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Domani..., Tunis 1935, une publication antifasciste et anticolonialiste à l'initiative des anarchistes italiens de Tunisie

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Submitted on 13 Oct 2016

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Domani..., Tunis 1935, une publication antifasciste et

anticolonialiste à l’initiative des anarchistes italiens de

Tunisie

Isabelle Felici

To cite this version:

Isabelle Felici. Domani..., Tunis 1935, une publication antifasciste et anticolonialiste à l’initiative des anarchistes italiens de Tunisie. Silvia Finzi. Storie e testimonianze politiche degli italiani di Tunisia, Finzi, pp.173-183, 2016, 978-9973-63-045-2. �hal-01381071�

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Domani..., Tunis 1935, une publication antifasciste et anticolonialiste

à l’initiative des anarchistes italiens de Tunisie1

Texte publié dans Storie e testimonianze politiche degli italiani di Tunisia, sous la direction de Silvia Finzi, Tunis, Edizioni Finzi, 2016, p. 173-183.

Se poi la nostra non fosse che una illusione ; se poi il nostro gesto di civile insofferenza venisse, e non importa con quali mezzi e pretesti represso, noi non per questo perderemmo la fiducia in un domani immancabile ; il domani della resurrezione, nella gloria del sole, della Libertà che oggi sotto i risucchi medioevali soffre le sue ore di agonia.

Domani..., n°1, 18 août 1935. En 1935, aux mois d’août et septembre, paraissent à Tunis sept numéros d’un périodique (presque) entièrement rédigé en langue italienne, intitulé Domani..., modeste publication de huit pages imprimées par la maison Louis Maury. Bien que le sous-titre, Rassegna libera di idee, uomini e

cose, n’indique explicitement aucune étiquette politique et que l’éditorial du premier numéro laisse

entendre que le journal est l’expression de « différentes écoles politiques et philosophiques », nombreux sont les points communs entre cette publication et la presse anarchiste de langue italienne qui est alors publiée partout en dehors de l’Italie, sous l’impulsion d’anarchistes italiens en exil ou émigrés. La publication, née à la veille de l’entreprise colonialiste italienne en Éthiopie, se présente comme un contrepoids à la propagande fasciste et tente de démonter tous les arguments du Régime quant au bien-fondé de cette « guerre civilisatrice ».

Après avoir mis des noms au bas des articles publiés anonymement dans les colonnes de

Domani, et étudié les formes que prend la position ouvertement antifasciste et anticolonialiste du

journal, nous verrons comment le périodique finit par constituer une « menace » qui « justifie » son interdiction par les autorités du protectorat français en Tunisie.

Domani... l’organe de la « famille » anarchiste de Tunis

Domani... ne figure pas dans les bibliographies de la presse anarchiste2, mais les noms qui sont

liés au journal le rattachent fortement au mouvement anarchiste italien, en premier lieu, celui du responsable légal, Antonin Casubolo, qu’on connaît, à Tunis et ailleurs, sous le nom de Nino Casubolo. Il est originaire de la province de Trapani3 et, le détail n’est pas anodin, il est naturalisé

1 Une ébauche de cet article a été présentée lors de la journée d’études sur Adrien Salmieri et la culture

italienne en Tunisie, organisée à l’Université Paul Valéry Montpellier 3 le 13 novembre 2010.

2 Pour la Tunisie, Leonardo Bettini signale en tout et pour tout quatre publications anarchistes en langue

italienne : L’Operaio (1887-1904), La protesta umana (1896), Il vespro sociale (25 octobre 1924), Il vespro

anarchico (8 novembre 1924). Voir Leonardo Bettini, Bibliografia dell’anarchismo, volume 1, tome 2, Periodici e numeri unici anarchici in lingua italiana pubblicati all’estero, 1872-1971, Crescita Politica editrice, Florence,

1972, p. 263-266. Dans La Méditerranée fasciste : l'Italie mussolinienne et la Tunisie, Paris, Karthala, 1981, p. 177, Juliette Bessis évoque Domani... comme une publication antifasciste, de même que Michele Brondino (La presse italienne en Tunisie, Histoire et société (1838-1956), Paris, Publisud, 2005, p. 249-250) qui signale que la Bibliothèque nationale de Tunis possède six numéros, sans doute les six premiers, puisque la collection y est, selon lui, complète. C’est à l’Institut International d’Histoire sociale d’Amsterdam que nous avons pu consulter l’ensemble des sept numéros publiés les 18 et 25 août, 1er, 8, 15, 22 et 29 septembre 1935.

3 Nous tirons ces renseignements du Dizionario Biografico degli Anarchici Italiani, Pise, BFS, 2003-2005,

désormais en ligne. Pour la notice de Nino Casubolo, élaborée par Santi Fedele, suivre ce lien

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français depuis 1932, comme l’indique son nouveau prénom. Arrivé en 1911 à Tunis, où il se lance avec succès dans différentes activités commerciales et maritimes, Casubolo était connu et fiché comme militant anarchiste en Sicile puis aux États-Unis, où il a fait plusieurs séjours, notamment à Paterson. Il reprend une activité de militant à plein temps vers la fin des années 1920. À Tunis, il est un des piliers de l’anarchisme et s’implique aussi dans la LIDU locale, la Lega dei Diritti dell’Uomo. Son activité s’accentue encore avec l’arrivée à Tunis, au début des années 1930, de Gigi Damiani4.

C’est le deuxième nom important lié au journal Domani..., mais il n’y figure pas noir sur blanc car, nous l’avons précisé, les textes publiés ne portent pas de signature. Damiani étant alors considéré par la police fasciste comme le « chef » des anarchistes italiens, après la mort d’Errico Malatesta, en 1932, et, l’année précédente, celle de Luigi Galleani, autant dire que tous les informateurs et les agents de l’OVRA (Opera di vigilanza e repressione fascista) de Tunis ont les yeux braqués sur lui lorsque, après des années d’errance et de clandestinité, expulsé par tous les régimes démocratiques européens, il trouve un asile dans la capitale tunisienne. Claude Liauzu relevait déjà pour la fin du XIXe siècle le fait qu’il y a « quelque paradoxe à présenter la Tunisie comme une terre

de refuge, alors qu’au despotisme beylical venait de s’ajouter, en 1881, la domination coloniale française. Il en fut pourtant ainsi, non pas occasionnellement, pendant un bon siècle »5. Pour

Damiani, il s’agit toutefois d’un refuge de fortune car sa situation administrative reste précaire tout au long de son séjour. À son arrivée en Tunisie, on lui octroie un permis de séjour en tant que réfugié politique6, mais il n’obtient pas la nationalité française qu’il a semble-t-il demandée dès 19337. En

1934, il est toujours au « régime des trois mois »8. Son activité professionnelle est limitée du fait de

son statut administratif : il reste, selon ses propres termes, « un toléré auquel on refuse une carte d’identité et, par là même, la possibilité de vendre ses bras »9. À travers sa correspondance et celle

de sa famille, interceptées par la police, on apprend qu’il gagne petitement sa vie en peignant des motifs sur des coussins en tissu10 et en exerçant son métier de peintre décorateur11. Ses difficultés

4 Voir l’ouvrage que nous avons consacré à Gigi Damiani : Isabelle Felici, Poésie d’un rebelle. Gigi Damiani,

poète, anarchiste, émigré, Lyon, ACL, 2009. Nous reprenons ici des informations tirées du chapitre de cet

ouvrage consacré à la période tunisienne de Damiani (1932-1946). Notons qu’Ugo Fedeli ne fait pas figurer

Domani... dans la liste qu’il établit des publications auxquelles Damiani a participé. Voir Ugo Fedeli, Gigi Damiani. Note biografiche. Il suo posto nell’anarchismo, Cesena, Edizioni «L’Antistato», 1954.

