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2-3-1) La notion de décharge corollaire ou copie d’efférence

Le substrat physiologique du concept de décharge corollaire fut mis en évidence pour la première fois par Sperry (1950) et Von Holst et Mittelstaedt (1950). Ces chercheurs constatèrent, respectivement sur des poissons et des insectes, qu’une rotation de 180° de l’œil dans l’orbite se traduisait par la génération de mouvements circulaires continus. Sperry interpréta ce phénomène comme le résultat de la tentative faite par les animaux de stabiliser leur champ visuel. La rotation de l’œil qui impliquait une inversion des relations efférence- afférence aboutissait en effet, lorsque l’animal voulait stabiliser son environnement à un mouvement de type rotatoire. Von Holst et Mittelstaedt arrivèrent à des conclusions identiques par l’intermédiaire d’un raisonnement quelque peu différent. La stabilité du monde visuel repose, selon ces auteurs, sur l’existence d’un processus de comparaison mettant en relation les signaux efférents négatifs, et afférents positifs. Toute information rétinienne associée à un mouvement des yeux se trouve ainsi annulée en présence d’une commande

motrice, et le sujet perçoit le monde comme stable. Cette notion fut initialement envisagée pour rendre compte de la capacité de tout individu à discriminer, sur la base de stimuli rétiniens identiques, les mouvements du corps par rapport à l’environnement et les mouvements de l’environnement par rapport au corps. Ce modèle envisage que le système nerveux dispose d’une copie des ordres moteurs envoyés aux effecteurs, et qu’il utilise cette copie pour discriminer les afférences sensorielles "simples", de celles qui résultent de l’action (réafférences). En d’autres termes, tout déplacement de l’œil serait concomitant d’un déplacement identique de la représentation interne de l’espace visuel. Cette hypothèse trouva ses premiers appuis dans certains cas cliniques de paralysies des muscles extra oculaires, et dans les expériences de déplacement passif de l’œil (McCloskey, 1981; Stark et Bridgeman, 1983; Jeannerod, 1988). En effet, lorsque qu’un sujet atteint d’une paralysie des muscles extra oculaires essaye de réaliser une saccade, ou lorsque son globe oculaire est l’objet d’un déplacement passif, il perçoit un déplacement de l’environnement.

L’existence de boucles centrales de rétrocontrôle basée sur un traitement extrêmement rapide des informations efférentes, semble suggérée par la brièveté de certaines latences de corrections motrices. Higgins et Angel (1970) ont ainsi observé que, relativement à une tâche de poursuite manuelle d’une cible visuelle, les ajustements moteurs consécutifs à toute modification de la trajectoire de la cible se produisaient avec une latence inférieure au temps de réaction proprioceptif. Un résultat comparable fut rapporté ultérieurement par Jaeger et al., (1979) qui montrèrent que l’altération des mécanismes de rétrocontrôle proprioceptif par application d’une vibration tendineuse était sans effet sur le temps de correction de la composante directionnelle du mouvement. Cooke et Diggles (1984) observèrent pour leur part, lorsque le sujet initiait son mouvement vers une cible visuelle erronée, des inversions de la trajectoire du membre avec des latences d’environ 45 ms. Cette valeur paraît d’autant plus incompatible avec l’intervention de boucles proprioceptives qu’une altération de l’activité électromyographique des muscles agonistes intervenait parfois après un délai de seulement 20 ms, c’est-à-dire bien avant tout signe effectif de mouvement du bras (Angel, 1976). Une confirmation des travaux de Cooke et Diggles fut obtenue par Van Sonderen et al. (1989), sur la base d’un protocole de double stimulation visuelle qui permit de mettre en évidence pour des intervalles inter-stimulus de 100 ms des modifications de la direction initiale du geste intervenant dans certains cas 30 ms seulement après le début du mouvement. La précision finale du mouvement résulte de l’activation synergique de différentes boucles de rétrocontrôle. La capacité correctrice de ces différentes boucles n’est cependant pas illimitée. Dès lors, lorsque l’erreur à amender dépasse les capacités de prise en charge de l’ensemble

des systèmes de rétro-assistance, le programme moteur courant doit être interrompu et remplacé. Cette permutation d’un mode de contrôle rétroactif à un mode de contrôle proactif peut être identifiée dans le cadre du principe d’agencement hiérarchique des capacités motrices complexes (Gottsdanker, 1973; Megaw, 1974; Quinn et Sherwood, 1983; Barrett et Glencross, 1989). L’idée sous-jacente est que la nature des corrections appliquées à un mouvement en cours d’exécution dépend de l’importance des réorganisations à mettre en œuvre, c’est-à-dire de la position hiérarchique de l’élément à amender dans la chaîne de planification motrice. Cette hypothèse, qui rejoint la dissociation évoquée par Schmidt (1976, 1980) entre erreurs de sélection et erreurs d’exécution, implique que la modification des caractéristiques fondamentales d’un programme moteur (invariants) est conditionnée à l’implémentation d’un nouveau programme. Quinn et Sherwood (1983) ont, pour valider cette théorie, tiré argument du fait que le temps de réaction à une perturbation visuelle était significativement plus long quand le sujet devait modifier la structure même de son mouvement en l’inversant, que quand il devait simplement en augmenter la vitesse.

Une correction motrice initiée sur la base d’un signal proprioceptif généré à la date t, ne prendra forme qu’à la date t+n (n étant égal à la somme du temps de traitement de l’information proprioceptive, et des délais d’acheminement ascendant et descendant de l’influx nerveux pour des mouvements du bras). Un tel système de contrôle qui présente la double caractéristique d’être asservi et muni d’un délai, tend à osciller autour de sa position d’équilibre (Robinson 1986). Il est dès lors inapte à rendre compte des caractéristiques spatio- temporelles des mouvements visuellement guidés. Cette limitation majeure trouve une issue dans la notion de modèle interne (Hoff et Arbib 1993). Dès lors le système moteur doit posséder un profil prédictif de fonctionnement. L’ordre moteur efférent est initialement utilisé pour prédire l’état de l’effecteur à la date t. Lorsque arrivent, à la date t+n, les informations afférentes relatives à l’état du système à la date t, les données réelles sont comparées aux valeurs qui avaient été prédites. Cette comparaison est utilisée pour remettre à jour le modèle interne et affiner la prédiction relative à l’état courant de l’effecteur. Cette prédiction est alors comparée à l’état de référence à atteindre. La validité d’un tel modèle a récemment trouvé un support important dans une expérience de simulation montrant que seule une prise en compte combinée des informations efférentes et afférentes pouvait rendre compte de la capacité des sujets humains à déterminer la position de leur bras dans le noir (Wolpert et al., 1995).