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6 Méthodologie

6.3 Traitement de l’anglicisme dans les chroniques

Dans le but de répondre à notre troisième objectif spécifique, nous analysons le traitement des emprunts à l’anglais commentés dans les chroniques de Daviault. Les emplois retenus pour notre analyse doivent remplir deux critères : 1o il doit s’agir d’emplois auxquels Daviault attribue explicitement une origine anglaise – peu importe à quel élément il attribue cette origine (sens, forme, prononciation, syntaxe, etc.), et peu importe si cette origine anglaise est vraie – et 2o pour chaque emploi, Daviault doit attester qu’il a cours en français, que ce soit en France ou au Canada, de façon à vérifier s’il traite différemment les anglicismes qui ont cours en France et au Canada. Le deuxième critère a été particulièrement important pour la sélection des emplois à l’étude dans « Parlons mieux », car l’ensemble des emplois commentés dans cette chronique a une origine anglaise : nous avons ainsi pu faire la part entre, d’une part, les expressions anglaises difficiles à traduire, mais pas utilisées en français, et, d’autre part, les emprunts intégrés au français. Cette sélection s’est faite indépendamment du jugement normatif : tout a été retenu. Dans cet exemple, les deux critères sont remplis puisque l’emploi que l’on peut entendre dans la langue de « nos gens » est expliqué par « l’influence de l’anglais » :

J’ai évoqué le moulin à papier qui est une fabrique de papier, une papeterie. Il y a encore le

moulin à pulpe, qui est une fabrique de pâte de bois, car il faut savoir que nos gens nomment pulpe la pâte de bois, sous l’influence de l’anglais [...] Notre pulpe et l’usage que nous en

faisons sortent directement de l’anglais. (« Propos », 1954 : 032 ; nous soulignons15).

24 Nous étudions deux aspects de ces emplois : la nature linguistique des emprunts et l’évaluation normative qu’en fait Daviault.

6.3.2 Classement selon la nature linguistique de l’emprunt

Les emplois retenus selon les critères mentionnés dans la section précédente seront classés par type d’anglicisme. Pour dégager la typologie, nous analysons les commentaires sur l’origine anglaise des différents emplois afin de savoir à quel élément Daviault l’attribue : à un sens, à un mot, à une construction syntaxique, etc. Nous observons également les étiquettes qu’il emploie pour nommer les emprunts en question, le cas échéant. Par exemple, dans l’exemple qui suit, c’est l’étiquette « faux ami » qui est utilisée :

Le mot discrimination est un de ces faux amis dont parlait Derocquigny dans son ouvrage qui porte ce titre, c’est-à-dire de ces mots que l’anglais nous a empruntés pour finir par leur donner un sens différent de celui que nous leur donnons, de sorte qu’ils font commettre des anglicismes quand on veut les employer en français avec leur sens anglais.

[…]

Discrimination, en français, garde un sens fort abstrait, philosophique en somme : il désigne

l’acte de distinguer avec précision. En anglais, au contraire, il signifie l’acte de traiter diverses personnes ou divers groupes de façon différente, c’est, donc, en somme un passe-droit, une inégalité de traitement, voire une injustice. On l’a adopté avec ce sens, en français, dans les organisations internationales, pour désigner l’inégalité de traitement entre les races […] Il va sans dire que, au Canada, cet anglicisme existait depuis bien plus longtemps et c’est ainsi que ce sujet se rattache à notre propos. (« Propos », 1955 : 057) […]

Ici, Daviault dit ce qu’il entend par « faux ami » ; ce n’est pas toujours le cas. De plus, il catégorise cet emprunt de sens d’anglicisme. Ce classement en fonction de l’élément emprunté nous permet de vérifier s’il y a un type d’emprunt en particulier qui est plus souvent, ou même systématiquement, accepté ou rejeté par le chroniqueur. Nous avons pu également vérifier s’il y a des liens entre le type d’anglicisme et l’étiquette utilisée.

25 6.3.3 Classement selon l’évaluation normative

Nous divisons ensuite les anglicismes traités en trois catégories d’évaluation normative, soit les anglicismes condamnés, les anglicismes acceptés et les anglicismes sans évaluation normative. Pour chaque cas, nous vérifions s’il y a un lien entre la nature linguistique de l’emprunt et le jugement normatif qui est porté par Daviault sur celui-ci. Nous analysons si les étiquettes employées diffèrent entre les emplois condamnés et ceux acceptés, notamment en raison des constats de Lamontagne (1996).

