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Partie I : Historique d'une prise de conscience

6. La protection juridique en France

Les régimes de protections régaliens du patrimoine apparurent dans plusieurs pays en Europe au même moment : en 1882 en Angleterre, en 1887 en France, en 1902 en Italie, en 1923 en Autriche... Les critères essentiels sont l'intérêt national et public, mais les caractères historiques, esthétiques et architecturaux revêtent un certain intérêt. Les monuments privés et ceux dont l'usage est collectif ne jouiront pas de la même considération, puisqu'ils doivent se justifier d'un « intérêt d'histoire ou d'art suffisant » pour être protégés par la loi du 31 décembre 1913.

Prenant le relai des Commissions du XIXème siècle, la protection est aujourd'hui initiée par les villes elles-mêmes, souvent de tailles moyennes, qui choisissent de classer leur patrimoine. Elle peut aussi l'être par des associations locales, qui découvrent, défendent et valorisent un patrimoine populaire modeste.

6.2. La protection pénale de l'archéologie

6.2.1. Protection légale et peines encourues

85 APPEAR, 2005, page 21

La protection pénale de l'archéologie fut établie par une série de lois, dont les quatre textes majeurs sont :

• La loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques ; • La loi du 27 septembre 1941 relative à l'archéologie préventive ;

• La loi du 15 juillet 1980 relative à la protection des collections publiques contre les actes de malveillance ;

• La loi du 17 janvier 2001, modifiée par la loi du 1er août 2003, relative à l'archéologie préventive.

Le champ d'application de ces lois concerne, conformément à l'article 1 de la loi Carcopino de 1941, validée en 1945, tout « monument ou objet pouvant

intéresser la préhistoire, l'histoire, l'art ou l'archéologie », et s'articule autour de trois

pôles : l'intégrité du patrimoine archéologique, son exploitation et son commerce. Le premier pôle avant tout concerne notre sujet. La destruction d'un site fut dès le départ considérée comme répréhensible par le législateur. Le texte était néanmoins traversé de failles et il fallut attendre les corrections ultérieures pour que la destruction soit envisagée dans un acception plus globale, recouvrant tous les cas de figures possibles.

La loi 80-532 du 15 juillet 1980 englobe les malveillances aussi bien en termes d'archives, de bibliothèques ou de musées. La peine est donnée en fonction de l'article 322-2 du Code pénal. Elle concerne celui qui « intentionnellement détruit,

abat, mutile, dégrade ou détériore des découvertes archéologiques faites au cours de fouilles ou fortuitement, ou un terrain contenant des vestiges archéologiques ». La

tentative elle-même peut être punie, et la peine est doublée lorsque la destruction est menée à terme.

Le texte ne mentionnait à sa rédaction que les destructions causées par un « tiers », ce qui causait problème car un propriétaire de terrain malveillant ne pouvait être poursuivi en justice. Cela fut corrigé par un alinéa.

Des actes de jurisprudence sont venus pallier certains défauts d'application de la loi : notamment sur la profondeur87, l'état du terrain88, et l'intention délictuelle89.

Actuellement, le pillage d’un site archéologique, sa destruction, sa dégradation

87 Un trou même de vingt centimètres de profondeur peut endommager une stratigraphie. 88 On ne peut profiter d'un terrain labouré pour en soutirer les vestiges aux archéologues.

89 Une connaissance du régime de protection d'un site est un élément aggravant, tout comme la preuve d'une prise de renseignement, alors qu'à l'inverse l'absence de panneau indiquant un site et la tolérance antérieure d'autorités locales incompétentes dans le domaine peuvent ôter le caractère intentionnel d'un acte de destruction.

ou sa détérioration peuvent être punis de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende (articles 311-4-2 et 322-3-1 du code Pénal créés par la loi n°2008-696 du 15 juillet 2008 – art. 34). L'emprisonnement peut aller jusqu'à dix ans et l'amende jusqu'à 150 000 € si l'acte est commis en bande organisée (articles 311-4 et 322-3 du code Pénal).

Concernant les mosaïques, immeubles par nature car posées sur le sol depuis de nombreuses années, les techniques modernes peuvent les déposer et donc les faire changer de nature, en biens meubles. La Cour de Cassation avait reconnu aux mosaïques le statut définitif d'immeuble par nature en 1881, suite à une affaire concernant un pavement encore en place dans une salle. Elle perd sa nature d'origine et devient meuble à partir du moment où elle est décollée.

