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Partie II : Quelles solutions aux altérations ? Les méthodes de conservation des sites archéologiques

3. Les solutions de conservation à mettre en place dans un projet de mise en valeur de ruines

3.3. Le réenfouissement

3.3.1. Ses objectifs

Il s'agit de la mesure de protection « la plus basique, la moins technologique et en

général la plus efficace »118 en matière de conservation de sites archéologiques. C'est

également celle au meilleur rapport qualité-prix, car elle ne demande que très peu de coût de maintenance.

Le réenfouissement est la solution adoptée pour un site archéologique fouillé qui ne fera pas l'objet de mise en valeur dans le futur. L'avantage réside dans le fait que la terre de fouille est généralement restée sur place. Elle sera idéale pour le recouvrir, concernant la compatibilité notamment, et nécessitera moins de logistique pour la transporter. Dans le cas d'un site n'ayant jamais été enterré ou présentant des élévations trop importantes, cette solution peut ne pas être applicable.

Le recouvrement de certaines s'avère, par ailleurs, utilisé dans le cadre de mise en valeur. Il s'agit alors de protéger certains vestiges sensibles, ou de cacher des structures afin de simplifier la compréhension.

117 MCC, 2006

118 Catherine Woolfitt, Preventive conservation of ruins : reconstruction, reburial and enclosure, in ASHURST, 2007, page 146

Dans les faits, on procèdera le plus souvent à des réenfouissements partiels, ne laissant dépasser que des arases de murs. L'intérêt est de laisser le plan du bâtiment intelligible. On peut également ne protéger que des éléments de pavements trop fragiles pour être laissés à l'air libre.

3.3.2. La réalisation du réenfouissement

Il est utopique de penser qu'un enfouissement avec géotextile garantit la conservation totale d'éléments de pavements, notamment pour les mosaïques qui sont beaucoup trop fragiles. Cette solution ne permet pas non plus d'éluder un besoin de consolidation ou de traitement des vestiges. Enfin, réenfouir n'est pas totalement exempt de coût de maintenance puisqu'il faudra toujours revenir constater

in-situ l'état du site et procéder à des désherbages réguliers afin d'éviter que des

racines ne viennent endommager les structures sous-jacentes.

Il est fortement dommageable de laisser un site archéologique à l'air libre sans intervention et ni protection. Les éléments constitutifs d'une ancienne implantation humaine sont vulnérables aux aléas climatiques. Décider de réenfouir se fait donc dans les cas suivants :

– Lorsque les ressources ne sont pas suffisantes pour envisager des mesures de conservation plus importantes119 ;

– Comme mesure temporaire dans l'attente de solutions de conservation sur le long terme, comme des abris et une mise en valeur ;

– Lorsque la structure de la ruine est trop altérée et donc sensible à l'exposition aux intempéries ;

– Pour des sites situés dans des endroits reculés, où les inspections sont rares et les risques de vandalisme ou de vol importants ;

– Dans le cas d'éléments spécifiques à protéger, quand la conservation est difficile à l'air libre, comme les mosaïques ;

– Pour les sites concernés fréquemment par le gel, en dehors du contrôle climatique total de l'environnement, le réenfouissement est la seule solution viable de conservation sur le long terme.

119 C'est notamment le cas pour les sites archéologiques de moindre importance dont le contenu ou l'état de conservation - et donc l'attraction touristique qu'ils génèrent - ne justifient pas d'importantes dépenses.

Théoriquement, cette solution offre donc la stabilité que l'extérieur ne peut fournir aux vestiges archéologiques fragiles. Avant d'être excavés, les vestiges sont en contact intime avec le sol où ils y ont trouvé une certaine stabilité. La conservation des vestiges organiques est conditionnée par l'humidité du sol et son pH (acide ou alcalin). Le bois n'est par exemple bien souvent retrouvé qu'en négatif dans le sol, sauf pour les sites immergés ou les régions arides. Cette problématique ne sera pas traitée dans cette étude. Elle constitue un sujet d'étude à part entière qui nécessiterait un développement plus conséquent. Concernant les vestiges inorganiques comme la terre-crue, la céramique, la terre-cuite ou les pierres, il n'est pas rare de constater aux interfaces avec la terre des problèmes tels que la cristallisation minérale. Mais ils seront toutefois protégés par l'enfouissement, des cycles journaliers d'humidification et d'évaporation, et saisonniers de gel et de chaleur.