5 Claude Liauzu, « Des précurseurs du mouvement ouvrier : les libertaires en Tunisie à la fin du XIXe »,

Colonisations, migrations, racismes. Histoires d’un passeur de civilisations, Paris, Syllepses, 2009, p. 43. Le texte

a été publié initialement dans Cahiers de Tunisie, t. XX, n° 81-82, 1972.

6 Voir le document émanant du consulat général de Tunisie du 15 septembre 1932, Archivio Centrale dello

Stato, Casellario Politico Centrale, Celeste Carpentieri. Juliette Bessis rapporte qu’« un commissaire de police français, d’origine italienne, Bianchini, plaide à la Résidence, à la demande de Barresi, selon son témoignage, le cas de Gigi Damiani, anarchiste connu, entré en Tunisie, clandestinement, et qui obtient pour lui une autorisation de résidence. » Juliette Bessis, op. cit., p. 75, note 78. Juliette Bessis a pu conduire des entretiens avec Giulio Barresi en 1968, ibidem, p 74, note 74.

7 Une correspondance du Ministère des affaires étrangères au Ministère de l’Intérieur du 18 mai 1933

rapportant des informations sur « l’elemento sovversivo dell’emigrazione italiana a Tunisi » annonce que Gigi Damiani « ha presentato la domanda per naturalizzarsi francese ». Archivio Centrale dello Stato, Casellario Politico Centrale, Gino Bibbi.

8 Lettre de Gigi Damiani à Carlo Frigerio, Tunis, 3 mars 1934, CIRA Lausanne.

9 Lettre de Gigi Damiani à Elena Melli, 30 août 1936. Archivio Centrale dello Stato, Casellario Politico Centrale,

Elena Melli.

10 Voir différents courriers de 1932 et 1933, Archivio Centrale dello Stato, Casellario Politico Centrale, Gigi

Damiani. Voir aussi le premier rapport de l’informateur « tunisien » au moment où il rencontre Gigi Damiani pour la première fois : « è uomo sulla cinquantina ; parla spiccatamente l’accento romano. Ha la famiglia

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matérielles se multiplient en période de guerre ; en tant que réfugié politique, il est toujours, selon son expression, « sur le fil du rasoir »12. Grâce à la surveillance rapprochée dont il fait l’objet, on

connaît jusqu’aux lieux qu’il aime fréquenter. Selon un des policiers en charge de la filature, « Damiani, qui habite rue Hoche, descend tous les matins en ville par l’avenue de Paris, l’avenue Jules Ferry, l’avenue de France et enfin par la rue d’Italie, il se rend au marché central pour acheter des denrées alimentaires. Quand il ne va pas au marché, il se promène sur l’avenue de France, exactement depuis la Porte de France jusqu’à l’angle de la rue d’Italie13 ».

On le voit, Damiani est suivi pas à pas, ce qui justifie qu’il ne signe aucun des articles publiés dans Domani... On y trouve toutefois sans mal des traces de sa présence, à commencer par un des pseudonymes qu’il utilise depuis des décennies dans la presse anarchiste de langue italienne publiée en Italie et à l’étranger : Ausonio Acrate (« Fasti e nefasti delle dittature », n°1). Ceux qui auraient suivi le parcours journalistique de Damiani depuis le Brésil, où il a séjourné de 1897 à 191914,

jusqu’en Italie, mais aussi à travers les journaux anarchistes publiés hors d’Italie auxquels il a collaboré, notamment aux États-Unis, reconnaîtront sans peine la forme qu’il aime donner à ses articles. Il a souvent recours au dialogue fantaisiste qui apparaît aussi dans un des articles du numéro 1 de Domani..., « Interviste. Parla Niam-Bou », dont il sera question plus loin. Autre trait caractéristique : comme toutes les publications dans lesquelles Damiani a été actif, Domani... propose une revue de presse. Si dans Umanità nova (Milan puis Rome, 1920-1922) et Fede ! (Rome 1923-1926, Paris puis Bruxelles 1929-1931), pour ne citer que deux périodiques parmi les plus importants, cette rubrique avait un titre, respectivement « Con la lenza » et « Serenate alla luna », il s’agit cette fois d’articles aux titres variés, par exemple « Come in Italia la stampa dice la verità » (n°1) ou « Raccolta di “Escrementi” » (n°7). Sans pouvoir affirmer que Damiani, journaliste chevronné, est à l’origine de toutes ces revues de presse, on peut rappeler que c’est un grand lecteur, comme le montre aussi sa correspondance, et qu’on retrouve dans ces colonnes tunisiennes la même ironie cinglante, qui le caractérise, et la même façon d’appuyer ses raisonnements et ses démonstrations par des informations tirées de la grande presse italienne et internationale, mais aussi de la presse locale, en français et en italien, et notamment du journal philofasciste L’Unione. Sont aussi repris, toujours à travers le même prisme ironique, des textes de journaux plus anciens comme l’Avanti !, du temps où l’organe socialiste était dirigé par un certain Benito Mussolini, qui affichait, en 1911, des opinions encore anticolonialistes.

Une autre trace de l’implication de Damiani est perceptible à travers les expressions et références qui parsèment les articles du périodique tunisien et qu’on retrouve dans ses écrits composta dalla moglie e da una cognata. Attualmente il Damiani fa il pittore cioè dipinge le tele dei cuscini per i salotti. Vivacchia. » Rapport de police du 1er décembre 1932, Archivio Centrale dello Stato, Ministero

dell’Interno, Polizia Politica, fascicoli personali, 414.

11 Voir aussi le témoignage de Nino Napolitano : « Sulle pareti da me dipinte, Gigi col pennello intrecciava fiori e

disponeva frutta e putti. » « Gigi Damiani », L’Adunata dei Refrattari, Newark, 24 avril et 1er mai 1954. Voir plus

bas quelques informations sur le passage de Nino Napolitano à Tunis.

12 Lettre de Gigi Damiani à Carlo Frigerio, 22 août 1940, fonds Frigerio au CIRA de Lausanne. On trouvera plus

de détails sur le contenu de cet échange épistolaire avec Carlo Frigerio dans Isabelle Felici, Poésie d’un rebelle,

op. cit., notamment p. 112-113.

13 Rapport de police du 29 octobre 1934, Archivio Centrale dello Stato, Ministero dell’Interno, Polizia Politica,

fascicoli personali, 414, Gigi Damiani.

14 Isabelle Felici, Les Italiens dans le mouvement anarchiste au Brésil (1890-1920), Thèse de doctorat, Université

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antérieurs à Domani... ou contemporains. Il « signe » ainsi indirectement quelques textes en utilisant des images qui lui sont familières, notamment des allusions à la Rome antique ou aux Écritures : on retrouve par exemple dans « Basta di mistificazioni » (n°4) le personnage de Cassius que Damiani utilise dans une pièce de théâtre, La palla e il galeotto15, ou encore celui du grand prêtre qui a fait

condamner Jésus, Caïphe, dans « Pace in Cristo » (n°2), utilisé également dans une poésie du recueil intitulé Sgraffi16. L’image du Christ revêtu de la chemise noire présente dans ce même article de

Domani... figurait déjà dans « Satana aiuta ! », une poésie qu’il publie dans l’Almanacco libertario pro vittime politiche de 1935, l’année même où est publié Domani...