6.2.2. La protection issue de la législation sur les Monuments Historiques

6.2.2.1. Principe et fonctionnement

Dès 1841, il était stipulé que les monuments « ne peuvent subir aucune

modification sans l'approbation du ministère de l'Intérieur » (circulaire du 1er Octobre

1841). La reconnaissance de l'applicabilité de cette loi aux monuments historiques se fera progressivement en 1887 puis en 1913. Mais il y avait une différence de traitement entre les vestiges monumentaux et ceux qui ne s'élevaient pas au delà de quelques dizaines de centimètres.

Les procédures ne sont pas différentes pour les monuments ou par l'archéologie, à quelques modifications près. La commission supérieure comprend deux sections particulières dédiées à l'archéologie : vestiges archéologiques et grottes ornées. C'est le conservateur régional de l'archéologie qui présente le rapport devant la CO.RE.P.H.A.E.90

et non le conservateur des monuments historiques.

Il existe donc deux types de protection, le classement et l'inscription, répondant à des intérêts différents. Après avoir parlé d'intérêt national, le classement évoque désormais celui « public » « au regard de l'histoire et de l'art ». Ce régime est fort et exigeant dans son application. Le concept d'intérêt culturel sous-tendu invoque une nécessité de conservation.

La protection de l'inscription, insérée en 1961 dans la Loi est plus légère. Le législateur y parle en effet d'intérêt d'histoire ou d'art « suffisant pour en rendre désirable

la préservation ». L'intérêt est donc plus local, car la protection se décide à l'échelon

régional depuis 1984. Elle est devenu un préalable nécessaire dans le laps de temps précédent le classement.

L'intensité de la protection peut donc être modulée en fonction par l'Etat. En outre, elle est gage de confiance pour les autorités locales dans le cadre d'une décision de mise en valeur.

6.2.2.2 Ses conséquences

La première conséquence est l'octroi immédiat d'un « droit de suite », bien qu'il ne concerne principalement que les objets mobiliers. Le classement d'un site restera d'un propriétaire à un autre.

Deuxièmement existe le droit d'intégrité du bien, qui signifie qu'aucune modification ne peut être effectuée sur le bien classé sans l'accord du Ministre de la culture et sans sa surveillance ensuite. En archéologie, cette obligation concerne soit les restaurations de sites, soit leurs transformations à des fins de réutilisation, comme ce fut le cas des arènes de Nîmes par exemple. La surveillance est indispensable pour mettre au point les bonnes techniques de conservation. C'est la Commission supérieure des monuments historiques qui devient le comité d'experts.

Pour un bien inscrit, la protection prend une valeur d'avertisseur puisque le propriétaire est chargé d'avertir l'administration 4 mois avant ces travaux, 5 ans si la conséquence des travaux est le morcellement ou le dépeçage du site.

6.2.3. Les abords

Les abords concernent les articles 13, 13 bis et 13 ter de la Loi de 1913. Le concept de visibilité depuis le monument ou de covisibilité va de paire avec celui-ci. Toute construction ou démolition dans un rayon de 500m du monument est soumis à autorisation. Cette notion est fragile concernant les sites archéologiques, qui parfois affleurent le sol. Elle ne concerne ni les grottes, ni les abris préhistoriques. Il n'est pas rare de protéger une parcelle dont le sous sol est riche archéologiquement. Cela évite les constructions aux alentours qui risqueraient de l'endommager. Les juges se rapportent à l'expertise des archéologues. En milieu urbain, il existe d'autres outils de protection comme les ZPPAUP ou les secteurs sauvegardés.

A la lumière de cette histoire des monuments historiques, depuis la création même du concept jusqu'à la loi de 1913 qui viendra les consacrer, nous pourrons comprendre la complexité de la formation de la théorie de la conservation. Les grandes Chartes du XXe siècle sont les enfants de ces différents courants de pensée. La ruine antique a, jusqu'à nos jours, bénéficié de traitements très différents selon les époques et les régions. Nous avons pu, en observant la situation actuelle du patrimoine en France, constater combien sa conservation reste fragile. Nous possédons à présent, grâce à cet enseignement historiographiques, aux théories et à ces constats contemporains, les clés pour comprendre la méthodologie idéale de traitement des vestiges, avec les concepts clés qui l'entourent.

Partie II : Quelles solutions aux