La mise au jour par les archéologues brise l'équilibre trouvé par les vestiges pendant leur ensevelissement. Leur exposition enclenchera des mécanismes d'altérations qui devront être pris en charge immédiatement. Effectuer une étude avant la fouille afin d'anticiper la nature des vestiges rencontrés sous la terre permettrait de prévoir des mesures de protection en amont, comme laisser une couche de terre pour ralentir le séchage de murs enduits par exemple, ce qui forcerait les éventuels sels à se cristalliser sur cette fausse surface.

3.3.3. Le géotextile

Le géotextile et les géomembranes sont les matériaux généralement mis en place lors des réenfouissements. Plusieurs types existent, avec des destinations différentes : isolation de la terre de recouvrement, démarcation, rembourrage… Ils sont produits pour l'ingénierie civile. Ils permettent de retenir les particules tout en laissant passer l'eau entre les différentes couches de sols.

En dehors de quelques rares mentions précédentes dans la littérature, son utilisation se généralise dans les années 1990120. Ils viennent remplacer l'utilisation des

billes en argile et des filets en plastique. Il est toutefois encore possible de voir mises en oeuvre en combinaisons variables ces différentes méthodes. Le géotextile est devenu très en vogue notamment pour les protections temporaires, grâce à sa facilité d'enlèvement et la possibilité de le réutiliser.

Dans le cadre d'une protection sur le long terme, son emploi entre les couches

archéologiques et la terre ou le sable de recouvrement se justifie à plusieurs titres. Il est à la fois démarcation entre les strates et membrane protectrice. Il contrôle les infiltrations en les séparant, filtrant et drainant. Il offre une bonne résistance à l'écoulement perpendiculaire de l'eau. Il renforce également la terre et aide face à l'érosion du site. Il peut protéger du rayonnement ultraviolet121. Dans l'idéal, il est

préconisé d'intercaler une couche de sable propre, qui sera inoffensive pour les vestiges, entre le géotextile et de la terre plus grossière.

3.3.4. Une solution pour les éléments fragiles

Les témoignages artistiques tels que des plâtres, des mosaïques ou des fresques, deviennent après la fouille les plus fragiles et les plus sensibles aux altérations. Leur réenfouissement, en attendant une solution de conservation allant de paire avec une mise en valeur, est la solution à adapter (Illustration 4).

Par exemple, une mosaïque romaine fut mise au jour il y a quelques années à Lopen dans le Somerset (Angleterre). Elle fut enfouie par les archéologues. Ils commencèrent par déposer une première couche de terre directement sur le pavement, puis du géotextile TerramTM. De la terre fut à nouveau ajoutée, avant d'installer stratégiquement des dalles de béton afin de prévenir toute dégradation ou vol. L'ensemble fut recouvert d'un monticule de terre afin de les dissimuler dans le paysage.

Il fut longtemps considéré que placer une membrane de géotextile ou de plastique entre la mosaïque et le sol était la méthode miracle, mais des témoignages et des reprises ultérieures de la question tendent à démontrer qu'elle pouvait au contraire devenir source de problèmes. En effet, une imperméabilité à la vapeur

121 KAVAZANJIAN, 2004

Illustration 4: Méthode de réenfouissement (A. Bossoutrot)

d'eau va poser des problèmes de rétention. L'humidité ainsi emprisonnée entraînera des variations de PH de façon localisée et favorisera les apparitions microbiologiques et les précipités minéraux122. Le géotextile n'est donc pas une solution ad hoc, mais elle doit être

pensée en amont. Elle ne se révèle de plus pas toujours justifiée et utile, devenant au final coûteuse.

Sur les questions des mosaïques - dont la restauration nous intéressera plus loin - et de leurs réenfouissements, les efforts de réflexion de l'ICCM123 sont les plus aboutis,

avec ceux du Getty Conservation Institute.

3.3.5. Les facteurs à considérer pour le réenfouissement

Compte-tenu de la complexité, comme nous venons de le voir, de cette question, il faudrait dans l'idéal faire appel à une équipe pluri-disciplinaire composée de géologues, architectes, ingénieurs civil et archéologues, afin d'étudier la question du réenfouissement d'un site ou de certaines de ses parties.

Un enfouissement différentiel de salles sur un même site peut créer des désordres dans la maçonnerie : instabilité structurelle, détérioration accélérée de la pierre et du mortier du côté exposé, etc. Ce cas de figure fut par exemple soumis aux conservateurs de l'Aztec Ruins National Monument124. La solution proposée fut l'élévation d'un mur de

soutènement dans l'espace destinés à être enfouis. Plutôt que d'utiliser des briques en béton, qui pourraient transmettre des sels aux structures, il fut installé un mur-poids géoweb, un matériau utilisé en construction et en terrassement afin de prévenir l'érosion, dont les cellules furent remplies de graviers.