Damiani et Casubolo côtoient d’autres anarchistes, Italiens de Tunisie ou Italiens de passage, qui constituent un petit groupe à géométrie variable, une « famille » comme Damiani aime à la définir17. Bien que tous n’aient pas été présents à Tunis lors de la publication du journal, il n’est pas

inutile, vu le peu d’informations disponibles sur cette période, d’évoquer les noms des « pochissimi e sbandati18 » anarchistes italiens de Tunis. Sont ainsi de passage, pour quelques mois à peine

puisqu’ils seront expulsés dès la fin de l’année 1932, Nino Napolitano et sa compagne Celeste Carpentieri. Nino Napolitano, déclaré comme vendeur à la pharmacie de Nunzio Valenza à Hamman Lif19, témoigne de son parcours pour arriver en Tunisie, un parcours que d’autres ont

vraisemblablement suivi, avant et après lui :

Celeste et moi avions atterri à Vienne (Isère) ; j’avais un passeport au nom de Ghiringhelli. Damiani était à Tunis où je lui ai écrit et l’ai informé de ma situation ; il s’est mis d’accord avec Nino Casubolo et m’a invité à le rejoindre en Afrique ; je me suis embarqué à Sète, sur le bateau de Casubolo.

C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés une fois encore, au milieu des bédouins et de bons camarades, parmi lesquels le vieux docteur Converti20.

Séjournent aussi à Tunis d’autres anarchistes proches de Damiani, présents au moment de la diffusion du journal : Dario Castellani21 et Gino Bibbi22, signalés par la police et ensuite expulsés. Sont

accueillies bien d’autres personnes dont les noms n’apparaissent pas forcément dans les rapports de

15 La palla e il galeotto Farsa tragica, Rome [en réalité France (Marseille ?)], 1927.

16 Simplicio, [Gigi Damiani], « Abilità commerciale », Sgraffi, Newark, L’Adunata dei Refrattari, 1946. Le recueil

contient les poésies que Damiani a composées pendant son séjour tunisien.

17 Gigi Damiani, La mia bella Anarchia, Cesena, Edizioni L’Antistato, 1953, p. 15.

18 Lettre de Damiani à Elena Melli, 24 août 1932, Archivio Centrale dello Stato, Casellario Politico Centrale,

fascicolo Elena Melli.

19 Rapport de police du 27 septembre 1932, Archivio Centrale dello Stato, Casellario Politico Centrale, Celeste

Carpentieri.

20 Nino Napolitano, « Gigi Damiani », art. cit. Voir aussi la lettre de Gigi Damiani à Errico Malatesta du 26 avril

1932 sur laquelle Nino Napolitano ajoute quelques lignes de sa main. ACS, CPC, Gigi Damiani.

21 Son nom est cité dans le numéro de Domani... du 8 septembre 1935, au moment de son expulsion. Castellani

avait été identifié dans le courant du mois de septembre comme l’indique le rapport de police du 17 août 1935. Archivio Centrale dello Stato, Casellario Politico Centrale, Giulio Barresi.

22 Bibbi est expulsé de la régence et des colonies françaises en 1933. Rapport de police des 15 septembre 1932

et 2 octobre 1933, ibidem. Il réussit à faire annuler le décret puisqu’il est à nouveau en Tunisie en 1935. Il trouve un emploi en Algérie et effectue de nombreux allers et retours entre la Tunisie, l’Algérie et le Maroc. Il s’amuse au chat et à la souris avec les services consulaires : « sarebbe bene che il contenuto di quest’appunto non fosse comunicato agli Esteri perché si correrebbe il rischio di bruciare un nostro ottimo informatore che gode la fiducia di Bibbi – ma è bene tener presente che tutto ciò che il Bibbi fa credere ai Consolati circa mutati suoi atteggiamenti verso il regime – o, comunque circa il suo abbandono della politica attiva, costituisce un’insidia e un inganno assai grossolani. » Rapport de police du 27 août 1935, Archivio Centrale dello Stato, Casellario Politico Centrale, Antonino Casubolo.

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police et dont il n’est question, dans les correspondances, qu’à mots couverts, comme dans cette lettre que Damiani envoie à Carlo Frigerio en 1934 :

L’exilé est-il de retour ? Il aurait pu rester ici clandestinement. Je suis, pour ma part, au régime des trois mois, mais j’héberge en ce moment deux camarades qui sont en Tunisie depuis deux ans, sans papiers ; l’un d’eux a même été refoulé23.

Le phénomène s’amplifie à l’approche du conflit mondial et l’accueil des personnes qui s’exilent pour des raisons politiques est de plus en plus problématique :

Parmi ceux qui viennent d’arriver, deux autres personnes sont recherchées et nous ne savons plus où donner de la tête face à cet excès – compréhensible – d’émigrants qui nous viennent de France. Il n’y a pas de possibilité de régulariser leur situation, la ville est petite et il est difficile de ne pas se faire remarquer, dans l’arrière-pays c’est encore pire24.

Un dépouillement systématique des documents d’archives concernant la Tunisie, à notre connaissance encore non effectué, pourra donner plus de consistance au groupe anarchiste italo-tunisien des années 1930, moins étudié que celui de la fin du XIXe. Sans doute le brassage qui

caractérise cette période explique-t-il la difficulté à saisir cet objet d’étude et ce moment d’histoire. À cette difficulté s’ajoutent l’émergence d’autres forces politiques et le fait que dans leurs activités antifascistes, les anarchistes s’associent à des militants d’autres courants politiques. C’est le cas de

Domani..., justement, qui ouvre ses colonnes à la LIDU de Tunis, créée en 1930 sous l’impulsion d’un

autre anarchiste, et franc-maçon, italien natif de Tunisie, Giulio Barresi25. Selon les informations qui

parviennent au consulat italien, le militant communiste Loris Gallico joue lui aussi un rôle important au sein de la rédaction de Domani... : « diplômé en droit, c’est un collaborateur particulièrement précieux de par sa culture et à cause du poison antifasciste qui l’anime. Gallico est en outre en excellents termes avec l’anarchiste Bibbi Gino. »26

Quelques noms apparaissent encore dans le journal, à la dernière page, pour moitié consacrée aux réclames, habituellement bannies des journaux anarchistes. Au fil des sept numéros parus, on retrouve les mêmes entrefilets commerciaux vantant les mérites d’un « tailleur turinois », G[iovanni] Salerno, d’un horloger-bijoutier A[chille] Longhi, de la savonnerie Ecler, propriété de Nino Casubolo, dont Damiani utilise parfois l’adresse pour sa correspondance, d’un marbrier-miroitier, G[regorio] Oreto. Seul le numéro 2 propose aussi les services d’un ébéniste, V. Bongiorno. On trouve encore les adresses d’un commerçant en thon, Camilleri, en machines agricoles et industrielles, Slama, d’un exportateur de fruits et légumes, sans oublier l’imprimeur Maury et le café Triomphe sur l’Avenue Jules Ferry.

23 Lettre de Gigi Damiani à Carlo Frigerio, Tunis, 3 mars 1934, CIRA Lausanne. 24 Lettre de Gigi Damiani à Carlo Frigerio, Tunis, 26 mai 1939, CIRA Lausanne.

25 Voir la notice de Giulio Barresi, élaborée par Natale Musarra, dans le Dizionario Biografico degli Anarchici

Italiani, Pise, BFS, 2003-2005, en ligne sur ce lien

http://bfscollezionidigitali.org/index.php/Detail/Object/Show/object_id/264 (consulté le 3 janvier 2016). À ce moment, la LIDU n’avait plus d’organe de presse. Voir Juliette Bessis, op. cit., p. 77 et le chapitre sur la presse antifasciste dans Michele Brondino, op. cit., p. 145 et suivantes. C’est seulement à partir de 1936 que paraît

L’italiano di Tunisi, organo della Lega italiana dei diritti dell’uomo. Sur les premières années de la LIDU de

Tunis, voir aussi Leila El-Houssi, « Voci del dissenso tra gli italiani di Tunisia : la sezione tunisina della LIDU (1930-1934), Annali della Fondazione Ugo La Malfa, Volume XXII, 2007, p. 277-294.

