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Pierre Daviault, « L'éminent puriste » ? Conception de la langue française et de l'anglicisme au Canada d'un traducteur-chroniqueur

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Academic year: 2021

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DÉPARTEMENT DES ARTS, LANGUES ET LITTÉRATURES

Faculté des lettres et sciences humaines Université de Sherbrooke

PIERRE DAVIAULT,« L’ÉMINENT PURISTE » ?CONCEPTION DE LA LANGUE FRANÇAISE ET DE L’ANGLICISME AU CANADA D’UN TRADUCTEUR-CHRONIQUEUR

par Ada Luna Salita

Mémoire présenté pour l’obtention de la maîtrise en études françaises (cheminement en linguistique)

présenté à

Wim Remysen (directeur de recherche) Patricia Godbout (évaluatrice)

Nadine Vincent (évaluatrice)

Sherbrooke FÉVRIER 2020

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REMERCIEMENTS

Je remercie avant tout Wim Remysen, mon directeur de recherche, de m’avoir guidée et soutenue tout au long de la rédaction de ce mémoire ainsi que de m’avoir présenté ce personnage qu’était Daviault. Je le remercie également des nombreuses collaborations et occasions d’emploi qu’il m’a offertes, lesquelles ont grandement enrichi mon parcours aux études supérieures.

Je remercie Nadine Vincent et Patricia Godbout pour leur lecture attentive et intéressée et leurs commentaires pertinents.

Sur une note plus personnelle, merci aux crifuquiennes, tout spécialement Roxane, Mylène et Jolaine, qui ont croisé mon chemin pendant ces années et qui ont contribué, d’une façon ou d’une autre, à l’accomplissement de ce mémoire. Que ce soit en suscitant des échanges intellectuels enrichissants, en allant prendre une bière pour décompresser, en partageant votre chocolat et vos potins, ou en étant une oreille attentive lorsque le moral était à son plus bas, vous avez été essentielles à ma réussite.

Je remercie de tout mon coeur mes parents et mon frère pour leurs encouragements et leur soutien inconditionnel. Gracias!

Enfin, merci à Louis-David. Merci pour toutes tes lectures et relectures! Merci pour ton soutien, tes encouragements et ta patience au moment où ils étaient les plus nécessaires : merci d’avoir cru en moi.

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RÉSUMÉ

Ce mémoire s’intéresse à la vision de la langue et de l’anglicisme de Pierre Daviault. Ce traducteur-chroniqueur a été étiquetté de puriste par ses contemporains en raison de certains discours alarmants sur l’état de la langue française au Canada entre les années 1930 et 1960. Dans ce mémoire, nous nous intéressons à cette étiquette de puriste en analysant sa vision de la langue française parlée au Canada et comment celle-ci est influencée par les phénomènes de variation. Nous étudions aussi sa position en tant que chroniqueur par rapport aux anglicismes, ainsi que le rôle qu’il attribue aux traducteurs dans le processus d’anglicisation de la langue. Enfin, nous nous intéressons aux solutions qu’il propose pour combattre l’anglicisation de la langue dont une a été un élément clé dans le développement de la profession de traducteur au Canada. Pour ce faire, nous analysons un corpus de 24 articles publiés dans différentes revues scientifiques et littéraires et de deux chroniques de langue : « Parlons mieux : épurons notre langue » (1930-1931) et « Propos sur notre français » (1952-1960).

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION ... 1

1 Mise en contexte : la vie et l’œuvre de Pierre Daviault (1899-1964) ... 2

2 Problématique : le rapport de Daviault à la langue et à l’anglicisme ... 6

3 État de la question : le purisme et la question de l’anglicisme au Québec ... 9

3.1 Brève histoire de l’anglicisme au Québec et contexte historique ... 9

3.2 Dénonciation de l’anglicisme par les puristes ... 11

3.3 Le traitement de l’anglicisme dans les sources métalinguistiques ... 12

3.4 Anglicisme et traduction ... 15

4 Objectifs... 17

5 Corpus ... 18

5.1 Articles ... 18

5.2 Chroniques ... 19

5.2.1 « Parlons mieux : épurons notre langue » ... 19

5.2.2 « Propos sur notre français » ... 21

6 Méthodologie ... 21

6.1 Conception générale de la langue... 22

6.2 Anglicisation de la pensée et rôle du traducteur ... 22

6.3 Traitement de l’anglicisme dans les chroniques ... 23

6.3.1 Sélection des emplois ... 23

6.3.2 Classement selon la nature linguistique de l’emprunt ... 24

6.3.3 Classement selon l’évaluation normative ... 25

6.3.4 Critères d’évaluation ... 25

7 Structure du mémoire ... 27

CHAPITRE 1–CONCEPTION DE LA LANGUE FRANÇAISE AU CANADA ... 28

1 Conception de la langue ... 28

2 Variation linguistique ... 36

2.1 Langue en usage à la campagne ... 39

2.2 Langue en usage à la ville ... 41

2.3 Langue de culture ... 43

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iv

3.1 Propos adhérant au purisme ... 48

3.2 Critique envers le purisme... 50

4 Synthèse ... 52

CHAPITRE 2–ANGLICISATION ET TRADUCTION ... 54

1 Anglicisation de la langue et de la pensée ... 54

2 Rôle de la traduction dans l’anglicisation du français au Canada ... 61

2.1 Conséquences de la traduction dans la langue des médias ... 63

2.2 Conséquences de la traduction dans l’enseignement ... 65

3 Rôle du traducteur dans l’anglicisation et dans la lutte contre celle-ci ... 69

3.1 Rôle du traducteur dans la qualité des traductions ... 69

3.2 Solution proposée : une formation pour les traducteurs ... 73

4 Synthèse ... 80

CHAPITRE 3–TRAITEMENT DES ANGLICISMES DANS LES CHRONIQUES ... 82

1 Anglicismes ou archaïsmes ? ... 82

2 Classement des anglicismes selon leur nature linguistique ... 85

2.1 Mots ou expressions attribués à l’anglais ... 86

2.1.1 Mots globalement attribués à l’anglais ... 87

2.1.2 Mots dont un des sens est attribué à l’anglais ... 89

2.1.3 Mots ou expressions traduits de façon littérale ... 89

2.1.4 Mot ou expression dont la fréquence est attribuée à l’anglais ... 90

2.2 Prononciations attribuées à l’anglais ... 91

2.3 Constructions syntaxiques attribuées à l’anglais ... 91

3 Étiquettes servant à désigner les anglicismes commentés ... 92

3.1 Anglicisme ... 94

3.2 Faux ami ... 96

3.3 Emprunt ... 97

4 Évaluation normative des anglicismes ... 98

4.1 Évaluation normative ... 98

4.1.1 Le continuum évaluatif ... 99

4.1.2 Évaluation selon le type d’anglicisme ... 101

4.1.3 Évaluation selon la variété de français ... 105

(6)

v

4.2.1 Arguments utilisés pour condamner un anglicisme ... 108

4.2.2 Arguments utilisés pour justifier un anglicisme ... 113

4.2.3 Critères généraux énoncés par Daviault à propos de l’évaluation normative des anglicismes ... 118

5 Synthèse ... 121

CONCLUSION ... 122

BIBLIOGRAPHIE ... 127

1 Corpus ... 127

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vi

Liste des tableaux et figures

Tableau 1 : Répartition des différents types d’emprunts ... 86 Tableau 2 : Étiquettes employées pour désigner les différents emplois ... 93 Tableau 3 : Évaluation normative des anglicismes dans les deux chroniques ... 99 Tableau 4 : Évaluation normative selon le type d’anglicisme dans « Parlons mieux » .. 103 Tableau 5 : Évaluation normative selon le type d’anglicisme dans « Propos » ... 104 Figure 1 : Évaluation normative des différents types d’anglicisme dans « Propos » ... 104 Tableau 6 : Distribution des emprunt selon la variété de langue à laquelle Daviault les attribue ... 105 Tableau 7 : Évaluation normative selon la variété de français à laquelle appartient

l’emprunt ... 107 Tableau 8 : Distribution des arguments utilisés pour condamner un anglicisme ... 109

Tableau 9 : Distribution des arguments utilisés pour justifier un anglicisme ... 114 * * *

(8)

1

INTRODUCTION

Ce mémoire s’intéresse au phénomène de l’emprunt à l’anglais tel qu’il est abordé par le traducteur et chroniqueur de langue Pierre Daviault. Plus spécifiquement, nous étudions sa vision de la langue française au Canada et de son anglicisation. Nous analysons ses discours tenus dans les chroniques de langage « Parlons mieux : épurons notre langue » et « Propos sur notre français » ainsi que dans de nombreux articles, publiés entre les années 1930 et 1960, dans lesquels il exprime son point de vue sur la langue française et la traduction au Canada. Partant du constat que son discours a souvent été associé au purisme1 (Delisle et Otis, 2016 : 290), nous nous intéressons d’abord au discours global de Daviault sur la langue au Canada, car nous constatons que sa conception de la langue est complexe et elle présente, malgré ses idées puristes, certains traits avant-gardistes qui se manifestent notamment dans son approche envers les anglicismes et la variation linguistique. Notre mémoire s’inscrit ainsi dans l’axe de recherche sur les approches sociolinguistiques, acquisitionnelles et didactiques des normes et des usages de la programmation scientifique du Centre de recherche interuniversitaire sur le français en usage au Québec (CRIFUQ). Il fait en outre partie d’une série de travaux exploitant les contenus de la base de données ChroQué constituée de chroniques de langage publiées dans la presse québécoise depuis les années 1860 (Mercier et Remysen, 2011).

