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Chapitre 2 Les poursuites pour crimes contre l’humanité en l’absence d’une législation nationale : l’application

2.3 L’objection relative à la rétroactivité et à l’imprécision de la norme d’incrimination de droit international

2.3.6 Traitement du principe de légalité par le TPIY

Il faut noter que dans les années 90 le TPIY s’est penché sur la question de savoir comment surmonter l’objection relative au principe de légalité en lien avec les poursuites pour les crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre qui étaient basées sur le droit international coutumier, tel que l’avait souhaité le rapport du Secrétaire général sur l’établissement du tribunal. Le TPIY s’est montré attentif au fait que les normes coutumières doivent être établies en faisant preuve

432 Voir CA PAP, Duvalier et consorts, supra note 2 et le texte qui l’accompagne.

433 Ibid à la p 40 : « les crimes contre l’humanité ont été définis pour la première fois dans le statut du

tribunal de Nuremberg et dans les jugements y relatifs [et] […] ces principes ont été adoptés par les Nations-Unies avant le régime des Duvalier ».

434 Ibid à la p 38. 435 Ibid.

436 Les articles 1 et 2 de cet instrument énoncent les obligations des États parties de respecter les

droits prévus à la Convention d’une part et d’adopter des mesures de droit interne pour donner effet à ces droits d’autre part. La CourIDH a interprété ces dispositions comme incluant les obligations d’enquêter lorsque des violations à ces droits garantis sont soupçonnées, de poursuivre et de punir les présumés auteurs des violations s’ils sont déclarés coupables. Voir ci-dessus chapitre 1, sous- section 1.2.1.

437 Voir supra note 90. 438Voir supra note 91.

439 Voir ci-dessus chapitre 1, sous-section 1.2.1.

440 CA PAP, Duvalier et consorts, supra note 1 à la p 38. Notons que cette affaire n’a toujours pas

de toute la rigueur que commande le principe de légalité en matière pénale. Il a tenu compte des corollaires de celui-ci, soit la clarté (ou spécificité), la prévisibilité, la non- rétroactivité (dont fait partie l’exigence d’accessibilité) et l’interdiction de raisonnement par analogie, étroitement liés au principe qui veut que devant deux interprétations possibles, l’on doive retenir celle qui favorise l’accusé441. Des auteurs

en concluent que le rapport entre nullum crimen sine lege et le droit international coutumier est axé autour de la question de la sécurité juridique442, ce que l’on peut

observer en particulier dans les décisions qui tirent de la coutume le caractère criminel d’un acte443.

Contrastant avec ces efforts du TPIY afin de réconcilier la norme d’incrimination de droit international coutumier avec le principe de légalité dans le cas des poursuites pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, l’hypothèse de recherche de la présente étude, qui s’intéresse aux crimes contre l’humanité uniquement, conduit à la proposition que le principe de légalité serait irrecevable pour contrarier l’application directe par le juge national de la norme d’incrimination de droit international coutumier des crimes contre l’humanité pour fonder des poursuites. Malgré cela, l’imposant travail du TPIY fera l’objet d’une mention ici. En conséquence, l’évocation de quelques jugements illustrant la position des TPI sur la question sera faite.

Par exemple, dans l’affaire Vasiljević, la Chambre de première instance du TPIY dégage les corollaires de clarté et d’accessibilité du principe de légalité et

441 Cassese, ICL, supra note 15 aux pp 41-50.

442 Falkowska, « La coutume », supra note 21 à la p 186 ; Voir aussi Cassese, ICL, supra note 15

aux pp 41-50 ; Simma et Paulus, « Le rôle des différentes sources », supra note 17 à la p 62, tel que cité par Falkowska. Voir aussi supra note 309.

