservation, d'humidité et de température, peuvent également ne pas être adéquates ;

– Il peut être à l'inverse décidé de recouvrir la mosaïque et de la laisser à son emplacement d'origine, sous l'édifice. L'avantage est de garantir la transmission de la mosaïque aux générations futures qui pourront l'étudier dans son contexte archéologique. Cela signifie cependant qu'aucune possibilité de revenir sur la décision ne sera possible à court et moyen terme. Les chercheurs n'auront pour eux que la documentation ;

– Le quatrième option est la dépose de la mosaïque et la conservation de celle-ci en réserve archéologique. Il sera procédé au remblayage ou à la destruction de sa structure d'origine après un couvert scientifique et documentaire intégral : photographies, dessins, constat d'état, étude archéologique, etc. On pourra alors regretter une perte certaine de son identité, écueil inhérent à chaque artefact archéologique éloigné de son contexte.

La conservation in situ des pavements décorés est aujourd'hui, au delà du possible, un but à atteindre. Il suffit d'observer les réussites de Loupian, site sur lequel nous reviendrons en troisième partie, ou de Ganagobie165 qui démontrent

165 Un prieuré hébergeant une mosaïque du XIIe siècle, dont la conservation in situ fut décidée en 1975 par la CSMH, les travaux débutèrent en 1978 grâce à la SOCRA sous la supervision de l'ACMH D. Ronsseray, et terminèrent en 1985. Après étude archéologique, l'intervention consista en la dépose sur un nouveau support pérenne, traitement à l'identique des lacunes, le tout placé sur une chape de béton armé protégeant les cryptes sous-jacentes

qu'une sauvegarde en place du matériel de l'historien de l'art est possible tout en permettant de lui garantir une bonne conservation. Stopper ou ralentir considérablement les processus d'altération en offrant dans le même temps au visiteur une lisibilité très satisfaisante est un objectif atteignable. Cependant, les choix de conservation ne vont pas de soi. Ils requièrent d'ouvrir une discussion entre les différents acteurs et de poser une problématique.