26 Rapport du consul Bombieri du 24 septembre 1935, Archivio Centrale dello Stato, Casellario Politico Centrale,

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Encarts publicitaires présents dans les sept numéros de Domani..., août-septembre 1935.

La plupart de ces noms figurent aussi dans les rapports de police que ne manquent pas de susciter les réunions qui se déroulent tantôt chez Damiani, tantôt chez Giovanni Puggioni ou encore dans les locaux de la savonnerie d’Antonino Casubolo ou de la marbrerie de Gregorio Oreto. En l’absence de dépouillement exhaustif, nous nous contentons de citer ici les noms des présents le 23 juin 1935, lorsqu’il a été question de la position des « anarchistes de Tunis en cas de conflit italo-abyssin » : Vincenzo Mazzone, Giovanni Puggioni, Filippo Politi, Giuseppe Burgio, Giulio Cesare Barresi, Carmelo Navarra, Giovanni Salerno, Achille Longhi et Luigi Damiani27.

27 Rapport de police du 9 juillet 1935, Archivio Centrale dello Stato, Casellario Politico Centrale, voir chaque

dossier nominatif. Voir aussi la notice dans le Dizionario biograficodegli anarchici italiani, op. cit., pour Mazzone, Puggioni, Burgio ainsi, bien sûr, que Barresi et Damiani.

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Aux réunions participe aussi souvent Nicolò Converti, médecin et anarchiste italien installé à Tunis depuis 188728, dont le nom figure en toutes lettres dans Domani... Un entrefilet du numéro 3

rapporte en effet la nouvelle du décès de Metello Evangelista, internationaliste de la première heure et compagnon de Converti en Tunisie. C’est ce dernier qui prononce l’oraison funèbre sur la tombe de son camarade et qui, au nom de la « famille » anarchiste, témoigne de sa solidarité à la veuve et aux enfants.

On le voit, les éléments anarchistes autour de Domani... sont très nombreux et bien que le périodique ne contiennent pas d’articles théoriques qui caractérisent souvent les journaux anarchistes, sur l’État par exemple (sauf pour citer la définition qu’en donne Benito Mussolini en 1923 « Lo Stato » n°4), quelques derniers éléments viennent encore témoigner de la forte orientation anarchiste du périodique : sont repris, et le choix n’est pas anodin, deux poésies de Pietro Gori, « Adua » (n°3) et « Alla Sicilia » (n°7), et deux textes de Luigi Fabbri auquel le journal rend hommage à l’occasion de sa mort en exil à Montevideo, survenue quelques semaines plus tôt : « Il problema del lavoro libero » (n°4-6) et « Sentimento patrio » (n°5). Pour le reste, le journal est entièrement voué à dénoncer les menées colonialistes italiennes en Éthiopie, une guerre dont les opérations militaires débuteront en octobre 1935, alors que le journal aura déjà cessé de paraître. Antifascisme anticolonial

Dans la logique de la réunion du 23 juin 1935, sans doute suivie d’autres rencontres préparatoires non rapportées par l’informateur de police, le journal a deux thèmes privilégiés, souvent associés : la lutte contre la guerre imminente et la lutte contre le régime en place en Italie. Lorsqu’ils ne sont pas liés à la question de la guerre coloniale, les articles sur le fascisme sont de trois types. Certains visent à la désacralisation du personnage de Mussolini et, partant, à la chute du régime. Comme pour d’autres anarchistes, Camillo Berneri par exemple, l’anti-mussolinisme était, depuis les premières heures du fascisme, le cheval de bataille de Damiani. En plus des textes théoriques, il multiplie les poésies, les pièces de théâtre qui prennent pour cible le duce29. Dans

Domani... on peut lire de nombreux textes dans cette veine, par exemple « Mussolini tra i...

lavoratori » (n°6), où sont dévoilées les coulisses de la propagande fasciste : l’authenticité des photographies représentant le Président du Conseil italien au milieu d’ouvriers et de paysans est mise en doute et on raconte qu’un moissonneur de Sabauda aurait répondu à Mussolini qui le complimentait sur sa force de travail et lui demandait ce qu’il pouvait faire pour lui : « Excellence, j’aimerais être promu brigadier ».

Mais le ton n’est pas toujours à la plaisanterie. Une autre façon d’ébranler la confiance dans le régime et dans l’homme qui est à sa tête est de transmettre des nouvelles d’Italie, en particulier de Sicile. Plusieurs articles évoquent la situation sociale dans l’île d’où sont originaires de nombreux Italiens de Tunis, par exemple à travers les témoignages des Italo-tunisiens qui se sont rendus à Trapani à l’occasion des fêtes du 15 août, les madonnari, qu’on ne peut accuser d’adopter des positions extrémistes : « dans les familles qui ont reçu la visite de parents tunisiens, on a compté de nombreux cas d’indigestion car les estomacs s’étaient habitués à jeûner » (n°3). On décrit aussi, cette

28 Il existe une riche bibliographie sur Converti. Voir la liste d’ouvrages cités par Michele Brondino, op. cit., p. 75

note 10, à laquelle s’ajoute la biographie de Gigi Damiani, Attorno ad una vita (Niccolò Converti), Newark, éditions de L’Adunata dei Refrattari, 1940.

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fois sous la plume « d’une dame qui a habité longtemps à Tunis », comment s’installe l’espionnage fasciste en famille (« L’italiano di Mussolini », n°5), à travers les questions insistantes des enfants notamment. En mettant la Sicile au premier plan, comme encore avec la poésie de Pietro Gori, on veut rendre le journal plus accessible et attrayant pour les Italiens de Tunisie, majoritairement siciliens. Dans le même but, on aborde des sujets qui interpellent directement la communauté italienne, par exemple la question du change (voir dès le premier numéro, en première page, « L’imbroglio del cambio »).

Le troisième mode sur lequel varie l’antifascisme de Domani... est celui du « sentiment patriotique » de la communauté italienne de Tunis : il s’agit de mener une lutte d’influences avec les représentants locaux de l’État italien et ses sympathisants. Au fur et à mesure que paraissent les numéros du journal, cet aspect prend de plus en plus d’ampleur et atteint son apogée dans le dernier numéro qui titre à la Une : « I futuri civilizzatori dell’Etiopia danno, sull’avenue Jules Ferry, una prova della loro civiltà ». Les rédacteurs du journal tirent alors leurs dernières cartouches, conscients que le journal est sur le point d’être interdit : ils rapportent en effet, en lettres capitales, que les « hiérarques fascistes assurent, dans tous les lieux publics, qu’au consulat ils sont sûrs d’obtenir du résident général l’interdiction de [leur] périodique et même quelque chose de plus car après tout ce sont eux qui commandent et la France, ils la tiennent dans leur poing ! » (« Da un mancato assassinio... ad un promesso assassinio », n°7). Ce thème du « sentiment patriotique » est, nous le verrons, à l’origine des polémiques qui conduisent à l’interdiction du journal. Il est aussi le principal objet de l’opposition entre fascistes et antifascistes, qui, dans l’actualité d’août et septembre 1935, passe par la question des menées coloniales italiennes.