Dans ce chapitre d’introduction, nous faisons dans un premier temps une présentation du traducteur-chroniqueur et de son œuvre. Nous décrivons ensuite notre problématique de recherche tout en présentant le lien de Daviault avec la langue et le sujet central de notre problématique : son approche au phénomène de l’anglicisme dans ses différents écrits ainsi que l’étiquette de puriste que celle-ci lui a value. Ensuite, nous faisons un état de la question sur l’anglicisme en français du Québec ainsi que sur les recherches sur l’anglicisme dans les chroniques de langage. Puis, nous énonçons les objectifs poursuivis par ce mémoire. Nous présentons aussi notre corpus et la méthodologie qui nous servira à atteindre ces objectifs.

1 Delisle et Otis (2016) affirment qu’on a surnommé Daviault « l’éminent puriste » après certaines

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2 D’entrée de jeu, une précision d’ordre terminologique s’impose. Ce mémoire porte sur un phénomène linguistique que les linguistes désignent généralement par le mot emprunt. Or nous parlons le plus souvent d’anglicisme dans notre mémoire étant donné que c’est l’étiquette employée le plus couramment dans notre corpus d’analyse. Les chroniqueurs s’inscrivant dans une tradition discursive qui a des visées essentiellement normatives, ils adoptaient le plus souvent le terme anglicisme qui comporte une connotation négative (Lamontagne, 1996), alors que le terme emprunt était rarement employé. Pour notre part, lorsque nous l’emploierons, l’étiquette anglicisme servira à faire un lien avec les propos de Daviault2. Ainsi, nous considérons l’anglicisme comme tout « emprunt, formel ou sémantique, fait à la langue anglaise, ou calque d’un mot ou d’une expression de la langue anglaise par les francophones du Québec, qui est passé dans leur variété usuelle de français où il est employé au même titre que les autres mots » (Poirier, 1992 : 93).

1 Mise en contexte : la vie et l’œuvre de Pierre Daviault (1899-1964)

Né le 9 novembre 1899 à Saint-Jérôme, Pierre Daviault a forgé une carrière qui représente bien le tournant de siècle pendant lequel il est né : l’accroissement continu des contacts entre l’anglais et le français façonne sa carrière tout comme la société canadienne-française au 20e siècle. Il a fait des études en littérature française et en littérature anglaise à l’Université de Montréal, puis à la Sorbonne (Rivard, 2003 : 10). Au cours de sa carrière comme traducteur et enseignant, il accumule les titres honorifiques et les postes importants : il occupe, entre autres, le poste de Surintendant du Bureau des traductions en 1955 et est nommé Senior Officer 23 en 1962 (Rivard, 2003 : 15). En 1952, la Société royale du Canada reconnaît la contribution remarquable de Pierre Daviault aux sciences humaines en lui décernant la Médaille Pierre Chauveau.

C’est comme journaliste que Pierre Daviault commence sa carrière professionnelle, plus particulièrement comme correspondant parlementaire pour le journal La Presse, où il

2 Daviault emploie différentes étiquettes, mais comme ce sera présenté dans le chapitre 3, elles serviront

parfois à désigner des types d’emploi spécifiques.

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3 travaille pendant deux ans, avant de devenir traducteur (Rivard, 2003 : 10). À cette époque, les traducteurs étaient très souvent des avocats ou des journalistes, parfois des médecins, des agronomes, des ingénieurs, etc. qui réussissaient l’examen de recrutement de la fonction publique. Par la suite, ils se perfectionnaient à travers la méthode de révision entre pairs (Delisle et Otis, 2016 : 11). Daviault obtient un poste de traducteur à la Chambre des communes en 1925 (Rivard, 2003 : 10). La Chambre des communes est dotée d’un service de traduction officiel depuis l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (1867) qui impose que tous les projets de loi soient imprimés dans les deux langues avant leur deuxième lecture (Delisle et Otis, 2016 : 178). À partir de 1875, tous les comptes rendus des débats sont publiés dans les deux langues. Depuis le début du 20e siècle, et toujours au moment où Daviault intègre le service de traduction de la Chambre des communes, les traducteurs se battent pour la décentralisation des services de traduction gouvernementaux. Ils veulent qu’un service de traduction soit instauré à chaque ministère, ce qui permettrait aux traducteurs de se spécialiser dans un domaine et de mieux gérer le volume des traductions toujours croissant (Delisle et Otis 2016 : 179). Godbout souligne la situation vécue par Daviault, Québécois d’origine évoluant professionnellement à Ottawa. Elle décrit Daviault comme un « Ottavien », selon la définition de Michel Lalonde, archiviste du Centre de recherche en civilisation canadienne-française, qui pousse le concept au-delà du simple gentilé :

Il s’agit surtout de résidants d’Ottawa (anciennement Ottawa-Carleton), mais aussi de l’Outaouais québécois et ontarien, de leurs familles, de leurs institutions et sociétés. Archivistes, rédacteurs, traducteurs, dessinateurs, journalistes, communicateurs et professeurs d’université (entre autres métiers et professions), d’identité canadienne-française, franco-ontarienne, voire québécoise, ils forment un groupe d’une grande diversité politique et culturelle œuvrant à Ottawa. […] Depuis le dernier tiers du XIXe

siècle, on vient à Ottawa pour y travailler, élever sa famille et s’y récréer (l’Outaouais central est d’ailleurs le « terrain de jeu » des deux communautés linguistiques). Une minorité y restera une fois atteint l’âge de la retraite (sauf les « natifs » évidemment) ; c’est une des caractéristiques des Ottaviens. Il y a toujours, chez l’Ottavien qui vient d’ailleurs, un certain sentiment d’exil. L’Ottavien voyage : Montréal, Québec, Sherbrooke… Pour lui, Ottawa est un peu l’extension de la vallée du Saint-Laurent, voire du Québec. (Godbout, 2004 : 141-142)

Tout comme Godbout, nous considérons que le profil de Daviault se retrouve dans cette définition, et en effet, cet aspect de sa vie se reflète dans son travail. Tout en habitant Ottawa, ville bilingue, il dédie sa carrière à la langue française et à la culture

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canadienne-4 française. Pendant ses nombreuses années comme traducteur pour le gouvernement, à Ottawa, Daviault prend le temps d’observer la langue française en usage au Canada et de réfléchir à la pratique de la traduction en tant que discipline. Il arrive à la conclusion que, au Canada, les questions de langue sont des questions de traduction et que « ce sont les traducteurs, professionnels ou d’occasion, qui créent la plupart des anglicismes dont [la langue française au Canada] est infestée » (Daviault, 1938 : 433), vision qui influence fortement le discours qu’il tient à propos de l’anglicisme. C’est cette réflexion qui le mène à insister sur l’importance de la formation des traducteurs et c’est ainsi qu’il faut voir son propre engagement comme chroniqueur de langue.

Ses années en tant que traducteur et chroniqueur passées à observer la langue l’ont amené à constater que la plupart des anglicismes qui se trouvent dans la langue française écrite au Canada sont le résultat de mauvaises traductions, souvent effectuées par des gens non compétents dans le domaine. Il arrive alors à la conclusion que la formation des futurs traducteurs est un moyen de combattre l’anglicisation de la langue. Ainsi, le tout premier cours de traduction au Canada est donné en 1936 à l’Université d’Ottawa sous l’initiative de Pierre Daviault (Delisle et Otis, 2016 : 303). L’un des objectifs principaux de ce cours était de contribuer à la crédibilité du métier de traducteur professionnel (Delisle et Otis, 2016 : 304).