443Falkowska, « La coutume », supra note 21 à la p 188 : « […] le Tribunal s’est montré

particulièrement soucieux d’articuler expressément ses développements relatifs au droit coutumier avec le principe de légalité ». En accord avec Falkowska, voir Meron, « Revival », supra note 56 à la p 821: « [the] rigorous approach to establishing [customary law] result from the Tribunal’s obligation, as a criminal court, to respect the fundamental principle of nullum crimen sine lege. ». On rencontre ce même souci face au principe de légalité dans la jurisprudence du Tribunal Spécial pour la Sierra Leone. Voir notamment l’affaire Prosecutor v. Norman, SCSL-2004-14-AR72(E), Decision on preliminary motion based on lack of jurisdiction (Child recruitment), (31 May 2004) (TSSL, Chambre d’appel) aux paras 11-22.

déclare l’exigence impérative de faire reposer sur ceux-ci toute déclaration de culpabilité :

[…] Vu le principe de légalité (nullum crimen sine lege), il serait tout-à-fait inacceptable de la part d’une Chambre de première instance de déclarer une personne coupable de la transgression d’une interdiction qui, eu égard au caractère spécifique du droit international coutumier et au fait que les règles de droit pénal ne se clarifient que petit à petit, est insuffisamment précise pour permettre de déterminer le comportement de l’accusé et de distinguer l’illicite du licite, ou était insuffisamment reconnaissable en tant que telle à l’époque. Une déclaration de culpabilité ne saurait en effet reposer sur une règle dont l’accusé n’aurait raisonnablement pu avoir connaissance au moment des faits et cette règle doit préciser de manière suffisamment explicite quels actes ou omissions sont susceptibles d’engager sa responsabilité pénale444.

Cet extrait semble indiquer que le TPIY s’éloigne de la position tenue par le TMI de Nuremberg et les tribunaux nationaux qui ont eu à décider de ces questions après la guerre. Pourtant, dans l’affaire Ojdanić, le propos est nuancé. Dans cette cause où il s’agissait de la responsabilité individuelle basée sur l’entreprise criminelle commune, le Tribunal émet cette précision relativement aux critères d’accessibilité et de prévisibilité, en une évocation à peine voilée du jugement de Nuremberg dans l’utilisation de l’expression « caractère immoral ou atroce d’un acte » :

[b]ien que le caractère immoral ou atroce d’un acte ne soit pas un élément suffisant pour garantir son incrimination en droit international coutumier, il peut avoir une incidence dans la mesure où il peut permettre de réfuter l’argument d’un accusé faisant valoir qu’il ignorait le caractère criminel de ces actes445.

Par ailleurs, quatre conditions cumulatives ont été dégagées par la Chambre de première instance dans cette décision pour permettre l’application du droit international coutumier et baser sur celui-ci une déclaration de culpabilité :

i) elle [la responsabilité individuelle] doit être prévue dans le Statut, explicitement ou implicitement; ii) elle devait exister en droit international coutumier à l’époque des faits; iii) à l’époque des faits, le droit prévoyant

444 TPIY,Vasiljević, supra note 242 au para 193 (références omises). 445 TPIY, Ojdanić, supra note 243 au para 42.

cette forme de responsabilité devait être suffisamment accessible à quiconque agissait de la sorte; iv) l’intéressé doit avoir été en mesure de prévoir qu’il pouvait être tenu responsable de ses actes s’il venait à être appréhendé446.

Au total, les conditions d’application de la coutume énoncées par l’ensemble des décisions du TPIY sont au nombre de cinq. En effet, non seulement la responsabilité individuelle doit être prévue mais l’incrimination coutumière elle- même doit bien sûr exister moment des faits, celle-ci devant être suffisamment claire, accessible et prévisible pour l’accusé. Le critère de l’existence de l’incrimination coutumière au moment des faits a été rappelé par le TPIY, notamment dans l’affaire Blaškić, en se référant sur ce point aux affaires Hadžihasanović et Ojdanić, dans ces termes : « […] les Chambres ne peuvent prononcer une déclaration de culpabilité que si elles sont convaincues que l’infraction en cause était prohibée par le droit international coutumier à l’époque où elle a été perpétrée447 ».