Une bonne partie des huit pages qui constituent chaque numéro de Domani... est remplie de nouvelles défaitistes. On rapporte des désertions en nombre dans les rangs de l’armée italienne, de la Sicile (n°7) au Haut-Adige (n°5), on souligne la pauvreté de son armement et de son équipage, les maladies et infections qui frappent les soldats ainsi que la mauvaise qualité de leur nourriture (« Quelli che disertano » n°1). On insiste sur les erreurs diplomatiques (« Chi ha mentito ? » n°4) et les pratiques d’un autre âge : auraient été ramenés d’Éthiopie des prisonniers dont on soupçonne qu’il s’agit de chefs de tribus pris en otages pour garantir la fidélité de leurs tribus (« Prigionieri misteriosi » n°1). On se délecte à rapporter les accidents aéronautiques, l’aviation étant le fleuron de l’armée italienne et, par là même, de la propagande (« Una catastrofe sulla via aerea Roma Asmarra » n°2). Dans un autre registre, on rappelle que l’Éthiopie n’est pas le paradis sur terre qu’on promet aux futurs colons (« Informazioni fasciste sull’eldorado etiopico » n°5) et que les « sauvages » ne sont pas forcément ceux qu’on croit (« Documenti irrefutabili n°5, « Parla il barbaro » n°4). Le journal rend également compte des manifestations et protestations qui émanent des sociétés civiles de nombreux pays (Pays-Bas, France, Allemagne, Belgique, Royaume Uni) face à la guerre qui se prépare (citons une manifestation de la part des dockers du port de Marseille rapportée dans « Inizi di boicottaggio ? », n°4, et une autre dans le port d’Anvers, n°6), mais on égratigne au passage la Russie qui s’est mise sur les rangs pour vendre son blé à l’armée italienne en Éthiopie.

Le but est de lutter contre la voix unique transmise par la presse italienne sur la question éthiopienne, selon la logique qui veut que si les masses non politisées sont favorables à la guerre et au régime, c’est à cause du matraquage médiatique qu’elles subissent. Il faut donc tenter, par tous

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les moyens, et surtout, nous l’avons vu, en utilisant les informations rapportées par la « grande presse », de rendre les propos du régime moins crédibles.

Un texte synthétise à peu près toutes ces approches, sur un ton faussement fantaisiste : « Interviste. Parla Niam-Bou » (n°1). Ce dialogue met en scène « un noir qui devait aller jouer le rôle du sauvage dans une foire à Bruxelles » et qui, en chemin, a eu maille à partir avec un Italien de Tunis, « un de ceux qui ne partent pas » faire la guerre mais « qui encouragent les autres à partir », sans doute parce qu’il a dans les veines « quelques gouttes du sang de la cuisinière de Scipion l’Africain » : le ton est donné ! Le dialogue rapporté se tient entre ce noir, Niam-Bou, « bien au fait des choses africaines, aux idées originales et doté d’une bonne culture » grâce à laquelle il a su mettre en déroute un fasciste farouche défenseur de la guerre coloniale, et un journaliste qui s’en tient, ou fait mine de s’en tenir, aux « vérités » diffusées par le régime. Non sans égratigner au passage la religion – Niam-Bou est devenu chrétien américain, puis chrétien anglais, catholique français, mais a aussi sa propre religion qui consiste, selon la définition qu’il en donne, à payer des prêtres pour se protéger des dieux de la forêt –, le dialogue fait ressortir les absurdités de la propagande en faveur de la guerre « civilisatrice » et l’injustice de cette guerre colonisatrice :

[JOURNALISTE] : – On fait toujours la guerre pour de nobles raisons : par exemple pour défendre sa patrie.

[NIAM-BOU] : – Alors Abyssins être très nobles ?

[JOURNALISTE] : – Ne parle pas des Abyssins qui sont un peuple arriéré. On fait aussi la guerre pour apporter la civilisation aux peuples barbares. [...]

[JOURNALISTE] : – Ce n’est pas la civilisation qui veut la guerre : ce sont les barbares qui repoussent la civilisation qui la rendent nécessaire. [...]

[JOURNALISTE] : – Il faut accepter de recevoir l’enseignement des blancs, d’être dirigés par eux, qui savent plus de choses. Il faut les laisser cultiver les terres incultes, exploiter les richesses du sous-sol, creuser des canaux, ouvrir des routes, construire des maisons... [...]

[NIAM-BOU] : – Alors Abyssins devoir travailler pour vous ? [...]

[JOURNALISTE] : – La question doit être posée en des termes adéquats. L’Italie a beaucoup d’habitants et peu de terres. L’Abyssinie a beaucoup de terres et peu d’habitants. Terre africaine riche, les mines. Italie pauvre, toi comprendre ?

[NIAM-BOU] : – Je comprends

[JOURNALISTE] : – Alors les Italiens ne demandent rien d’autre que de peupler l’Abyssinie et d’exploiter ses mines.

[NIAM-BOU] : – Rien d’autre ?

[JOURNALISTE] : – Naturellement puisqu’ils sont un peuple plus civilisé que le peuple éthiopien, ils veulent diriger les travaux eux-mêmes…

Au fil du dialogue, Niam-Bou se laisse convaincre et accepte de partir comme volontaire dans l’armée italienne, jusqu’au moment où il comprend ce qui se cache derrière le mot « civilisation » :

[NIAM-BOU] : – Que dire toi si Abyssins vouloir prendre Italie ? Toi défendre Italie ?

[JOURNALISTE] : – Tu raisonnes en vrai primitif. Et en effet le contact avec la civilisation ne t’a pas dégrossi le moins du monde.

[NIAM-BOU] : – Moi bien connaître civilisation. Connaître aussi ses lois. Première fois moi dans pays des blancs, voler, boutique, dix bananes. Police fait prisonnier. Commissaire alors expliquer moi lois pays civilisés. Interdit prendre choses possédées par les autres. Propriété sacrée, inviolable.

[JOURNALISTE] : – Mais c’est autre chose.

[NIAM-BOU] : – Seule propriété blancs sacrée ? Alors civilisation chose très drôle... Et Niam-Bou s’en est allé en sifflotant.

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Le courageux Niam-Bou, qui mange des bananes et parle à peu près la même langue que les Africains dans Tintin au Congo (traces d’un racisme primaire ou degré supplémentaire dans l’ironie ?), était à deux doigts de s’enrôler, contrairement à de nombreux Italiens, fauteurs de guerre mais pusillanimes, comme ne manque pas de le souligner régulièrement Domani... en évoquant le faible taux d’enrôlement de la part des Italiens de Tunis. C’est encore le cas dans le numéro 3, où l’article intitulé « La mobilitazione italiana in Tunisi ») a dû provoquer plus que des égratignures. Usant et abusant de l’antiphrase, Domani... se refuse d’être considéré comme un instrument de démobilisation pour les Italiens de Tunisie et propose de s’associer à la presse fasciste locale,

L’Unione, jusque-là muette sur le sujet, pour lancer une grande campagne de mobilisation. Quant au

succès de cette campagne, rien n’est moins sûr, comme le montre un extrait du même article : Nous savons bien que Tunis compte, parmi les Italiens, plusieurs milliers d’admirateurs enthousiastes de Mussolini et de cette aventure africaine qu’il a désirée. Les bancs de l’Avenue Jules Ferry, les cafés, les tavernes, les ruelles de la Petite Sicile et de la Petite Calabre, les tas de sable sur le port et même les urinoirs publics sont quotidiennement envahis par une foule de fervents patriotes, de fauteurs de guerre convaincus, d’anti-éthiopiens féroces et d’anti-britanniques prêts à tout.

Figurent en nombre parmi eux d’insignes stratèges, de très rusés diplomates et des condottieri capables, avec dix hommes et un caporal, de descendre sur Addis Abeba en une marche forcée de vingt-quatre heures pour y faire régner l’ordre.

Autant de gens qui se précipitent sur le port pour assister au départ de ceux qui partent... mais qui ne partent pas ; qui sont bien décidés à ne pas partir, non pas parce qu’ils lisent Domani... mais parce qu’ils lisent L’Unione.

En même temps que monte l’ironie du côté antifasciste, l’exaspération augmente dans le camp adverse, qui finit par obtenir l’interdiction du journal.