Parallèlement, la pratique de traducteur de Daviault le mène à publier plusieurs ouvrages en lien avec les questions de traduction et de langue tels L’expression juste en traduction (1931), Questions de langage (1933) et Traduction… (1941), livres qu’il qualifie d’« outils » pour le traducteur jusque-là inexistants. Le premier de cette série de livres, L’expression juste en traduction : notes de traduction (1931) est présenté ainsi dans l’introduction :

Le sous-titre de cet ouvrage [notes de traduction] indique que l’auteur se propose de grouper de simples notes sur des sujets qui intéressent le traducteur, professionnel ou d’occasion. Notre travail n’a rien d’un dictionnaire, ni d’un lexique au sens ordinaire de l’expression, complet, revu et corrigé.

Nous examinerons quelques termes anglais dont la transposition en français présente des difficultés particulières. Nous proposerons des traductions qui nous semblent bonnes, mais non pas toutes les bonnes manières de traduire. Il y a présomption à penser qu’on puisse résoudre d’une façon complète et définitive les mystères innombrables de la traduction. (Daviault, 1931 : 7)

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5 Les deux autres ouvrages répondent aux mêmes motivations ; la forme du dernier diffère un peu de celle des deux premiers, présentant des listes d’équivalents et d’exemples plutôt que des explications sous forme de texte suivi. Il s’agit des premiers efforts de Daviault pour instaurer la traduction comme pratique professionnelle spécialisée4. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, il devient traducteur au service de l’Armée canadienne et il publie le Dictionnaire militaire anglais-français, français-anglais qui connaîtra deux éditions (1943, 1945). Il publie également Langage et traduction (1962) qui est une édition remaniée, corrigée et mise à jour des trois ouvrages qu’il a publiés au début de sa carrière. En 1962, il publie le dernier ouvrage de sa carrière, le Dictionnaire canadien bilingue (1962), en collaboration avec Jean-Paul Vinay et Henri Alexander. Ce dictionnaire est le fruit de travaux terminologiques amorcés à l’Université de Montréal en 1954 et la préface, rédigée dans les deux langues par Jean-Paul Vinay, se présente comme suit :

Il est curieux de constater que le Canada, pays bilingue, ne disposait pas jusqu’ici de l’instrument essentiel à toute communication linguistique : un dictionnaire bilingue spécialement conçu pour ses besoins. Dans l’espoir de remédier à cette situation, nous avons composé le Dictionnaire canadien, que nous dédions à tous ceux qui veulent connaître, apprécier et interpréter nos deux grandes cultures nationales.

[…]

Qu’il me soit permis de souligner que le présent ouvrage n’est ni un glossaire dialectal, ni un dictionnaire régional. Le lecteur y trouvera toutes les règles de morphologie et d’usage qui relèvent de la norme internationale du français et de l’anglais modernes ; mais il trouvera également des données précises sur la phonétique, le lexique et les tours propres au français et à l’anglais du Canada.

Trop de dictionnaires bilingues se contentent de donner des équivalents sans replacer les termes dans leur contexte ou sans en indiquer le niveau stylistique. Nous avons voulu éviter ce reproche en facilitant au lecteur, dans toute la mesure du possible, l’utilisation rationnelle des richesses lexicales mises à sa disposition. (Vinay, Daviault et Alexander, 1962 : viii)

Se reflètent dans cet ouvrage le désir de Daviault de bien faire la distinction entre les deux langues officielles du Canada et sa conception de la variation linguistique, étant donné que

4 Viendra par la suite Stylistique comparée de l’anglais et du français en 1958, qui propose une étude

beaucoup plus poussée des mécanismes de traduction de l’anglais vers le français et qui constitue l’un des ouvrages fondateurs de la pratique de la traduction au Canada, encore couramment utilisé dans les cours de traduction de nos jours. Cet ouvrage est publié par Jean-Paul Vinay et Jean Darbelnet, deux autres figures de l’enseignement de la traduction au Canada.

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6 cet ouvrage reconnaît le besoin des Canadiens d’avoir un dictionnaire qui décrit leurs langues de façon juste.

Daviault décède le 18 novembre 1964 à la suite d’une courte maladie (Rivard, 2003 : 16).

2 Problématique : le rapport de Daviault à la langue et à l’anglicisme

Au-delà de sa réflexion sur la pratique de la traduction, Daviault est connu pour avoir développé un questionnement plus large sur l’état de la langue française au Canada au fil de sa carrière. Sa réflexion sur la langue part de son travail comme traducteur et l’amène à élargir son champ d’intérêt à la langue en général et à partager ses idées avec ses pairs et avec l’ensemble des Canadiens français. Le fruit de ces questionnements se reflète dans la publication de deux chroniques de langage ainsi qu’une série d’articles, parfois à la suite de conférences, qui portent sur la langue et qui abordent des enjeux en lien avec la variation linguistique, la traduction et l’emprunt linguistique. C’est surtout le discours véhiculé dans ces publications et dans ses deux chroniques de langage, « Parlons mieux : épurons notre langue » (1930 à 1931) et « Propos sur notre français » (1952 à 1960), qui contribuera à la réputation de puriste de Daviault. Il se plaisait lui-même à se désigner comme le « chien de garde du français au Canada » (Laurence et al., 1965 : 14). Ce simple surnom en dit long sur ses efforts de défense de la langue française. Par ailleurs, la conférence qu’il prononce au troisième Congrès de la langue française tenu à Québec en 1952, « Anglicisme et emprunts à l’anglais »5, scellera définitivement son destin en tant que puriste dans les annales de la linguistique. En effet, il y déclare que, en raison du mélange du français avec l’anglais, particulièrement dans les villes, le français parlé et écrit au Canada s’est « abâtardi » et il conclut que

[…] le français est devenu une langue morte au Canada. Et le mal n’est plus guérissable. Les campagnes de refrancisation n’y peuvent rien. C’est tout un mode de vie qu’il faudrait chambarder. En réalité, il se parle trois langues au Canada : le français provincial des

5 Publiée plus tard la même année, sous le titre « L’apport anglais à la langue canadienne » dans Les Carnets

viatoriens (1952b). Toutefois, Daviault n’a jamais consenti à cette publication et la revue s’en est excusée dans le numéro suivant (Godbout, 2004 : 163).

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7

campagnes, le franco-anglais des villes, et le français chez un petit nombre de gens qui n’aspirent qu’à quitter le Canada.6 (Daviault, 1952c ; il s’agit d’un condensé de la conférence)

Cette déclaration fait énormément parler (Delisle et Otis, 2016 : 284)7 et elle est omise du compte rendu du congrès. Toutefois, Daviault reprend le contenu de la conférence dans un article publié en 1955, mais en précisant ce qu’il entendait par langue morte (Delisle et Otis, 2016 : 289). Qu’à cela ne tienne, le mal est fait et Daviault se retrouve étiqueté de puriste, position qui est renforcée par la publication de ses deux chroniques de langue. Les chroniques de langage constituent une voie de diffusion importante du discours normatif et même puriste au Québec (Remysen, 2009 : 3). Nous reprenons la distinction faite par Paveau et Rosier (20008) entre la position normative et la position puriste. Ainsi, nous concevons le discours puriste comme étant un discours contenant des jugements de valeur et reposant sur des critères affectifs liés à la langue (ex. : la beauté de la langue), et le discours normatif comme étant un discours objectif qui repose sur le respect d’une certaine norme de la langue (Paveau et Rosier, 2008 : 12). Par le fait même, les chroniqueurs comme Daviault ont souvent été associés au purisme linguistique. Ces chroniques sont aussi associées aux campagnes de refrancisation qui ont eu cours au Canada français à partir des années 1880 et jusqu’aux années 1960. Ce ne sont toutefois pas tous les chroniqueurs qui tiennent un discours puriste qui discrédite la variété de français qui a cours au Canada (Remysen, 2009).