Les expériences d'apports de sable ou de billes d'argiles dans le passé n'ont pas montré plus de résultats positifs. En réalité, une solution à considérer, est, comme à Lopen, de laisser une couche de remplissage au contact de la mosaïque, afin de recréer l'environnement dans lequel la mosaïque évoluait avant sa découverte. La terre est préférable car les billes d'argiles et le sable sont moins compacts et créent des vides, laissant passer d'éventuels contaminants. Tout matériau recouvrant la mosaïque doit être chimiquement inerte et avoir un pH compatible avec la mosaïque. Celle-ci est généralement non-acide car les mortiers de liaison en chaux sont alcalins.

Cette solution ne permet pas d'éluder un besoin de consolidation ou de traitement

122 ROBY & DEMAS, page 141

123 International Committee for the Conservation of Mosaïcs 124 BASS RIVERA & Al., 2004

des vestiges. Réenfouir n'est pas non plus exempt de coût de maintenance puisqu'il faudra toujours revenir constater in-situ l'état du site et procéder à des désherbages réguliers afin d'éviter que des racines ne viennent endommager le géotextile et les structures sous-jacentes. La végétation et les racines d'arbustes peuvent devenir des sources de dégradation lorsque la profondeur d'enterrement n'est pas suffisante.

3.3.6. Le colloque de Santa Fe de 2003

Les recommandations du colloque de Santa Fe en Mars 2003, aux Etats Unis (Nouveau-Mexique), publiées en 2004125, constituent encore aujourd'hui, malgré les

10 années écoulées, un aboutissement plus satisfaisant sur la question du réenfouissement des sites archéologiques. Elles ont permis de revenir et d'insister dans une première partie sur le rôle important de la prise de décision et sa réflexion en concertation. Les retours d'expériences passées ont également permis la diffusion de propositions intéressantes pour la maîtrise de l'environnement de l'enfouissement. Mais surtout, ce colloque a reconnu, en les nommant, tous les inconnues et les questionnements qui subsistent autour de cette technique.

Ainsi, il est reconnu comme judicieux e mieux étudier la composition du sol des sites en amont d'une fouille, afin de mieux prévoir l'environnement dans lequel devront baigner les vestiges réenfouis : taphonomie (formation du site) et paramètres physiques, chimiques et biologiques. L'équilibre bouleversé par la fouille doit être étudié en vue d'améliorer les conditions d'exposition puis de réenfouissement. Les deux environnements doivent en effet être vus comme des systèmes dynamiques. Les détériorations ne sont pas linéaires mais liées à des combinaisons de facteurs qu'il faut connaître.

Les études physico-chimiques doivent aider à développer cette connaissance. Il ne faut pas simplement s'arrêter aux observations macroscopiques mais tenter de descendre à l'échelle microscopique, afin de mieux étudier les cycles, l'impact du contact de l'oxygène, les effets de la températures, de la pluie ou encore des sels solubles après l'enfouissement, l'activité microbiologique, etc. La question nécessiterait donc une plus ample interdisciplinarité.

La convention est aussi revenue sur des points plus techniques de design et de tests. Le comportement des matériaux de remplissage selon les situations n'est

pas toujours correctement prévu. Afin d'aider les choix pour les futurs sites, il faut donc encourager la publication de rapports sur, par exemple, la combinaison du géotextile et des matériaux de remplissage, son adhérence trop forte à certains substrats comme les mosaïques, le comportement des vestiges par rapport au type de pH et celui des consolidants, biocides et mortiers. Les participants prirent donc position pour la création de « sites tests », régulièrement étudiés. Des initiatives de ce type devraient être encouragées, tout comme la surveillance et l'étude de sites précédemment enfouis afin d'évaluer et valider des choix de conservation. Une autre stratégie serait la création de tranchées répliques, accessibles à des contrôles réguliers.

Il y a néanmoins conscience ici du coût humain, en temps et en argent de la collecte de ces données et de l'installation des outils de contrôles, qui devront de plus être stables et faciles d'utilisation, car les paramètres sont nombreux (température, pH, conduction électrique, humidité relative, potentiel d'oxydation, etc.) et certains facteurs chimiques et spatiaux rendent difficiles l'obtention de données objectives.