La fin d’une « menace »

Malgré son tirage sûrement modeste, Domani... parvient à se faire remarquer au sein de la communauté italienne de Tunis et même en dehors, dès la parution du premier numéro qui fait l’effet d’une bombe. Selon les documents de police :

Le journal est plus répugnant, plus vil et plus ignoble que tout ce que l’on peut imaginer : c’est un recueil des calomnies les plus basses et les plus honteuses qui ont été inventées à l’étranger contre l’Italie Fasciste et contre l’Armée Italienne. Le Négus lui-même n’aurait pas pu faire imprimer des propos plus vils30.

La publication du journal était attendue, selon un entrefilet du premier numéro, malgré l’espoir de « certains milieux de la colonie d’avoir fait taire toute opposition », une allusion à la campagne de « fascistisation » de la communauté italienne de Tunis menées par les autorités consulaires. Son impact s’amplifie encore par le fait que quelques centaines d’exemplaires sont envoyés chaque semaine « à titre de propagande », à des personnes qu’on choisit avec soin, non sans souci de provocation (« Per evitare ricerche inutile... e furti... diplomatici » n°4). Filippo Politi, Vincenzo Mazzone et Dario Castellani s’investissent tout particulièrement dans cette distribution gratuite de Domani...31, une stratégie que Damiani avait déjà utilisée pour le journal qu’il a publié à

son arrivée à Marseille (fin 1926), Non molliamo !, en faisant croire qu’il était publié à Rome.

30 Rapport de police du 27 août 1935, cit. 31 Rapport du 24 septembre 1935, cit.

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Le journal étant anonyme, les bruits les plus divers circulent :

Qui sont nos collaborateurs ? où trouvons-nous une documentation aussi impressionnante ? Les hypothèses ne manquent pas. On a déjà prononcé le nom de quatre médecins, de trois pharmaciens, de deux professeurs, d’un avocat, d’un ex-proviseur de lycée et même d’un directeur d’école aujourd’hui à la retraite, et ce n’est pas fini...

En dehors du fait qu’il est particulièrement flatteur de nous voir attribuer tous ces diplômes universitaires, il faut bien en convenir, même si cela doit blesser notre modestie : notre journal est vraiment bien écrit. (n°7)

Toujours sur un ton moqueur, en réaction à ces mêmes rumeurs qui circulent, Domani... publie des textes de grands auteurs italiens, Giuseppe Giusti, Vincenzo Monti, Dante Alighieri, Guichardin et Ugo Foscolo (n°3), bien ciblés sur la liberté, la tyrannie, l’exil... de manière à faire le lien avec la situation actuelle. Là encore le procédé n’est pas nouveau : la revue que Malatesta parvient à publier jusqu’en 1926, Pensiero e volontà, adopte une démarche identique dans son numéro du 16 janvier 1926, avec des textes des mêmes Dante, Guichardin, Foscolo, Giusti (et la même poésie « I grilli ») auxquels s’ajoutent Giacomo Leopardi, Léonard de Vinci, Giuseppe Parini, Francesco Dall’Ongaro, Giosuè Carducci, Goffredo Mameli. Dans Domani..., chaque extrait est complété d’un commentaire qui insiste lourdement sur les dates de naissance et de mort des auteurs. Ainsi pour Dante (« Un fuoruscito ostinato ») précise-t-on qu’il est improbable qu’il fasse partie de la rédaction de Domani... mais que « l’OVRA ne devrait pas abandonner cette piste qui généreusement lui est indiquée ».

L’informateur de la police fasciste met tout de même plus d’un mois à découvrir l’identité des véritables rédacteurs du journal et cite « Damiani Luigi, le Dr Converti Nicolantonio et Gallico Loris »32. Notons que la participation de ce dernier, militant communiste, n’empêche pas que la ligne

politique du journal soit très critique envers l’Union soviétique et le parti communiste, comme l’indiquent clairement des articles comme « Alta politica sovietica » (n°4), « La censura in Russia » (n°5), le commentaire de la rédaction au texte « Una dichiarazione comune dell’antifascismo contro la guerra » (n°6) ou encore « Il diversivo comunista » (n°7) :

Au journal L’Unione et au consulat, ils savent bien que nous ne sommes pas communistes; ils savent bien que nous sommes des ennemis irréductibles de toutes les dictatures, y compris de la dictature bolchévique, et nous pensons qu’ils sont suffisamment intelligents pour se rendre compte par eux-mêmes que les communistes ont bien peu de sympathie à notre égard.

Une lettre de Nino Casubolo datant de 1937, interceptée par la police, est aussi une bonne synthèse des enjeux du mouvement antifasciste à Tunis, selon le point de vue des anarchistes33.

Casubolo et Giulio Barresi rédigent probablement eux aussi des articles pour Domani... En effet, tous deux étaient déjà impliqués dans d’autres publications antifascistes, notamment La voce nuova (1930-1933)34, l’organe de la LIDU, qui avait fait l’objet d’une polémique dont les retombées se font

ressentir dans Domani... Des jeux de mots sur le nom de l’ancien directeur de La voce nuova Vincenzo Serio laissent entendre que celui-ci serait passé dans le camp fasciste et tenterait de régler ses comptes avec l’antifascisme tunisien à travers les colonnes de L’Unione. C’est ce que laissent

32 Rapport du 24 septembre 1935, cit.

33 Cette lettre, datée du 27 août 1937, figure dans le dossier de police d’Antonino Casubolo, Archivio Centrale

dello Stato, Casellario Politico Centrale. Voir la reproduction du texte de cette lettre à la fin du chapitre.

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supposer plusieurs articles, « Carte in tavola » (n°1), « Dal serio al faceto » (n°4), « Replica ad un giornale “serio” e che nustrisce gente seria » et « Perché sorse Domani... ? » (n°7).

C’est avec ce même type de jeux de mots qu’on réplique à un agresseur qui s’est emparé d’une quinzaine d’exemplaires de Domani... et qui, dès la parution du premier numéro, s’en est pris à un vendeur de journaux : « Seul et impavide, d’une voix caverneuse, il a interdit à l’Arabe qui vend les journaux dans le hall d’un de ses “colisées” d’exposer et de vendre Domani... sous peine d’évacuer son kiosque ». L’individu est suffisamment connu à Tunis, comme sans doute le lieu où il exerce son commerce, pour que le journal rapporte l’incident en ne le désignant qu’à demi-mot : « un certo cavaliere dal nome canino », son patronyme comportant vraisemblablement les syllabes « cane » ou « cani », ou quoique ce soit qui évoque un chien. Le journal revient sur l’incident à plusieurs reprises (voir en dernière page, à partir du numéro 2), toujours à grand renfort de plaisanteries « canines ».

On le voit aussi bien dans le cas de Vincenzo Serio que de cet individu « canin », les cibles des antifascistes se personnifient et sont également visés directement, dans tous les numéros, l’organe des fascistes de Tunis, L’Unione, l’OVRA locale, le consulat, en d’autres termes « les maillons solidaires d’une même chaine qui n’autorise aucune initiative propre » (« Diffamazioni e apologia dell’Unione » n°7). Tous ces éléments fonctionnent effectivement de concert quand il s’agit de s’opposer aux antifascistes, comme ce matin du dimanche 22 septembre 1935, sur l’avenue Jules Ferry, à l’angle de l’Avenue de Carthage, quand l’exaspération du côté fasciste face à l’ironie, à la dérision, au défaitisme de Domani... prend une tournure nettement plus musclée : alors qu’un vendeur de journaux arabe, peut-être toujours le même, est pris à parti par un groupe de « patriotes » italiens, intervient Vincenzo Mazzone, aussitôt nouvel objet de l’« attention » du groupe. Le déroulement des faits est très différent selon qu’on lit le témoignage de Vincenzo Mazzone paru dans le dernier numéro de Domani... ou le rapport du consul Bombieri35, lui-même

différent, selon le consul lui-même, de la version rapportée par la police. Selon Bombieri, le jeune vendeur de journaux a simplement été « invité à s’en aller » par le groupe impliqué dans la bagarre et c’est Mazzone qui a provoqué la rixe par son attitude provocatrice et insultante, en tenant des « propos outrageants envers le Parti ». S’il a bien été invité à se rendre dans la rue du Caire, toute proche, ne s’y est déroulé selon lui qu’une « sorte de duel rustique entre lui et le jeune Pino Savelli, joueur de ballon de l’équipe Italia ». Dans la version de Domani..., l’invitation à se rendre dans la rue du Caire cachait une embuscade car si Mazzone reconnaît avoir commis l’imprudence d’y suivre un de ses agresseurs, c’est par plus de vingt personnes qu’il a été frappé, à l’intérieur d’un immeuble où on l’avait entraîné (« Una lettera dell’aggredito » n°7).