Les trois objectifs que Daviault s’est donnés dans sa carrière ont consolidé sa réputation de puriste. Comme le souligne Patricia Godbout, qui a étudié le travail de Daviault dans le cadre de sa thèse doctorale dans le domaine de la traduction littéraire, Daviault a dédié une partie importante de sa carrière à trois objectifs, qui étaient tous les trois intimement liés : « la sauvegarde de la langue française au pays, le culte du Canadien français à travers son

6 Cette déclaration a été très mal reçue et a été associée à un discours pessimiste sur la déchéance de la langue

propre au purisme linguistique (au sujet du lien entre les discours sur la déchéance de la langue et le purisme linguistique voir notamment Paveau et Rosier, 2008 ; Klinkenberg, 2015).

7 Guy Sylvestre, collègue traducteur de Daviault et cofondateur de La Nouvelle Revue canadienne

(1951-1956) en fera même un pastiche dans Amours, délices et orgues (1953) sous le pseudonyme de Jean Bruneau et de nombreux journaux publieront des réponses à cette déclaration (voir Delisle et Otis, 2016 : 284).

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8 histoire et, enfin, la nécessité impérative d’éviter que la traduction ne devienne un vecteur de corruption linguistique » (Godbout, 2004 : 125). Contrairement à d’autres, Daviault s’oppose néanmoins aux campagnes de refrancisation « classiques » qui se concentrent sur le vocabulaire, façon de faire habituelle des puristes du 20e siècle, particulièrement lors du congrès de la refrancisation de 1957 : il envisage plutôt l’anglicisation de la société à un niveau plus profond. Selon lui, « on doit envisager une réforme complète du mode de penser » (Daviault, 1957a : 25). Dans une autre déclaration, il affirme que les campagnes de refrancisation ne sont pas assez fortes pour contrer le niveau d’anglicisation auquel la société est rendue :

Ces « campagnes de refrancisation » ne font pas de mal, bien sûr, mais, si l’on considère l’étendue du mal, le remède fait sourire. Nous l’avons dit, c’est une transformation profonde d’un état d’esprit dans toute une population qu’il faudrait. (Daviault, 1955a : 191)

Ces déclarations renvoient à la réflexion qu’il développe au cours de sa carrière à propos du rôle de la langue dans la construction de la pensée (Daviault, 1954b). D’ailleurs, Daviault commence à prendre position par rapport aux méthodes de refrancisation assez tôt dans sa carrière ; il en parle dès l’introduction à sa première chronique (1930) :

Dans les études qui vont suivre, nous proposerons des traductions de termes anglais dont la transposition en français présente des difficultés particulières. C’est assez dire que l’auteur n’a aucunement l’intention de refaire les lexiques d’expressions usuelles dont on a écrit un si grand nombre dans l’intention de chasser l’anglicisme de la conversation courante. Ces lexiques sont d’ordre assez élémentaire ; ils ont du reste leur utilité, et une grande utilité ; mais enfin ils ne répondent pas à l’objet que nous avons en vue. (« Parlons mieux », 1930 : 0018)

Même si le nom de Daviault a fini par être associé au mouvement de refrancisation en raison de ses chroniques de langage, une partie de son discours sur la langue au Canada et sur les anglicismes présente certains traits qui s’écartent des discours dominants de son époque quant à sa conception de la langue. Notamment, il accorde une légitimité au français canadien dans plusieurs contextes et il reconnaît la nécessité, au Canada français, de faire des emprunts à l’anglais. Karim Larose (2004a), qui s’est intéressé au discours linguistique

8 Ce type de renvoi qui reviendra tout au long de notre mémoire fait référence à l’année de publication du

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9 des intellectuels québécois entre 1957 et 1977, mentionne que, sans qu’il puisse être catégorisé d’avant-gardiste, Pierre Daviault a fait un apport important à l’avancement de la conscience linguistique au Québec en termes d’autonomie par rapport à la France. Il rappelle, notamment, la légitimité qu’il accorde aux différences entre le français parlé au Canada et celui parlé en France (Larose, 2004a : 41). Nous tenterons de mettre de l’avant la vision particulière de la langue qui a permis l’avancement dans la conscience linguistique auquel fait référence Larose et de démontrer que, tout en conservant certaines caractéristiques du discours puriste des chroniqueurs de la même époque, le discours de Daviault présente certains traits qui en dévient. Nous nous proposons également d’analyser le discours de Daviault sur la langue française parlée au Canada, qui semble à première vue pessimiste, afin de le situer par rapport à celui de ses contemporains. La conception de la langue qu’on trouve dans le discours de Daviault n’a pas encore fait l’objet d’études systématiques.

3 État de la question : le purisme et la question de l’anglicisme au Québec9

3.1 Brève histoire de l’anglicisme au Québec et contexte historique

Au moment où Daviault mène sa réflexion sur la langue, les contacts entre les deux langues sont déjà vieux de plus d’un siècle et demi au Canada. L’emprunt du français à l’anglais a débuté au Canada au moment même où ces deux langues ont commencé à se côtoyer, dès la conquête britannique au 18e siècle. À ce moment-là, les Anglais deviennent les responsables du gouvernement et ils instaurent leurs institutions parlementaires. En même temps, ils sont la principale force du commerce : la langue anglaise s’installe ainsi rapidement comme langue dominante au Canada et le français commence à emprunter des mots anglais pour dénommer les nouvelles réalités liées à la politique, comme bill pour « projet de loi » (Poirier, 2000 : 113), et à des produits commerciaux, comme ale pour bière

9 Considérant la très longue bibliographie existante sur les travaux sur l’anglicisme, cet état de la question se

concentrera sur les travaux qui touchent plus particulièrement le discours sur l’anglicisme dans différentes sources métalinguistiques. À propos de l’anglicisme et de sa typologie, le lecteur consultera entre autres Humbley (1974), Poirier (1988, 1992, 1995), Mareschal (1989), Dôle (1992), Martel et Cajolet-Laganière (1994), ou encore Paquet-Gauthier (2014).

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10 (Poirier, 1988 : 1849). Les Canadiens français réussissent toutefois à faire valoir leurs droits et leur langue et une forme de bilinguisme se développe au sein des institutions parlementaires et des journaux (Noël, 2000). Pendant cette période de près d’un siècle, entre 1760 et 1855, le Canada est complètement coupé de la France et la langue française parlée au Canada évolue ainsi en parallèle de celle parlée dans l’Hexagone (Poirier, 2000 : 118).

Le phénomène de l’anglicisme tel qu’on peut l’observer aujourd’hui et, surtout, à l’époque de Daviault, est toutefois plus récent. Il date du 19e siècle, au moment de l’industrialisation du Québec (Poirier, 1988). Les grandes industries en provenance en grande partie des États-Unis s’installent au Canada et apportent avec elles des terminologies anglaises, qui n’existent pas en français à ce moment-là. Les Canadiens français migrent vers les villes à la recherche d’une meilleure qualité de vie et le vocabulaire anglais s’intègre tranquillement dans la langue qu’ils emploient au quotidien (Bouchard, 1999). L’anglais n’est plus seulement limité aux domaines politique et commercial, mais fait de plus en plus partie du vocabulaire quotidien des Canadiens français qui habitent les grandes villes. Puis, l’empire américain se retrouve en plein essor économique à la suite de la Deuxième Guerre mondiale, ce qui contribue à la valorisation de la société et des coutumes américaines. Cette valorisation de la culture américaine transparaît dans la langue, les emprunts formels se font de plus en plus nombreux et les lettrés constatent l’accroissement des emprunts sémantiques et des calques (Bouchard, 1999).

Au courant des années 1930, il y a un mouvement social qui s’active progressivement au Québec, qu’on qualifie parfois de « première Révolution tranquille » (Durocher, 2000 : 227). Les Québécois sont de plus en plus conscients de leur situation minoritaire au Canada, en tant que francophones, et des actions se mettent en marche pour faire de la pression au sein du gouvernement dans le but d’obtenir plus de droits en tant que minorité linguistique. Pendant ce temps, certains lettrés canadiens-français s’affairent à décrire et valoriser la variété de français parlée au Canada. La Société du parler français au Canada, fondée en 1902, contribue grandement à cette valorisation, d’abord par la publication de son Bulletin du parler français au Canada dès 1902, puis de son Glossaire du parler français au Canada en 1930 (Mercier, 2002a). La Société organise également trois

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11 Congrès de la langue française en 1912, 1937 et 1952. Ceux-ci ont pour but de permettre une discussion sur la langue française à laquelle participent des intervenants de différents milieux qui détiennent des points de vue variés. Daviault est actif en tant que langagier et chroniqueur pendant la période entre cette « première Révolution tranquille » et la Révolution tranquille des années 1960. Ses idées sont fortement influencées par celles de la SPFC et de ses fondateurs, mais aussi par celles des discours puristes qui circulent à l’époque.

