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2-2-1) Traitement sémantique et pragmatique

D’autre part, les objets peuvent être perçus comme des entités phénoménologiques. Cela implique que les caractéristiques visuelles élémentaires comme l’orientation locale du contour, les changements en fréquence de contraste et d’espace, les signes de profondeur, l’aire, la couleur, la texture, le mouvement, etc., sont intégrés dans un ordre de propriétés supérieur: le volume doit être extrait de signes stéréoscopiques de profondeur ou de signes de mouvement cohérent, la forme doit être déduite des contours ou des signes de contraste, etc. Ainsi, le principe final surgit d’un traitement sémantique et contextuel, qui repose sur leur forme ou leur fonction. Ces mécanismes se trouvent distribués dans différentes aires cérébrales. L’un des pas essentiels pour compléter l’identification d’un objet doit être d’unir ces nombreux éléments élémentaires en une seule entité identifiable. La représentation sémantique fait référence à l’utilisation de signaux cognitifs pour générer l’action (Jeannerod, 1994).

Les expériences menées par Marteniuk et al. (1987) ont analysé une partie des différentes contraintes à laquelle le mouvement de préhension est confronté dans les conditions naturelles. Parmi les éléments du contexte dans lequel le mouvement se déroule, la fragilité estimée de l’objet peut influencer la saisie. Marteniuk et al. (1987) ont présenté aux sujets deux objets de même dimension et de même forme. L'un de ces objets est une ampoule lumineuse fragile et l’autre est une balle de tennis. Les auteurs observent alors que si la vitesse atteinte est du même ordre dans les deux cas, le temps de mouvement et la phase de décélération sont augmentés lors de la saisie de l’objet fragile. Marteniuk et al. (1987) ont aussi étudié la saisie d’un disque de 4 cm de diamètre et de 1 cm de hauteur. Ce disque devait être pris avec les mêmes doigts et ensuite être jeté dans une boîte ou placé dans un puits finement ajusté à sa forme. C’est-à-dire que dans les deux cas, l’objet devait être saisi, mais l’usage qui devait en être fait différait selon la consigne. Les auteurs observent alors que la phase de décélération du mouvement de saisie du disque est plus longue quand il est ensuite placé dans le puits. Ainsi la façon dont on prend un objet dépend de l'usage que l'on veut en faire.

La représentation impliquée dans la transformation sensori-motrice a une fonction pragmatique prédominante, du fait qu’elle est liée à l’objet en tant que but de l’action et non

comme élément d’une catégorie perceptuelle. La représentation pragmatique fait référence à une transformation rapide de l’influx sensoriel en des commandes motrices (transformation visuo-motrice). Les attributs de l’objet sont représentés dans la mesure où ils déclenchent des patrons moteurs spécifiques afin que la main puisse effectuer la prise correcte. Cette fonction ne devrait en principe pas impliquer l’union des attributs de l’objet en une seule entité du fait que chaque attribut contribue à la configuration motrice de la main en sélectionnant les degrés de liberté pertinents (voir plus bas).

En conséquence de cette distinction entre le traitement pragmatique et le traitement sémantique, les attributs des objets devraient être classés non pas en fonction de canaux anatomiques possibles, mais plutôt en fonction de leur pertinence pour l’un ou l’autre aspect du comportement dirigé vers l’objet. Un ample panel d’attributs est en fait pertinent pour le traitement sémantique comme pour le pragmatique: c’est le cas de ceux contribuant à la forme, la taille, le volume, la texture, etc. D’autres, en revanche, ne sont probablement d’aucune pertinence pour la présentation pragmatique (couleur) ou pour le traitement sémantique (poids). C’est pourquoi, une classification des attributs selon une distinction classique entre un canal cortical pour la vision spatiale et un canal pour la vision de l’objet pourrait être incomplète ou même amener à de fausses conclusions.

Cette proposition fonctionnelle se trouve reflétée dans des études récentes par TEP (Tomographie par Emission de Positons) de Faillenot et al.. Dans une première étude, Faillenot et al. (1997) ont comparé les patrons d’activation corticale dans deux différentes tâches: une tâche d'action (saisir des objets de tailles et formes différentes) et une tâche perceptuelle (faire correspondre les objets entre eux). Dans la première tâche, le foyer principal d'activation se trouvait dans les aires motrices et le lobule pariétal inférieur controlatéral à la main utilisée, ainsi que celle de la partie postérieure droite du sulcus intrapariétal. Au cours de la deuxième tâche, deux foyers furent trouvés, un dans le cortex inferotemporal gauche et l’autre dans le cortex pariétal postérieur droit: ces foyers tardifs se recoupent clairement avec les foyers homologues activés lors de la prise. Ce résultat implique que même quand l’action ne se produit pas réellement, l’analyse perceptuelle utilise des ressources appartenant à la voie dorsale qui sont également utilisées lors de l’action orientée vers l’objet. Suite à ce résultat, Faillenot et al. (1999) testèrent le degré d’implication du cortex pariétal lors de la discrimination perceptuelle. Les sujets devaient discriminer des formes présentées avec divers degrés d’inclinaison dans le plan frontal (tâche d’orientation 2- D) ou dans le plan sagittal (tâche d’orientation 3-D). Ces tâches pour lesquelles aucune action n’était requise produisirent une activation des aires localisées dans la partie postérieure du

sulcus intrapariétal (la voie dorsale), ainsi que dans la jonction occipito-temporale et le gyrus temporal inférieur (la voie ventrale).

Ces résultats illustrant les fonctions perceptuelles du lobe pariétal obtenus chez des sujets normaux doivent être rapprochées des effets observés lors de lésions de la même région. Des patients porteurs de telles lésions peuvent présenter des déficits perceptuels typiques en plus des problèmes de transformation visuo-motrice. Ils peuvent se révéler incapables de copier des objets en les dessinant (apraxie constructive); ils peuvent éprouver de grandes difficultés pour reconnaître des photographies d’objets présentées dans une orientation non canonique (Warrington and James, 1986). Ils ne peuvent pas résoudre de façon motrice ou perceptuelle l’orientation 3-D d’objets ou leur relation spatiale par rapport à d’autres objets. On pourrait spéculer que ces difficultés perceptuelles représentent un seul et même déficit avec le déficit visuo-moteur: seuls les aspects de la perception en relation avec l’action seraient affectés par la lésion, alors que les autres aspects en relation avec l’identification et le traitement sémantique seraient préservés. Le traitement pragmatique comprendrait la représentation de stimuli visuels dans les deux cadres de référence (allo et égocentrique) où une partie du traitement est égocentriquement codée (transformation visuo- motrice).