6.3.4 Critères d’évaluation

Nous dégageons, par la suite, les critères d’évaluation que Daviault utilise pour juger de l’acceptabilité des emprunts qu’il commente. Pour ce faire, nous nous intéressons aux arguments qu’il évoque pour accepter ou condamner un emprunt. Nous regroupons les arguments qui se ressemblent ou qui reposent sur le même type d’évaluation afin de dégager les grandes tendances de son argumentaire et nous créons différentes catégories pour les désigner. En dégageant ces tendances, nous pouvons constater s’il y a un type d’argument qui prédomine dans le discours de Daviault.

Il est important de rappeler que si nous analysons le traitement normatif des anglicismes en fonction de leur nature, c’est que Chantal Bouchard (1989) a constaté qu’il y a un lien entre le type d’anglicisme et la virulence de la dénonciation de la part des chroniqueurs et autres lettrés : les faux amis et les calques sont condamnés beaucoup plus sévèrement que les emprunts intégraux, par exemple (Bouchard, 1989 : 70). Ce même phénomène avait été observé par Lamontagne (1996), qui avait trouvé que chez certains auteurs les emprunts intégraux étaient moins fortement condamnés, car ils étaient plus faciles à différencier des mots d’origine française.

De la même façon, nous observons s’il y a une différence dans l’évaluation lorsque Daviault attribue les emplois à la variété de français canadienne ou française. Nous avons observé à quelques reprises que Daviault peut prioriser l’emploi d’un canadianisme au détriment d’un anglicisme qui a cours en France :

26 CANOË. - Les Français écrivent ce mot avec l’orthographe anglaise, qu’ils agrémentent d’un

tréma sur l’« e ». […] On dit souvent, là-bas, « canoë canadien », car cette embarcation est originaire du Canada.

Nous disons canot. Les Français ne pourraient-ils pas nous imiter ? […] Que les Français gardent donc « canoë », qu’ils prononcent sans doute « ca-no-é » en croyant parler anglais. Pour nous, tenons-nous-en à notre terminologie : elle est parfaite. (« Parlons mieux », 1930 : 014)

Ensuite, nous évaluons si certains de ces arguments ont plus de poids que d’autres. En effet, Remysen, qui s’est intéressé à la place des canadianismes dans le discours normatif des chroniqueurs de langue canadiens, affirme que les arguments employés pour justifier une prise de décision normative s’organisent selon une hiérarchie dans le discours des chroniqueurs (Remysen, 2011 : 60). Ainsi, nous pouvons définir s’il y a des arguments qui seraient déterminants pour Daviault : la simple origine anglaise, par exemple, suffit-elle au chroniqueur pour condamner un emploi ? Un anglicisme qui a cours en France depuis longtemps est-il systématiquement acceptable ? Dans cet exemple, Daviault semble hésiter à condamner gravelle puisqu’il a un doute sur l’origine anglaise du mot :

Nos gens donnent aussi au gravier le nom de gravelle […]. Or, l’anglais emploie alors le mot

gravel. Ce qui fait dire aux gens peu au courant que gravelle est un anglicisme.

Voyons de plus près. Gravelle est également un dérivé très ancien de grève ; il avait exactement le sens de gravier […]. Ce sont les Anglais qui ont pris ce vocable au français. Nos gens devaient-ils, pour autant, l’abandonner ? Que la persistance et même la généralisation de ce terme aient été influencées par l’anglais, je ne jurerais pas du contraire. (« Propos », 1954 : 028)

Ainsi, l’origine étymologique du mot pourrait primer pour Daviault sur le caractère d’emprunt qui est arrivé plus tard, sans toutefois trancher clairement.

Après avoir analysé le traitement des anglicismes dans les chroniques et répertorié les critères d’acceptation précis mis en application par Daviault, nous avons dégagé les critères d’acceptation d’un emprunt énoncés dans le sous-corpus d’articles. Nous cherchons à identifier les éléments essentiels de son discours qui établissent les critères selon lesquels il considère si un emprunt à l’anglais est acceptable ou non. En effet, le sous-corpus d’articles présente de nombreux passages dans lesquels Daviault aborde le sujet de

27 l’emprunt d’un point de vue linguistique, en considérant le fait qu’il s’agit d’un phénomène présent dans toutes les langues, et ce, depuis toujours. Enfin, nous comparons les critères qui servent à l’évaluation normative aux critères présentés dans le sous-corpus d’articles. Nous pouvons ainsi vérifier si la pratique du chroniqueur suit son discours ou, au contraire, s’il y a des critères qui se contredisent. Nous sommes alors en mesure de vérifier si le chroniqueur applique ses propres « règles » en termes d’anglicismes.