Quels qu’en soient les détails, il est certain que ce désordre survenu en public donne l’occasion au représentant du Consulat italien de se rendre chez le commissaire et de l’entretenir du sort de

Domani... Dans le même rapport, le consul rend compte des propos tenus par ce représentant :

Il lui a exposé le danger que pouvait représenter, selon le Consulat, le journal antifasciste. Il lui a rapporté que le Consulat Général n’avait pas cru opportun ni nécessaire de donner du poids à l’incident, de même qu’il n’avait pas cru bon de donner de l’importance à des publications qui n’en ont pas. Mais il a par ailleurs affirmé que d’autres incidents ne manqueraient pas de se produire dans l’avenir, peut-être plus graves, qu’il déclinait toute responsabilité et qu’il trouvait d’ailleurs inadmissible qu’un citoyen français publie un journal en langue italienne uniquement par hostilité envers l’Italie, dans un pays sous protectorat français.

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Il semble que cet argument de l’« identité nationale », pour employer un terme à la mode, qui vient masquer, alors comme aujourd’hui, le vrai débat qui est politique et certainement pas « identitaire », soit déterminant pour les autorités du protectorat qui n’ont rien à refuser aux représentants du régime. Le commissaire aurait en effet assuré à l’émissaire du Consulat Général que le journal serait interdit au moindre incident. Simple coïncidence ? Domani... cesse de paraître quelques jours plus tard, sans doute lors du retour du Résident Général Peyrouton, en déplacement à Paris au moment des faits. En rendant compte de ces « incidents », qui auraient selon lui un caractère spontané, Bombieri tient à rassurer ses supérieurs à Rome et à l’Ambassade à Paris sur les sentiments patriotiques et fascistes de la colonie italienne de Tunis et sur le caractère spontané de la bagarre et des manifestations qui ont suivi :

Il faut noter que l’incident a donné lieu à une manifestation tout aussi spontanée qu’éclatante en faveur de l’Italie et du Duce : la foule italienne, qui avait rapidement grossi dans la rue du Caire et sur l’Avenue, a crié son exaspération envers ces rares mais actifs représentants de l’antifascisme. [...]

En conclusion, l’incident a montré une fois encore que le sentiment patriotique n’est pas un vain mot pour cette vieille communauté italienne, toujours prête, quand l’occasion se présente, à réaffirmer dans un irrésistible élan de sincérité son indéfectible fidélité à la Patrie36.

Les rédacteurs de Domani..., qui s’attendaient à une interdiction dès les premiers numéros, profitent de cette dernière occasion pour « tirer les manettes à fond ». Ils revendiquent cette fois presque ouvertement une étiquette anarchiste : « on nous accuse d’être de tendance anarchiste, accusation qui nous honore et que nous ne réfutons pas » (« Il diversivo comunista » n°7).

La fin de la publication de Domani... ne marque pas la fin des activités antifascistes, auxquelles les anarchistes prennent régulièrement part. Dans une lettre de novembre 1935 que Damiani écrit à Camillo Berneri, alors à Paris, les idées regorgent pour de possibles actions à mener à Tunis. Certes les moyens sont très faibles et on ne peut pas même compter, semble-t-il, sur l’aide des imprimeurs : Si vous avez pris des décisions pouvant être mises en pratique et pour lesquelles notre concours peut être utile, ou si vous avez pris des décisions que vous pourriez nous conseiller, écris-moi quelques lignes.

S’il existait des imprimés qui s’adressent aux soldats qui se trouvent déjà en Afrique, ils nous seraient utiles. Nous les introduirions dans le fourrage qui part d’ici directement pour Massaoua. De plus, nous sommes en mesure de glisser des imprimés dans les colis de marchandises à destination de l’Italie, mais nous n’avons pas la possibilité de les faire imprimer ici37.

Damiani est aussi aux premières loges lors des événements au cinéma Midi-Minuit, en 1937, autour de la projection des actualités de l’institut Luce38, interdites puis à nouveau autorisées par les

autorités du protectorat français, qui semblent pencher, une fois de plus, vers les autorités consulaires italiennes plutôt que vers les antifascistes. Des réunions antifascistes continuent à se dérouler chez Damiani pendant la guerre, « à la barbe de la police et au mépris des sanctions pénales prononcées encore tout récemment par les tribunaux militaires », comme en témoigne un rapport de police du 25 février 1942 qui fait aussi mention d’un journal et de tracts « incitant à la révolte39 ».

36 Ibidem.

37 Lettre de Gigi Damiani à Camillo Berneri, [Tunis] 6 novembre [1935], Camillo Berneri, Epistolario inedito, op.

cit., p. 78.

38 Pour plus de détails, voir Isabelle Felici, op. cit., p. 109.

39 Rapport de police du 25 février 1942, Archivio Centrale dello Stato, Casellario Politico Centrale, Achille

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D’après les quelques numéros que nous avons pu consulter de L’Italiano di Tunisi, l’organe de la LIDU de Tunis dont les publications reprennent en 1936, la touche des anarchistes ne semble en revanche plus être présente dans la presse antifasciste. Beaucoup ont été contraints à l’exil, les plus jeunes sont partis en Espagne ; quant à Damiani, on peut voir qu’il investit tous ses efforts pour lutter contre les privations et les difficultés de l’existence, de plus en plus grandes à l’approche du conflit mondial40, et qu’il collabore plutôt avec la presse anarchiste italienne à l’étranger, celle qui paraît

encore, notamment en Suisse et aux États-Unis.

Au terme de cette lecture, Domani... nous semble constituer une exception dans le panorama journalistique et politique de Tunis. Majoritairement anarchiste, sans en afficher l’étiquette, sa position anticoloniale est surtout une arme contre le fascisme. Le statut précaire de ses collaborateurs explique que le journal soit « prudent » à l’égard des autorités locales, clairement engagées du côté du pouvoir en place en Italie. En mai 1940, le changement d’attitude des autorités françaises qui, d’une position très tolérante à l’égard de la propagande fasciste, passe à une politique répressive, due aussi à la propagande menée par Mussolini et son ministre des Affaires étrangères pour une annexion à l’Italie de Nice, Corse et Tunisie, fait dire à Damiani :

Ici les autorités ont découvert que les fascistes locaux représentaient un danger. Et ils ont découvert des choses que nous dénoncions depuis deux ans : espionnage, organisations, armes. Si au lieu d’interdire les journaux anarchistes, ou même en les interdisant, ils les lisaient d’abord !41

Isabelle Felici Résumé : Lorsqu’on évoque le mouvement anarchiste italien et ses manifestations en Tunisie, on pense aussitôt au Dr Nicolantonio (Nicolò) Converti (1855-1939) autour duquel existe une bibliographie fournie. On a beaucoup moins écrit sur le petit groupe actif à Tunis dans les années trente du XXe siècle, qui est à l’origine d’une publication intitulée Domani... Rassegna libera di idee,

uomini e cose. De ce périodique, qui ne s’auto-définit pas « anarchiste » et n’est d’ailleurs pas

recensé dans les bibliographies de périodiques anarchistes de langue italienne, ne paraissent, en 1935, que sept numéros qui réussissent cependant, aux dires des rédacteurs eux-mêmes, à « faire perdre le sommeil à une infinité de braves (?) gens, en particulier à ces messieurs de l’O.V.R.A. locale ».