3.2 Dénonciation de l’anglicisme par les puristes

Dès 1817, avec les premières chroniques de Michel Bibaud, puis en 1841 avec le Manuel des difficultés les plus communes de la langue française de Thomas Maguire et de façon plus généralisée pendant la deuxième moitié du 19e siècle, les lettrés canadiens-français commencent à dénoncer l’influence de l’anglais sur la langue française (Bouchard, 2002 : 207) : les emprunts abondent dans la langue courante et dans la langue de l’administration, sans mentionner le vocabulaire parlementaire. Il s’agit, selon eux, d’un véritable mal qui mènera la langue française à sa déchéance et à sa perte (Bouchard, 2002). Ainsi, les Canadiens français s’affairent à dénoncer l’influence de l’anglais depuis le 19e siècle non pas pour des raisons uniquement linguistiques, mais aussi pour des questions idéologiques. Les premiers à dénoncer l’anglicisme sont des lettrés appartenant aux hautes couches de la société, parmi lesquels Michel Bibaud, J.-A. Manseau, Thomas Maguire, Louis Fréchette, dont certains prônent surtout la pureté de la langue française et d’autres s’opposent à l’influence de l’anglais davantage pour des motifs culturels et politiques. En effet, la langue est un aspect identitaire très fort pour les Canadiens. Tout au cours de leur histoire, elle a servi à délimiter les frontières sociales et culturelles entre les deux groupes (les Anglais et les Français). Bouchard (2002) explique que le regard négatif des Canadiens français sur leur langue traduit en fait un regard négatif sur leur identité et leur position dans la société en tant que peuple minoritaire et conquis : le fait de refuser l’influence anglaise dans leur langue traduit un rejet généralisé des Canadiens anglais et, plus tard, des Américains. Ainsi, le discours puriste caractéristique des chroniqueurs aurait aussi des motivations idéologiques.

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12 Le discours alarmiste sur les emprunts à l’anglais dans la langue française parlée au Canada ne s’arrête pas au 19e siècle, il se poursuit tout au courant du 20e siècle, de la main d’autres chroniqueurs comme Étienne Blanchard et Gérard Dagenais, et ce, jusqu’à nos jours de la main de journalistes et chroniqueurs (journalistiques et non de langue) comme Denise Bombardier ou Mathieu Bock-Côté, mais aussi de façon généralisée dans les discours profanes omniprésents dans les médias sociaux.

3.3 Le traitement de l’anglicisme dans les sources métalinguistiques

Au cours de l’histoire, il y aura deux vagues importantes de dénonciation des anglicismes : la première, de la main des premiers lexicographes et glossairistes, la deuxième sous la plume des chroniqueurs de langage, qui ont occupé une place importante dans l’avancement de la réflexion sur la langue au Canada (voir notamment Gagné, 2004 ; Rheault, 2004 ; Remysen, 2009). Les chroniqueurs, tout comme les premiers lexicographes, ont adopté des positions diverses envers l’anglicisme selon leur formation et leur époque. Cependant, la plupart des chroniqueurs véhiculaient un discours très normatif sur la langue, ce qui les amenait à condamner l’anglicisme et à le catégoriser le plus souvent comme une erreur à éviter.

Plusieurs chercheuses se sont intéressées au discours sur l’anglicisme dans diverses sources métalinguistiques comme des glossaires et des chroniques. Linda Lamontagne (1996) a étudié le discours sur l’anglicisme dans les plus anciennes sources métalinguistiques au Québec, principalement des dictionnaires de correction et certaines chroniques de langage, publiées entre 1800 et 1930. Dans sa recherche, elle tente de dégager comment le terme anglicisme est défini dans ces publications. Elle constate que cette étiquette n’inclut pas toujours toutes les formes d’emprunt à l’anglais. En effet, les emprunts formels non adaptés en sont parfois exclus, car ils ne présentent pas forcément un danger pour certains auteurs : comme ils gardent leur forme anglaise, ils sont faciles à déceler. Ainsi, comme l’étiquette anglicisme comporte une connotation négative dans la plupart des sources analysées par Lamontagne, ces emprunts portent parfois des appellations comme mots anglais ou expression anglaise. Lamontagne fait ressortir de nombreux termes et expressions

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13 employés par les auteurs pour parler des emprunts à l’anglais comme emprunt, mot anglais, locution anglaise, expression anglaise, tournure anglaise, de l’anglais, etc. Elle souligne aussi que la plupart des auteurs font un lien systématique entre traduction et anglicisme, car une bonne partie de ces recueils a pour but d’améliorer les traductions.

Lamontagne s’intéresse également au traitement normatif des anglicismes dans les sources à l’étude ainsi qu’à leur nature : elle dégage principalement trois types d’anglicismes lexicaux (anglicisme sémantique, anglicisme formel et calque), plus ou moins condamnés selon l’époque et le courant de pensée des auteurs. En effet, quelques uns d’entre eux sont plus tolérants que d’autres à l’égard de certains emprunts à l’anglais, mais cette position reste minoritaire et cette rare tolérance renforce parfois la condamnation d’autres anglicismes : « L’évaluation positive de certains emprunts a souvent pour effet […] d’augmenter le poids de la condamnation sur les anglicismes qui ne sont pas jugés “nécessaires” […] » (Lamontagne, 1996 : 81). Lamontagne analyse aussi les jugements de valeur portés par les auteurs sur les différents emplois traités et elle dégage les critères employés par les auteurs pour justifier l’emploi d’anglicismes. Elle constate qu’un terme anglais qui dénomme une réalité n’ayant pas d’équivalent en français est souvent mieux accepté qu’un anglicisme qui a un équivalent en français. Elle donne comme exemple le cas de shériff trouvé dans un recueil anonyme :

Si l’officier qu’on nomme en anglais Sheriff, n’était chargé que de l’exécution des lois civiles, il n’y aurait pas de difficulté ; il faudrait lui donner le nom qu’on donnait en France à l’officier chargé des mêmes fonctions. Mais le Sheriff est aussi chargé de l’exécution des lois criminelles ; il faut donc lui laisser son nom (…). (Anonyme, 1826 ; cité dans Lamontagne, 1996)

Enfin, elle nomme les principales sources d’anglicismes selon les auteurs, parmi lesquelles la traduction occupe une place importante (Lamontagne, 1996 : 57).

Gabrielle St-Yves (1996) s’intéresse à la stigmatisation des anglicismes dans des sources métalinguistiques et des récits de voyageurs (St-Yves, 1996 : 355). Pour cela, elle a analysé trois corpus : le corpus de sources métalinguistiques établi par Lamontagne (1800-1930), un corpus sur les témoignages anciens des voyageurs à propos du français du Canada

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14 (1651-1899) et un corpus contenant le Manuel des difficultés de Maguire et les introductions des ouvrages formant son corpus (1841-1957) (St-Yves, 1996 : 355). Elle a étudié les premiers travaux un peu plus descriptifs qui ont eu lieu au Québec. Elle s’est intéressée à l’argumentaire des auteurs et à la terminologie employée pour condamner l’anglicisme, ainsi qu’aux premiers glossairistes canadiens qui ont voulu donner une certaine légitimité à la langue française parlée au Canada. Elle observe que le souci de bien identifier les anglicismes dans les premières sources métalinguistiques et de les condamner grandit au cours des années : le fait de « montrer » que l’anglicisme est très présent dans le français canadien sert à expliquer la dégénérescence de celui-ci. Le discours négatif envers l’anglicisme est très fort. Toutefois, elle constate que si les emprunts n’occupent pas une très grande place dans ces ouvrages, leur dénonciation y est très virulente jusqu’aux années 1880. En effet, St-Yves constate qu’à partir de 1880, il y a un certain assouplissement du traitement des anglicismes chez les auteurs d’ouvrages lexicographiques : l’anglicisme occupe encore moins de place dans ces ouvrages et la condamnation y est un peu moins forte qu’auparavant. Les auteurs commencent ainsi à proposer des solutions de rechange constructives et on remet en question l’origine de certains mots qui sont présumés être des anglicismes (St-Yves, 1996 : 362).

