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4 Évaluation normative des anglicismes

4.1 Évaluation normative

4.1.2 Évaluation selon le type d’anglicisme

De nombreuses études, dont celles de Bouchard (1989, 1999, 2002) et de Lamontagne (1996), signalent que le type d’emprunt motive dans bien des cas des condamnations différentes : certains types d’emprunts passent parfois mieux que d’autres auprès des chroniqueurs, notamment les emprunts formels, car certains les considèrent comme une menace moins grande pour la langue en raison de leur origine facilement identifiable. Bouchard souligne par ailleurs que les emprunts formels sont souvent plus facilement

102 acceptés dans la mesure où ils peuvent être « francisés », c’est-à-dire adaptés phonétiquement et morphologiquement à la langue d’accueil :

Les chroniqueurs ou les lecteurs sont en général beaucoup plus tolérants à l’égard des emprunts intégraux qu’à celui des faux amis et des calques, surtout lorsque les formes ont subi l’assimilation phonétique. On s’accorde à reconnaître, tant au Québec qu’en France, qu’il s’agit là de l’évolution la plus souhaitable pour les emprunts, l’avantage étant qu’ils se fondent ainsi dans la langue et peuvent dès lors se conformer à sa phonétique, à sa morphologie et à son orthographe. (Bouchard, 1989 : 70)

En revanche, l’emprunt sémantique suscite souvent un plus fort jugement négatif ; Bouchard constate que l’intérêt des lettrés pour l’anglicisme change avec les années et qu’à la fin du 19e siècle, on dénonce davantage les anglicismes sémantiques :

Dès la fin du XIXe siècle, dans leurs campagnes contre les emprunts à l’anglais, les lettrés

se sont attaqués à l’emprunt sémantique avec énergie, si bien que, malgré l’impossibilité pratique d’empêcher le phénomène de l’interférence de se produire, surtout dans une société qui compte une appréciable proportion de bilingues, on est arrivé, au Québec, au moins chez les gens qui ont dix ou douze ans de scolarité, à une certaine conscience de ce phénomène. On enseigne dans les écoles, les collèges, les universités à éviter certains emprunts sémantiques les plus courants. [...] [L]es emprunts sémantiques, au moins ceux qui sont reconnus, sont eux aussi des marqueurs stigmatisés, car ils sont la manifestation d’un défaut d’instruction. (Bouchard, 1999 : 29)

Avant même de nous interroger sur l’évaluation normative qu’il en fait, nous constatons que Daviault commente davantage d’anglicismes sémantiques (42 % des emprunts commentés) dans la première chronique, publiée au début de sa carrière, que dans la deuxième chronique (26 % des emprunts commentés). Cette différence pourrait s’expliquer par la nature des chroniques. Alors que « Propos » est une chronique à vocation plutôt descriptive, où le chroniqueur s’exprime sur différents sujets qui l’intéressent et répond parfois aux questions de ses lecteurs, « Parlons mieux » se propose d’étudier des erreurs de traduction et certaines expressions difficiles à traduire en proposant des solutions concrètes pour les traducteurs et autres professionnels de la langue. Il semble donc tout à fait logique qu’il s’intéresse surtout à des erreurs de sens, potentielles ou factuelles, dans « Parlons mieux ». Nous reconnaissons que les données présentées plus haut, dans le Tableau 3 et celles présentées dans le Tableau 4 ci-dessous auraient pu permettre une analyse de l’évolution dans le temps de la position de Daviault par rapport aux anglicismes.

103 Toutefois, comme mentionné, ces chroniques poursuivent des objectifs différents, ce qui rendrait difficile de différencier ce qui relève d’une évolution dans le point de vue et ce qui dépend de la mission de la chronique ; de même, l’intervalle de temps entre les deux chroniques étant assez grand, nous ne disposons pas de point intermédiaire qui aurait pu permettre de vérifier une telle évolution.

Afin d’analyser le lien entre condamnation et type d’anglicisme, nous pouvons seulement nous intéresser au traitement des anglicismes dans « Propos », étant donné que dans « Parlons mieux » la presque totalité des emprunts commentés sont condamnés (88 %, n = 42 ; voir Tableau 4) ; tout ce que nous pouvons constater à partir des données de cette chronique est que, en général, le type d’anglicisme n’influence pas le prise de position de Daviault. Le tableau 4 présente l’évaluation normative selon le type d’anglicisme pour la chronique « Parlons mieux ».

Tableau 4 : Évaluation normative selon le type d’anglicisme dans « Parlons mieux »

Type d'anglicisme Rejeté Sans

commentaire Accepté Total Mot ou expression Sens 19 95 % 0 0 % 1 5 % 20 42 % Forme et sens 13 72 % 2 11 % 3 17 % 18 38 % Traduction 7 100 % 0 0 % 0 0 % 7 15 % Fréquence 0 0 % 0 0 % 0 0 % 0 0 % Prononciation 3 100 % 0 0 % 0 0 % 3 6 % Syntaxe 0 0 % 0 0 % 0 0 % 0 0 % Total 42 88 % 2 4 % 4 8 % 48 100 %

Avant d’analyser les liens entre condamnation et type d’anglicisme dans « Propos », rappelons que, au total, le nombre d’emplois qui ne comportent pas de jugement normatif (n = 71 ; 46 %) est plus grand que celui d’emprunts condamnés (n = 65 ; 42 %) ou acceptés (n = 19 ; 12 %), comme nous pouvons l’observer dans le Tableau 5 ci-dessous.

104 Tableau 5 : Évaluation normative selon le type d’anglicisme dans « Propos »

Type d'anglicisme Condamné Sans

commentaire Accepté Total Mot ou expression Sens 27 66 % 12 29 % 2 5 % 41 26 % Forme et sens 23 27 % 46 55 % 15 18 % 84 54 % Traduction 10 83 % 2 17 % 0 0 % 12 8 % Fréquence 0 0 % 1 33 % 2 67 % 3 2 % Prononciation 0 0 % 7 100 % 0 0 % 7 5 % Syntaxe 5 63 % 3 38 % 0 0 % 8 5 % Total 65 42 % 71 46 % 19 12 % 155 100 %

La Figure 1 présente, pour chaque type d’emploi que l’on retrouve dans « Propos », le pourcentage qui est condamné, accepté ou qui ne comporte pas de commentaire normatif. Par exemple, 63 % des emprunts de syntaxe commentés dans la chronique sont condamnés :

Figure 1 : Évaluation normative des différents types d’anglicisme dans « Propos »

66% 27% 0% 83% 63% 0% 29% 55% 100% 17% 38% 33% 5% 18% 0% 0% 0% 67% 0% 20% 40% 60% 80% 100% 120% Sens Forme Prononciation Traduction Syntaxe Fréquence

105 Nous observons que le type d’emprunt le plus fortement condamné par Daviault est la traduction littérale ou calque, mais il convient de garder à l’esprit que ce type d’anglicisme représente seulement 8 % (12 cas) des emplois commentés dans cette chronique. Comme cela a été soulevé pour d’autres chroniqueurs dans certaines études (Bouchard, 1989 ; Lamontagne, 1996 ; Pellerin, 2007), Daviault a tendance à être plus sévère envers les emprunts sémantiques que les emprunts formels. Toutefois, bien que les emprunts sémantiques soient fortement condamnés, ils ne le sont pas dans leur totalité : deux emprunts sémantiques sont acceptés et 12 ne comportent pas d’évaluation normative, ce qui signifie que 34 % des emprunts sémantiques ne sont pas condamnés. Par ailleurs, nous pouvons observer une forte condamnation des emprunts de syntaxe.