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2 Rôle de la traduction dans l’anglicisation du français au Canada

2.1 Conséquences de la traduction dans la langue des médias

Dans « Sommes-nous asservis par la traduction ? » (Daviault, 1957d : 19), Daviault affirme : « Un fait s’impose dès l’abord. Au Canada français, la plus grande partie des textes lus sont des traductions » (Daviault, 1957d : 19). Il s’agit d’une affirmation très forte. Toutefois, il poursuit :

Il faut entendre par là que le lecteur moyen – celui qui borne ses préoccupations intellectuelles à la lecture du journal quotidien et des revues de délassement ou aux émissions de la radio sonore et visuelle, – ne lit guère que des textes traduits. (Daviault, 1957d : 19)

Ainsi, Daviault constate surtout l’influence qu’a la traduction sur la langue écrite utilisée dans les médias. En effet, la présence de l’anglais se fait particulièrement sentir dans les articles journalistiques et les publicités :

Le mal vient de la traduction, qui joue un rôle capital en notre pays ; car ce ne sont pas seulement tous les documents officiels qui sont traduits, mais encore les dépêches des agences de presse, les textes publicitaires, des documents de toutes sortes. (Daviault, 1955b : 123)

Il considère qu’une grande partie des textes diffusés dans les médias sont des traductions de mauvaise qualité qui contiennent des anglicismes :

Nos journaux reçoivent les dépêches d’agences en anglais ou traduites de l’anglais : en anglais aussi ou en traduction les communiqués officiels et les textes publicitaires. Les revues spécialisées n’offrent guère que de la traduction, non moins que les « magazines » ou les revues de pseudo culture. La publicité qui s’étale sur nos rues ou sur nos écrans de télévision, qui encombre nos boîtes à lettres, qui glapit à la radio, traduction encore dans une très large proportion. À la télévision, on donne même aux annonces un nom baroque, calqué sur l’anglais : « les commerciaux ».

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La traduction a saboté le vocabulaire. Nous devons tenir compte des emprunts indispensables que nécessitaient nos institutions politiques et notre code pénal, qui sont britanniques, ou, encore, des circonstances particulières de notre vie en Amérique25. Mais

il y a les emprunts qui déplacent inutilement des vocables indigènes. Or ce sont les traducteurs26 qui créent la plupart des anglicismes dont notre langue est infestée. (Daviault,

1957d : 19)

Le principal problème de l’anglicisation de la langue des médias est qu’il s’agit d’un vecteur de diffusion rapide des anglicismes. En effet, la plupart de la population consomme ce genre de production écrite plutôt que des œuvres littéraires, ou même, certaines sections moins bien rédigées plutôt que des sections plus sérieuses dans ces mêmes médias :

Je prends ces extraits [des textes dans lesquels il vient de critiquer des faux amis] dans un journal dont la page de rédaction est écrite avec soin. Or, la masse ne lit pas la page de rédaction, mais seulement les nouvelles et les annonces. (Daviault, 1938 : 432)

Il faut reconnaître ici que cette conclusion entretient un préjugé envers la « masse » : la population canadienne-française adopte rapidement les anglicismes qu’elle lit dans les nouvelles et annonces traduites. Nous voyons ici comment se répercute dans sa vision la « paresse intellectuelle » qu’il dénonce chez les Canadiens français. D’ailleurs, tout en considérant que la traduction est une grande porte d’entrée des anglicismes dans la langue, Daviault observe aussi d’autres moyens d’anglicisation qui sont, la plupart, des conséquences de la traduction. Dans la langue des médias, il attribue l’origine des emprunts à la mauvaise traduction, mais il considère qu’une partie importante de leur diffusion est la faute des présentateurs francophones et journalistes qui emploient ces emprunts dans des contextes de français non traduit :

Des anglicismes s’implantent chez nous, qu’il est pour ainsi dire impossible de déraciner parce que la masse les croit à jamais consacrés par ceux qui font profession de l’éclairer. Journalistes ou rédacteurs de publicité, orateurs politiques ou sacrés négligent de surveiller la transposition des termes anglais qui leur viennent à l’esprit. Ils émaillent leurs textes de mots anglais à peine francisés, qui prennent ensuite racine dans notre langue. C’est ainsi que le parler canadien-français souffre moins de l’incorrection du langage populaire que du pédantisme des demi-lettrés (ou demi-

25 Nous voyons ici que l’emprunt à l’anglais n’est pas toujours condamné par Daviault. Cet aspect sera

développé dans le troisième chapitre.

26 Au sujet de la responsabilité des traducteurs dans le processus d’anglicisation, voir la section 3 de ce

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illettrés) qui tiennent à calquer leur phrase sur l’anglais mal compris et mal digéré. (Daviault, 1931 : 8)

Cette accusation apporte une nuance importante dans la vision de Daviault : outre les traductions et l’ignorance de la « masse » qui écoute ou lit les nouvelles sans se poser de questions, il soulève ici un autre facteur d’anglicisation, soit la paresse et le pédantisme de ceux qui sont supposés faire figure d’autorité en termes de langue. Ainsi, il ne s’agit pas d’une influence directe de la traduction dans la langue, mais plutôt d’une conséquence des mauvaises traductions qui se répandent. Il considère que cette conséquence de la traduction est tellement répandue qu’on trouve des anglicismes même chez ceux qui ne parlent pas anglais :

La langue de la majorité de nos écrivains ou de nos journalistes est pauvre, incolore, souvent incorrecte. Elle souffre, à des degrés divers, des maux qui affligent la langue parlée. L’ambiance est telle que, même chez ceux qui ignorent l’anglais, la déformation dans le sens de l’anglicisme se fait sentir. La langue écrite, il faudrait l’étudier dans les journaux ou à la radio.

On relèverait des phrases de cette farine :

« On suivra la même procédure que l’an dernier à une exception… Le champ du commerce extérieur… […] » (Daviault, 1951b : 36)

Comme pour plusieurs de ses réflexions, Daviault amène aussi un point positif :

Une mise en garde s’impose. Il ne faudrait pas conclure de cette accumulation de fautes (du reste, authentiques), réalisée aux fins du raisonnement, que la majorité des textes publiés au Canada sont écrits uniformément en une langue aussi incorrecte. D’autre part, loin de dégénérer, le français écrit au Canada s’améliore sans cesse, bien que de façon insuffisante. (Daviault, 1951b : 37)