Chantal Bouchard étudie l’anglicisme dans les chroniques de langage dans une perspective sociohistorique. L’article « Une obsession nationale : l’anglicisme » (1989) porte sur le discours sur les anglicismes dans la presse québécoise entre 1879 et 1970. Bouchard a constitué un corpus de chroniques de langage, articles journalistiques et lettres des lecteurs totalisant 175 articles. Elle analyse le vocabulaire employé par les différents auteurs dans le but de condamner l’anglicisme et elle en dégage une typologie contenant six catégories, chacune d’entre elles étant liée à une sorte de métaphore (la maladie, la guerre, la spiritualité, etc.). Bouchard se penche aussi sur l’attitude générale des Canadiens français à l’égard des anglicismes, ce qui lui permet de dégager le type d’emprunt à l’anglais qui est le plus souvent toléré par les Canadiens français : les emprunts intégraux adaptés (ex : bécosse, mitaine (meeting), etc.). Cette recherche lui a également permis de tirer plusieurs constats à propos des liens que les locuteurs font entre langue et identité canadienne-française. Elle analyse aussi les facteurs présentés par les auteurs et chroniqueurs afin d’expliquer l’anglicisation. Elle en identifie six : l’environnement (contacts avec l’anglais),

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15 l’inaction des gouvernements, l’attitude des anglophones, le bilinguisme, l’anglomanie en France et la traduction (Bouchard, 1989 : 79). Enfin, elle étudie les réactions que l’anglicisation a suscitées chez les Canadiens français et les actions concrètes qu’ils ont entreprises, de façon individuelle ou collective, dans le but de « protéger » la société de l’anglicisation comme les campagnes de refrancisation, un intérêt accru pour l’enseignement de la langue, les campagnes de pression économique (comme acheter chez des commerçants qui affichent en français), une attention particulière portée à la qualité des textes journalistiques et publicitaires, etc.10.

Josiane Pellerin (2007), pour sa part, s’intéresse au discours sur les anglicismes d’un chroniqueur en particulier, soit Louis-Philippe Geoffrion, dans sa chronique « Zigzags autour de nos parlers », parue de 1923 à 1927. Elle étudie l’argumentaire employé par le chroniqueur afin de condamner certains anglicismes, mais aussi celui employé afin de nier l’origine anglaise de nombreuses expressions condamnées comme étant des anglicismes par plusieurs de ses contemporains. Geoffrion veut ainsi mettre en garde contre les puristes qui voient de l’anglais là où il n’y en a pas vraiment. Elle analyse aussi la typologie des anglicismes employée par l’auteur de façon implicite et la terminologie associée à la condamnation ou non des emplois. En analysant la critique que Geoffrion faisait de la condamnation de certains anglicismes par ses collègues, Pellerin a dégagé la réflexion avant-gardiste de Geoffrion à propos du discours puriste (Pellerin, 2007 : 78).

3.4 Anglicisme et traduction

Quoique déjà présents dans la langue des Canadiens français pendant le 19e siècle, les emprunts sémantiques et calques prennent une ampleur plus importante au courant du 20e siècle (Bouchard, 1999). La présence de ce type d’emprunts dans le français du Canada a longtemps été attribuée à la traduction. Bouchard (1989) souligne que déjà au 19e siècle,

10 Un autre travail de Bouchard qui se doit être mentionné lorsqu’on parle de traitement des anglicismes est

On n’emprunte qu’aux riches (1999) dans lequel elle analyse le prestige accordé aux emprunts de l’anglais au Québec et en France selon le contexte socioéconomique des locuteurs qui réalisent les emprunts. Ainsi, les emprunts qui proviennent des couches supérieures de la société sont plus valorisés que ceux qui trouvent leurs origines dans la langue populaire. Cependant, cette étude ne porte pas spécifiquement sur les chroniques de langage au Canada.

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16 les chroniqueurs associaient la présence d’anglicismes dans la langue à la traduction. Lamontagne (1996) fait le même constat. En effet, de nombreux recueils correctifs publiés au début du 20e siècle se donnaient comme objectif d’améliorer la qualité des traductions en indiquant les anglicismes à éviter (Lamontagne, 1996). L’étiquette traduction est même parfois employée pour faire référence à un mot ou à une expression condamnée par les chroniqueurs dont le sens ou la forme est influencé par l’anglais (Lamontagne, 1996 ; Bouchard, 1989). Roda Roberts, professeure de traduction à l’Université d’Ottawa, reconnaît que de nombreux anglicismes se sont intégrés au français par le biais de la traduction (Roberts, 1992). Toutefois, elle fait la différence entre traduction et « fausse traduction » (voir Lederer, 1988), c’est-à-dire des traductions faites par des non-spécialistes qui ont une certaine maîtrise des deux langues. Daviault lui-même associait l’anglicisation de la société canadienne-française aux mauvaises traductions, ce qui lui a servi d’argument pour insister sur l’importance d’une bonne formation pour les traducteurs. Cette réflexion n’avait pas encore été amenée par ceux qui accusaient la traduction de corrompre la langue. Cette façon de combattre l’anglicisme en proposant des solutions peut être considérée comme un purisme dit « de transformation », pour reprendre la terminologie de Paveau et Rosier (2008 : 43). Elles nomment, notamment, Étiemble qui proposait que la compétence des traducteurs soit validée par des instances officielles. D’ailleurs, comme le remarque Claude Poirier (1992), les traducteurs ont aussi été parmi les premiers à dénoncer le phénomène de l’anglicisme. Ce double rôle qui est attribué au traducteur, tantôt coupable de l’anglicisation et tantôt gardien de la langue, se trouve au sein même de la réflexion sur l’anglicisme dans le discours de Daviault.

Nous pouvons affirmer que nous connaissons les grandes lignes du discours sur l’anglicisme au Québec, mais le point de vue individuel des divers auteurs n’a pas toujours été étudié et c’est ce que nous nous proposons de faire dans ce mémoire pour l’un d’eux. Les recherches susmentionnées s’intéressent à différents aspects de l’anglicisme tel que présenté dans les chroniques de langage et elles font ressortir que la traduction a souvent été pointée du doigt par les chroniqueurs comme étant une des causes principales de la présence d’anglicismes dans la langue. Pourtant, le point de vue de Daviault, un traducteur-chroniqueur, à ce sujet n’a pas encore été étudié. Considérant qu’il est une figure emblématique de la traduction au Canada et que son discours est riche en observations à

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17 propos de l’anglicisme, nous avons choisi d’étudier son discours sur le sujet. En effet, Daviault présente deux caractéristiques qui rendent son discours particulièrement intéressant à analyser : son rôle important dans le monde de la traduction et les traits avant-gardistes de son discours sur la langue au Canada. D’ailleurs, si le discours de Daviault a été analysé sous l’angle de la traduction (Delisle et Otis, 2016 ; Godbout, 2004), de la construction de la pensée (Larose, 2004a ; Puccini, 2013), ou encore de la conception des canadianismes et de leur analyse (Remysen, 2009 ; Remysen et de La Fontaine, 2015), il n’a pas encore fait l’objet d’analyses approfondies au sujet de l’anglicisme.

4 Objectifs

A. Objectif général

Étudier le discours que Daviault tient au sujet du français en usage au Canada et particulièrement au sujet des anglicismes qui sont utilisés par les locuteurs de cette variété. B. Objectifs spécifiques

1) Mettre en valeur l’originalité de la conception de la langue de Daviault par rapport aux idées dominantes de ses contemporains, notamment en ce qui concerne la variation linguistique et la façon dont la langue a été façonnée au Canada par les influences externes et historiques.

2) Étudier le point de vue de Daviault sur l’anglicisation de la société et de la langue, ses causes et les solutions proposées. Nous nous intéresserons à la fois au lien qu’il fait entre la langue et la pensée ainsi qu’au double rôle qu’il attribue aux traducteurs dans cet enjeu : ils sont tantôt gardiens de la langue et responsables de la diffusion du savoir, tantôt coupables de l’anglicisation.

3) a. Analyser le traitement que Daviault fait des anglicismes dans ses chroniques de langage afin de dégager sa conception du phénomène, le classement qu’il propose des différents types d’anglicismes et les critères d’évaluation dont il se sert pour décider de leur recevabilité.

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18 b. Comparer les critères d’acceptation des anglicismes proposés par le chroniqueur dans ses écrits où il évoque le phénomène globalement à ceux qu’il met en pratique dans ses chroniques où il analyse des cas concrets.

5 Corpus

Notre corpus se compose de différents écrits de Pierre Daviault. D’une part, nous étudierons une série d’articles qu’il a publiés au cours de sa carrière, d’autre part, nous analyserons ses deux chroniques.