En croisant divers documents, rapports de police, correspondances privées, articles d’autres journaux, etc., et en analysant le contenu du périodique lui-même, qui, paraissant au moment où l’Italie prépare une nouvelle offensive coloniale, fait de l’anticolonialisme son cheval de bataille, il est possible de mettre des noms au bas des articles publiés anonymement dans les colonnes de

Domani... Il est alors possible de reconstituer quelques pages de l’anarchisme italien en Tunisie et se

pencher sur les formes d’action antifascistes et anticolonialistes élaborées par ce petit groupe, ainsi que sur les heurts qui les ont opposés à d’autres composantes de la colonie italienne de Tunis.

Domani..., Tunisi 1935, un periodico antifascista et anticolonialista su iniziativa degli anarchici

italiani di Tunisia

Riassunto : Quando si evoca il movimento anarchico italiano e le sue attività in Tunisia, si pensa in primo luogo a Nicolantonio (Nicolò) Converti (1855-1939) sul quale esiste una ricca bibliografia.

40 Voir sa correspondance avec Carlo Frigerio conservée au CIRA de Lausanne. 41 Lettre de Gigi Damiani à Carlo Frigerio du 28 mai 1940, CIRA Lausanne.

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Meno conosciuto è il gruppo attivo a Tunisi negli anni 1930, il quale ha fondato un periodico:

Domani... Rassegna libera di idee, uomini e cose. Di questo giornale, che non si autodefinisce

anarchico e non appare nelle bibliografie dei periodici anarchici di lingua italiana, vengono pubblicati, nell’agosto e settembre 1935, soltanto sette numeri che riescono, secondo i redattori, a far «perdere i sonni tranquilli a un’infinità di brave (?) persone; specialmente a quei signori de l’O.V.R.A. locale». Confrontando vari documenti – rapporti di polizia, corrispondenza privata, articoli d’altre pubblicazioni, ecc. – e analizzando il contenuto del periodico stesso, il quale, nel contesto della nuova offensiva coloniale che l’Italia sta preparando, fa dell’anticolonialismo il suo cavallo di battaglia, è possibile mettere dei nomi in fondo agli articoli anonimi pubblicati nelle colonne del Domani... Si possono così ricostruire alcuni momenti dell’anarchismo italiano in Tunisia, e confrontarsi con le forme d’azione antifascista e anticolonialista elaborate da questo gruppo che si oppone, in varie occasioni, ad altre componenti della comunità italiana di Tunisi.

Isabelle Felici Reproduction de la copie d’une lettre d’Antonino Casubolo, Archivio Centrale dello Stato, Casellario Politico Centrale, busta 1176, Antonino Casubolo. Les destinataires ne sont pas indiqués.

(Al “200”) Cari Amici,

Vi avevo promesso, appena rientrato a Tunisi, di scrivervi qualche cosa del movimento politico che le masse proletarie sostengono contro l’odioso sfruttamento dei padroni, ed a favore della libertà sociale. Mi accingo quindi a dare effetto a questo mio impegno, sperando in seguito continuare le mie impressioni di ordine politico-economico,su quanto succede in Tunisia. Innanzi tutto è bene precisare le aspirazioni che i diversi partiti di sinistrana manifestatno in codesto confusionismo partitario, nel quale personalmente non ho nulla a che vedere, essendo le mie idee non solo onctrarie, ma diametralmente in opposizione. Ho voluto ciò premettere affinché quei [sic] amici che potrebbero leggermi non confondessero le mie alle idee di costoro che in Tunisia, come dapertutto, fanno il giuoco immondo delle combinzioni dettate dai dirigenti di marca.

Principalmente il movimento è capeggiato dal partito comunista e sostenuto dagli elementi socialisti che solidarizzano nello spirito e nella lettera con la politica del fronte popolare.

A disposizione loro, per la propaganda, hanno parecchi giornali. Il primo “Tunis socialiste” quotidiano in lingua francese, il quale si può classificare il portavoce della politica governamentale blumista. Sfiatato sostenitore dell’ordine repubblicano caldeggia le sole conquiste elettorali. Dietro a questo “L’Avenir Social” organo del partito comunista, improntato a direttive stalinista e fatto per difendere i salari operai in virtù ed ossequio alle famose leggi Matignon. In ultimo “L’Italiano di Tunisi” settimanale della LIDU, del quale non bisgona mettere in dubbio il patriottismo italiano, quantunque i suoi compilatori siano apertamente comunisti, serviti da democratici e qualche amico degli anarchici (?). Insieme e di comune accordo vantano i pregi e la politica di quelo fronte popolare mnaufragato pietosamente nell’incoerenza e nel tradimento. Manifestano la loro avversione per gli anarchici che ritengono irreconciliabili nemici di tutte le piattaforme. Non vogliono e fanno di tutto per allontanarli dal movimento operaio come elementi pericolosi e compromettenti. Sono pochi quelli che seguono sinceramente e con passione rivoluzionaria il movimento, solidarizzando con gli anarchici.

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Queste discordie poi sono divenute alquanto gravi in seguito ai fatti avvenuti in Spagna per colpa dei dirigenti [del]l’attuale governo di Valenza chiamato a servire gli oscuri disegni della dittatura rossa. I vincoli morali dell’antifascismo si può dire senza ma di esagerare, non esistono più, tanto che gli anarchici e i pochi socialisti rimasti fedeli alle tradizioni del loro ideale, non fanno quasi più distinzione nel classificarli nemici peggiori dei Fascisti. In occasione del siluramento del petrolierro Campeador,avvenuto in prossimità della Kabilia, i superstiti, quasi tutti appartenenti alla C.N.T. ed alla F.A.I., sono stati invitati dal Comitato locale di Sindacati, il quale si oppose a qualunque manifestazione pubblica, e, su pressione degli anarchici, ad una bicchierata.

La salla della C.G.T. figurava in questa occasione addobata di bandiere e, fra queste niente meno che quella Italiana. Vifigurate l’effetto prodotto a quei marinai i quali, se non fosse stato per l’immediato intervento di qualcuno che fece togliere quell’emblema chissà che cosa sarebbero stati capaci di far arrivare. Un fatto angoscioso che si rivela per lo meno un’inqualificabile affronto a quei valorosi militi della rivoluzione. Si potrebbe molto e di più della famosa unione socialcomunista, se fossimo d’accordo.

Comunque le esigenz dell’ora ci richiamano maggiormente alla lotta che matura, per un revisionismo delle forze sane della rivoluzione, destinate a trovarsi di fronte ala reazione Fascista ed all’invadente incalzare dei disfattisti del movimento proletario. Non smettere quindi di smascherare i falsi amici del popolo: non lasciare in modo assoluto ingannare le masse con le speculzaioni infami dei partiti politici che li barattano con titoli e denominazioni di origini libertarie. Come dapertutt da parte degli amici della Spagna repubblicana, anche qui l’antifascismo è un semplice giuoco di acrobazia che danneggia più del Fascismo. I giornali che si dicono amici, coincidono tutti nel dir male della rivoluzione spagnola e sono d’accordo nel fare un’accaninta campagna contro il POUM e gli anarchici. Dalla tragica situazione repubblicana che sanuina in una vera carneficina non si occupano se non per difendere ed incoraggiare gli assassini dei veri soldati della rivoluzione. Gli ordini sono ormai impartiti di combattere ad oltranza, e con qualunque mezzo tutti coloro che si oppongono alla dittatura rossa! Tunisi 27-8-37

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