Les critères de prévisibilité et d’accessibilité, quant à eux, ont été précisés par la Chambre d’appel dans le cadre de l’affaire Hadžihasanović, affaire qui s’intéressait plus particulièrement à la responsabilité du supérieur hiérarchique comme mode de responsabilité individuelle :

Concernant la prévisibilité, le comportement en question est le comportement même de l’accusé; celui-ci doit être capable de savoir si son comportement revêt un caractère criminel au sens où on l’entend généralement, sans faire référence à une disposition particulière. Pour ce qui est de l’accessibilité, dans le cas d’un tribunal international comme le TPIY, elle n’exclut pas d’avoir recours à des principes juridiques fondés sur des règles coutumières. L’Arrêt Tadić relatif à la compétence montre

446 Ibid, aux paras 21, 37-44. Il faut noter que la Chambre se réfère non seulement à la thèse de

Kelsen qui veut que le principe de légalité soit un principe de justice mais aussi au jugement de Nuremberg qui avait souligné le fait que les accusés ne pouvaient pas prétendre qu’ils n’étaient pas au courant du caractère criminel de leurs actes.

447 Le Procureur c Blaškić, IT-94-14-A, Arrêt (29 juillet 2004) (Tribunal pénal international pour l’ex-

Yougoslavie, Chambre d’appel) au para 141. Il faut noter qu’au niveau régional, la Cour Européenne des droits de l’homme a jugé que les crimes contre l’humanité existaient en droit international coutumier en 1949, que la juridiction nationale peut validement s’appuyer sur le droit international pour fonder une condamnation pour ces crimes et que de plus ces derniers sont imprescriptibles. Voir CEDH, Kolk et Kislyiy, supra note 15 aux pp 8-9. William Schabas commente, au sujet de la Cour européenne des droits de l’homme : ‘The Strasbourg Court has taken the view that there is no breach of the principle of legality providing that the law is foreseeable and accessible’. Voir Schabas, ”The Contribution of the Eichmann Trial” supra note 361 à la p 682. Sur la question de l’autonomie et de l’évolution parallèle des sources de droit conventionnelle et coutumière, voir l’affaire Nicaragua, CIJ, supra note 232S et le texte qui l’accompagne.

que la responsabilité pénale individuelle peut être mise en cause pour la violation d’une règle de droit coutumier interdisant un comportement donné. […] L’obligation faite au Tribunal de se fonder sur le droit international coutumier le dispense d’invoquer le droit conventionnel quand il se fonde déjà sur le droit international coutumier. Contrairement à ce qu’affirment les Appelants, rien dans le Rapport du Secrétaire général, auquel était joint le projet de Statut du Tribunal, n’exige qu’une incrimination soit fondée à la fois sur le droit coutumier et sur le droit conventionnel448.

Même si la Chambre traite dans cette décision d’un des modes de responsabilité pénale, les critères de prévisibilité et d’accessibilité s’interprètent de la même manière lorsqu’ils sont utilisés pour vérifier la prévisibilité et l’accessibilité d’une incrimination puisque les critères se rapportent au même objet dans les deux cas, soit les exigences du principe de légalité. Comme le fait remarquer Falkowska, « [i]l découle de l’extrait de Hadžihasanović cité plus haut que dans l’esprit du tribunal, le caractère coutumier d’une règle, d’une part, et les exigences du principe de légalité, d’autre part, ne sont pas mutuellement exclusifs449 ». La prévisibilité

relève donc du bon sens sans besoin de référer « à une disposition particulière » et l’accessibilité se concilie avec le droit coutumier.

Il ressort de l’examen de la jurisprudence du TPIY portant sur la problématique du principe de légalité face à certaines normes coutumières de droit international pénal que cette instance judiciaire internationale a appliqué aux incriminations coutumières un principe de légalité qui conserve l’intégralité de ses composantes mais qui voit celles-ci interprétées de façon plus souple, de manière à s’adapter à une coutume porteuse de la même qualité.

448 Le Procureur c Hadžihasanović, IT-01-47-AR72, Décision relative à l’exception d’incompétence

(responsabilité du supérieur hiérarchique) (16 juillet 2003) (Tribunal pénal international pour l’ex- Yougoslavie, Chambre d’appel) aux paras 34, 35 (citations omises).

2.3.7 Irrecevabilité de l’objection fondée sur le principe de légalité