5.1 Articles

Pour répondre à notre premier et à notre deuxième objectifs spécifiques, nous avons constitué un corpus incluant l’ensemble des écrits de Daviault portant sur la langue11. Les articles composant notre corpus sont au nombre de 24. Ce corpus se veut exhaustif : nous avons fouillé l’ensemble des bibliographies consacrées aux travaux de Daviault, dont celle de la thèse de Rivard (2003), la bibliographie dans le livre Traduction littéraire et sociabilité interculturelle au Canada (1950-1960) (Godbout, 2004) et la Bio-bibliographie du major Pierre Daviault (Crevier, 1945). Nous avons également consulté les tables des matières des différentes éditions de La Nouvelle Revue canadienne, où Daviault a signé plusieurs textes, et la table des matières en ligne de la revue Méta, qui portait le titre Le journal des traducteurs à l’époque où Daviault a publié.

Les articles qui forment notre corpus constituent pour la plupart des textes publiés dans différentes revues, dont La Nouvelle Revue canadienne (1950-1956), une revue à vocation littéraire et culturelle cofondée par Daviault. À cela s’ajoutent les textes des conférences données lors des deuxième et troisième Congrès de la langue française (1938 et 1952) et du Congrès de la Refrancisation (1957), ainsi qu’un rapport préparé dans le cadre de la Commission royale d’enquête sur l’avancement des arts, lettres et sciences au Canada 11 Nous avons mis de côté ses traductions ainsi que ses textes littéraires et ses réflexions philosophiques qui

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19 (1951b). Nous avons également inclus un compte-rendu réalisé pour la Société Royale du Canada ainsi que quelques articles publiés dans des journaux tel Le Devoir s’adressant à un public non spécialiste12. Par ailleurs, Daviault a publié quatre ouvrages comportant des notes de traduction au cours de sa carrière. Nous avons inclus dans notre corpus les introductions au premier et au deuxième de ces ouvrages dans lesquelles Daviault explique l’objectif qu’il poursuit et où il dresse un bref portrait de la situation de l’anglais et de la traduction au Canada.

Dans tous ces textes, Daviault se prononce sur le phénomène de l’emprunt, sur la pratique de la traduction au Canada et sur la langue française en général, toujours en tissant des liens entre ces trois éléments. Ces articles nous permettront d’avoir accès au discours global du traducteur sur la langue en le détachant de l’analyse de cas ciblés qu’il fait dans les chroniques. Ce sous-corpus nous servira aussi à comparer son discours sur l’anglicisation et la refrancisation à sa pratique concrète dans les chroniques.

5.2 Chroniques

Notre sous-corpus de chroniques se compose des deux chroniques publiées par Daviault, « Parlons mieux : épurons notre langue » (1930-1931) et « Propos sur notre français » (1952-1960), lesquelles nous avons pu consulter dans la base de données ChroQué, hébergée à l’Université de Sherbrooke13.

5.2.1 « Parlons mieux : épurons notre langue »

La chronique « Parlons mieux : épurons notre langue »14, publiée dans le quotidien montréalais La Presse de 1930 à 1931, totalise 44 billets. Il s’agit de la première chronique

12 À la différence des chroniques de langage, qui sont publiées de façon périodique, les articles dont il est

question ici font l’objet de publications ponctuelles. Les chroniques de langage, pour leur part, se définissent comme « un ensemble de textes relativement brefs et homogènes, produits par une même personne (physique ou morale) reconnue pour sa compétence en matière de langue, diffusés périodiquement dans la presse et portant sur la langue, plus spécialement sur les bons et les mauvais usages qu’on en fait » (Chroqué, 2011).

13 http://catfran.flsh.usherbrooke.ca/chroque/

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20 écrite par Daviault, rédigée pendant qu’il est traducteur aux Communes. Cette chronique porte sur différentes difficultés de traduction, notamment des mots ou des expressions anglaises difficiles à traduire en français. Les difficultés abordées dans la chronique sont parfois proposées par Daviault, parfois suggérées par les lecteurs. Daviault prétend « [examiner] des locutions qu’aucun dictionnaire ne traduit d’une manière satisfaisante » (« Parlons mieux », 1930 : 001). Ainsi, certains billets présentent un mot ou une expression difficile à traduire, accompagné d’une solution :

COMPREHENSIVE. – Adapté directement du latin, fait assez rare en anglais, ce mot rappelle

en rien notre verbe « comprendre », dont on pourrait croire, à première vue, qu’il a été tiré. Il signifie qui contient beaucoup de choses, qui renferme tout, qui a une grande portée. Ou encore qui a des vues très larges, une grande largeur d’esprit (sens qui se rapproche d’une des acceptions de comprendre). (« Parlons mieux », 1931 : 040)

Notre lecture de la chronique nous permet d’en confirmer l’intérêt dans le cadre de notre recherche. En effet, de nombreux emprunts sont aussi abordés dans la chronique, en voici un exemple :

ELECTORATE. – Ce mot désigne l’ensemble des électeurs d’un pays ou d’une

circonscription. En ce sens, on ne doit pas le rendre par l’équivalent électorat. Nous le faisons sans sourciller, au Canada, mais on commet alors un anglicisme. Il faut dire les électeurs, le

corps électoral, etc. (« Parlons mieux », 1930 : 021)

Cette chronique se présente sous une forme qui rappelle l’article de dictionnaire, présentant plusieurs vedettes par billet, celles-ci clairement identifiées et suivies d’une présentation de l’emploi que le chroniqueur commente ou critique et d’une explication de l’emploi à adopter pour éviter une mauvaise traduction. Parfois, l’article se limite à la vedette accompagnée d’une ou plusieurs traductions ou équivalents possibles, sans plus d’explication. Bien qu’il y ait une vedette identifiée, les articles ne respectent pas de microstructure propre aux ouvrages lexicographiques, comme c’est le cas de nombreuses chroniques (voir Pellerin, 2007 ; Remysen, 2009). Dans son article d’introduction, Daviault affirme qu’« [il ne s’astreindra] à aucun ordre rigide, qu’il soit alphabétique ou logique » (Parlons mieux, 1930 : 001)

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21 5.2.2 « Propos sur notre français »

La chronique « Propos sur notre français » est une longue chronique qui a été publiée de 1952 à 1960 dans le journal La Patrie et qui compte en tout 160 billets. Les objectifs que l’auteur poursuit dans cette chronique ne sont pas clairement énoncés dans le premier billet, comme c’est le cas dans la chronique précédente. Au fil des billets, Daviault aborde des emplois variés à propos desquels il émet des commentaires explicatifs, parfois normatifs. Il aborde entre autres l’étymologie, l’origine de certaines expressions complexes, les emplois en usage au Canada, les emprunts, les emplois qui ont cours en France, etc. Cette chronique est moins structurée que la première : elle se présente sous forme de texte suivi dans lequel l’auteur discute d’un emploi particulier qu’il a soulevé dans l’une de ses lectures ou, souvent, dans le Glossaire du parler français au Canada, ou encore un emploi qu’il a simplement observé dans le cadre de son travail. Il présente ensuite une explication ou un commentaire à propos de l’emploi. Ses explications sont souvent appuyées par le Glossaire du parler français au Canada, outil qui revient à plusieurs reprises au fil des billets (Remysen et De la Fontaine, 2015). Dans bien des billets, Daviault revient sur des anglicismes en usage dans le français des Canadiens. En voici un exemple :

[Dans un billet qui porte sur les différentes particularités grammaticales du français parlé ou écrit au Canada] Passons à l’article. […] La faute la plus commune consiste à employer l’article devant l’attribut ou le complément répété, ou devant une apposition. On dira : « la montre /-X,

un produit de la maison Simon » ; « mon frère, un médecin à Montréal ». Cette faute se

commet surtout dans nos journaux et c’est évidemment un anglicisme syntaxique, parce que l’emploi de l’article est obligatoire dans ces cas en anglais. Toutefois, on la rencontre en France. Un journal de Paris fait toujours suivre certains titres de cette indication : « Un conte de M. X. ». (« Propos », 1955 : 054)

6 Méthodologie

La méthodologie de ce projet se base sur une analyse de contenu qualitative. Nous étudions le discours de Daviault sur la langue française au Canada dans ses diverses publications. Nous analysons aussi le traitement des emprunts à l’anglais dans ses chroniques. Nous nous intéressons principalement aux critères proposés par Daviault pour accepter ou refuser un

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22 anglicisme, tout en tentant de dégager la typologie selon laquelle il classe les emprunts à l’anglais.

6.1 Conception générale de la langue

Afin de répondre à notre premier objectif spécifique, nous commençons par une analyse de la conception globale de Daviault de la langue française au Canada. Nous nous intéressons principalement à la vision qu’il a de la légitimité de la langue française parlée au Canada par rapport à celle de la France. Dans l’ensemble de ses écrits, il aborde ce sujet à travers différents aspects qui lui permettent d’illustrer son point de vue, par exemple, la création néologique ou l’emprunt. Nous nous concentrons sur certains de ces éléments qui sont centraux à sa réflexion et qui semblent toujours converger vers la problématique de l’anglicisme.

L’élément de départ de notre analyse qui caractérise le discours de Daviault, et qui le démarque de certains de ses contemporains, est la place qu’il accorde à la variation linguistique au Canada, phénomène qu’il aborde à travers différents éléments : la légitimité de la langue française parlée au Canada, les différentes variétés de langue qu’il observe au Canada, le statut qu’il attribue à la langue française parlée au Canada, qu’il considère légitime dans certains contextes de communication uniquement, ainsi que la façon dont l’anglicisme affecte tous ces aspects de la variation. Les conclusions tirées de cette analyse nous permettent ensuite de faire un pont vers le discours plus spécifique sur l’anglicisme et la vision que le chroniqueur a de l’anglicisation de la langue au Canada français, faisant ainsi un lien avec sa pratique de traducteur.

6.2 Anglicisation de la pensée et rôle du traducteur

Dans le but d’atteindre notre deuxième objectif spécifique, nous analysons le discours que Daviault entretient à propos de l’anglicisation de la langue dans ses écrits, lorsqu’il ne traite pas de cas ponctuels. Nous étudions la façon dont Daviault a contribué à la mise en valeur de la profession de traducteur. Pour ce faire, nous analysons la réflexion de Daviault au

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23 sujet des liens existants entre la langue et la pensée et la façon dont l’anglicisation de la première affecte la dernière. Nous regardons également le rôle qu’il attribue à la traduction et aux traducteurs, autant dans le processus d’anglicisation que dans les mesures concrètes qu’il propose pour combattre cette anglicisation.

6.3 Traitement de l’anglicisme dans les chroniques 6.3.1 Sélection des emplois

Dans le but de répondre à notre troisième objectif spécifique, nous analysons le traitement des emprunts à l’anglais commentés dans les chroniques de Daviault. Les emplois retenus pour notre analyse doivent remplir deux critères : 1o il doit s’agir d’emplois auxquels Daviault attribue explicitement une origine anglaise – peu importe à quel élément il attribue cette origine (sens, forme, prononciation, syntaxe, etc.), et peu importe si cette origine anglaise est vraie – et 2o pour chaque emploi, Daviault doit attester qu’il a cours en français, que ce soit en France ou au Canada, de façon à vérifier s’il traite différemment les anglicismes qui ont cours en France et au Canada. Le deuxième critère a été particulièrement important pour la sélection des emplois à l’étude dans « Parlons mieux », car l’ensemble des emplois commentés dans cette chronique a une origine anglaise : nous avons ainsi pu faire la part entre, d’une part, les expressions anglaises difficiles à traduire, mais pas utilisées en français, et, d’autre part, les emprunts intégrés au français. Cette sélection s’est faite indépendamment du jugement normatif : tout a été retenu. Dans cet exemple, les deux critères sont remplis puisque l’emploi que l’on peut entendre dans la langue de « nos gens » est expliqué par « l’influence de l’anglais » :

J’ai évoqué le moulin à papier qui est une fabrique de papier, une papeterie. Il y a encore le

moulin à pulpe, qui est une fabrique de pâte de bois, car il faut savoir que nos gens nomment pulpe la pâte de bois, sous l’influence de l’anglais [...] Notre pulpe et l’usage que nous en

faisons sortent directement de l’anglais. (« Propos », 1954 : 032 ; nous soulignons15).

(31)

24 Nous étudions deux aspects de ces emplois : la nature linguistique des emprunts et l’évaluation normative qu’en fait Daviault.

6.3.2 Classement selon la nature linguistique de l’emprunt

Les emplois retenus selon les critères mentionnés dans la section précédente seront classés par type d’anglicisme. Pour dégager la typologie, nous analysons les commentaires sur l’origine anglaise des différents emplois afin de savoir à quel élément Daviault l’attribue : à un sens, à un mot, à une construction syntaxique, etc. Nous observons également les étiquettes qu’il emploie pour nommer les emprunts en question, le cas échéant. Par exemple, dans l’exemple qui suit, c’est l’étiquette « faux ami » qui est utilisée :

Le mot discrimination est un de ces faux amis dont parlait Derocquigny dans son ouvrage qui porte ce titre, c’est-à-dire de ces mots que l’anglais nous a empruntés pour finir par leur donner un sens différent de celui que nous leur donnons, de sorte qu’ils font commettre des anglicismes quand on veut les employer en français avec leur sens anglais.

[…]

Discrimination, en français, garde un sens fort abstrait, philosophique en somme : il désigne

l’acte de distinguer avec précision. En anglais, au contraire, il signifie l’acte de traiter diverses personnes ou divers groupes de façon différente, c’est, donc, en somme un passe-droit, une inégalité de traitement, voire une injustice. On l’a adopté avec ce sens, en français, dans les organisations internationales, pour désigner l’inégalité de traitement entre les races […] Il va sans dire que, au Canada, cet anglicisme existait depuis bien plus longtemps et c’est ainsi que ce sujet se rattache à notre propos. (« Propos », 1955 : 057) […]

Ici, Daviault dit ce qu’il entend par « faux ami » ; ce n’est pas toujours le cas. De plus, il catégorise cet emprunt de sens d’anglicisme. Ce classement en fonction de l’élément emprunté nous permet de vérifier s’il y a un type d’emprunt en particulier qui est plus souvent, ou même systématiquement, accepté ou rejeté par le chroniqueur. Nous avons pu également vérifier s’il y a des liens entre le type d’anglicisme et l’étiquette utilisée.

(32)

25 6.3.3 Classement selon l’évaluation normative

Nous divisons ensuite les anglicismes traités en trois catégories d’évaluation normative, soit les anglicismes condamnés, les anglicismes acceptés et les anglicismes sans évaluation normative. Pour chaque cas, nous vérifions s’il y a un lien entre la nature linguistique de l’emprunt et le jugement normatif qui est porté par Daviault sur celui-ci. Nous analysons si les étiquettes employées diffèrent entre les emplois condamnés et ceux acceptés, notamment en raison des constats de Lamontagne (1996).

6.3.4 Critères d’évaluation

Nous dégageons, par la suite, les critères d’évaluation que Daviault utilise pour juger de l’acceptabilité des emprunts qu’il commente. Pour ce faire, nous nous intéressons aux arguments qu’il évoque pour accepter ou condamner un emprunt. Nous regroupons les arguments qui se ressemblent ou qui reposent sur le même type d’évaluation afin de dégager les grandes tendances de son argumentaire et nous créons différentes catégories pour les désigner. En dégageant ces tendances, nous pouvons constater s’il y a un type d’argument qui prédomine dans le discours de Daviault.

Il est important de rappeler que si nous analysons le traitement normatif des anglicismes en fonction de leur nature, c’est que Chantal Bouchard (1989) a constaté qu’il y a un lien entre le type d’anglicisme et la virulence de la dénonciation de la part des chroniqueurs et autres lettrés : les faux amis et les calques sont condamnés beaucoup plus sévèrement que les emprunts intégraux, par exemple (Bouchard, 1989 : 70). Ce même phénomène avait été observé par Lamontagne (1996), qui avait trouvé que chez certains auteurs les emprunts intégraux étaient moins fortement condamnés, car ils étaient plus faciles à différencier des mots d’origine française.

De la même façon, nous observons s’il y a une différence dans l’évaluation lorsque Daviault attribue les emplois à la variété de français canadienne ou française. Nous avons observé à quelques reprises que Daviault peut prioriser l’emploi d’un canadianisme au détriment d’un anglicisme qui a cours en France :

Figure

Tableau 1 : Répartition des différents types d’emprunts
Tableau 2 : Étiquettes employées pour désigner les différents emplois
Tableau 4 : Évaluation normative selon le type d’anglicisme dans « Parlons mieux »  Type d'anglicisme  Rejeté  Sans
Figure 1 : Évaluation normative des différents types d’anglicisme dans « Propos »
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